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Chroniques précieuses
La difficile taille d'une jeune fille trop polie
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 8 Otalir 813 à 09h00
 
Tout compte fait, plutôt que d'attendre sagement que les chroniques fonctionnent -après tout, pas sûr que ce soit prioritaire, je vais coller ça en forum.
D'une part ça vous fera un peu de lecture, et d'autre part ça donnera un sujet "long" à pouvoir déplacer/découper si le besoin de test s'en fait sentir.
Pas d'inquiétude, j'ai les copies sur un autre sujet, donc facile de trancher dedans.
De toutes façons, elle ne sont pas forcément postées dans l'ordre :P


Chronique 1 : Souvenir d'un (R)Eveil - ACTE 1


Tout commença par le froid...

C'est étrange, comme sensation. Se dire que la première chose qu'on ai ressentie, violemment, c'est quelque chose qui émousse les sens.
Avec le froid, vint le toucher. La sensation que le froid était plus fort, plus cruel par endroits : omoplates. Fesses. Talons. Face arrière du bras.
Allongée sur le dos, donc, quelque chose de froid et lisse. Pierre ? Métal ?
Froid et lisse, en tout cas... Si lisse qu'il était facile d'y faire glisser le bras et...
Minute. LE bras ?
Oui, je sentais la poigne glaciale de l'environnement sur son bras droit, mais du gauche, nulle sensation n'émanait.

Mon... Mon bras ?

Et ce fut la douleur, la brusque prise de conscience d'une nouveauté dans l'environnement, aussi brutale qu'un plongeon dans l'eau glacée.
Il y avait eu le froid, et désormais, il y avait le son.
Je pensais être environnée de silence, mais c'était le silence qu'on ne trouve qu'au dela de la cacophonie, dans la plus puissante des déflagrations sonores.
J'avais à peine entendu le son de ma propre voix, étouffée qu'elle était par la tempête sous mon propre crâne. Un bourdonnement obsédant, incessant.
Qui étouffait tout.
Malgré le choc, une partie de mon esprit ne pu s'empêcher de constater que, aussi ténue puisse-t-elle m'apparaître, ma voix avait rencontré un écho : lieu clos.
Puis la douleur gagna la partie, et je me cambrais sous son joug, le visage figé en un cri muet.

***

***


Combien de temps suis-je restée ainsi ?
Quelques secondes ? Des heures entières ?
Une main vint appuyer sur mon ventre, le plaquant doucement, mais avec fermeté, contre la... Surface froide et lisse, sans doute la table.
Sans les faire disparaître, la présence atténuait suffisamment mes douleurs et le bourdonnement pour que je puisse reposer ma question.

Mon bras ?

Je voulais demander, du moins. Mon esprit avait clairement formé son désir, et l'avait transmis à mon corps. Mais ma voix n'était en fait qu'un bruit affreux, inarticulé. Je n'avais pas plus de bras que de voix, je n'étais que monceaux, que morceaux.

Chhhht. Du calme mon trésor

La Voix était comme la main : douce, car on arrive à plus de choses par la douceur. Mais sans l'ombre d'une once de compassion, car la compassion altère le jugement.

Une deuxième main se plaqua sur mon visage, bloquant nez et bouche d'un seul mouvement.
Je sombrais à nouveau...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 8 Otalir 813 à 09h03
 
Chronique 2 : Souvenir d'un (R)Eveil - ACTE 2

Nouveau réveil, et cette fois-ci, il était... Différent.
Le froid, toujours, mais je sentis mon corps réagir. Frisson.
Toujours rien de visible, le noir, complet, mais le noir des ténèbres, le noir de l'égalité, non pas le noir de l'infirme. Je sentais mes paupières battre, me rappelant l'existence de mes yeux.

Mon...

Ma voix. Une véritable voix. Qui traduisait en son la fulgurance de l'esprit. Pas cet affreux grincement de... Tout à l'heure.

Mon bras ?
***

***


Le réveil était plus lent, bien plus lent, je le sentais maintenant. Je fus bille roulant sur une planche, j'étais avalanche dévalant une pente. Mouvement identique, si on se recule assez pour superposer les perspectives, mais complexité d'un autre ordre.
Et en posant la question, j'obtenais la réponse. Mon bras était là, je le sentais, oh, dieux ! Je le sentais! si puissamment maintenant que je le regrettais. Il me brûlait... Ou quelque chose le brûlait, peu m'importait, ce bras, cette sensation de perte, j'aurais voulu qu'on me l'enlève, qu'on me l'arrache, maintenant, tout, tout plutôt que la douleur qu'il me procurait.

Il est là, trésor. Tout va bien.

La Voix, toujours. Et tout allait bien. La Voix l'avait... Dit ? Non, je l'aurais entendu. Là, je me contentais de... Savoir. Savoir que la voix aurait pu le dire.
La Voix avait émis une volonté, entre l'ordre et le constat, que tout allait bien, et soudainement, tout allait bien. Tout avait toujours été bien.

Jade.

Un nom. Une description. Un but. Quoi d'autre ?
Une évidence. Un tout. Et une fraction de ce tout.

La Voix était là, à côté de moi. Autour de moi. En moi.
Nul besoin d'yeux pour ne pas pouvoir la voir, ni d'oreilles pour ne pas savoir l'entendre, il y avait la Voix, et cela suffisait.

Elle ne me demanda pas de dormir, mais la volonté la traversa, et me terrassa.
Mon bras, l'intérieur de mon biceps gauche, plus précisément, tenta de m'interpeller, mais il ne pouvait rien contre la voix.
Une fois encore, je sombrais.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 8 Otalir 813 à 15h23
 
Chronique 3 : Avalanche

Debout.

Nous avions prononcé le mot en même temps, comme souvent. Nul autre qu'Onyx n'aurait pénétré ainsi dans ma chambre, et il savait lorsque je dormais. S'il venait me voir, ce n'était pas pour me regarder dormir.

Habille toi vite, petite sœur.
- Explique moi pourquoi, petit frère.


Ce n'était pas là une lutte d'influence stupide et contre-productive, l'altercation matinale d'une fratrie en compétition : j'avais commencé à suivre ses instructions avant même de demander des explications. En tant que jumeaux, nous n'agissions jamais que pour le bien des deux. Il était visiblement plus profitable pour nous deux que nous soyons tout deux rapidement fonctionnels, et il était tout aussi profitable pour nous deux que l'information soit le plus largement possible partagée.

Un problème. Grave. Évacuation immédiate et totale.
- Père ?
- Muet.


Cela n'allait pas être facile.
Fermez les yeux, PUIS ouvrez une porte, et décrivez les couleurs des choses qui s'y trouvent. Vous aurez alors mesure de la difficulté à être privé de la Voix qui, depuis aussi loin que remontait vos souvenirs, avait toujours su ne jamais se faire entendre, mais pourtant vous guider.
Pour autant, pas de ''tu es sûr ?'' De ''c'est impossible !'' ou autre.
L'information. C'était cela qui comptait.

Cause ?
- Agression.
- Origine ?
- La Garce.


Ah. La réponse avait fusé, c'était donc une certitude.
Une information de la Voix, sans doute. Peut-être la dernière avant d'être réduite au silence. Pour autant, cela ne signifiait rien pour moi, et cette ''Garce'', quelle qu'elle puisse être, devrait attendre.

Métaphore ?
- Avalanche.


Un éventuel observateur aurait sans doute trouvé étrange l'irruption d'un tel terme dans la discussion, mais c'était pourtant le processus le plus efficace.
La métaphore, l'image qui frappe, permettait, pour peu qu'elle fut adaptée, de décrire en un seul mot ce qu'un long discours n'aurait pas fait plus efficacement.
Et mon lien avec Onyx était tel qu'il n'y avait aucun risque de mauvaise interprétation entre nous.
Avalanche...
La chute des Pierres.
Là, ce n'était pas bon.

***

***

Estimation ?
- 80% de pertes.


Quelque chose se serra en moi. 4 sur 5, en chiffre, c'est beaucoup. Quand cela représente des personnes, des liens, des histoires, c'est pire. Agathe la discrète, Améthyste et ses rires, les triplés Grenats... Statistiquement parlant, quatre étaient déjà perdus. Et rien n'assurait que le rescapé soit hors de danger.

Les Précieuses ? Saphir ?
- Brisées. Toutes. Saphir la première. Même ce connard de Diamant.


Ce fut comme si un coup de masse me percutait la nuque. Tous, nous avions nos qualités, nos défauts. L'un des nombreux d'Onyx étant de laisser trop de sentiments transparaître dans ses informations.
Mais les Précieuses...
Les Précieuses étaient nos modèles, notre élite. Notre branche armée, même si nous n'avions jamais eu à combattre.

Saphir, brisée ? Saphir l'insaisissable, celle qui se mêlait le plus volontiers à nous, à nos jeux, et qui jamais, jamais n'avait été touchée lors de nos jeux d' attrape ou de lancer ?
Et Rubis, Rubis la colérique et sa maîtrise de tout ce qui touchait de près ou de loin au feu, Rubis qui-s'y-frotte-s'y-brûle, brisée ?
Et Émeraude la discrète, l'invisible, presque, brisée ?

Quant à Diamant...
Bon, ok, Onyx avait raison, c'était un connard. Aucun doute là dessus. Dur à l’extrême, mépris incarné, jamais la moindre trace d'émotion... Mais se fut-il mis en tête d'aller flanquer des coups de boule à une montagne que j'aurais hésité avant de miser la moindre piécette sur le tas de pierre.
Diamant était inaltérable.
Point.
Et là...
Soudain, je rompis. Ma concentration, mon éducation, je rompis. Les sentiments me submergèrent.

Opale ! Opale est... Non, elle n'est pas... Elle ne peut pas... Non !

Onyx me regardait, les yeux écarquillés, déstabilisé par ce manquement à mes habitudes. Puis il éclata de rire.
Nous étions en guerre, non, plutôt en déroute, en perdition lors de notre déclin ultime, et Onyx riait. Il en pleurait, même, la tension se relâchant d'un coup.

Mais non voyons !
Opale... !
Allons bon, Jade... Opale n'est pas officiellement une des Précieuses, tu le sais bien.


C'était vrai. Opale était la cinquième roue du carrosse, comme disait Diamant. Ce à quoi elle répondait invariablement qu'à quatre membres, il fallait bien une tête.
Tout comme elle répondait toujours du tac au tac aux piques d'Onyx, seule à savoir lui tenir tête, ce qui expliquait sans doute la profonde affection qu'il éprouvait pour elle.
L'ombre et le fantôme, deux faces opposées mais composant une même pièce, au caractère aussi changeant l'un que l'autre, Opale était presque aussi chère à mon cœur que l'était Onyx. Elle accompagnait si souvent les Précieuses que j'avais un instant oublié que, effectivement, elle n'en faisait pas officiellement parti.
Amusement et tendresse au fond de ses yeux de jais, Onyx acheva de me rassurer en me prenant la main.

Personne ne fera jamais de mal à Opale si elle ne le désire pas. Elle est en sécurité.

Une ombre dans le regard, sa voix redevint froide et tranchante comme l'acier.

Mais nous pas. Ouvre le bal, petite sœur, je suis dans ton ombre.
Ce soir, nous sommes de dune.


Nous sommes de dune... Du sable. Pierre cognée, rongée, abandonnée au milieu de ses semblables, invisible au milieu de nulle part, sentant le vent sur notre dos.
Nous sommes de dune... Perdus, isolés dans le vaste monde, dans l'extérieur dont nous avait tant parlé la Voix, pour nous y préparer comme pour nous en éloigner.
Nous sommes de dune... Libres. Et seuls.

Honn, garde nous.

J'avais entendu une fois Opale appeler la Voix ainsi. Sauf que cette fois, la Voix resta muette.
Nous étions seuls...
Et j'avais peur.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 9 Otalir 813 à 13h44
 
Chronique 4 : Ensembles, mais seule

De ma fuite, je ne me rappelle que peu de choses.
Rien, à l'état conscient, déjà. Quand mes yeux se ferment, par contre... Je revis certaines scènes.
Quelle est la part du vrai ? Du fantasme ? Les images qui m’apparaissent sont-elle des extrapolations complétant mes perceptions inadéquates ? Ou d'habiles mensonges se déployant tels des boucliers pour me protéger de l'horreur de la vérité ?

