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L'ambivalence improbable Voilà qui est fâcheux |
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Le Dhiwara 13 Agur 817 à 12h26 |
Thème
Je me réveille en pleine nuit, haletant, transpirant, je cherche du regard ce que je viens de rêver. Je me demande ce qu'il vient de se passer. Le monde des rêves est toujours étrange, même pour quelqu'un comme moi mais là, c'était sans commune mesure avec d'habitude. Une présence sombre, grouillante, aussi répulsive que possible, cette voix pénétrante comme si elle me connaissait mieux que je me connais moi-même. Cette histoire de jours, comment je sais ça ? Pourquoi je sais ça ?
*** Qu'est-ce que je suis devenu bon sang ? ***
Un haut le coeur violent me prend tandis que la réponse s'affiche dans ma tête. Je me penche hors du lit et vomis mon dîner de la veille. Dommage, un très bon carpaccio de bœuf aux câpres et un vin rouge fruité...
Soulagé d'un point de vue physiologique, je n'en reste pas moins inquiet au dernier degré sur tous les autres points de vue. Ma réflexion s'arrête lorsque je sens d'autres voix dans ma tête, dans d'autres langues, comme un murmure qui ne m'était pas adressé. Mais je les entendais aussi distinctement que s'ils étaient la pièce d'à côté.
Je regarde mes mains, m'attendant à moitié à les voir se recouvrir d'écailles, de griffes ou changer de couleur. J'attends longuement. Je regarde les autres parties du corps, au cas où. Rien. Pourtant, on entend partout qu'il s'agirait de monstres répugnants, avides de sang frais. Pour l'instant, j'ai juste mal à la tête... Quel puissant monstre suis-je devenu...
J'appartiens à cette race tant détestée ? Que l'on chasse impitoyablement pour ce qu'ils sont et ce qu'ils ne sont pas. Des menaces sur une société fragile et entourée d'ennemis de toute part, on avait pas besoin de ça. Rectification, ILS n'avaient pas besoin de ça.
Attends un peu, je...deviens cette créature honnie et je ne vois pas ce qui me permettra d'échapper à la vindicte populaire... Je finirai chassé, traqué. Tué au mieux, capturé au pire... On sait tous ce qu'il advient de ceux qui sont attrapés. La veille au soir, j'étais tout à fait d'accord avec les méthodes et les fins utilisées mais désormais, c'est différent.
*** Je suis passé du mauvais côté du fusil. ***
J'ai beau maîtriser mes sentiments et les restreindre au strict minimum, je suis transi de peur et mes bras tremblent. Je suis ce que mon kil déteste, ce que je déteste. Chercher du réconfort auprès des krolannes me vaudra une sentence immédiate, sans aucune possibilité de m'expliquer. De ce côté là, je suis seul. Demander de l'aide à d'autres...mutants, ces lanyshstas ? Et puis quoi encore, ce sont des monstres après tout... Ma situation est pour le moins compliquée... Je pourrai quitter le kil, abandonner toute ma vie ici et aller au kil'dé ? J'ai de la famille, des contacts, mais sans façon. Ils ne sont pas dignes de confiance non plus.
*** Il va me falloir faire cavalier seul. ***
A travers les volets, je vois le soleil commencer à se lever. Autant commencer la journée maintenant et nettoyer mon carpaccio... |
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Le Luang 14 Agur 817 à 10h21 |
J'éprouve une anormale félicité à aller travailler. D'habitude, je remplis mes fonctions parce que je dois le faire, parce que c'est ce que je sais faire. Mais là, j'ai besoin de me changer les idées, de penser à autre chose. Ce genre de subterfuge...je pensais que ce n'était valable que pour les autres et maintenant voilà que je tombe dans ce genre de travers si pathétiques... Finalement je suis comme les autres.
*** Quels autres ? Krolannes ou lanyshstas ? ***
Même si mon esprit est occupé à la routine de mon métier, faire valser des colonnes de chiffres d'un endroit à l'autre, une partie de mes pensées ne peut s'empêcher, en arrière-plan, de réfléchir à tout ça. Je tourne les idées dans tous les sens, je les mâche jusqu'à en extraire la substantifique moelle, j'envisage plusieurs cas de figure...
***
Mais il me manque trop d'informations. ***
Je n'ai personne à qui demander. Ni krolanne ni lanyshstas. Les uns me tueraient, les autres sont des monstres. J'aime à penser que je ne suis pas stupide, je ne pourrai tuer les seconds, je me doute bien qu'il en existe de plus puissants que moi. A vrai dire, je dois être tout en bas de l'échelle, aussi bien dans leur communauté - si tant est qu'elle puisse exister - qu'en termes de dangerosité. Je suis pour l'instant terriblement seul et j'abhorre déjà l'idée de ce qui va suivre, je vais devoir demander de l'aide. D'une façon ou d'une autre, mais pas à n'importe qui.
*** Quitte à supprimer la personne après... ***
La pensée vient de surgir d'un coup. Une part enfouie d'instinct de survie vient de remonter à la surface, quelque chose dont je me pensais dépourvu. J'ai peut-être des défauts selon mes contemporains mais je ne suis pas comme ça ! Je dois continuer à chercher une solution. |
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Le Matal 15 Agur 817 à 14h22 |
Je découvre un nouveau côté de la vie dont je me serai bien passé. La paranoïa. D'habitude, je garde toujours un contrôle strict de mes actes, par soucis de convenance et par réflexe. Mais désormais, je sais que tout ce que je fais peut me trahir. Un geste déplacé, une phrase imprévue, n'importe quoi peut me mener à une pièce d'observation, coupé en rondelles dans des bocaux... Ma première inquiétude est qu'une partie de ma nature mutante ne s'exprime de façon non contrôlée, imprévue, chaotique. Mon intellect, ma maîtrise et mes manières ne peuvent me protéger que contre des situations normales.
*** Mais désormais, je suis anormal. ***
Je prends les transports en commun comme tous les matins, je suis perdu dans mes pensées, je regarde par la fenêtre les tuyaux qui défilent à l'extérieur. D'habitude, j'ai un livre pour m'occuper. J'ai oublié de le prendre ce matin, symbole de mon état de tension. Je n'oublie jamais rien d'habitude. Je sens qu'on m'observe, je reviens à la réalité. Une personne me regarde, je la connais. Nous prenons le tramway à la même heure tous les matins. Guère plus qu'un hochement de tête ou un vague sourire les jours où je me sens joyeux, cela me convenait tout à fait. Mais là, elle me regarde, l'air intrigué. Mon cœur accélère, je garde un visage impassible, je la regarde. Viens-je d'être trahi ? Ma mutation s'affiche au grand jour et d'ici quelques minutes, je vais être arrêté puis disséqué ? Je hausse les sourcils, l'air interrogateur. Elle monte sa main vers son col et tapote du doigt. Je l'imite, craignant de découvrir des écailles qui sortent de mon costume ou une marque affreuse, ce genre de modifications dont on entend tous parler.
*** Ma chemise n'était pas boutonnée jusqu'en haut. ***
Je réajuste ma mise des deux mains tellement je tremble. Une goutte de sueur perle sur ma tempe droite. Je lâche un vague sourire, celui entre la gêne et le remerciement. Les choses normales reprennent. Fin de l'incident. Je descends à ma station et m'écroule presque sur le banc, peinant à reprendre mon souffle. Il est encore tôt le matin, il y a peu de passants.
*** Je suis entouré d'ennemis. ***
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