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Héritage avec passif...
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Julung 16 Otalir 814 à 00h00
 
***
Paupières lourdes...
Mal de crâne lancinant...
***


"C'était quoi cette...? Voix?
Et pourquoi est-ce que je suis allongé sur le dos?
Ah oui..."


***
La première chose qu'Helhar'sen fait en reprenant conscience est de tâter le côté gauche de son visage, là où sa tête a fait la rencontre du mur avant qu'il ne perde connaissance.
L'arcade est gonflée, douloureuse. Il y a déjà une croûte bien dure là où la peau a explosé.
Quatre heures? Six heures?

Il ouvre l'oeil droit, le gauche faisant la grêve, pour constater qu'aucune lueur diurne ne filtre à travers les fenêtres.
***


"Plutôt dix heures au moins, vu qu'il était l'heure de déjeuner quand..."

***
Un soupir. Douloureux lui aussi... Le médecin tâte sa cage thoracique et constate sans surprise qu'une ou deux de ses côtes doivent être fêlées.
La douleur s'estompe tandis que les souvenirs de la journée lui reviennent.

Une foule, ça n'entend pas la raison... Quelle idée saugrenue d'avoir essayé de tempérer des gens hystériques.
Certes, le Doc était bizarre, mais il faisait du bon boulot, il soignait les gens! Et puis si le vieux avait vraiment été un Lanyshsta, il l'aurait vite remarqué, depuis le temps qu'il était son assistant. Non?

Helhar'sen se redresse péniblement en position assise, et constate le capharnaüm qui règne dans l'officine. Le bureau est renversé, l'une des chaises gît brisée dans un coin.
L'armoire contenant le matériel médical semble intacte, mais les étagères à médicaments sont quasiment vides et la plupart du contenu de la bibliothèque semble également avoir disparu.
Disparu, comme le Doc...

Le médecin ne se fait aucune illusion à propos du sort de son oncle et patron. Il allait falloir qu'il reprenne l'affaire à son compte maintenant : l'espérance de vie d'un Lanyshsta découvert est ridicule dans le quartier.
***


"Un Lanyshsta..."

***
Les pensées d'Herhal'sen tourbillonnent tandis qu'il se remémore la sensation laissée par la Voix.
Il se rappelle qu'il ne vient pas de reprendre conscience : c'est la troisième fois que ses yeux s'ouvrent.

La première fois, pour (re)découvrir sa propre existence.
La seconde fois, pour être englouti par une sorte de tourbillon de flashs sensoriels, de souvenirs qui ne sont pas les siens. A moins que ce soient les siens. Ou qu'ils ne soient pas lui. La seule chose qui est sûre alors, c'est la peur.
La dernière fois, pour reprendre contact avec le cours normal du temps.
***


"Nom de... La commotion doit être plus sévère que ce que je pensais." lâche-t-il à voix haute, comme si le Doc était encore là et allait lui répondre.

***
Le krolanne se lève finalement, et récupère de la gaze et une bouteille d'alcool qui ont échappé à la vindicte populaire.
C'est pendant qu'il imprègne le tissu de désinfectant que les voix commencent à se faire entendre dans sa tête... D'abord une, puis deux, puis dix...
Ce qu'elles disent est stupéfiant, mais face à l'évidence son esprit cartésien ne peut que se plier : ces voix sont celles des Lanyshstas.
Et s'il les entend, c'est qu'il en est aussi un...
***





(Agur 816)
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Sukra 22 Nohanur 814 à 02h02
 
***
Le mois qui a suivi l'éveil des dons télépathiques d'Helhar'sen s'est avéré quelque peu chaotique, mais le cabinet du doc a ré-ouvert et a vu revenir son flot habituel de patients, parmi lesquels se glissent à présent des Lanyshtas répondant à l'invitation lancée par le médecin au sein des Entrelacs.

Les Entrelacs...
Beaucoup d'informations, mais encore plus de vides mis en évidence à chacune de ces nouvelles informations... En tout cas assez d'informations pour supputer qu'une partie d'entre elles est fausse.
Parmi les hypothèses qui se confirment, celles sur l'évolution des pouvoirs des Lanyshta ont particulièrement préoccupé Helhar'sen. Chaque fonction est créer ou prise en charge par un organe... Alors qu'est-ce qui déverrouille l'accès à la télépathie? Puis aux autres pouvoirs? Le cerveau est un bon candidat si on part de l'idée que les fonctions sont pré-existantes mais inhibées...

Suivant cette thèse, Helhar'sen est allé à la grande bibliothèque des Cubes Confort, mais mis à part quelques informations sur l'altération des fonctions cérébrales par la chirurgie ou les produits chimiques, il ne trouve rien qui le satisfasse concernant l'émergence de nouvelles fonctions...

La réponse vient finalement par elle-même au moment où il l’attend le moins, quand il relâche son attention, à l’instant même où il laisse dériver son esprit pour sombrer dans le sommeil.
La psyché du docteur s’échappe de son corps et enfle rapidement sous la forme d’une immense sphère qui dépasse rapidement les limites de sa chambre,
de sa rue,
de la cité,
de l’île,
de la bille bleue dont elle émerge,
de l’essaim d’étoiles qui l’entourent,
du vide qui s’étend à l’infini…
***

Quand les ténèbres sont totales, le temps suspend son cours. Mais cela ne sied guère, alors l’antique créature allume la lumière et les contours des murs d’une pièce octogonale se dessinent autour d’elle. Ses quatre yeux se fixent sur le petit être chétif qui flotte dans les airs, allongé au centre de la pièce.
Il s’agit d’un krolanne, une espèce jeune… Ce specimen n’est pas encore vraiment vieux mais déjà sur le déclin. Il n’est ni mort ni vivant dans ce lieu où le temps n’a pas d’emprise.
Deux tentacules fantomatiques émergent de ses robes pour venir s’enrouler autour du corps inerte, l’auscultant de part en part…

La couche superficielle est lamentable, comme celle de la plupart de ses congénères. Comme les autres, il porte la marque. La sienne est fine, longiligne, et serpente de l’épaule jusqu’à la pointe de l’omoplate.
La structure moteur est faible, quasiment atrophiée, et le châssis calcifié qui la supportent semble pouvoir se briser à la force d’une pichenette, même si dans la réalité du krolanne cela lui suffit certainement amplement.
La pompe centrale est saine, mais les sacs d’échanges gazeux subissent déjà les méfaits de la fumée inhalée depuis des années.
Les circuits de contrôle et de perception sont en revanche dans un bon état, tout comme la plomberie rudimentaire dont cette espèce se sert pour absorber les nutriments, et excréter les déchets.