Régulièrement, je la vois. La Garce. Si sombre, si vaste, si terrible...
Et si incomprise.
C'est un sentiment dont l'intensité me submerge, à tel point que je ne peux l'analyser, mais pour autant, il ne m’apparaît pas comme totalement, foncièrement maléfique. La Garce voulait. C'est tout. Elle voulait, sans que je sache ce qu'elle désirait si ardemment.
Et à sa volonté se superposait la Voix. Père et la Garce était liés dans leur caractère incompréhensible.
Luttaient-ils ? Coopéraient-ils ?
Ou, et c'est peut-être cette pensée qui me terrorisait le plus... Étaient-ils une entité unique, la Voix étant à l'esprit ce que la Garce était à l'espace classique ? Corps, et âme ?

A un moment, il n'y avait plus d'échappatoire, la Garce nous entourait, et Onyx...
J'ai perdu Onyx. Mais lui est parvenu à me garder. A se garder.
J'ignore comment.

Mes souvenirs ne reprennent que sur la plage, avec cette étrange femme multicolore au dessus de moi.
Le bleu de ses yeux, le rose de sa peau, le marron mêlé de gris de ses cheveux, le rouge de ses vêtements...
Je me rappelle mon premier sentiment lorsque je l'ai vue, les premiers mots qui me sont venus aux lèvres : ratage.
Du mépris, pour une créature monstrueusement disharmonieuse, terriblement imparfaite.
Mais elle n'était pas seule. Nombreux étaient ceux qui l'entouraient, autant, peut-être même plus que les Pierres.
Tous pareils, tous... Mélangés.
Et moi, j'étais parfaite, mais seule.
Parfaitement seule.

Seule au milieu des rebuts. Et de leur odeur...
Ils puaient !
Et je ne parle pas là de la crasse, non : ils puaient les sentiments. La peur, le désir... Pour qui a été habitué à discerner la moindre expression d'une inclinaison illogique, leurs fragrances en étaient suffocantes Leurs visages, aussi, étaient pire qu'un concours de grimaces par leur extravagance. On parle parfois de livres ouverts, mais chez eux, les livres étaient dotés de parole, et vous hurlaient leurs pensées.
J'avais toujours trouvé Onyx particulièrement ostentatoire, dans l'expression de ses sentiments.
Aussi bruyant pour une araignée que pouvait l'être une souris.
L'araignée n'avait jamais imaginée qu'elle se trouverait un jour en présence d'un troupeau de mammouths...

Que pouvais-je faire ? Suivre.
Mon corps, de toutes façons, me trahissait. Ils auraient pu faire ce qu'ils voulaient de moi, je n'aurais pas eu la force de leur résister.
Heureusement, la multicolore – les autres la surnommait Tourmaline, cela me réconforta un peu, comme si j'avais trouvé une nouvelle Pierre au rebut, mais une Pierre quand même – n'avait pas de mauvaises intentions à mon égard. Elle me prit en charge, s'enquit de mon nom, et m'en adjoignit même un second.
Deux noms. Concept parfaitement inutile, temps de parole nécessaire à l'identification accru, me suis-je dis. Mais je n'avais pas vu leur habitat...

Le groupe n'était pas une famille, une entité, ce n'était... Qu'un minuscule organe d'une structure gigantesque.
***

***

Je savais compter. Mieux que la plupart des Pierres. Sans commune mesure avec les Imparfaits.
Mais là... Certains nombres ne devraient pas pouvoir être utilisés avec d'autres mots.
On ne devrait pas pouvoir compter les Krolannes comme on compte les grains de sable.

Ils étaient... tellement nombreux ! Et Lhyn – la multicolore tourmaline – m'apprit que nous n'étions là qu'aux portes de son Kil, qu'il existait d'autres Sharss.
D'autres... Encore.

Ils étaient stupides.
Imparfaits.
Faibles.
Désorganisés
Mais nombreux, si nombreux... Même les Précieuses n'auraient rien pu contre une telle nuée.

Maintenant, nous sommes ensembles, me dit Lhyn en pénétrant le Kil'sin.

Ensembles ?
Entourée. Encerclée. Enfermée. Étouffée. Emmurée.
Les puants autour, et moi au milieu.

Ensembles...
Mais seule.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Julung 10 Otalir 813 à 17h26
 
Chronique 6 : Sombre écho - Acte 1

La première fois, ce fut un cadavre.
Des cadavres, on en trouve régulièrement, au Kil'sin
Maladie, vieillesse, bien sûr, mais aussi meurtres, même si c'est plus rare. Et de toutes façons, ces derniers sont généralement...
Justifiés. Rare que des oies blanches soient sacrifiées. Ici, c'était un de ces cas ''biens mérités'', un petit escroc qui devait avoir tenté d'arnaquer la mauvaise personne, et qu'on avait retrouvé mort.

Rien qui sorte de l'ordinaire, donc, sur le fond. Mais la forme... La forme tracassait Lhyn.
Elle venait tout juste de faire passer l'idée qu'il fallait un nouveau comité, ou plutôt DES nouveaux comités, locaux, pour protéger les gens, et faire attention à eux.
Les comités de vigilance. Rien d'une force organisée chargée d'imposer son point de vue aux autres, une telle ingérence dans les opinions personnelles étant hors de propos ici, mais plutôt un... Regroupement de gens de bonnes volontés prêts à protéger les habitants contre les menaces de toutes sortes. Même contre eux-même, s'il le fallait.
Pas de justice à appliquer dans le cadre d'un respect de l'ordre et d'un système, non, plutôt une... "libre décision issue de personnes aimant partager leurs informations et susceptible s de faire connaître leur opinion de manière efficace quoique parfois virulente".
Bref, Lhyn tentait de sauver l'utopie qu'était le Kil'sin en violant un bon coup les principes mêmes de sa fondation. Une force organisée de contrôle de la population, restant suffisamment "bordelique" et inefficace pour être tolérée.

Quoiqu'il en soit, les comités de vigilance ne voyaient pas forcément les meurtres d'un mauvais œil, mais généralement, ils se méfiaient de ceux qui les commettaient. Et ils aimaient rester ''vigilants'' à leur encontre.

L'absence habituelle de toute force de répression, et la capacité à changer totalement de vie en déménageant trois rues plus loin si on supportait mal l’opprobre de ses voisins fait que les rares criminels du Kil'sin sont plutôt du genre... Bourrin.
Subtilité zéro.
Préférant marquer leur territoire que masquer leurs traces.
Mais pour une fois, ce n'était pas le cas.

On avait d'abord cru à une maladie. Une personne immobile dans la rue peut faire une sieste, mais quand de la mousse lui pousse dessus... !
Il y avait alors eu un mouvement de panique, au tout début. Une moisissure issue du Srh'agg, une maladie putride qui allait éradiquer toute vie, une nouvelle forme de super-prédateur végétal !
Mais non, ce n'était que de la mousse, de la mousse qui n'avait rien à faire sur un Krolanne, en principe. Et très vite, on s’aperçut que la mousse avait juste été arrachée et déposée sur le cadavre.

Le coup mortel fut nettement plus délicat à repérer. C'est moi qui l'avait trouvé : Lhyn me demandait parfois un coup de main, sachant que ses confrères étaient incapable de la moindre cohérence dans leurs observations, se payant par contre le luxe de taxer de ''maniaque du décorticage à outrance des détails'' ce qui n'était à mon sens que le minimum vital de l'analyse objective d'une situation.
Lhyn elle-même était une rhétoricienne redoutable -il fallait du talent pour ne pas provoquer de levée de boucliers contre ce qui ressemblait de trop près à un super-comité à l'autorité supérieure- mais une enquêtrice -pardon, une personne vigilante et curieuse- plus que moyenne.
Et moi, je n'avais pas mon pareil pour repérer les détails qui échappaient trop aisément aux multicolores.

Et il était là, le détail. Cette petite tâche de couleur que ces imbéciles avaient sans doute pris pour un grain de beauté ou une écorchure. Une gouttelette de sang séché.
Entre la sixième et la septième vertèbre ; arme fine, à peine 2mm de diamètre à la base ; longue, puisqu'elle était remontée quasi à la verticale jusque dans le cervelet ; extrêmement pointue, ayant percé de l'os sur la moitié de sa longueur ; et donc incroyablement résistante, pour parvenir à un tel exploit sans se rompre ; mais aussi sans doute huilée, graissée, polie, afin de ressortir avec autant de facilité qu'elle était rentrée, sans déchirure interne.
Un objet si parfaitement spécialisé qu'on ne l'imaginait pas servir à autre chose que ce genre de mise à mort, et demandant une maîtrise si absolue pour frapper au bon endroit, au bon moment, avec la bonne force, que le meurtrier devait être aussi spécialisé que son arme.

L'escroc s'était fait roulé par plus malin que lui, et avait rencontré beaucoup, beaucoup, vraiment beaucoup plus dangereux que lui.
***

***

A l'époque, je connaissais encore mal le Kil, et j'aurais donc pu penser que des assassins de ce degré de virtuosité étaient courants. Mais cela n'expliquait pas la mousse. Du moins, pas à d'autres que moi. Le meurtre aurait pu passer inaperçu, ''mort naturelle', s'il n'y avait pas eu la mousse.
Pourquoi attirer l'attention sur un crime qui aurait pu être ignoré ?
J'avais du mal à croire à un acte gratuit, le geste injustifié d'un déséquilibré, cela ne cadrait tout simplement pas avec la maîtrise nécessaire pour la réalisation de l'acte.
C'était donc un message.
Et il ne fallait pas s'attendre à une allusion du genre ''il a empiété sur le territoire du comité de la mousse'', non, l'indication était sans doute aussi torturée que les pensées de l'auteur. Peut-être une blague. Un jeu de mot.
Je connaissais quelqu'un capable d'un humour aussi morbide et imperméable, sauf que moi-même, je n'avais pas de difficulté à le comprendre.
Et pour cause.

Pierre qui roule n'amasse pas mousse.

Onyx.

Onyx avait vraisemblablement pris l'escroc à son propre jeu, l'avait roulé, puis dépouillé de tout ses biens... Mais pas de sa mousse. Car en tant que Pierre roulant un individu, il ne devait pas l'amasser. Pas de mousse à récupérer ? Qu'importe, il en avait arraché à une palissade moisie et l'avait rajoutée pour que le message soit plus clair.
Esprit tordu, humour douteux, jeu de mot minable, amusement enfantin, logique imperméable.
Imparable.

Onyx...
Quand je disais que si je l'avais perdu, lui m'avait gardée !



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Vayang 11 Otalir 813 à 18h53
 
Chronique 10 : Rêve de Cendres

Je rêve, souvent.

Des Pierres, d'avant...
De mon éveil et de la Voix. De ce qui fut avant ?
Jamais. Y a-t-il eu jamais quelque chose avant ?
Peu importe.
Mais si mes souvenirs sont d'une précision clinique, immuables, mes rêves tendent à changer les choses, à proposer de nouvelles options à mes souvenirs.
Parfois, la voix est celle d'Onyx. Ou se sont mes jambes, qui m'affolent. Je peux être sanglée à un mur plutôt, ou pendue au plafond, plutôt qu'allongée.
Une fois, je me suis même vue, démembrée, évidée, mais tout en étant un simple tas de chair sur la table, j'étais aussi la main qui me... Qui m'assemblait, plus que ne me soignait.

Alors le rêve de cette nuit ne m'a pas surpris outre mesure.
Des variations. Simplement des variations.
Certes inédites...

La vue.
Cette fois-ci, c'est la vue, qui m'est revenue en premier, pas les sons.
Mais derrière la vue, se cache quelque chose de bien plus important : l'information.
Lentement, ma conscience s'étend, mais de façon infiniment plus vaste que le misérable potentiel de mes sens. Comme souvent dans les rêves, les intuitions, le savoir vous sont donnés sans tergiversation ou justification.
Je réalise, petit à petit, ce que je suis.
Que je suis.
Que j'étais, peut-être. Sans doute. Logiquement.
Peu importe si j'étais.
Je suis.
Et je serais.

