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Rêve de Flamme
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Merakih 15 Otalir 814 à 19h56
 
Ma vie est un enfer.
Je la déteste.
Je la déteste.
Je la déteste.

Mère a invité des prétendants. Des gueules d’ange, des visages poupins, des adolescents pubères. Dans leurs atours de velours rouge, vert, bleu. Avec leurs sourires pleins de jeunesse et de dents blanches. Leurs cheveux gominés, bien peignés, surmontés de chapeaux à plume. Leurs bonnes manières. L’étalage de culture, la présentation de leur histoire familiale, l’épandage de leur fortune.
Ils me dégoûtent.

Ils m’ont regardée sans envie, lorgnant le patrimoine de ma famille et le prestige de notre nom. Sans désir mais plein d’ambitions.

Je ne suis qu’un objet, qu’une étape, qu’un encombrant trophée.
Une barrière à enjamber pour glorifier un nom.

Ils m’ont baisé la main, ils m’ont couverte de flatterie.
« Ah, que votre peau est douce, ah, que votre regard est beau, ah, que vos cheveux brillent ».
Ils m’ont bien regardé ?

Concrètement, sans rire, j’étais engoncé dans une robe brune brodée de fleurs orange, toilette avilissante et ridicule. J’étais fardée comme une catin et Mère m’avait vidé un flacon entier de parfum dessus –le Majordome a failli faire un malaise, en manque d’oxygène. Mes cheveux étaient faux, mes ongles étaient faux, mes traits eux-mêmes étaient brouillés par une épaisseur incalculable de maquillage. Ma pauvre poitrine remontée sous le menton et rembourrée par un demi-kilo de tissus…

Ca ne les a pas perturbés, ces abrutis.
« Vous êtes la plus jolie des fleurs, vous êtes l’étoile la plus brillante des cieux, vous êtes l’incarnation même du mot ‘Beauté’ ».
La blague.

J’ai levé les yeux au ciel. J’ai soufflé ostensiblement. J’ai haussé les épaules.
Alors, ils ont changé de tactique. Se sont faussement intéressés. Ont lancé des questions au hasard.
Sans prendre la peine d’écouter les réponses…

J’ai répété mécaniquement : le vert, le concerto de Ravenbuch’, le coquelicot, la danse de salon.

Je n’en pensais pas moins. Mes regards et mon ton faisaient de toute autre réplique.

Ma couleur préférée ? Celle de ton sang quand je t’aurais pété le nez !
Ma musique favorite ? Tes cris quand je tordrai doucement ton bras.
Ma fleur de référence ? Celle qui ornera ta tombe.
Mon activité récurrente ? Le fleuret : je t’humilie quand tu veux, avec tes chausses moulantes, ta tronche de bébé, tes bras de crevette et ton sourire d’apothicaire.

Dégagez, dégagez, dégagez ! Pitié !

Mère a pétillé comme elle sait le faire, les ongles plantés dans le bois de la table, faussement détendue. Père est simplement resté muet. Tous deux devaient prier pour que je n’explose pas et que je continue à jouer –très mal, certes- la comédie.

L’Orateur était à table, lui-aussi. Il est de tous les événements, depuis qu’il loge à la maison. Il dédaigne nos draps de satin, dort à terre. Porte toujours les mêmes guenilles puantes. Il n’est qu’une ombre au milieu des mâles multicolores. Inexistant et oppressant à la fois.
Il me répugne. Je suis certaine qu’il a pris grand plaisir à mon humiliation.

Après une heure de ce supplice, mes poings étaient serrés sous la table, vides de sang.
Je ne répondais plus aux questions idiotes de mes stupides soupirants.

Un petit coq a eu l’imprudence de me pincer le bras, vexé de mon silence à ses propos. Je l’ai poussé à l’épaule et il a failli tomber. J’ai grogné, il m’a lancé des yeux fous.
Le silence est tombé.

Mère me fusillait du regard : si elle avait eu une vraie arme à portée et qu’elle ne visait pas comme un pied, j’aurais depuis longtemps quitté ce monde.

S’en était trop.

J’ai fait ma Princesse outragée. J’ai levé le menton, fait valser ma chaise dans un grand mouvement de robe –moyennement maîtrisé, je l’avoue- et me suis mis à marcher d’un pas noble vers la sortie du salon. Hallucinée par mon manège de fausse Reine, Mère s’est précipité sur moi, m’a agrippé le bras. Je suis rapidement redevenue une chiffonnière : en criant de me lâcher, je me suis dégagé violemment. Et lui ai tordu le poignet.