Les tentacules se retirent. L’être gigantesque lâche un long soupir fatigué et commence son travail de précision. Il tend une main à six doigts -si tant est qu’on puisse nommer ainsi les longs appendices aux multiples articulations- d’où jaillissent des griffes à la pointe si fine et au fil si affûté qu’il est dur de dire où elles finissent réellement. Avec une extrême rapidité, il effeuille les strates épithéliales qui recouvrent les organes comme on tourne les pages d’un livre, laissant libre l’accès pour sonder chacune des fibres de la dentelle vasculaire et en réparer les zones fragilisées. Ce serait trop bête que le circuit d’approvisionnement/refroidissement tombe en panne après la mise à jour qu’il s’apprête à lui faire. Les sacs respiratoires ne prennent pas plus longtemps à nettoyer des croutes de goudron qui les encrassent, cependant il ne prend pas la peine de réséquer les quelques zones nécrotiques qui gênent les échanges gazeux mais ne représentent pas vraiment de risque vital.

Après l’entretien des pièces usées, le vrai travail commence. Exerçant sa volonté il rétracte toutes ses griffes sauf une, qui contourne délicatement le globe oculaire droit avant de suivre le trajet du nerf optique. Il tâte les circonvolutions cérébrales, zigzague entre la glie, les axones et les dendrites jusqu’à trouver la zone qu’il cherche.
Comme attendu, elle est actuellement occupée par une petite boule de matrice extracellulaire. La griffe se plante rapidement dans le tissu conjonctif et se sectionne avant de se retirer, laissant son extrémité fichée dedans.
Dès que la griffe est sortie, l’ensemble des tissus et organes retrouvent leurs places initiales et le corps recompose son apparence intègre.

La graine est plantée.


***
Helhar’sen se réveille en hurlant, couvert de sueur, et se redresse dans son lit comme un diable sort de sa boîte.
Son premier réflexe, paniqué après le réalisme de son rêve, est de porter une main à son visage pour tâter sa paupière droite. Son œil est intact, mais il se sent fiévreux, sa peau parcourue par des frissons sans pour autant qu’il ait froid.
Il cligne et fronce les paupières, mais l’obscurité nocturne l’empêche de distinguer clairement quoi que ce soit. Haletant, le médecin cherche à tâtons et active l’interrupteur de la lampe à huile sur sa table de nuit. Le silex cliquette et produit une étincelle qui vient enflammer la mèche et laisse naître une flamme tremblotante.

Le spectacle qu’il aperçoit alors lui coupe le souffle.
Ce n’est pas la chair de poule qui coure sur sa peau, mais de petits flux d’énergie noirâtres, tels des arcs électriques en négatif.

Le Lanyshta tente alors de se remémorer toutes les informations recueillies sur l’émergence des pouvoirs. C’est maigre, mais la piste du déclenchement émotif dont certains autres ont fait part, semble plausible.
Il tente de récupérer le contrôle de son souffle. C’est laborieux, mais le médecin s’attache à détendre ses muscles un par un jusqu’à parvenir à inspirer. Expirer, inspirer. Et recommencer jusqu’à ce que son cœur cesse de battre la chamade.

Petit à petit, l’intensité et la fréquence des traits sombres qui zigzaguent sur sa peau diminuent, jusqu’à ce qu'ils disparaissent.
***





(Agur 816)
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Dhiwara 22 Nohanur 815 à 19h07
 
***
Voilà maintenant des mois que le Doc’ réunit toutes les informations qu’il peut sur la capacité des lanyshtas à créer la vie.
Il y a d’abord eu les rapports faits par Jade, et l’expérience singulière menée par Naomi/Naoko, puis la rencontre soudaine et brutale avec l’œil, faisant écho aux autres démêlés des Lanyshtas avec les hybrides biomécaniques. Et bien évidemment, il y a aussi le surprenant Dé de Lohan...

Les changements opérés par l’appel de la Voix des Cendres recèlent de nombreux mystères, mais s’il en est un qui a particulièrement retenu l’attention du médecin, c’est bien celui sur la façon dont l’esprit peut façonner la vie!
Depuis son Eveil, le Doc’ a réalisé a quel point les connaissances qu’il a amassé au cours de sa carrière ne sont que les bases primitives de la compréhension de la vie. C’est un peu comme si jusque là il s’était contenté de comprendre comment les rouages d’un mécanisme s’imbriquent et s’entraine, sans avoir cherché à savoir comment lesdits ont été forgés. A présent que ce genre de savoir est à sa portée, il est tout simplement impensable qu’il ne s’essaye pas à le mettre en œuvre…

Ce soir là, enfermé dans la remise de la Cellule Médicale qui est devenu son laboratoire nocturne, Helhar’sen relit une dernière fois les étapes de son quatrième protocole.
Les deux premiers se sont avérés des fiascos complets, mais le dernier essai en date - après avoir revu et corrigé sa méthode de conception de l’être à créer - aurait pu réussir si la forme finale envisagée n’avait pas été aussi complexe.

Cette fois, le kildarien a prévu d’utiliser un modèle moins sophistiqué, espérant rendre la tâche plus aisée.

Les premières étapes préparatoires sont relativement claires.

Première étape, faire le vide.
Assis devant son pupitre, le Doc’ clôt ses paupières, et élimine toutes les pensées qui lui viennent. La communication avec le consensus télépathique est bien évidemment rompue. Il efface l’image rémanente de la pièce qui l’entoure, puis continue avec les murs, les bâtiments, les habitants, les animaux, l’île... tout, jusqu’à créer un espace où plus aucun bruit de fond pour parasiter sa concentration.