Je vois, mais en même temps que de nouvelles informations arrivent, je sens comme un manque.
Hauteur. Largeur. Profondeur.
Et ?
Je sens comme un goût de manque. Je vois, tout en ayant conscience qu'il y a aussi ce que je ne vois pas. Pourquoi trois dimensions ? Pourquoi pas quatre, cinq... Cent ?
Non, trois. Avec des nuances de teinte, d'intensité, de luminosité. Il y a ce que je peux percevoir, et ce que je ne peux pas percevoir.
Il faudra faire avec.

Nous n'avons pas le choix. Peut-être pas même la conscience du choix.
Nous ? Oui, nous.
Je me suis déjà vue. Seule, avec Onyx, aussi, côte à côte, reprenant conscience en même temps. Peut-être était-ce vrai, après tout, ma perception était limitée. Je ne lui ai jamais demandé quels étaient ses premiers souvenirs. Je me sens idiote, maintenant, mais là, dans ce rêve, je n'ai pas conscience de Onyx. De toutes façons, il n'y a pas d'Onyx.
Ou du moins, il n'y a pas QUE Onyx.

***

***

A moins qu'il n'y ai que cela ? Onyx, Jade, Opale, Saphir...
Aucune couleur, et pourtant, je sais que je les perçois.
Ils sont là, tous. A un souffle de s'animer. Mais si le cœur bat, leur souffle, pour l'instant, se fait attendre.
Tous identiques, plus encore qu'Onyx et moi ne le sommes, ni homme, ni femme, ni... Bouche, oreille ou autre. Des sculptures ébauchées, mais non finalisées.

Je regarde alentours. Pas bien loin. J'ai des sensations dans tout le corps, mais ma capacité de contrôle ne semble pas encore totale.
Ce qui reste mieux que les autres. Même s'ils me rattraperont bientôt, bientôt...

Plus de nouvelles informations pour la vue, juste des détails. Pas de son, mais peut-être qu'ils viendront avec les trous des oreilles. Le corps n'a rien à faire d'autre qu'attendre.
La conscience, elle, continue sur sa lancée. Elle se reconnecte à ce qui lui fait défaut, réapprend un alphabet qui lui permet de décrypter les livres de la mémoire.
Je me souviens.
La Voix. Puissante. Dangereuse. Mais pas à craindre. Une Voix qui n'explique pas la réalité, mais une Voix qui la modèle à l'image des mots qu'elle prononce.



Sur la fin du rêve, quelque chose de troublant. Parfois, j'ai conscience que je rêve, et je m'amuse à manipuler celui-ci.
La plupart du temps, le rêve à son existence propre, sans conscience extérieure, il est l'unique réalité existante sur le moment.
Cette fois-ci... Un mélange des deux. J'avais bien la conscience d'une superposition de niveaux de réalités. Une intrication des unes dans les autres.
Mais ce rêve n'était pas une part limitée de ma réalité : c'était lui, la réalité primaire. Je connaissais l'existence des rêves tout en sachant que ce n'en était pas un.

Quant à l'histoire...
J'aime, au matin, repiocher chacun des éléments d'un rêve et les raccrocher à un événement déclencheur. La couleur du ciel, c'est la robe de la boulangère hier, les corps écrasés, c'est l'enfant que la mère a rattrapé alors que le chariot fonçait... Ce genre de choses.
La Voix, je sais d'où elle vient.
Sans peine.
Même si ses nuances étaient plus riche dans mes souvenirs resurgis en cette sombre salle aux inachevés, elle reste la même, depuis le début.
Mais ON ? Je ne me rappelle pas de son histoire, des éléments qui auraient pu créer son histoire, du moins.
Alors que je me rappelle bien, en principe...
Plus agaçant : je sais que je sais. Mais je ne sais pas ce que je sais. Cette histoire à 8 journées. Je me rappelle des 3 premières.
Mon rêve est assurément le quatrième. Il collerait bien, en tout cas. Je pense que dans mon rêve, c'était une évidence, ce quatrième jour, même si désormais j'en doute.

Mais quels sont, alors, ces quatre foutus derniers jours ?
Une idée me taraude, délicieuse autant qu'insupportable. L'histoire a 8 jours, de ces jours de chansons qui durent une heure comme un siècle, mais elle à huit jours, puis l'histoire se termine.
Cela m'agace. Je garde l'idée de côté pour le moment, j'y reviendrais.

Mais ce picotement dans la nuque, ce frétillement dans le cervelet, me fait dire que je vais bientôt avoir d'autres motifs d'agacements...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Sukra 12 Otalir 813 à 12h53
 
Chronique 11 : Les Lanyshtas

Je les entends.
Je les sens, aussi. Leurs émotions sont presque aussi claires que leurs pensées.
Là, tout autour de moi. Ils ont un nom. Ils en usent et abusent.

Lanyshstas !

Certains pleurent sur leurs rapports irrémédiablement altérés avec leurs proches, comme un adulte qui voudrait redevenir un enfant.
D'autres se glorifient de la puissance qu'ils sentent sourdre d'entre leurs doigts.
D'autres encore semblent glorifier la Voix de Cendre, se font les prophètes d'une étrange religion.
J'en ai même entendu un se proclamer nouveau dieu...


CRETINS!

Ils n'ont rien compris.
Rien du tout.

Ils pensent savoir ce que ça fait, de faire partie d'une élite.
Ils ne savent pas, ce que ça fait, de devoir aussi faire partie du monde imparfait.

Ils pensent savoir ce qu'est le pouvoir.
Ils ne savent pas qu'un plus grand pouvoir ne leur servira qu'à être plus fortement conscient de leur faiblesse face aux véritables puissances.

Ils pensent savoir ce que c'est, que de suivre une Voix, de se plonger en elle.
Ils ne savent pas ce que c'est de tout perdre lorsque la Voix se tait...

Lanyshstas...

Pour qui, un titre. Pour qui une injure.
Pour moi, ce n'est qu'un nom, un de plus, aussi vide que les précédents.
Je suis Pierre.
Je suis enfant du Srh'agg.
Je suis Lanyshsta.

Je sais ce que c'est que de vivre géant parmi les fourmis.
Avec le savoir que si le géant ne pourra jamais écraser toutes les fourmis, elles pourront dévorer le géant, tant elles sont nombreuses.
Ils parlent d'évolution.
De révolution.
C'est faux...

Ce n'est pas une révolution, c'est une guerre, et loin d'en être les précurseurs, nous n'en sommes que des armes.
Et ce sentiment de liberté, ce n'est que de l'ignorance, de l'incapacité à voir les liens qui nous enserrent et nous guident.
Nous sommes des marionnettes stupides, des pions de première ligne.
J'ignore pour qui, et pour quoi nous nous battons, mais je suis sûre d'une chose : à la guerre, on sacrifie les pions pour tester l'adversaire, afin de préserver les pièces les plus grosses.

Quelques mois, peut-être un an, que les Lanyshstas font parler d'eux. On parle de mutations, aussi, ces temps-ci.
Les mutants, c'est plus... Visuel. C'est quelque chose qui marque plus les esprits.
On ignore encore à quel point mutations et Lanyshstas sont liés. Peuvent-ils rester immuables ?
Les Krolannes risquent-ils de muter ?
En tout cas, c'est quelque chose qui promet de devenir... Intéressant.

***

***

Quelques jours que j'ai fait ce rêve, si semblable à d'autres.
Pour eux, tout semble avoir changé.
Pour moi...
Quinze ans que je connais cela.

Que suis-je ?

La première Lanyshsta ?
Un prémisse à ceux-ci ?
Un projet parallèle fusionné par les circonstances ?
Une coïncidence sans aucun rapport initial ?
Je doute d'avoir un jour une réponse fiable à ce sujet.
Il n'y a que trois choses dont je sois quasiment sûre.

- Premièrement, quelque chose, quelqu'un, la Voix de Cendre ou autre chose, nous a emporté dans sa danse, afin de se mêler au plus terrible, au plus magnifique, et au plus mortel des jeux.
- Deuxièmement, de part mon expérience, ma condition, je suis sans doute l'une des pièces les plus redoutables et les plus fragiles de ce jeu.

Troisièmement ?
Au diable tout ça...

Moi, je ne joue plus.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 13 Otalir 813 à 11h20
 
Chronique 9 : La complainte des Pierres

Sur l'air de la complainte de la serveuse

Quand tout s'écroulait en cascade
Nous nous enfuirent au mépris des taillades
Pour moi ce fut une dérobade
Pour tant d'autres la débandade

Mais dans le Kil point de ruade
Il faut savoir être prolixe
Entretenir des amis en pléiade
Pour se garder de toutes les rixes

Mais là, dehors dans les forêts d'émeraude
Pullulant de formes noiraudes
Qui sont affamées, en maraude,
Je sais bien que le danger rode

Ici je ne fais qu'échanger des œillades
Certains m'ont même surnommé la dryade
Je me plie au moule sans saccade
Depuis déjà une décade

J'en avais marre j'étais au bord de la noyade
Quand il revint tel un Phoenix
S'occuper de sa chère sœurette Jade
Je te croyais perdu mon doux Onyx

Mais là, dehors dans les cieux de saphir
Elle continue tant à nous haïr
Et transporté par le zéphyr
Je peux bien entendre son rire

La Garce attend dans les monts de rubis
Telle la louve faisant son gambit
Elle est mort lente, elle est assaut subit
Nous ? Brebis...

***

***



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Luang 14 Otalir 813 à 08h51
 
Chronique 5 : la cicatrice

Parfois, je suis prise d'un cruel vague à l'âme, je me met à regretter le temps d'avant, à me lamenter sur le temps d'avant, qui était tellement mieux...
Alors je regarde ma cicatrice.
Et je me souviens que s'il y avait beaucoup de mieux avant, ce n'était pour autant pas un cadre idéal, un monde parfait exempt de douleur, de compétition.
Les Pierres avaient leurs règles. Leurs lois. Leurs sanctions.
Parfois dures.



Pardon ?
Vous pensez que la cicatrice est issue d'une telle sanction ?
Oh non ! Rien à voir. Non, c'est juste un souvenir de douleur, qui appelle d'autres souvenirs de douleur.
Un moyen parfait, mais sans lien direct.
D'où vient-elle ? Mystère...
Pas que je ne souhaite pas le dire, je l'ignore, tout simplement.

D'ailleurs, j'ai tendance à dire ''la cicatrice'', alors que je devrais plutôt dire ''les marques''.
Rien à voir avec de la chair boursouflée repoussant anarchiquement, ce sont des creux, de légers enfoncements dans la peau, comme une marque que laisserait sur un morceau de bois un texte que l'on aurait gravé au ciseau.
Quatre traits simples, et, plus petit, à côté, un cercle parfait. Du moins le cercle est parfait, ce qui est à l'intérieur est... Grumeleux ? C'est le mot qui vient à l'esprit si on n'y prête que peu d'attention. Moi qui ai la peau si lisse, j'ai sur ce petit cercle une certaine rugosité.
Mais qu'on s'y attarde, et on constate qu'il y a une marque dans la marque, un tracé infiniment dense et précis, un entrelacs sans début ni fin, et plus on s'y intéresse, plus il semble gagner en détails, en profondeur.
Comme si cette petite marque sur l'intérieur de mon biceps gauche, à peine de la taille d'un ongle, était... Plus vaste qu'il n'y paraissait. Un objet immense vu de très loin.
Au centre, on distingue un petit quelque chose, plus dense, une sorte de symbole. Comme un rond un peu plus petit, plus torturé... Une goutte. Ou une larme.

Pendant longtemps, je n'ai pas pensé à ma cicatrice.
Elle est après tout là depuis mes premiers souvenirs, et si je me rappelle une douleur intense à son sujet -c'est elle qui me brûlait si cruellement lors de mon second réveil- cela fait bien longtemps que je ne m'en suis pas préoccupée. Elle n'est pas vraiment à un endroit facilement accessibles aux yeux d'autrui, et même ceux ayant déjà eu l'opportunité de la voir n'ont que rarement remarqué sa présence tant elle est discrète.

