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Le Julung 13 Nohanur 814 à 15h11 |
J'entre dans la boutique.
Curieusement, sa tronche de phénomène de foire ne m'a pas rebuté. Il n'a pourtant pas une gueule de porte-bonheur, l'épicier...
Mais dans un rêve, on attaque l'histoire bille en tête, sans se poser la moindre question. Et l'on fait des choses qu'on ne ferait jamais en vrai. Même pas en rêve. Comme entrer dans sa boutique, donc. « Suis-moi » , qu'il a dit. Alors je suis...
Il a l'air d'être aussi krolane que moi, à savoir : pas du tout. C'est un lanystha, et un vieux. Pas un bleu-bitte.
Comment le sais-je ? Parce que c'est un rêve, dame !
- Pourquoi es-tu là ? Susurre-t-il
- Euh... pour le pendentif ?
Je le sors de ma poche et l'agite sous son nez.
L'apothicaire sourit :
- Oui. Sais-tu ce que c'est ?
- Un dé ?
- En effet. Sais-tu ce qu'il fait ?
- Mmmhhh... il me... il me... il m'influence ?
- Non, mieux que ça.
- Il... me contrôle ?
- Non, non.
Une pause :
- Que penses-tu de ta vie, Lohan ?
- J'y pense pas. Vaut mieux pas.
- J'insiste. Qu'en penses-tu ?
J'en chialerais...
- Elle est pourrite, ma vie. Toute pourrite ! Voilà !
- Pourquoi ?
Je sais très bien pourquoi, salopard...
- Parce que... je suis une merde ?
- C'est exact.
L'effroyable marchand pose ses deux mains à plat sur le comptoir et se penche vers moi. Le ton devient dur, cassant, incisif lorsqu'il demande d'une voix abyssale :
- Qu'est-ce qui peut changer la nature d'un homme ?
J'en sais foutre rien, moi. Alors je reste cois. Ca tombe bien, il répond à ma place :
- Rien, Lohan. Rien ne peut changer la nature d'un homme. Pour changer de nature, il faut changer d'homme.
Et pourtant...
Il regarde la breloque comme s'il s'agissait de Scylla réincarnée :
- Le Dé peut.
Il renifle un grand coup, lève un doigt au ciel, écarquille les yeux :
- Tu es lanystha, désormais. En tant que tel, Lohan, tu es le réceptacle de phénomènes étranges.
Aujourd'hui, tu n'es qu'une merde insigne, on est bien d'accord.
Mais demain...
Expiration :
- Parfois, de temps à autre, particulièrement en situation de stress (il se fout de moi, là ? Je suis tout le temps stressé !), le Dé roulera, vibrera, et tu changeras : l'espace d'une seconde, d'une heure ou davantage, tu deviendras quelqu'un d'autre.
Inspiration :
- Tu seras fier, arrogant, désaxé, suicidaire, narcissique, dominant, méchant, insouciant, pervers, génial ! Et plus encore ! Désormais, ton identité se jouera au Dé. Sans jamais l'anticiper, tu seras fourbe ou flamboyant, salaud ou lumineux ! Les cadres de ton existence, quels qu'ils soient, vont exploser ! Tu seras en danger, car ta singularité même te rendras pluriel ; Janus aux mille visages, tu vivras mille vies, là ou chacun n'en connaît qu'une. Tour à tour altruiste, sadique, saint, tortionnaire, avisé, crétin, romantique ou obsédé, le chaos sera ton empire. Tu seras tous les êtres, homme-orchestre au milieu des simples solistes. Et le plus beau, dans tout ça...
Il commence à fatiguer, là. J'en profite pour en placer une :
- J'aurai une belle vie ?
Bien tenté, non ? D'un revers de la main, il balaie ma question :
- Sûrement pas. Minable tu naquis, minable tu mourras. Entre les deux, ma foi, on s'amusera. Enfin moi, je m'amuserai.
Le plus beau, disais-je, et ne m'interromps plus,
Et merde...
... C'est que tu feras n'importe quoi mais jamais, au grand jamais, tu n'en seras responsable.
Ecartant les bras :
- Tu seras stochastique,
Le parfait kil'sinite...
Extatique :
... L'anarchiste absolu.
Je me réveille, les draps poisseux, détrempés : quel rêve débile !
Le temps d'avaler mon café (froid)...
Il est oublié. |
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Le Merakih 26 Nohanur 814 à 07h10 |
RAZZIA
sur la chnouf
C'est Dent-jaune, l'ex porte-flingue du balafré, qui m'a rencardé :
La semaine dernière, au détour d'une ronde nocturne, Ch'tit et le Noiraud sont tombés sur un carré clandestin d'herbe à chat...
De la dope premier choix, non coupée, bonne à t'exploser la cervelle façon puzzle ! Quand j'ai appris ça, j'ai réuni le clan et j
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Je me réveille, complètement désorienté...
Bordel, c'est de pire en pire ! Voilà que je me prends pour Titus !
- Non, c'est l'inverse, dit l'apothicaire. Ton chat, parfois, se prend pour toi.
- Hein ? Mais qu... qu'est-ce que v-vous fout-tez chez m-moi ?
- Tu rêves encore, Lohan...
Je regarde aux alentours : oui... je reconnais ces lieux. La boutique. Lui, c'est le sale type qui m'a...
- Hey ! Le f-foutu Dé... Je n'en v-veux plus ! Com-om-ment m'en dé-b-barasser ?
- Tu ne peux pas.
- Il ne m'apporte q-que des ennuis ! J'ai d-déjà fff-failli me faire t-tuer à cause de l-l-lui !
Le vieux lanystha soupire et quelqu'un d'autre dit :
- Va falloir faire avec, vieux. Moi, je l'aime bien, ce Dé...
- T... Titus ?
Je le crois pas... c'est mon chat, là ? Posé sur l'étagère ?
C'est mon chat qui me parle ??
- Ben quoi ? Tu te crois plus crédible, en krolane télépathe ?
- Euh...
- Je l'aime bien, ce Dé : il me donne le contrôle, parfois... ça me permet de raconter mes histoires...
- Tes histoires ? Attends un p...
- Non parce que franchement, les tiennes, tout le monde s'en branle ! Et que je traine par ci, et que je glande par là... t'es un paumé, Lohan ! Juste bon à me faire la pâtée !
- C'est pas faux, surenchérit l'apothicaire en se limant les ongles.
- Alors que moi, reprend Titus, j'ai des choses à dire ! Entre guerre des gangs, trafic d'HAC et traite des blanches, je...
- Traite des... tu te mo-moque de m-moi ?
- Ma couille, t'apprendras qu'une chatte blanche cote dix kilos de mou de veau, à la Crypte.
- La Cry... b-bon sang, je ne c-comprends rien...
- La Crypte, c'est le marché souterrain... laisse pisser. Bref, tes aventures, c'est de la merde. Mes aventures, en revanche : elles en jètent ! Alors ouvre tes esgourdes, je te fais le topo :
- Hein ? M-mais
- Dorénavant, je raconterai mes histoires et toi, tu la fermeras ! Si t'es sage, t'auras peut-être un p'tit rôle : moi et Paulo (coup d'oeil vers l'apothicaire) on veut bien être sympa, on n'est pas des monstres... mais rêve pas trop.
L'encapuché confirme d'un hochement de tête, crache un peu de chique et précise :
Tu as perturbé le script de « RAZZIA sur la chnouf », Lohan. Tout ça parce qu'on t'a laissé la bride. Ca va changer. Tu vas changer.
Le Dé va s'en charger.
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Je me réveille encore... et encore...
Vraiment ? |
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