Deuxième étape, réunir assez de puissance.
Il s’agit d’emplir précautionneusement l’espace vide avec son énergie. Au début, cela ressemble à un gros nuage effiloché, bringuebalé par des bourrasques. Progressivement, les volutes finissent par harmoniser leurs mouvements sous l’influence de la volonté du lanyshta, et adoptent un mouvement circulaire si bien que c’est finalement un véritable vortex orageux qui se forme!
Mais à la différence d’une tornade qui aspire ce qui l’entoure, ce siphon là s’aspire lui-même, tournant et rétrécissant de plus en plus vite jusqu’à ne plus former qu’une boule de plus en plus petite, rendue floue par la vitesse.
Finalement, le lanyshta parvient à stabiliser le phénomène sous la forme d’une bille lisse d’apparence, et animée de fugaces lueurs verdâtre.



Troisième étape, modéliser le squelette qui supportera l’architecture de…
***

C’est bête, cette simple petite pensée qui traverse l’esprit du kildarien à ce moment là, se demandant pourquoi l’intégralité de sa réserve énergétique - une fois rassemblée, concentrée, et prête à l’usage - ressemble à une goutte d’encre…

***
A peine l’idée l’a-t-elle effleuré que la « goutte » se met à choir.
***

Bizarre. Il n’y a ni haut ni bas dans cet espace paranormal.

***
Deuxième pensée parasite, deuxième sanction immédiate
La petite sphère explose au contact d’une surface inexistante, mais parfaitement logique pour une goutte d’encre.



Au moment où le sortilège lui échappe, son esprit relâche son emprise et ouvre les vannes pour évacuer tout cet excédent d’énergie. Chez le Doc’, les manifestations des capacités lanyshtas ont toujours engendré des phénomènes collatéraux sous la forme d’arcs électriques sombres, de nombre et d’intensité variable en fonction du pouvoir mis en œuvre.
Mais pas cette fois. Pas d’étincelle ni n’éclair, pas crépitement…
Le temps s’arrête pour Helhar’sen quand une douleur fulgurante lui traverse le crâne, il est persuadé à cet instant que le contrecoup du sortilège raté va faire exploser sa tête et que sa dernière heure est venue.
***

PLOC!

***
Il faut plusieurs secondes au lanyshta pour réaliser qu’il n’est finalement pas mort, tâter sa tête avec précaution, puis ouvrir les yeux.
Sur le pupitre, il y a bien une grosse goutte d’encre huileuse, qui ne semble pas vouloir pénétrer le bois du meuble.



Déjà complètement abasourdi, la surprise du lanyshta croit encore d’un palier quand l’encre ondule, émettant des tentacules minuscules et que de petites tâches d’un vert fluorescent s’allument et s’animent à sa surface.



L’expérience a-t-elle pu réussir malgré ce qui vient de se passer?
Le Doc’ a du mal à y croire, mais ses doutes s’envolent alors que la chose prend du volume, poussant verticalement tandis que les tâches vertes s’agence en un pseudo-visage à la moue mécontente.



Ne pouvant décoller son regard du petit être qui émerge, le médecin note que les tentacules n’en sont pas : il s’agit plutôt d’expansion d’un corps mou qui semble avoir la propriété de pouvoir modeler sa forme… A la fin de sa croissance, il mesure à peine un pouce de haut.



La bestiole tourne l’appendice qui lui sert de tête comme pour observer où elle se trouve, avec l’air de quelqu’un qui se réveille après une mauvaise cuite, si tant est que son visage minimaliste puisse reproduire ce genre d’air.


***

- Bordel, t’as vraiment fait du travail d’amateur! Avec tout l’temps qu’t’as passé à bosser là-dessus, tout ce que t’arrives à pondre c’est même pas une ébauche?
Nan mais sérieux, mate comment tu m’as fait… J’suis tellement un nabot qu’n’importe qui pourrait me marcher d’ssus sans m’voir! Et tu m’as même pas donné une forme! Sans déconner, tu veux que j’fasse quoi avec un corps aussi merdique?


***
Nouvelle surprise… La bestiole articule même des mots... incroyable…
Un peu déstabilisé, le Doc’ répond tant bien que mal à la petite chose vindicative.
***

- Heu… Ecoute, c’était pas sensé se passer comme ça… Mais je suis sûr que ça ne peut pas être aussi grave que ça en a l’air.
A la base, j’ai mis tout ce qu’il faut pour créer un corps convenable, mais ça m’a échappé. Je ne comprends même pas comment tu as pu prendre forme…
J’avais même prévu de dupliquer certaines fonctions que tu sois capable de déployer toi-même quelques pouvoirs lanyshtas!"


***
La créature hésite un instant, avant de sourire avec malice.
***

- Hey... Maint’nant qu’t’en parles, je sentais bien comme un p’tit que’qu’chose là…
Attends, j’crois que j’dois pouvoir… BWAAAAAAA!"


***


Une explosion d’arcs énergétiques sombres jaillit de la chose dont le corps pulse et se hérisse, comme si sa surface était prise d’une chair de poule de magnitude sismique.
Un petit nuage de fumée s’échappe de la créature qui s’affaisse mollement.
Bon, c'est raté pour les pouvoirs visiblement...

Elle n’est pas morte… Juste bien sonnée. Helhar’sen le sent comme s’ils ne formaient qu’un seul être.



Délicatement, le médecin ramasse la bestiole au creux de sa main. Elle ne pèse que quelques grammes et diffuse une douce chaleur.
***

- Repose-toi bien, car nous allons avoir beaucoup à faire tous les deux… souffle-t-il à mi-voix, un peu comme un père souhaite de beaux rêves à son enfant déjà endormi.