***

***

Et quand bien même, j'ai d'autres particularités -ne serait-ce que ma taille- qui retiennent bien plus l'attention.

Mais dernièrement, Lhyn m'a emmenée chez un forgeron, pour trouver ''ferraille à ma pogne'' comme elle dit.
Tandis qu'elle rejetait comme n'étant ''pas assez bonne pour moi'' une épée courte que je lui tendait, j'insistais pour qu'elle m'explique la signification de la gravure sur le pommeau. ''1508'' suivi d'une sorte de croix stylisée. Elle m'expliqua que c'était courant de graver l'année de fabrication sur ses créations, et que le dernier symbole n'était autre que le poinçon du forgeron, sa marque de fabrique.

La nouvelle me glaça même si je n'en montrais rien, et sitôt rentrées, je m'enfermais pour étudier à nouveau cette marque si intime.
Oui.
Non.
Peut-être.
C'était sans doute une question de point de vue.
Ce pouvait être quatre griffures, et la trace d'une maladie, cicatrisés lentement.
Ou tout simplement la marque d'un appareil quelconque -peut-être pour maintenir un os brisé en place, par exemple- qui avait laissé une marque indélébile.
Les explications possibles... Elles étaient légions. Crédibles.

Plus, en tout cas, que ''1111 o''.
Ou tellement moins...
Quel forgeron prendrait une simple lettre pour poinçon ?
Quel forgeron serait capable de faire rentrer une moitié d'infini dans une simple lettre ?
Quelle création serait assez stupide pour se croire un être à part entière ?
Quelle forgeron serait capable de créer une créature à ce point parfaite qu'elle ne se différencie pas des autres ?

Je suis... Une Krolanne. Recueillie quand j'avais 17 ans environ. Et je m'entretiens. Je veille à mon poids. C'est pour ça que je ne change que peu. Presque pas. Imperceptiblement. Que je semble si peu vieillir.
C'est ça. C'est tout. C'est sûr...
Presque sûr.

J'aime à me penser supérieure aux autres, avoir un petit côté unique, qui sorte de l'ordinaire.
Je préférais avant, quand j'étais parmi les Pierres. Mais ma vie ici me convient. A peu près.
Une vie de Krolanne qui sort de l'ordinaire...
… pas la vie d'une créature artificielle de près de 400 ans.

Et même si c'était le cas, même si ça répondait à quelques questions, ça en poserait tellement d'autres !
Plusieurs autres.
Deux autres.

Qui m'a créée ?
Et pourquoi ?



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 15 Otalir 813 à 09h03
 
Chronique 7 : Sombre écho - Acte 2

La fois suivante était plus subtile.
Il fallait avoir compris la nature du premier contact pour savoir qu'il fallait attentivement chercher le second, dans les détails.
Onyx adore les détails...

Et j'ai trouvé, dans les détails des différentes ''affaires'' que nous traitions.
Oh, par ''traitions'', n'allez pas croire que les comités réglaient grand chose. Non, la principale occupation, généralement, c'est d'être ''vigilant'', autrement dit au courant de tout ce qui se passe. Et si, par hasard, on retrouve un indélicat notoire avec les deux genoux brisés au fond d'une ruelle... C'est que sa chance a du finir par tourner, non ?

Quoiqu'il en soit, nous avions des informations. Au Kil'sin, le crime est plus organisé que les entités cherchant à le contrôler, et pour cause : une erreur, et c'est de l'argent qui se perd, une opportunité qui s'enfuit. Les Krolannes, ou du mois certains d'entre eux, sont d'un sérieux mortel quand il s'agit d'argent.
Habituellement, les voleurs ne se volent pas entre eux, ou du moins ils essayent. Si cela n'a rien d'exceptionnel, c'est suffisamment rare pour qu'on prenne des notes.

Le premier voleur a subir les attentions de ses collègues fut Gloriol ''Bon Gars'' (pour ne pas le confondre avec Gloriol ''la Teigne'' qui est au final sans doute moins dangereux que le prétendu bon gars), cambriolé alors qu'il avait lui-même braqué ''honnêtement'' un petit artisan bijoutier le matin même.
L'auteure était vraisemblablement Doma ''Jour-nuit'', une insomniaque assez douée dans le cambriolage. C'est du moins ce qu'on en déduisit après avoir retrouvé d'autres menus objets de Gloriol chez elle, avec le cadavre de Doma.

Doma avait sans doute surpris sa collègue moins discrète, Magda ''la Petite'', en flagrant délit de récupération du sac de la bijouterie, mais malheureusement, cette dernière était inévitablement flanquée de Magda ''la Grande'' qui elle n'avait aucun talent pour la discretion, mais un véritable don pour les coups de surins dans le ventre.

Pauvre Doma... Pauvre Magda aussi, d'un autre côté, ça doit être difficile de continuer à manier le couteau après qu'un chariot vous ai écrasé les mains en roulant dessus. Vraiment pas de bol, d'avoir glissé juste au moment où ce chariot passé. De braves passants s'étaient bien agenouillés à ses côtés pour l'aider à se relever, mais n'avaient, malheureusement, pas été assez prompts à le faire.
Le pauvre conducteur aussi, doit s'en vouloir de ne pas avoir vu Magda. Ni entendue, d'ailleurs. Sans doute la tête ailleurs. Parce que habituellement, les compte-rendus qu'il envoit au comité de vigilance de sa rue sont particulièrement précis. Comme quoi, le hasard et les coïncidences..

Bref. On en était à deux voleurs volés, quand la petite Magda se mit en tête de faire affaire avec Dondaniel ''cent-Soeurs'', un orphelin ayant ma foi plutôt bien réussi à se faire un nom dans ce que ailleurs on nommerait le proxénétisme. Ici, on appelle cela le ''comité des relations tarifées'', comité qui a sensiblement plus de notoriété et d'influence que la plupart des comités de vigilance. Mais si on peut faire confiance à Dondaniel pour ce qui est d'estimer à son juste prix une rebelle des portes (ou même quelques femelles Raghisse, parait-il) et maintenir sa réputation, je ne tenterais pas de faire affaire avec lui pour autre chose.
Magda, pourtant le fit.
Et perdit. Le sac, ainsi que quelques dents.

***

***


Le plus drôle ? C'est que ce sac, ce fichu sac de bijoutier que tous semblaient acharnés à s'arracher, ne contenait aux dires de ce dernier que ''de petits cailloux noirs qu'un camarade m'avait demandé d'examiner, au cas où on pourrait en faire de petits bijoux, mais non, trop friables et irréguliers, rien à en tirer, c'est juste des cailloux''.
Gloriol aurait peut-être du se renseigner avant de tenter son va-tout pour le récupérer, en braquant -anonymement, en théorie- un des bordels de Dondamien. Une de ces grandes bâtisses en sous-sol où, dans une vaste pièce sombre, les clients viennent choisir leur compagne pour la nuit avant de s'isoler dans l'une des alcoves.
Manque de bol, il semblerait que quelqu'un l'ait reconnu quand même et ai glissé l'info à l'oreille de Dondamien. Il paraîtrait que celui-ci est furieux...

Quoiqu'il en soit, j'avais mon indice.
Les voleurs qui se volent entre eux, ok.
Que les voleurs soient assez bêtes pour se voler une même chose et faire une ''boucle de vol'', c'était nettement plus rare.
Que les voleurs aient un surnom, courant, mais que tout les protagonistes de l'affaire en aient un, c'était une singularité.
Mais surtout, qu'ils s'écharpent si frénétiquement pour quelque chose de totalement dénué de valeur, pour de simples petits cailloux -noirs- c'était signé.

Quels surnoms, déjà, qu'en tirer ?
Bon-Jour-Petite-Soeur.
Bonjour à toi Onyx...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 16 Otalir 813 à 20h03
 
Chronique 8 : Sombre écho - Acte 2

Depuis cette petite démonstration de force, Onyx pris moins de temps dans ses prises de contact, moins de subtilités.
A mes yeux, du moins, il restait pour les autres parfaitement invisible.
Je me rappelle notamment cette fois où Lhyn m'interrogea sur cette étrange inscription, ces mots qui ne ressemblaient à rien de connu mais qui semblaient avoir un sens, qui DEVAIENT avoir un sens, sinon personne ne se serait amusé à les calligraphier si nettement à la peinture noire sur la porte de la salle du premier ''comité d'uniformisation des comités de vigilance'' qu'elle présidait.


Jade, tu as une idée de ce que ça veux dire ?
- Aucune idée.


Lhyn avait eu l'air déçue, un bref instant soupçonneuse, puis elle avait fait effacer l'inscription.
Je ne lui avais pas menti, pourtant. C'est elle qui s'était menti. Le meilleur des mensonges est celui que les personnes se racontent. Elle m'avait demandé ce que ça voulait dire, et je lui avait donné la traduction exacte de l'inscription, en ''langage jumeau'' : aucune idée.

Il y eu aussi ces fois où, mes notes laissées sur un coin de table au moment d'aller au lit, elles se retrouvaient au petit matin complétées d'une écriture subtilement différente de la mienne.
Et les cailloux, bien sûr...

Les cailloux, il y en a de toutes les couleurs au Kil'sin. Mais j'ai appris à suivre les pistes constituées de petits cailloux noirs.
Parfois, ils me mènent à un indice crucial, parfois, c'est à un petit restau sympa que je ne connaissais pas.
A d'autres moments, ils me ramènent simplement chez moi, comme si j'aurais pu oublier où j'habitais. Ou pour me dire ''rentre chez toi, ce soir, j'aimerais avoir les coudées franches''.

***

***

S'il n'était pas mon jumeau, je me méfierais, me défierais d'Onyx.
Je pourchasserais nuit et jour un être si tordu et si mortellement dangereux.
Mais là... Je le suis dans sa danse. Tout comme lui me suis dans la mienne.

Car qui guide l'autre, en réalité ? Si l'observant peut manipuler l'observé, l'observé influence l'observant, et au final, nous jouons à quatre mains une même partition.

Je soupçonne Onyx de vouloir organiser le crime, tout comme moi j'essaye d'organiser une force de réaction.
Et me connaissant, je me doute que lui aussi voit plus large. Le Kil'sin est à la fois le pire et le meilleur endroit pour cela, mais ce n'est qu'un début.

Pourquoi faisons-nous cela ? Cupidité ? Altruisme ?
Foutaises.
Ennui, plutôt, je dirais. Ou peur. Peur de la Garce... Et de l'ennui.

Aujourd'hui, il est le criminel, et moi la vigilante.
Demain ?
Peut-être que demain nous changerons nos places. Ou que nous serons tout deux dans le même camp. A moins que nous parvenions à fusionner un temps ces deux camps,

Voilà qui serait assurément très amusant...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Julung 17 Otalir 813 à 15h33
 
Chronique 12 : Lueur des Spoires

Aujourd'hui, j'ai le cœur gros.
Oui, je sais, les émotions glissent sur moi comme de l'eau sur les plumes d'un canard. On en voit pas la moindre manifestation.
Mais ce n'est pas pour cela qu'elles n'existent pas.

C'est à cause de cette fleur, à la Lueur des Spoires.
Une petite fleur bleue, qui s'est frayé, vaille que vaille, un chemin dans un environnement hostile.
De quoi je parle ? Oh, oui, la Lueur des Spoires... Tout le monde ne connait pas.

La rue de la Lueur, c'est cette grande et large avenue qui, jadis traversait le Kil'sin de part en part. Une des artères du Kil.
Les gens qui pensent avoir de l'importance, ceux qui veulent se montrer, ont tendance à migrer vers de telles rues, très passantes, très marchandes.
On rajoute une extension, on dispose un étal, on agrandit l'étage... Et tout le monde fait de même, l'artère se bouche, irrémédiablement.
Le boulevard devient une avenue, l'avenue une route, la route une rue...
Et on a gardé l'appellation. Pour autant, même si elle perdait de l'intérêt, sa disparition a continué. Les étages se sont touchés, les étals se sont vu remplacés par des murs...
Et désormais, ce n'est plus qu'une ruelle, à certains endroits si étroite qu'on ne peut y évoluer à deux de fronts. A d'autres, c'est un boyau, un tunnel obscur, sur plusieurs dizaines de mètres.