Maman a crié. Je lui ai fait mal. Sans un mot, les larmes aux yeux, elle s’est laissée tombée sur le canapé. Vide de toute énergie, vaincue dans sa lutte vaine pour mon Bien.
Père m’a lancé un regard désapprobateur. Las. Vieilli.

L’Orateur ricanait.

J’ai rejoint ma chambre en courant, les moqueries dégoûtantes du corbeau dans mon sillage, sa grimace ravie dans mon esprit.

J’ai claqué la porte, envoyé une horloge éclater contre le grand miroir, éventré un oreiller de plumes puis me suis jetée sur mon lit. J’étais hystérique. Et paradoxalement j’enrageais d’avoir un comportement de gamine là où je suis tout sauf une enfant.

J’ai ravalé mes larmes, trop fière pour en verser une seule de plus. Epuisée de colère, je me souviens que l’image de Lymiria a flotté dans mes pensées avant que le sommeil ne m’aspire et qu’elle ne se divinise en un rêve brûlant.

Je n’épouserai personne. Jamais.
Jamais.

Comment savoir que ma noce aurait lieu le soir même ?

*~*

Le jeune être rêve. Sa Fiancée, la belle Lymiria, danse dans les flammes, habillée de la seule cascade incandescente de ses cheveux blonds. Le feu caresse ses courbes pulpeuses, louvoie sur son corps au paroxysme de la Féminité. Il ondule sur les hanches pleines, la lourde poitrine, les courbes nimbées de promesses. Les flammes effleurent la Tanagra sans la brûler, remontent le long de son dos comme autant de serpents, tournent autour de son cou, de ses poignets, de ses chevilles, pénètrent dans sa bouche. Des anneaux de feu enserrent la taille marquée, glissent sur ce corps fait pour l’Amour. La possèdent. Lymiria sourit de ses lèvres pleines et gorgées de sang ; dans ses yeux d’un bleu profond dansent les reflets du Paradis. La Sylphide n’est plus muette. Elle murmure d’une voix Divine des Prophéties Eternelles. Elle a le monde à ses pieds, pourrait tout ravager d’un seul mot. Thaïs n’a pas sa place dans ce rêve, à côté de cette Déesse fondatrice. De cet éclat absolu, Vénus éblouissante, Némésis d’un monde depuis trop longtemps rongé par les ténèbres.

Lymiria…

Thaïs l’aime.
L’Aime.
L’Aime.

Dans son rêve, Thaïs ne porte pas de robe. Ses habits sont un pantalon de cuir, sans haut, ses cheveux sont rasés, les ongles sales, le nez cassé. Valse avec l’Amante.
Thaïs ressemble à son Père, à l’aube de sa jeunesse.

Et tout se brouille. Lymiria s’éloigne, sa clarté se fait moins éblouissante. Elle devient une étoile. La plus brillante dans le ciel, celle qui guide les Hommes. Puis sa splendeur céleste s’amenuise elle aussi, noyée dans une toile constellée d’autres astres bientôt plus luisants. Fini même par s’éteindre.
Alors…
Le noir.
Le froid.

La solitude.

L’appel.

Lorsque Thaïs se réveille, se réveille vraiment, c’est trempé de sueur. Son esprit ne comprend pas très bien. Ou que trop bien. Il effleure les flux télépathiques et frissonne.

Ses pensées vont à l’Orateur. Ses yeux vides, son sourire narquois.
Son parfum de Mort.

Un instinct naît dans son cœur. Il faut garder tout cela secret. Ne rien dire à personne.

Thaïs bondit hors du lit –surprise d’une nouvelle vitalité. Se contemple dans l’immense miroir brisé. Dans les reflets morcelés, rien n’a changé. Toujours le même physique, avec son torse de garçon, ses hanches fines, ses traits nets et asexués.

Les doigts touchent la peau, effleurent le corps, peignent les cheveux courts. L’esprit est pourtant certain du changement, pressent la mutation. Découvre le danger.
Tente de se rassurer, de se convaincre que Lymiria et que rien n’a changé.

Puis ses yeux verts s’arrêtent sur le petit diamant qui brille à son doigt.
Alors, les larmes coulent sur ses joues.

Thaïs vient d’épouser l’Enfer.




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