(Agur 816)
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Vayang 13 Manhur 816 à 13h20
 
***
La bestiole n'a pas mis longtemps à se remettre. Il ne s'est écoulé que quelques minutes avant que le médecin ne sente la petite chose commencer à gesticuler dans la poche de poitrine de sa chemise.
Il n’est pas si inquiet que ça car une vision magique lui a rapidement permis d’établir que la mini-explosion à laquelle il vient d’assister ne se reproduira probablement plus : la bestiole ne semble plus receler de la moindre réserve de magie. A première vue, il pourrait s’agir simplement de la décharge de l’énergie résiduelle, qui n’a pas été utilisée comme prévue dans le processus qui a échappé à son contrôle…

Le Doc' extrait la petite chose de sa poche et la dépose sur le pupitre où elle a pris consistance il n'y a pas si longtemps de ça…
***

- Et si on reprenait dans le bon ordre?
Salut, moi c’est Helhar’sen… et toi ?
demande-t-il avec un sourire bienveillant.

***
La mine boudeuse, la créature a l’air un peu dans le gaz, comme le lendemain d’une mauvaise cuite. Relativement recroquevillée, elle regarde autour d’elle en accordant à peine un regard au lanyshta.
***

- Heu… reprend le Doc’ avant que la réponse ne le cingle.

- Sérieus’ment? Tu crois qu’j’en ai quelqu’chose à faire de ton blase? rétorque enfin la bestiole d’une petite voix hargneuse. Le mec, il s’attaque à un truc qu’il comprend même pas, il y va à tâtons en faisant n’importe quoi, il se foire comme une merde - celle de quand t’as bouffé un truc pas net tu vois, avec des trucs pas bien digérés d’dans, bien dégueulasse - et qui c’est qui paye les pots cassés? Hein? Par les Vromballes, j’t’avais rien d’mandé moi!

***
Après sa tirade, la bestiole boude ostensiblement et tourne carrément le dos au Doc’. Ou plutôt, son visage glisse à sa surface pour aller à l’opposé de ce qui lui sert de tête.



Le médecin fronce les sourcils, plus surpris par l’expression que la minuscule créature vient d’employer, que par son attitude revêche.
Il n’y a que les kildariens pour jurer sur les Vromballes… Finalement, malgré tout ce qui différencie la personnalité du lanyshta et celle la chose, il semblerait bien cette dernière soit issue de lui. Comment est-il possible qu’ils soient si différents? Si les théories en cours au sein des Entrelacs des Pensées sont vraies, la bestiole doit refléter au moins une partie de lui.

Dans le cas de Lohan Chesmyr, il semblait même que sa personnalité était elle-même le reflet de celle de sa bestiole, son Dé.

Dans le cas présent, la question est tout autre : le Doc’ est bien incapable de déterminer de quelle partie de lui la bestiole a bien pu hériter.
Depuis toujours, Helhar’sen est du genre courtois, il utilise un langage plutôt recherché, emploie le vouvoiement, articule avec soin et se montre bienveillant autant que faire se peut… En y repensant, il y a certainement une légère déformation professionnelle, liée au fait de toujours devoir montrer un visage assuré et rassurant aux patients.
Et peut-être aussi parce que Selkior n’aurait jamais toléré une attitude non-professionnelle au sein de la Cellule Médicale.
Ce temps parait bien loin aujourd’hui…

Avec un léger soupir, Helhar’sen ouvre un tiroir de son pupitre dont il sort un calepin et son nécessaire d’écriture. Le médecin ouvre son encrier en métal, y trempe la pointe de son stylo-plume, et appuie sur le petit bouton pressoir actionnant la pompe qui aspire l’encre dans la cartouche. D’un geste machinal, il essuie la goutte qui perle au bout de la plume sur le bord de l’encrier, puis se met à coucher sur le papier ses réflexions sur la nature de la bestiole.
Après une poignée de secondes, un léger bruit attire son attention, comme un petit souffle rapide. Levant les yeux, il s’aperçoit que la bestiole est à présent en train de la fixer et semble humer l’air - malgré l’absence apparente d’organe olfactif sur ce qui lui fait office de visage.
***

- Yo, c’est quoi ça? lui lance-t-elle.

- Et bien c’est mon carnet de notes, je… répond le kildarien avant d’être à nouveau coupé.

- J’men fous d’ton carnet, ton encre là, c’est quoi?

***
Un instant perplexe, le lanyshta répond avec un haussement des épaules.
***

- Rien de bien extravaguant, c’est juste de l’encre liquide que je fais en dissolvant des bâtons de noir de fumée dans de l’eau déminéralisée avec un peu de savon noir et d’éthanol pour que ça soit bien homogène et fluide.

- Hmmm… Cool, j’peux voir?

***
La petite chose parait avoir subi un revirement d’humeur soudain. Bizarrement, son petit visage minimaliste parvient tout de même à former une moue souriante de malice, ses yeux plissés.



Nouvel instant de perplexité pour le médecin. Curieux de voir où la chose veut en venir, le Doc’ acquiesce d’un hochement de tête. A peine son geste achevé, la bestiole change brusquement de forme et glisse vivement en ondulant, tout droit vers l’encrier.

Enfin… parler de déplacements vifs est un peu exagéré compte tenu de la taille réduite de la créature, mais le lanyshta estime qu’elle avance d’environ deux fois sa longueur toutes les secondes, soit environ 6 centimètres par seconde. Environ 0,2 kilomètres par heure… une vivacité toute relative donc.



Mais le pupitre n’est pas très grand, et il ne lui faut qu’une dizaine de secondes pour atteindre son objectif. La bestiole se redresse sans attendre pour atteindre le rebord du contenant et aspire la trace d’encre encore humide par cette orifice d’où émane une légère lueur verdâtre qui lui sert de bouche.

Quand il se retourne pour s’adresser à Helhar’sen, la morphologie de sa face s’est transformée pour exprimer un indéniable air de satisfaction.


***


- Suie d’pin, sûr’ment une combustion lente après mise en copeaux pour avoir c’grain si fin. A vue de nez, j’dirais qu’c’est un mélange d’pins jeunes - ça donne un goût bien tendre, pas plus d’vingt ans - avec un séchage sur au moins six mois.
Belle robe, bon bouquet, une bonne longueur en bouche…
Là on discute mec!