Mais ça reste la ''rue de la Lueur'', dotée d'une forme d'aura, attirant le prestige. Bien pratique, en plus, à sa façon de tout traverser en biais, des anciennes portes du Kil'dara à celles du Kil'dé. La meilleure voie de contrebande pour les courageux voulant jouer à ce jeu.
La possession, la maîtrise de la rue de la Lueur, a encore de la valeur.

Et c'est là qu'on retrouve les Spoires. Les Spoires, c'est officiellement un ancien comité de transport de fruits frais, rebaptisé 'comité pour l'amélioration des techniques de rémoulage et le transport des fruits frais'.
Avant le changement de nom, une fois où on leur demandait ce qu'ils transportaient, un de ses membres aurait répondu :

''Ben c't'un tas de s... Poires !''.

Quelques petits malins se sont dit que dissimuler les activités engendrerait des questions, et qu'il est parfois plus discret d'agir en pleine lumière. Ils se sont donc arrangé pour que les chargements de surins ne posent pas de problème, en prétextant une utilisation logique et noble.

Au final, les Spoires -le nom est resté- sont majoritairement des fournisseurs d'arme de contrebande. Parfois de denrées alimentaires particulières aussi, mais c'est plus rare.
Le problème, c'est que les statuts de leur comité rend leur activité ''pas tout à fait illégale''. Considérée comme aussi bénéfique et dangereuse que les comités de vigilance, en fait.
Et vu ce qui se passe de toutes façons avec les activités ''foutrement illégales'', à savoir pas grand chose, ils ont de beaux jours devant eux.

Bref, la Lueur des Spoires, c'est la zone la plus sombre, et une des plus mal famée, du Kil, un endroit où se passent un tas de trucs louches.
La Lueur des Spoires, c'est là où une courageuse petite fleur bleue a montré que la beauté et la vie peuvent percer partout, si on leur en laisse la possibilité.

***

***

C'est un symbole. Un symbole fort.

Moins fort que la semelle cloutée qui l'a piétinée hier, quand un malfrat titubant sous le poids de poignards à lame rétractable venus de Kil'dara est passé dans le coin, néanmoins.

J'avais cru voir une lueur d'espoir...

Illusion.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Vayang 18 Otalir 813 à 08h46
 
Chronique 16 : Justice et justiciers

''La bonté vient de l'égalité''.
Sans être vraiment une devise, c'est le genre de phrase toute faite qui semble ancrée au plus profond de chaque habitant du Kil'sin. Quelque chose qui vient aussi naturellement d'un simple bonjour.
Pour la plupart des gens, c'est un des fondements du Kil : l'égalité entre tout ses membres est un principe fondateur, et c'est ce qui est vu comme un ''bien''.
Par extension, est ''mal'' ce qui est inégal.

Alors forcément, l'égalité parfaite est une joyeuse utopie, et de même qu'on accepte que tel ou tel soit plus grand que nous d'un pouce ou deux, il est toléré que certains soient plus malins, débrouillards, influents... Riches, aussi. Mais sans excès.
Car au Kil'sin plus qu'ailleurs, les apparences sont primordiales.

Pas qu'on essaye d'en mettre plein la vue, au contraire ! Il est dangereux de trop épater. Certains pourraient le prendre mal, tel un affront personnel, avec un 'personnel' assimilé à tout les gens 'comme soi' autrement dit tout le Kil.
Trop sortir du lot, c'est s'exclure du lot.

Qui dirige le Kil'sin ? Pas les plus intelligents. Pas les plus forts. Pas les plus riches.
Non, ceux qui sont trop bons finissent tôt ou tard par susciter l'indignation et sont rejetés, tantôt en bas de leur piédestal, tantôt jusqu'aux portes de la cité.
Ceux qui ont le plus de pouvoir, ce sont les malins. Ceux qui savent gagner de l'influence tout en sachant, déléguer. Ceux qui gagnent souvent mais acceptent de perdre. Ceux qui dépensent de l'argent sans se permettre de le dilapider.
Ceux qui sont dangereux mais donnent l'impression d'être inoffensifs...

Il est triste de le constater, mais globalement, un malfrat de petite envergure a typiquement le profil parfait pour devenir l'un des personnages les plus influents du Kil'sin. Position qu'il partagera à un instant donné avec une centaine d'autres.

Car telle est la nature du pouvoir au Kil'sin : une soupe sur le feu, où de gros morceaux émergent de temps en temps, avant de replonger et de disparaître. L'équilibre vient d'une anarchie permanente, contrôlée, qui empêche quiconque de devenir trop puissant, et laisse sa maigre chance à chacun.

Aucune prise de pouvoir par la force, aucun système organisé et transparent, n'est réellement envisageable. La population entière se liguerait contre cela.
C'est pour cela que les comités de vigilance sont si fragiles. Qu'ils deviennent trop puissants, trop efficaces, et ils seront écrasés par la rébellion du système.

Il faut donc rester prudent. Maintenir des comités, en apparence du moins, indépendants et autonomes. Et ne les unifier que dans l'ombre, comme le font les criminels avec leurs réseaux.
De même, nous sommes des comités de ''vigilance''. Pas de ''contrôle''. Nous ne pouvons pas nous permettre d'intervenir en pleine lumière, ce serait de l'ingérence dans les actions de nos braves concitoyens.

Alors à quoi peut servir l'information, si elle ne peut pas servir à instaurer un semblant de Justice ?
Elle peut servir aux Justiciers...
A des personnes qui feront libre usage de leurs convictions personnelles pour agir comme bon leur semble. Et parfois, leur bon vouloir semble les conduire à agir avec violence envers certains de leurs concitoyens...

***

***

Il est affreux de constater que si, au Kil'sin, fouetter publiquement un meurtrier au nom de la justice est absolument impensable, le fait qu'un voleur se fasse briser les quatre membres dans une ruelle après un coup un peu plus osé que d'habitude ne récolte que des 'il l'avait bien cherché, non ?'.

Et certains... Y prennent goût. Ils se disent que s'ils ont pu s'attirer un semblant de reconnaissance pour avoir donné une leçon à quelqu'un qui s'éloignait trop des idéaux de leur rue, ils pourraient recommencer dans la rue suivante.
Il faut juste qu'ils soient au courant de ce qui se passe dans cette rue, justement...

Et voilà comment on se retrouve avec des cas si étranges dans les comités de vigilance.
L'information est partagée, et la plupart d'entre nous ne sont que des 'guetteurs', des 'cafteurs'.
Nous avons aussi quelques 'justiciers' qui décident d'entrer dans les comités, pour être mieux au courant.
Certains de ces justiciers viennent régulièrement aux nouvelles, mais préfèrent par contre ne pas se mêler au comité.
D'autres nous considèrent comme nuisibles, et il est même déjà arrivé que des règlements de compte entre justiciers -voir entre comités de vigilances trop différents dans leurs visions, à qui on a justement laissé trop d'autonomie réelle- éclatent.

Et au final, que sommes-nous ?
Que sommes nous d'autre qu'un groupement de personnes qui :
- Entendent avoir un contrôle avancé sur une denrée précieuse (ici l'information) ?
- Ne sont déjà pas très bien perçus par les autres, et essayent pour survivre de paraître moins organisés qu'ils ne le sont réellement ?
- N'hésitent pas à glisser quelques mots dans l'oreille de gros costauds pour que tel ou tel perdent ses dents dans une ruelle sombre ?

Bref, qu'est-ce qui nous différencie d'un simple gang supplémentaire de criminels du Kil ?

Certains vous dirons que nous ne différons que par le nom.
D'autres vous certifieront que notre but noble permet à lui seul de nous mettre au dessus de la mêlée.
D'autres encore vous expliquerons que si les criminels sont une preuve de vie du mode de vie du Kil, nous illustrons une promesse de mort de ses principes fondateurs.
Je pense qu'ils ont tort.

Ce qui différencie les comités de vigilance des autres gangs de criminels, dans la lutte permanente pour l'influence dans le Kil'sin ?

Nous, nous allons gagner.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Sukra 19 Otalir 813 à 11h29
 
Chronique 17 : Compter les jours

Prenez un chaton.
Retirez-le dès le début à sa mère, et mettez-le dans une grande caisse. Nourrissez-le, laissez-lui un ou deux jouets, mais laissez-le dans sa caisse. Qu'il ignore qu'il existe autre chose en dehors, pendant tout un mois de sa vie.
Puis, un jour, découpez tout doucement un des côtés de la caisse alors qu'il dort, et arrangez-vous pour que, la prochaine fois qu'il se cognera à cette paroi lors d'un de ses jeux, elle s'écroule, lui révélant le monde extérieur.
Oh, il sera terrorisé, et ne voudra pas sortir de sa caisse dans un premier temps. C'est mignon, cruel, peu importe, là n'est pas mon propos. C'est ensuite, que vient l'intérêt.
Une fois qu'il aura vaincu sa peur, une fois qu'il sera sorti... Il n'aura de cesse de se cogner aux murs, de tenter de les abattre.
Pourquoi ?
Car il a désormais conscience que la réalité est plus grande que ce que ses perceptions bornées lui laissent voir.
Répétez l'expérience avec un chat adulte, et il sera juste grognon d'avoir été enfermé...

Les Lanyshtas sont des félidés. Mais certains, même jeunes, sont déjà de vieux matous, encroutés dans leurs certitudes.
Pour ma part -et pour d'autres-, je suis un chaton.
Et on vient d'ouvrir ma boîte.

Pour les Krolannes, du moins pour les sain d'esprit, le monde est simple. D'un côté il y a la réalité, et de l'autre, les rêves. Bien souvent, les rêveurs n'ont pas conscience de l'irréalité de leur rêve avant leur réveil.
Mais pour nous... Il y a les rêves. Mais aussi le Rêve. Qui était réel, et est resté réel après le réveil. Et dans ce Rêve, il y avait un autre Rêve, plus ancien. Plus puissant, aussi. Peut-être même plus réel.

Et le chaton que je suis ne peux s'empêcher de se poser une question simple, logique...
Et après ?

Combien de rêves dans le rêve ? Combien de réalités dans la réalité ? Combien de strates de vérités qui s'entremêlent, combien de couches de faux-semblant superposées ? Combien de voiles faut-il -ou ne faut-il pas ! - déchirer pour avoir une vision globale ?
Et si l'on se décide à aller de l'avant, à percer ces couches les unes après les autres, à aller toujours, toujours plus profond... Ne reviendrons-nous pas au même point qu'actuellement, les réalités tellement intriquées qu'elles se confondent et s'unissent, telles un serpent se dévorant la queue ?

Tout cela, je l'ignore. Ce n'est qu'un soupçon, qu'une idée. Qu'un potentiel.
Mais désormais, cette curiosité me taraude, et je compte les jours.

Oh ! Pas les jours depuis tel ou tel événement, non, demain succède à hier en passant par aujourd'hui, et cela me va.
Non, je compte les Jours...

Désolation. Un.
Choix. Deux.
Découverte. Trois.
Éveil. Quatre.
En reste quatre autres, quatre jours dans une histoire vieille comme le monde, dans l'histoire du monde.
Une histoire si vieille que plus personne ne s'en rappelle, mais si réelle qu'elle est en chacun de nous.
Si ancienne... Et pourtant, quelque chose me dit que le quatrième jour, c'est aujourd'hui. Ou hier, demain, il y a un mois, dans un siècle... peu importe les jours, tout cela n'est que le même Jour. Le Jour où les Krolannes se sont Eveillés en Lanyshstas.

L'histoire est ancienne. Déjà écrite. Figée, donc, c'est du moins ce qu'on se dit instinctivement. Et pourtant, nous sommes en train de la vivre.
Après les réalités, c'est le temps lui-même qui semble boucler sur lui-même.
C'est inquiétant en même temps que... Exaltant.