***
La petite chose vient de parler de son encre comme un œnologue décrirait un vin…
***

- Et bien, je suis ravi de voir que ça te plait… répond le Doc’ avec une légère hésitation. Tu… tu bois ça?

- Si j’bois d’l’encre? Ca fallait y penser avant d’me concevoir comme ça hein, tu devrais savoir c’qui m’faut! Le seul truc que t’as pas merdé, c’est c’te beau noir brillant dont tu m’a doté au lieu d’un teint pâle d'cadavre comme le tien. Ca s’entretient ça mec, i’me faut d’la bonne si tu veux que j’garde ma couleur de beau gosse!

***
La justification de la bestiole renvoie le kildarien aux pensées qui ont parasité son expérience. Il a bien pensé à de l’encre quand la goutte s’est mise à tomber… et l’impact de cette pensée parait indélébile.
Quoi qu’il en soit, si la bestiole parle de garder sa couleur, c’est qu’elle se projette tout de même un peu dans l’avenir à ses côtés.
***

- Tant que tu seras avec moi, j’aurais toujours un encrier pour toi. lâche le kildarien, mi-amusé mi-intrigué.

- Et tant qu’t’auras l’encre pour moi, j’s’rai là pour couvrir tes arrières dans les coups durs mon pote! rétorque la bestiole du tac-au-tac.

***
Avec un cri de joie non dissimulée, la bestiole commence à escalader l’encrier.


***


- Hey, et comment je t’appelle au fait? lance Helhar’sen alors que la petite chose s’engouffre entièrement dans la petite boite métallique.

- J’m’appelle Moire Dessuie. Mais appelle moi juste Moire. résonne la petite voix depuis l’intérieur avant qu’un tentacule ne ressorte pour attraper le couvercle de l’encrier pour le refermer.

***
Les évènements prennent une direction inattendue, mais qui pourrait simplifier bien des choses…
Reste à savoir ce que la petite chose buveuse d'encre considère comme un "coup dur".
***





(Agur 816)
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Sukra 21 Manhur 816 à 23h59
 
***
L'emballage en papier du Cubicule trône au milieu du bureau, dans un coin de la chambre du Doc'.
Du Cubicule en soi, il ne subsiste même pas une trace : toute sa substance a été consumée dans le processus de transfert dès que le lanyshta est entré en contact avec lui...

Contrairement à son habitude d'essayer immédiatement un sortilège après l'avoir appris, le lanyshta préfère temporiser un peu cette fois. En effet, il s'agit d'un principe un peu nouveau pour lui. S'il a déjà une longue habitude des modifications métaboliques, c'est la première fois qu'il est sur le point de procéder à une transformation physique profonde.

Le Doc’ ouvre le premier tiroir du bureau où Moire pique un somme, affalé au fond d'une boîte de fusains, son festin à moitié dévoré à ses côtés comme preuve de sa gloutonnerie. S’étant assuré que la bestiole dort toujours, le kildarien referme le tiroir et s’éloigne du meuble pour se positionner au centre de la pièce, là où il y a de la place. Si le pouvoir produit bien les effets attendus, le lanyshta s’attend à un doublement de sa masse corporelle…

Assez réfléchi. Il est tant de voir de quoi le corps d’Helhar’sen est capable.

Si le transfert de pouvoir depuis un Cubicule implique la transformation de matière en énergie pour implanter les pouvoirs dans l’esprit des lanyshtas, ce pouvoir-ci consiste en un processus inverse, à savoir créer de la matière à partir d’énergie psychique…
Le tout est de bien répartir et synchroniser les flux d’énergie pour que chaque partie du corps se modifie en harmonie avec les autres. Par exemple, augmenter la taille des os pourrait entrainer de violents déchirements des tissus si le reste des organes et muscles ne suit pas en même temps… autant s’éviter cette mort douloureuse et idiote si possible.

Après avoir pris une dernière respiration, le Doc’ ouvre les vannes.



Ca n’a rien d’agréable, comme une crampe générale, comme si du feu liquide avait soudain remplacé le sang dans ses veines. Le Doc’ se retient de ne pas lâcher un cri tandis que sa structure musculo-squelettique s’épaissit et s’allonge avec des craquements peu rassurants.
Il n’y a pas que son corps qui craque, les vêtements aussi en ont pris un coup, étirés par son accroissement de masse, mais également lacérés par les plaques chitineuses sombres, comme de grosses écailles acérées, qui se sont formées sur sa peau.

L’opération n’a duré qu’une poignée de secondes, et le lanyshta est passablement désorienté et déséquilibré, plongé brusquement pour la première fois dans ce nouveau corps. Il fait quelques pas en titubant et se rattrape à son armoire en bois.
A sa grande surprise, le bois semble mou et friable sous sa main, et ce n’est qu’en l’observant qu’il s’aperçoit que ses ongles sont à présent de longues griffes qui ont pénétré dans le montant du meuble, et qu’il a commencé à broyer le bois en le serrant.
L’armoire semble avoir rétréci. Toute la pièce semble avoir rétréci en fait, il pourrait même toucher le plafond sans peine alors qu’il s’agit d’une cellule standard de trois mètres de haut.
***

- Merde…

***
La voix qui sort de sa bouche est rauque, ses mâchoires sont raides…
Le Doc’ se débarrasse des lambeaux de vêtements qui s’accrochent encore à lui et va se planter devant le miroir de plein pied qui siège dans un coin de la chambre. Mais vu qu’il a pris une trentaine de centimètres, cette fois il doit s’accroupir pour voir son visage.
***

- Merde… répète-t-il bêtement en fixant la créature musculeuse qui lui fait face en guise de reflet.

***
Sa peau - en sus de présenter une apparence caparaçonnée et une teinte anthracite - semble suinter des volutes de vapeur sombre qui flottent autour de lui. Son visage est aussi radicalement transformé : son nez a presque disparu, et ses pommettes sont bien plus anguleuses et surmontent une mâchoire munie de crocs. Son reflet lui renvoie un regard luisant d’une flamme verdâtre.

Après de longs instants à contempler cette vision d’horreur - tournant et se retournant pour s’examiner sous toutes les coutures - le Doc’ finit par revenir vers l’armoire qu’il ouvre pour en sortir un drap qu’il jette sur ses épaules. Les volets sont fermés, personne ne pourrait le voir, mais il n’a simplement pas pour habitude de trainer nu chez lui…

Cette forme monstrueuse procure une terrifiante puissance physique, mais outre le fait qu’il ne faudrait clairement pas l’utiliser devant des krolannes, le Doc’ va devoir trouver une solution vestimentaire : soit se constituer une garde-robe XXL, soit modifier le sortilège pour que l’accroissement de masse de soit pas si important…


***





(Agur 816)
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Sukra 4 Jayar 816 à 11h39
 
***
Il fallait bien que ça arrive un jour, avec les absences répétées du Doc’ ces derniers mois… une inspection surprise d’un Contrôleur du Conseil du Bien-Etre de la Krolannité.
En l’occurrence, d’une Contrôleuse.

L’agent se pointe en début de soirée. Le médecin la trouve sur le pas de la cellule médicale quand il ouvre la porte pour laisser partir son dernier patient, un vieux rongé par les rhumatismes. Elle ne lui accorde pas un regard, statue de marbre figée en attendant simplement qu’il parte pour se mouvoir soudain d’un pas et se figer à nouveau devant Helhar’sen en brandissant un badge métallique. Le Doc’ plisse les yeux pour distinguer de quoi il s’agit dans la faible lumière de fin de journée qui peine à traverser jusqu’à ce niveau du Kil, et finit par reconnaître le sigle du CBEK (prononcez "cébèque") avant de porter son attention sur la visiteuse.



Elle paraît être de quelques années son aînée ce qui est partiellement accentué par quelque chose de condescendant dans la moue de la krolanne au teint olivâtre, c’est le genre à avoir l’air de faire la gueule même quand elle sourit. Du moins c’est que ses rides suggèrent.
Elle est là, toute droite dans son tailleur noir, le port de tête altier comme si elle était en territoire conquis, jetant un regard scrutateur au lanyshta derrière ses paupières mi-closes.
***

- Permettez?

***
Elle n’attend néanmoins pas la réponse pour pénétrer dans le cabinet du Doc’, et Helhar’sen a juste le temps de s’effacer avec un petit sourire forcé pour la laisser entrer.
***

- Je suis la Contrôleuse Ysstin Mëar, ATI au CBEK se présente-t-elle en allant poser la serviette en cuir qu’elle transporte sur une des chaises dans l’entrée pour en sortir une petite pile de feuilles qu’elle tend au médecin. Ainsi que stipulé dans le présent mandat, je suis là pour enquêter sur certaines anomalies relevées dans la gestion de cette cellule médicale.
Je compte donc sur votre pleine coopération pour faire la lumière sur certains points…
termine-t-elle avec un air de satisfaction pendant que le Doc’ commence à feuilleter les documents.

***
Le lanyshta relève la tête de ces papiers. De toute façon ils ont l’air officiel et les examiner plus longtemps ne sera pas d’une grande aide dans l’instant, il aurait tout le temps plus tard…
***

- Oui… Pardon, excusez ma surprise, c’est juste que je ne m’attendais pas à votre visite et je…

- C’est le principe même d’une inspection surprise, monsieur, le coupe-t-elle sans ménagement. J’ai besoin de voir vos relevés comptables, votre emploi du temps, tous vos dossiers de patientèle, et le suivi de vos stocks évidemment. Ainsi que vos registres expérimentaux.

***
Aïe. Ce n’est pas bon. Pas bon du tout.
Si le CBEK demande les dossiers des patients, alors que des copies leur sont envoyées régulièrement, c’est qu’il y a une suspicion de faux. A moins qu’il ait involontairement fait une erreur quelque part, il n’y a qu’un seul faux que le médecin a fait consciemment dans sa carrière… il y a quelques mois, (ayant déjà épuisé son quota de jours de fermeture annuelle de la cellule) en inscrivant qu’il était occupé à des expériences pendant les deux semaines où il était en réalité parti au Kil’dé pour aider à sortir Oromonde des Dessous… Si c’est bien ça, le problème ne viendra pas de ses dossiers de patients, qui confirmeront qu’il n’a reçu personne pendant cette période, mais de ses recherches, ou plutôt de leur absence…
Car qui dit recherche, dit soit projet financé par un Conseil, soit déduction de taxes. Sachant qu’Helhar’sen ne mène actuellement aucun projet de recherche financé, la Contrôleuse est probablement là pour vérifier que la cellule médicale paye bien ses impôts. C’est le genre de bourde qui est considérée comme une fraude grave et pourrait ultimement lui valoir de perdre l’accréditation du petit établissement de quartier!

Le Doc’ invite Ysstin à le suivre vers son bureau, niché dans un coin de la salle d’examen, et désigne les hautes bibliothèques contre le mur contenant une multitude de registres cartonnés, certains liés en gros blocs par des sangles de cuir, ainsi que bon nombre de dictionnaires médicaux et ouvrages de référence.
***

- Bien évidemment... Voilà, tout ce qui concerne les actes médicaux est ici, les dossiers des patients sont classés par ordre alphabétique. Mon emploi du temps est consigné dans le gros registre bleu, là sur l’étagère du bas, il y a tout depuis que… Une infime mais notable hésitation. j’ai repris la gestion de la cellule médicale.
Vous trouverez le registre comptable et le suivi des stocks de médicaments et de réactifs dans les tiroirs fermés à clef, à gauche du bureau.
dit-il en sortant la petite clef de la poche de poitrine de sa chemise et en la lui donnant comme si tout allait bien. Je vais vous chercher mes carnets expérimentaux, ne bougez pas.