***

***

Je me fiche bien du Destin, de la Fatalité, ou de l'Apocalypse. Si l'histoire est déjà écrite, il y a sans doute le mot 'FIN' écrit au milieu de la dernière page.
Je me fiche de ce qui se dit sur la dernière page. Une information ne vaut que par l'utilisation qu'on peut en avoir.
Ce qui est écrit est écrit, et si l'histoire du monde est achevée, elle peut bien se réécrire d'elle-même a fur et à mesure de nos actions. Ou alors, le fait d'avoir conscience que nos actions sont de nature à pouvoir altérer la trame de l'histoire fait tendre celles-ci vers une direction qui les rapproche inconsciemment de la trame de l'histoire...
Je me fiche de ces détails.
Je les laisse aux philosophes...
Pour ma part, ce que je tire de tout ceci, ce ne sont que deux questions.

Qui est celui qui tient la plume ?
Comment mettre la main sur celle-ci ?

Onyx, il semblerait que tes compétences en larcin puissent être utiles, finalement..



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 20 Otalir 813 à 11h36
 
Chronique 13 : Le pouvoir

Qu'est-ce que le pouvoir ?
Être le plus grand ? Le plus fort ? Avoir la plus grande armée ? La technologie la plus avancée ?

Foutaises.
Un jour où l'autre, on tombe sur plus grand, plus fort, plus nombreux que soit.

Le pouvoir, c'est l'information.
Celle que l'on détient... Et celle que l'on distribue aux autres.
Car là est la véritable force de l'information : le partage ! Une information qu'on est le seul à posséder est une arme à un coup, qui nous donnera ponctuellement l'avantage, mais ce faisant, sera proclamée à la face du monde, dispersée, libérée, inutile...
Une information répandue, contrôlée, est beaucoup plus utile. Elle est un lien profond, durable, qui sert à tirer telles ou telles ficelles.

Le pouvoir, ce n'est pas ce que l'on peut faire, c'est ce que les autres pensent que vous pouvez faire...

Et si vous ne pouvez pas faire grand chose ?
J'ai dit que l'information que vous véhiculiez devait forcément être véridique ?
Non, hein ?
C'est bien ce qui me semblait.

Fermez les yeux de quelqu'un, et dites-lui ''marche aussi longtemps que tu le voudras, mais sache qu'il y a un trou sur ta route''. Rare seront ceux qui ne feront que le premier pas. La plupart ne bougeront pas d'un iota.
Si vous vous avez l'information, pas forcément l'information ultime, la localisation du trou, mais simplement une bribe d'information, ce qu'il y a un demi-pied devant vous, vous irez plus loin qu'eux. Et qu'importe, alors, que vous soyez à un pas ou à mille : vous êtes devant, hors de toutes leurs perceptions...
Pour le bébé, l'enfant comme le guerrier sont des colosses, il est incapable de comparer leurs puissances respectives.
Libre à vous alors de garder une part de mystère sur votre position, d'aider certaines personnes en leur disant de vous suivre... Ou d'encourager d'autres à continuer en leur assurant à tord que la voie est dégagée.

Alors comment avoir cette longueur d'avance ?
En connaissant les forces de tout un chacun, et en les utilisant. Et si eux ne se connaissent pas, ne s'appréhendent pas... On a alors une marge de manœuvre spectaculaire.

C'est pour cela que j'aime mon contact à Kil'dara.
Qui est-il ? Quelle est sa position ? A quoi ressemble-t-il ?
Aucune de mes connaissances n'en sait rien, nul ne l'a jamais vu.
Nul ne connaît son nom.
Pas même moi, en vérité. Ce qui me fait dire qu'il pourrait bien exister une fois où un fouineur m'obligerait à fournir des éléments plus conséquents, et qu'il serait donc préférable d'avoir un contact [i]réel
à Kil'dara, mais jusqu'à maintenant, cela n'a jamais été nécessaire.[/i]
***

***

Alors quelle utilité, que d'avoir un contact à Kil'dara ?
A part l'inévitable suspicion que cela engendre, ces liens avec d'autres Sharss ?
Kil'dara, c'est la technologie.
Jusqu'où peut aller la technologie ? Précisément ?
A quelle vitesse peut voler un engin, quelle est la puissance maximale d'une arme portable ? Quel est le degré maximal de symbiose atteignable dans la recherche d'interfaces bio-mécaniques ?
Vous êtes chef de projet d'une des cellules secrêtes d'expérimentation de Kil'dara ?
Non ?
Parfait !
Vous ne savez donc rien des limites de la science. Moi non plus, me direz-vous.

Mais moi, j'ai un contact à Kil'dara...

Que me réserve l'avenir ?
Quelle promesse, dans la Voix de Cendre ?
Cracher le feu ? Voler ?
Quelle chance que mon contact me demande de ''tester une de ces excentricités kil'dariennes'', non ?

Objectif 1 : affiner un contact en Kil'dara.
Objectif 2 : s'assurer que les comités de vigilance n'aient pas l'intention de s'en batir eux aussi...

Celui qui maîtrise l'information maîtrise le monde.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Luang 21 Otalir 813 à 12h10
 
Chronique 15 : Les exilés de la crotte de mouche

Les contradictions du Kil'sin me perturbent. M'agacent.
Mais lorsque l'on se penche sur l'histoire des autres Sharss, on réalise qu'ils ne sont pas mieux lotis.

Une histoire m'est venue aux oreilles dernièrement. Le récit d'un conflit qui a secoué la paix si solide du Kil'dé, il y a de cela plusieurs décennies. Eux nomment cela ''l'hérésie carnée'', je crois, mais dans les autres Sharss, cette crise est connue comme la ''guerre de la crotte de mouche''.

Les problèmes du Kil'dé sont les mêmes que celui du Kil'sin : organisation et beaux parleurs.
Des grandes gueules, ils en ont autant que nous, et l'organisation, ils en ont une, mais... Trop rigide à mon goût.
Les habitants du Kil'dé sont pour la plupart des moutons, qui ont une confiance aveugle en leur berger.

Ce qui nous amène à l'origine du conflit : le Kil'dé obéit à une hiérarchie pyramidale, donc le faîte est absent depuis longtemps.
Scylla, leur prophétesse, est morte depuis la Renaissance, et la seule loi qui gère vraiment ce Kil, ce sont les échos d'une voix depuis longtemps éteinte.
Mais le temps a fait son œuvre, et les échos se sont déformés...

Un mot. Un unique mot. Et au sein de ce mot, un stupide petit point, qui change tout.
Scylla a noté nombre de ses pensées par elle-même, et, si des collèges d'érudits passent des cycles entiers à discutailler sur sur tel ou tel point de détail, le simple nombre de personnes se penchant sur ses propos assure un certain concensus.
Mais il existe d'autres écrits, réalisés par les disciples de Scylla de l'époque, des retranscriptions de ses discours enflammés, ou de ses réflexions le soir au coin du feu.
D'une part jugés moins ''purs'' et d'autre part largement moins cryptiques que les écrits de la prophétesse, ils n'attirent que bien peu de personnes. Qui y consacrent beaucoup plus de temps en solitaire. Suffisamment pour se forger une opinion plus dure que l'acier. Et lorsqu'elle se confronte à une opinion différente...

Deux prêtres influents s'étaient penchés à l'époque, sans se concerter, sur un même texte, une des dernières prophéties publiquement déclamée par Scylla. Une des plus connue, peut-être une des plus importantes, qui fait référence au ''danger noir et rampant'', sans doute le Srh'agg, mais enjoint les Krolannes à ne pas perdre espoir.
Les grandes lignes, du moins, sont connues, mais ces deux prêtres s'étaient intéressés aux détails, aux écrits de deux des disciples présents alors.
Et le mot...

Dans l'ancienne écriture, la forme primait sur la fonctionnalité, il s'agissait parfois plus de dessins que de lettres, et un petit détail peut changer grandement le sens d'un mot.
A la fin de son discours, Scylla proclame ''gardez espoir car, pour vous, lorsque les temps seront sombres et qu'un plus grand danger encore naîtra en votre sein, c'est en votre sein que je...''
Et le mot. Le point.
Dans l'un des textes, c'est ''resterait''. Dans l'autre, avec un point de plus, le sens devient ''reviendrait''.

Autrement dit, pour l'un, Scylla proclamait juste qu'elle resterait dans le cœur de chacun, et que ses paroles les guiderait par delà la mort, pour l'autre... Scylla annonçait sa réincarnation future au sein du Kil'dé.

La confrontation déclencha les passions, à un point inégalé dans l'histoire du Kil. Il y eu des débats houleux, des actions d'éclat... Des bastonnades... Un début de guerre civile.
Finalement, ce fut le parti des ''spirituels'', plus modérés mais largement plus nombreux, qui l'emporta, imposant la conclusion que c'était juste une gouttelette d'encre qui avait coulé au mauvais endroit et altéré le sens profond.
Quelqu'un eu la bonne idée de pousser l'ironie jusqu'à l'attribuer à une crotte de mouche.

Si c'est cela, jamais animal ne causa de tels ravages parmi les Krolannes, car après avoir forcé la plupart des ''carnés'' à renoncer publiquement à leurs croyances, les instances dirigeantes du Kil'dé durent se décider à régler le compte des extrémistes qui refusaient de renier leur foi.
Près d'un habitant sur 20 fut banni ce jour là, devenant des rebelles des portes, ces vagabonds vivant hors de la sécurité des murs, tout en s'accrochant à leurs croyances, assourdissant les alentours à coup de processions extravagantes.

***

***

J'ai récemment à nouveau entendu parler d'eux. Leur leader -je ne me rappelle plus de son nom- est semble-t-il encore vivant, malgré son grand âge, et doté d'une aura considérable.
Et l'arrivée des Lanyshstas resoulève le problème. Le 'plus grand danger encore' est bel et bien en train d'émerger du sein de la population, semble-t-il. Et face à cela, certains se demandent si la foi suffira, s'il n'y a pas une solution plus concrète, une aide plus substantielle à espérer.
Le retour de Scylla...

Les rues du Kil'dé doivent bruisser d'étranges rumeurs. Les rebelles aux portes -les éxilés de la crotte de mouche du moins- s'agitent.
Ce n'est que temporaire, les choses rentreront bientôt dans l'ordre...
… Peut-être.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 22 Otalir 813 à 09h24
 
Chronique 14 : La faiblesse

Il y a plusieurs possibilités, pour survivre. Mais tout n'est que question de pouvoir, en fin de compte.

Pour avoir le pouvoir, l'information est essentielle. Mais pour être le meilleur, il n'est pas toujours préférable de s'obstiner à devenir le plus fort.
Il suffit parfois de s'arranger pour que les autres deviennent plus faibles...

Nous sommes des Lanyshstas.
Peu nombreux, principale source de menace... Télépathes.
La télépathie nous donne une faculté de partage de l'information formidable. C'est notre force.
Notre puissance provoque la haine, c'est notre faiblesse.
Notre nombre est ridicule. C'est là aussi une immense faiblesse. Et une force formidable, car l'information ne risque que peu de déperdition ou de fuite.

Comment survivre ?
LA GUERRE !

Oh, pas nous contre eux, ce serait stupide. Non, il nous faut une guerre qui nous avantage. Deux solutions sont envisageables.

Divertir.
Diviser pour mieux régner

Divertir, ce n'est pas amuser, mais faire une diversion. Actuellement, les Lanyshstas sont la plus grande menace pour les Sharss. Il serait bon qu'ils soient... Surclassés. Par une menace plus grande. Contre laquelle pourraient, discrètement, ou au contraire mis en exergue, se révéler des plus utiles les pouvoirs des Lanyshstas.

Le premier ennemi commun qui me vient à l'esprit, ce sont les Raghisses, ces inutiles lupinoïdes qui pourraient bien trouver une place dans ce nouveau monde. La place de l'aimant à haine, de la décharge à vices.
Comment les rendre agressifs, ceci dit, et plus important encore, dangereux ? Aucune idée pour l'instant.
Une ou deux histoires répugnantes s'appuyant sur leur aspect bestial, histoire de jouer sur la corde sensible pourraient être un bon début...