J’allais me préparer un thé en fait, est-ce que je peux vous en offrir une tasse? Ou autre chose?


***
La manœuvre semble réussir puisque la krolanne s’installe avec un air confiant au bureau d’Helhar’sen, pensant sans doute que sa mission lui permet de dominer ce "petit médecin de quartier sans ambition". Pas besoin d’être télépathe pour sentir que la Contrôleuse n’a pas une haute opinion de sa proie du jour.
***

- Oui, avec un sucre, vous serez bien aimable. Pas de souci pour ce qui concerne les dossiers antérieurs à votre prise de fonction, c’est essentiellement la période de l’été 815 qui m’intéresse, répond-elle en ouvrant l’emploi du temps du Doc’ devant elle.

***
Eté 815. Et son séjour au Kil’sin date de la dernière quinzaine de Jolantir de cette année là.

Elle ne trouverait pas grand-chose là dedans, le médecin a pour habitude de simplement noter "recherche" sans jamais dire sur quoi ça porte. Si c’est bien de cela qu’il s’agit, alors l’envoyée du CBEK va probablement éplucher son suivi des stocks pour voir quel genre de réactifs a été utilisé pendant la période concernée. Et c’est là que le bât blesse, car le Doc’ n’a évidemment rien consigné.
Ne trouvant rien, Ysstin sera alors probablement obligée de lui demander de lui montrer ses recherches… Cette procédure n’a rien de très commun dans un Kil où les travaux scientifiques sont souvent relativement jalousement gardés tant qu’ils ne sont pas aboutis, afin de ne pas se faire piquer une idée et prendre de vitesse par une cellule de recherche concurrente, mais les Conseils ont tous les droits quand il s’agit d’auditer des projets dans lesquels ils ont de l’argent, de près ou de loin.
Quoi qu’il en soit, il faut qu’Helhar’sen ait quelque chose à lui montrer pour justifier les deux semaines de recherche.

Tout en partant à l’étage pour préparer la boisson, le lanyshta commence à échafauder son plan pour lui couper l’herbe sous les pieds…

Les lanyshtas de la troisième vague qui ont rencontré Carmïnn dans un lieu public ont rapporté que les krolannes autour avaient été manipulés pour croire que leur groupe parlait de tout autre chose, et lui-même a déjà réussi à manipuler le Gros krynänn rencontré lors de l’expédition à la seconde Porte. Mais cette fois, susciter un sentiment de confiance ne suffira probablement pas sachant que les Contrôleurs ont pour rôle de disséquer les faits, et celle-ci n’a pas l’air d’être du genre complaisant… Il faut donc que le Doc’ trouve un moyen de lui montrer des preuves comme quoi il a bien consacré cette période à faire des recherches.
Ou plutôt, de lui faire croire qu’il lui a montré lesdites preuves.

Tout en préparant le thé, le lanyshta commence à établir le contact avec l’esprit de la Contrôleuse en train de consulter son emploi du temps.



***

Au premier abord, la structure psychique de la Contrôleuse ressemble à un immense cylindre rocheux, mais en y regardant de plus près le Doc’ constate qu’il s’agit en réalité d’un gigantesque bâtiment, lui-même constitué par l’assemblage de bâtiments plus petits et organisés de façon millimétrée. Tout en haut de l’édifice, des tiges métalliques poussent et le béton bourgeonne autour d’elles pour former de nouvelles structures au fur et à mesure que son esprit assimile de nouvelles informations, tandis que la base de perd dans une brume obscure empêchant de distinguer quoi que ce soit. Le tout est parcouru par un complexe réseau de canalisations, tel un système vasculaire, qui émet parfois des rejets semblables à de la vapeur.
Une représentation assez typique de nombreux esprits kildariens…





(Agur 816)
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Sukra 4 Jayar 816 à 11h40
 
***
Ca aurait pu être bien pire, en tout cas c’est déjà moins repoussant que l’aspect organique purulent de l’esprit du Gros krynänn.
Par chance, il semble donc que la Contrôleuse ait un esprit relativement mécanique, avec une juxtaposition quasiment linéaire de strates des plus actives aux plus délaissées. C’est effectivement une chance car ça lui permet de s’orienter relativement facilement pour trouver ce qu’il cherche, mais cela signifie aussi probablement que les systèmes de défense seront également très rigides : la moindre erreur pourrait déclencher un rejet massif de toute présence étrangère, rendant impossible la manipulation qu’il envisage.

Pour manipuler le Gros krynänn, il avait dû passer par une voie oubliée afin d’accéder aux vieux souvenirs et les modifier. Pour la Contrôleuse, le Doc’ envisage carrément de court-circuiter les processus de décryptage visuel… En effet, il devrait être possible de lui donner des documents quelconques et de lui faire croire qu’il s’agit de rapports d’études relatifs à la période problématique. En théorie, il devrait même pouvoir le faire en lui donnant des feuilles vierges, mais l’exercice en serait bien plus difficile que s’il s’agit de vrais comptes-rendus d’expériences pour lesquels seules quelques informations devront être "rectifiées" à la volée.

Tandis que la krolanne parcourt les documents auxquels le Doc’ lui a donné accès, le lanyshta continue de sonder son esprit.
***

Repérer les mécanismes mis en jeu pour intégrer les informations sensorielles n’est pas très difficile dans cette structure : le flux visuel est clairement prépondérant pendant qu’elle lit. On pourrait le décrire comme une sorte une large porte proche du haut de la structure, devant laquelle des lumières colorées s’agrègent à la manière dont les nuages se forment, façon barbe-à-papa, avant d’être aspirées par à-coups, à priori au fur et à mesure que ses yeux parcourent les lignes.
Ce qui intéresse le lanyshta se situe plus loin derrière cette porte, la zone de tri et d’analyse de l’information visuelle… En effet, si le flux visuel constitue une des sources fournissant le plus d’informations, ça signifie que l’esprit doit faire le tri pour se focaliser sur les informations pertinentes avant de les analyser, et se débarrasser de ce qu’il considère comme des distractions sans valeur.