***

***

Si le Srh'agg devenait une menace plus pressante, cela pourrait aussi fonctionner, mais contrairement à ce que mon nom peut laisser penser, je n'ai aucune influence sur celui-ci.

Une idée à garder à portée de main, au cas où les opportunités se présenteraient, donc...

L'autre idée serait donc une guerre entre Sharss.
L'idéal serait bien sûr une guerre civile au sein de chaque Kil, mais j'imagine mal le Kil'dé imploser de la sorte.

Donc une guerre entre Sharss, Krolanne contre Krolanne, Kil'dara et Kil'sin temporairement alliés contre Kil'dé. Une fois celui-ci affaibli -mais pas détruit!- s'arranger pour que les comités s'entre-déchirent en Kil'Sin. En Kil'dara... Je ne sais pas. Un dictateur peut-être ?

Le tout, c'est qu'il y ai de la division. Du chaos. De la défiance. Un assemblage de micro-communautés disparates et sans liens véritables entre elles, sans communication.
Non seulement les Lanyshstas contrôleraient alors les flux d'information entre ces groupes, pouvant se cacher plus facilement dans l'un ou dans l'autre, mais en plus, communauté télépathique unie, nous pourrions devenir d'une des forces majeures de ce monde aux puissances si éclatées.

Pour survivre, en cas de conflit.
Peut-être pour pouvoir se faire accepter. Ou pour les guider, à leur insu.
Pour rebâtir un monde à notre image, un monde en paix, où tous seront acceptés.

Mais avant de rebâtir un monde nouveau...
Il nous faut détruire celui-ci.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 23 Otalir 813 à 10h34
 
Chronique 18 : Etude du Srh'agg

Je n'ai pas revu le Srh'agg depuis le jour de mon arrivée au Kil'sin.
Il ne me manque pas.
Mais il semble... Fasciner certaines personnes. Lhyn est -était, plutôt, cette inclinaison lui a passé depuis longtemps- une de celle-ci. Elle s'était à l'époque constitué une vraie petite bibliothèque de référence sur le sujet.
Il m'arrive de lire avec plaisir un de ces tomes. Un seul : le recueil qu'elle a fait de toutes les études qui sont parvenus à ses oreilles.
Lhyn pensait qu'au milieu de tout cela se cachait forcément la vérité. Qu'elle pourrait la percer.
Moi, ce que j'aime, c'est de voir les certitudes de ces prétendus chercheurs. Les œillères qu'ils se sont bâtis, leurs convictions inébranlables... En contradiction totale avec tout ce qui s'est fait auparavant.
Que les esprits libres du Kil'sin soient nombrilistes est une chose, mais que les expérimentateurs nés de Kil'dara exposent à ce point leurs lacunes me charme au plus haut point.

Ce sont eux les auteurs de la majorité des écrits sur la nature du Srh'agg, quand ceux du Kil'dé s'interrogent plus sur son origine et son but.
Les plus anciens écrits sont antérieurs à la création du Kil'dara -Lhyn m'a un jour dit que l'une des études les plus intéressante était de la main même d'un des fondateurs de ce Kil, mais l'histoire ancienne n'est pas une de mes priorités, je n'ai jamais creusé plus avant la vérification- les plus récents datent d'après mon arrivée en ville.

Voici, en vrac, mes extraits préférés.


… n'aurions jamais du tenter cela. Une passerelle, un ballon, oui, pour évacuer l'île, d'accord, mais mettre le feu au Srh'agg ? Nous voulions juste le repousser suffisamment longtemps pour évacuer tout le monde. Pas y mettre le feu à ce point...
L'incendie s'est répandu à sa surface. Lentement. Comme le ferait un feu de tourbe. Mais la chaleur était sans commune mesure avec le faible rougeoiement qui l'animait. Il s'est répandu jusque... Loin. Jusqu'à l'horizon nous semblait-il, mais les guetteurs en haut des tours nous ont affirmé que le feu n'avait progressé ''que'' sur quelques milles...
Un océan de flammes, c'est ce que nous avons créé, avec de simples torches. Lorsqu'il s'est apaisé, après trois jours et trois nuits, nous n'avons retrouvé sur l'île qu'un village... Cuit. Hommes, femmes, enfants, jusqu'au dernier, ils ont péri à cause de la chaleur. Nous voulions les sauver, et nous avons échoué.
Nous sommes des monstres...


… estions fiers d'avoir aidé moults manants. Si l'isle de Monagedra este désormais entourée de ce 'serague', ses hasbitants sont saufs grace à la vaillance de l'esquipage du Cinatit et, graces en soient rendues à Scylla, le bois de mon fier navire n'en garde sesquelles que sous forme de trasces noiratres en sa coque...

… pire que ce nous craignions. En illustration, ce qu'on a pu constater lorsque la décharge désaffectée n°106 fut submergée à son tour par le Srh'agg. Décharge d'enfouissement, elle avait été comblée lors de sa fermeture sous plus d'un mètre de terre. Puis une dérivation de canal avait inondé le tout. Mais moins de deux semaines après avoir été envahie par le Srh'agg, on a pu observer sur site des remontées d'éléments massifs enterrés depuis longtemps.
En conclusion, le Srh'agg n'est pas qu'une transformation totale de l'eau, qui se contenterait de cela, il s'attaque aussi en profondeur aux fonds marins, les corrode ou les assimile, mais les creusant en permanence.
Il convient de surveiller au plus près les bâtiments dans des zones proches du Srh'agg, les glissements de terrain et les effondrement risquant de se multiplier avant que la populace ne réalise l'imminence du danger.


… perspectives des plus intéressantes : il suffit en effet d'arracher un morceau de Srh'agg à l'ensemble de celui-ci -un simple bâton permet de prélever un morceau suffisant à l'expérimentation- pour voir que, une fois isolé, la matière se fluidifie, s'éclaircit, et finalement se délite en quelques minutes, prenant la consistance d'une boue très hydratée.
Plus intéressant encore : lorsqu'on reverse ces reliquats sur une parcelle de Srh'agg ''animée'', elle reprend, en une dizaine de secondes pour un élément d'environ un litre de matière, sa consistance première.
Et voilà en quoi cette observation est primordiale : le Srh'agg n'est pas à craindre en soi. Il ne s'agit vraisemblablement que de matière inanimée à la base, un simple mélange d'éléments naturels.
Mais il existe un élément fédérateur, peut-être un générateur de... D'ondes, ou quelque chose comme ça, une technologie qui nous est encore inaccessible, qui se propage de proche en proche et anime cette matière pour en faire le Srh'agg.
Pour ma part, je ne puis désormais avancé plus loin. Mais si mon projet retenait l'attention de l'honorable comité d'attribution des bourses de recherches, je me fais fort, à l'aide d'une modeste subvention -devis complet en annexe 3 du présent document- de trouver quelle type de communication est établie entre le Srh'agg et le générateur central, et de produire des émetteurs perturbant cette communication.
La science peut vaincre le Srh'agg !

***

***

… prévisible : le directeur Amhénos était -ainsi que je l'avais signalé par écrit auparavant- totalement inadapté pour diriger une expédition scientifique de cette ampleur !
Le choix même des outils se révéla désastreux lorsque du plus simple au plus élaboré, tous furent dissous sitôt mis en contact avec le Srh'agg. Lorsque l'un des manutentionnaire trébucha pendant une tentative, le directeur Amhénos trouva de beaux mots pour son éloge funèbre, alors que si nous avions emmené les nouveaux masques de protection à la conception desquels j'ai eu l'insigne honneur de participer, les gaz délétères n'auraient coûté la vie de personne.
Cette expédition est un désastre dont VOUS êtes en partie responsable ! Et j'entends bien aider les hautes autorités d'inspection à faire toute la lumière sur cette affaire, dans la mesure de mes disponibilités. En effet, je suis candidat pour la direction d'une autre expédition, destinée à aller tester les alcools Raghisses, mais à moins d'un opportun retournement de situation, il semblerait que, - chose incompréhensible au vue de mon expérience, je tiens à vous en faire part vu que vous faites me semble-t-il partie de la commission de décision d'attribution des directions- mon dossier ne soit pas le mieux placé. C'est pourquoi...

… 17 Jangur : c'est un échec. La charge a pourtant explosé correctement, répandant son contenu comme prévu. Mais là où la puissance de l'explosion seule aurait pu raser un village en entier, et où les produits pyrotechniques auraient pu brûler à l'air libre pendant plusieurs minutes, nous n'avons eu qu'un ''blouf'', un vague cratère, pas plus épais que si la charge avait éclaté sur de la roche. Puis le cratère s'est refermé rapidement, comme si ce n'était que de l'eau, et les flammes ont vite été absorbées, entrainées dans les profondeurs. En moins d'une minute, c'est comme si la plus puissante bombe jamais créée en Kil'dara n'avait jamais explosée. 2 mois de travail pour rien, le détroit est perdu...
19 Jangur : nous aurons finalement appris quelque chose de ce désastre. Je n'ai au début vu là qu'une coïncidence, mais renseignements pris, la concordance est trop forte. Il y a deux jours, à l'instant exact où la bombe explosait, le Srh'agg, habituellement si lent et placide, a submergé un pont, d'un seul coup, le détruisant en un instant.
Une réaction. Une réplique. Cela ne fait aucun doute désormais : nous avons affaire à une entité unique, capable de réagie lorsqu'on l'attaque, et avec une violence qui...

… Regret de vous informé de la disparition de l'auguste Léonne Harda.
Ayant constaté que ni bois, ni métal, ni même céramique ne résistaient à un contact prolongé avec le Srh'agg, elle a, suite a ses expériences en laboratoire, inventé un prototype de navire à la coque electrifiée.
Lorsqu'il fut mis à... Au Srh'agg, l'élément sembla effectivement réagir, ayant comme un léger mouvement de recul, assorti d'un changement de coloration qui tendait vers le gris.
Mais alors que cela faisait deux heures que le navire voguait en vue des côtes sans aucun problème apparent, la nuit tomba.
Altération des propriétés avec la lumière ? Brusque panne de la dynamo ? Usure invisible ayant provoqué une rupture coïncidant avec le coucher de soleil ?
En tout cas, en moins de 2 minutes, le navire et ses quatre membres d'équipage ont sombré.
Léonne Harda sera regrettée, mais je doute que quiconque reprenne ses travaux. En tout cas, personne parmi ceux présents sur la berge, car les cris horribles que nous...

… sont vraiment des sauvages crédules. Ils racontent qu'une créature énorme a émergé du Srh'agg pour se diriger vers la forêt. Foutus Raghisses ! Comme si l'évacuation était à ce point facile que je pouvais me permettre un mouvement de panique en...

… n'étaient même pas au courant ! Puis je compris vite ce qui différenciait ce village des autres : ils n'avaient pas de puit, mais un système de pompe.
Et là où les réserves souterraines d'eau devenaient innaccessibles longtemps avant que le Srh'agg ne soit même visible, cette petite communauté autarcique continuait à vivre tranquillement en ignorant l'avancée de la marée noiratre à moins de trois lieues au nord.
J'ai fait sortir le tuyau de la pompe pour analyse... Les deux derniers mètres étaient noirs. Mais après rinçage, il s'avéra que seule une largeur d'un peu plus d'un pied était attaquée.
Le Srh'agg est fini... Ce n'est qu'une couche ! Une couche qui bloque la lumière, au dessus de l'eau, mais en dessous, l'eau reste -quoique exempte de poissons et d'algues.
Nous pouvons donc envisager de continuer à vivre à certains endroit, il suffit d'utiliser des pompes à bouchon amovible, pour pouvoir passer l'épaisseur sans résidu, et les remplacer régulièrement. C'est inespéré, mais...

… découverte surprenante. Afin d'avoir la possibilité de tester plusieurs méthodes, j'avais isolé dans une trentaine de bocaux autant d'échantillons de Srh'agg.
Mais alors que tout les échantillons semblaient suivre la même évolution -une lente pétrification- trois d'entre eux conservaient leur aspect luisant et liquide.
Pour les ''pétrifiés'', rien d'intéressant. Ils réagissent, au final, tels de la vulgaire boue séchée, ou de la pierre friable. Mais les animés ?
Je suis convaincu qu'ils sont vivants ! Ils réagissent à des stimulis extérieurs, température, luminosité, volume sonore... J'en ai séparé un en deux parties, et l'une est restée animée, l'autre s'est pétrifiée. Mais lorsque j'ai reséparé la partie vivante en deux... Les deux se sont immobilisées.
Il semblerait donc qu'il y ai deux sortes de choses dans le Srh'agg : une ''bouillie'' quelconque, stable, et des organismes vivants, une multitude d'organismes vivants, qui ont besoin de cette bouillie pour survivre.
Peut-être n'est-ce que cela : une colonie. Une colonie de minuscules créatures qui se reproduisent et adaptent notre monde à leur forme de vie. Une sorte de contamination qui...


Voilà. Voilà l'étendue de la ''science'' du Srh'agg. Et dire que Lhyn a cherché en vain une réponse là dedans... Une synthèse. Une vérité unique.
Elle veut une vérité sur le Srh'agg ?
J'en ai une : personne ne sait ce que c'est que cette cochonnerie, car c'est une cochonnerie qui s'adapte...


Voilà, c'est sur cette "trilogie des imparfaits" -chroniques 15, 16 et 18, qui écornent la vision idyllique que certains pourraient avoir des trois Sharss majeurs- que s'achève mon premier jet de chroniques. La suite devrait être largement plus espacée.
J'espère qu'il y a autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.
Mais après cette bienfaisante bouffée de RP, on va bouffer du GP :P



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 26 Fambir 814 à 13h43
 
Et on est reparti, pour des textes plus "légers", plus dans un thème "sur l'instant", proche des textes à interactions, descriptifs, des RPs classiques. Sans compter les chroniques précédentes pas encore finies.

Car mine de rien si ça n'influe pas directement sur les calculs GP, l'implication dans le personnage affecte aussi ma motivation, d'où stabilisation de la production. En gros. :P
Bon, restera à trouver les images, ça, ça attendra l'ouverture !


Chapitre 22 : La voie de l'Eclipsante - Course au marché

C'est toujours agréable de faire son marché au calme.

Choppez-les, choppez-les !

Mais des fois, ça ne se passe pas comme ça.

La meute - le politiquement correct aurait voulu qu'on se réfère à un ensemble de Krolannes sous l'appellation de "groupe", mais le comportement présent était plus ceux d'animaux vaguement sociaux qu'autre chose, d'où le terme de meute- s'enfuyait à travers les étals, causant un chaos indescriptible au sein duquel les larcins se multipliaient.


Aux voleurs ! Choppez-les !

C'était jour de marché, et donc jour de bombance pour les petits malfrats. Une habitude, presque une tradition, ce qui expliquait le peu de cas que la population faisait des hauts cris poussés par les commerçants en colère.
Le vol était quotidien, banal, et il fallait vraiment que le délinquant ai été pris en flagrant délit pour provoquer une telle réaction de colère.
Mais ça restait l'affaire des volés, et à courir après les voleurs comme ça, il ne faudrait pas s'étonner si leur marchandise disparaissait pendant leur absence.


Récompense à ceux qui les attrapent !

Ah ? Tiens, ça devenait intéressant. Et à voir les gens se retourner sur le passage des gamins chapardeurs, plusieurs avaient été titillés par le mot "récompense".
Pour ma part, c'est la vue de celui qui avait fait cette annonce qui me décidait. Petit, rougeaud, rasé, l'être qui venait de s'exprimait était le comptable du comité des forgerons, sous-comité de celui du commerce intérieur. Un groupement organisé, autrement dit ils avaient quelqu'un pour garder les étals délaissés le temps de la poursuite, et la récompense risquait de se tenir.

Plusieurs krolannes s'élancèrent aussitôt à la poursuite des gamins des rues, en droite ligne, renversant de leurs grands membres les piles de caisses que les silhouettes agiles avaient agilement escaladées.
La pagaille dans le marché devenait un véritable vortex d'entropie déchainée.
Je m'immobilisais un instant, ne me focalisant sur aucun des poursuivis, mais tentant d'appréhender l'ensemble du tableau.
Aussi désorganisait que semblait être la course-poursuite, elle suivait un schéma précis, que ce soit du à l'instinct ou a une planification digne de ce nom.
Revenir sur ses pas après avoir commis un délit était du suicide, autrement dit, les gosses -une douzaine à priori- étaient condamnés à fuir vers des parties non atteintes du grand souk.
Ils venaient de l'est, avaient décrit une longue courbe à travers le sud, atteignant presque l'ouest...


Autrement dit ils vont finaliser et fuir par le nord.

Je me dirigeais vers leur objectif avant qu'ils n'obliquent définitivement vers lui, mais ils avaient trop d'avance sur moi pour que je les interceptent.
Pas grave, j'avais une avance plus que confortable sur le moindre lourdaud parmi les poursuivants, et juste un petit retard sur les poursuivis.
Ils s'enfuyaient dans les Ombres ?
Ils en avaient, de l'espoir...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 26 Fambir 814 à 17h57
 
Chapitre 23 : La voie de l'Eclipsante - Les Ombres

Qu'est ce que les Ombres ?
Est-ce là un endroit défini, une portion du monde jouxtant le plan des Ténèbres, une catégorie terrifiante mais précisément documentée ? Aucunement.
Les Ombres, c'est avant tout... Un concept.
Toutes les villes, et au sein de toutes celles d'importances, tout les quartiers, ont leurs Ombres. Quel qu'en soit le monde d'origine, quelles qu'aient pu être les intentions initiales de leurs architectes, une cité suffisamment vieille finie par avoir ses Ombres.
C'est le quartier le moins courru, le plus miséreux, celui où s'entassent les laissés pour compte, voire, dans les grandes cités pratiquant déjà une méthodologie du ghetto des plus efficaces, les laissés pour compte des laissés pour compte.
Invariablement, l'environnement se dégrade, les façades se défraichissent, l'organisation centrale -qu'elle soit globalement aussi dictatoriale ou aussi souple que l'on veuille- y est moins présente.
Les petites gens y vivent et y meurent dans de petites rues, dans une petite lumière.
Les Ombres...

Et mes braves galopins, donc, se ruaient vers les Ombres. Signe qu'ils y habitaient, forcément, car la certitude de semer ses poursuivants éventuels n'était rien face à la quasi certitude d'y passer de très douloureux quoique parfois très brefs instants si on tentait d'y pénétrait sans y appartenir.

Pour ma part, cela fait bientôt deux ans que j'ai emménagé dans la Frange, cette zone indéfinie qui permet de dire aux gens de l'extérieur "les Ombres ? Oh non ! Ce n'est pas loin, la rue derrière, mais je n'ai rien à voir avec eux, non !", tout en pouvant s'aventurer sans trop de problème dans la périphérie des Ombres en disant "je suis l'un d'entre vous".

Les gamins s'étaient engouffré dans les Ombres par trois rues parallèles, et se recomposaient en groupes plus gros, aussitôt éclatés, au fil des intersections.
Pour ma part, j'avais ma proie, un mioche tout fin que rien en apparence ne distinguait des autres.
Sauf qu'il courrait sans se retourner.
Quand on est tout seul, ne pas se retourner, c'est l'enfance de l'art : on ne gagne rien à regarder derrière soi, à part une perte de vitesse. Mais quand on est en groupe, qu'on est organisé, il faut veiller sur les trainards et suivre le chef. Les autres jetaient des coup d'oeil à droite à gauche tandis qu'ils courraient, gardant les autres à portée de vue. Mais mon gaillard, lui, cavalait sans se préoccuper du reste, restreignant son allure pour ne pas les distancer, mais ne se focalisant sur rien d'autre que sa sécurité immédiate. D'ailleurs, il était remarquablement moins encombré que les autres, une unique longue dague incurvée à la main. Sans doute le larcin initial. Il avait déclenché l'émeute, par un acte osé, se contentant par la suite de rester à portée, tel un fanal guidant la marée de tire-laines.


On se bourre la colle chez Oscar ! Tout le monde se schmoute !

Il s'était arrêté pour crier ses instructions, suffisamment fort pour que les moutards l'entende.
Sans doute pensait-il être trop loin de ses poursuivants pour que ceux-ci ne l'entendent, à moins qu'il pense que personne ne s'exprimant dans le patois du Kil -ce que certaines mauvaises langues adeptes de la simplification nommaient parfois "argot des voleurs"- ne soit sur sa piste.
Manqué, dans les deux cas.
Oh, je n'étais pas une spécialiste du genre, loin s'en faut, incapable de me faire passer pour de la vraie racaille des ruelles -même si j'y travaillais patiemment, certaine que cela serait un jour utile- mais j'avais suffisamment de rudiments pour comprendre en gros les idées.

"On se bourre la colle", c'était, il me semble, on se rassemble, on se regroupe. "Tout le monde se schmoute", c'était la première fois que je l'entendais, mais vu l'effet sur le groupe, ça devait vouloir dire "dispersion".
Mais ce qu'il y avait de bien avec les patois, c'était que si on trouvait des expressions pour tout et n'importe quoi, les noms restaient identiques.

"Oscar"...
Ils allaient tous chez Oscar.
Et moi j'étais désormais trop proche de ma proie pour ne pas me faire repérer.


Par eul pohil d'un loukemarch ! Z'avez ben du courache dans c'te gande carcasse, d'avoir cavalingué après mi comme cha !

Ce jeune con ne fuyait pas, me regardant approcher en se gaussant dans un... Pseudo discours qui me faisait dire que je le comprenais peut-être mieux quand il essayait de brouiller les pistes avec son patois. Tout en continuant d'approcher, je sortis mon pistolet, ce qui fit passer une ombre sur son visage, avant qu'un grand sourire n'y éclose.

Oh m'zelle, mi chi qu'un tcho petiot qui manche point à s'faim. Z'allez point m'trouer torse alors que ji veux point mbat, hein ? C'est brouzouf d'encagatouillettes, ça !

Effectivement, le tuer aurait été des plus maladroits de ma part, et ne m'aurait pas laissé indemne, à court comme à long terme. Heureusement pour nous deux, ce n'était pas mon intention.
Mais malheureusement pour lui, je n'étais pas dupe, à sa façon de sourire en baissant la garde, le couteau pointé vers le bas, à peine soutenu par trois doigts. Je soupçonnais ce petit salaud de savoir s'en servir mieux que moi, et de se préparer à me l'enfoncer sous le sternum si j'avançais trop près.
J'avançais encore, donc, tout en baissant mon arme, ce qui le fit sourire encore plus largement.
Un pas. Un autre. Une main tendue comme si je voulais qu'il me remette son arme. Plus qu'un et je serais à sa portée.
Mais lui était déjà à la mienne, à cette distance-ci, je ne pouvais pas le louper.

Le claquement sec du pistolet fut relativement bien étouffé par le système artisanal de silencieux. Comme une branche qui aurait craqué d'un coup. Mais la balle, même si elle avait été un peu freinée, n'en fit pas moins magistralement son office, allant percuter, puis faire exploser la rotule contre laquelle je la dirigeais.

La surprise et la frustration firent un instant leur apparition sur le visage de mon petit adversaire, lorsqu'il réalisa qu'il avait été joué. Mais très vite, ce fut la douleur qui emporta la manche, et il s'écroula au sol, lâchant son arme.
Merci l'éducation des Ombres, il le fit en gémissant, pas en hurlant comme un damné.
C'est que j'ai les oreilles sensibles.

Je comblais rapidement la distance entre nous, m'agenouillant à ses côtés. Je pense qu'en découvrant mon visage sous ma capuche, si beau, si calme, il caressa un instant l'idée que j'allais m'occuper de lui, tendrement.
Mais lorsque la pointe de la dague volée vint lui caresser la pomme d'Adam, il comprit que la seule compassion qu'il risquait d'obtenir de moi, s'il tentait de jouer au plus fin, serait de me voir abréger ses souffrances.


Et maintenant, tu vas me parler de cet Oscar.


La perfection est amorale.

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