Il est cependant inutile d’espérer s’immiscer dans l’esprit d’Ysstin directement par là, la perturbation engendrée déclencherait immanquablement les systèmes de défense.
Il serait bien plus simple de pénétrer par les zones brumeuses oubliées où la vigilance du sujet serait moins aiguisée, mais le Doc’ devrait ensuite traverser toutes les strates pour arriver à son objectif, ce qui serait tout aussi risqué en fin de compte.
Au lieu de cela, le médecin se concentre sur la zone la plus active, au sommet, là où des formes semblables à des immeubles poussent comme des champignons. A première vue, l’idée ne semble pas si bonne compte tenu de la densité extrêmement importante de sentinelles - semblables à de petites tourelles en pierre armées de divers appendices mécaniques, majoritairement du genre aiguisé - mais le lanyshta persiste dans son observation, cherchant une faille dans le système.
Il finit tant bien que mal par repérer un léger défaut dans ce système bien huilé. Dans cet espace où le temps est une dimension très relative, il y a ce court moment juste avant qu’un "bourgeon" émerge : les sentinelles quittent la zone et ne reviennent qu’une fois le premier niveau du bâtiment émergé.

Le lanyshta guette le moment propice, attendant patiemment de distinguer l’émergence d’un "bourgeon", et se rue sur le premier qu’il voit. Tandis que des murs poussent du sol, les premiers orifices de communication avec les niveaux inférieurs commencent à s’ouvrir, et c’est là qu’il file directement, sans attendre que le plafond ait fini de se former ni que les sentinelles ne fassent irruption…
A peine a-t-il pénétré dans la couche superficielle de l’esprit de la krolanne que le Doc’ cesse toute action télépathique, restant parfaitement inerte afin de ne rien perturber. Une fois les sentinelles extérieures passées, rien ne garantit que la vigilance soit moindre à l’intérieur.


***
Quand on pénètre pour la première fois dans la partie consciente d’un esprit, c’est un peu comme la première fois qu’on établit le contact avec l’Entrelacs des Pensées des lanyshtas : on est plongé dans un bouillon de saveurs télépathiques, ça prend du temps pour s’y orienter… Dans l’esprit d’un krolanne, les pensées, processus sensitifs, moteurs ou mémoriels sont comme autant de "bulles" qui circulent plus où moins vite. Leurs teintes, formes, textures et odeurs varient grandement. Certaines semblent même émettre des sons. Ici un tintement, là un grincement…
Mais dans le cas présent, le Doc’ ne cherche pas une pensée en particulier dans le flux, il cherche surtout à se déplacer sans le perturber!
***

Les premiers instants sont assez rudes alors qu’un flux massif de pensées s’empresse d’emplir la structure en train de se créer juste au dessus du point d’entrée du lanyshta. On pourrait comparer ça à essayer de rester immobile en attirant le moins possible l’attention dans une rue bondée où tout le monde veut aller dans la même direction : on se tasse contre un mur et on ne dit rien même quand on se fait bousculer… Mais le flot s’amenuise rapidement une fois la nouvelle structure remplie, laissant suffisamment de champs pour que le lanyshta puisse commencer à s’enfoncer dans l’esprit de la Contrôleuse sans risquer de créer des interférences au moindre mouvement.
En atteignant la strate suivante, intimement liée à la perception primaire des sensations, le lanyshta débouche sur une zone grouillant de pensées aiguillées au sein d’un réseau complexe, mais extrêmement organisé : les flots de pensées circulent à toute allure, frôlant parfois les collisions, mais le trafic reste parfaitement fluide. A chaque nœud du réseau, plusieurs alcôves dissimulent les silhouettes immobiles des entités dédiées au maintien de l’ordre. Plus petites que celles de l’extérieur, ces sentinelles-ci ne disposent pas d’outils tranchants, mais de plusieurs types de tube que le Doc’ suppose capable de projeter différentes choses qu’il lui serait fort désagréable de recevoir…
Peu curieux de tester cet environnement, le lanyshta préfère se concentrer sur sa tâche et s’insère dans le flot de pensées.


***
Le bon côté des esprits cartésiens à la kildarienne, c’est que le Doc’ qui connaît bien ce mode de fonctionnement n’a pas beaucoup de difficultés à analyser la façon dont les pensées se dispersent au sein du réseau d’analyse principal, et à anticiper les moments de creux, les zones d’ombre temporaires, qui lui permettent de progresser tandis que le trafic s’intensifie momentanément un peu plus loin, remontant jusqu’à la zone d’intégration des informations sensorielles conscientes.
A l’occasion, il faudrait songer à explorer à la recherche des zones d’intégration des informations sensorielles perçues inconsciemment - probablement dans les niveaux inférieurs de la structure - l’histoire de trouver de nouveau leviers pour modifier l’état d’esprit en passant outre les circuits de cognition consciente. Ce serait certainement plus délicat à trouver, forcément mieux caché, il faudrait sûrement commencer - par exemple - par trouver où vont les informations visuelles qui ont été considérées comme non-pertinentes... mais ça pourrait s’avérer utile et surtout bien plus simple que les acrobaties psychiques auquel le lanyshta débutant en manipulation mentale est contraint pour l’instant. En l’état actuel, le plus sûr reste de s’en tenir aux processus conscients…
***

Cette partie de l’esprit d’ Ysstin fonctionne comme une gare de triage : les pensées, formées par l’intégration des informations sensorielles et leur confrontation à la mémoire, sont ensuite envoyées vers des centres secondaires où elles mettront en branle des processus de déduction qui seront ensuite stockés pour renforcer les mémoires associées et/ou réinsérés dans les boucles cognitives pour être confrontés à d’autres informations, former de nouvelles pensées, ad vitam eternam…
L’endroit d’où viennent les informations sensorielles ressemble à une immense fontaine d’où jaillissent les bulles de pensées par vagues, projetées dans ce réseau de triage. Etant donné que la krolanne est en train de lire, Helhar’sen se contente alors de suivre le flot principal, qui ne tarde pas à le mener à destination, un chiasme particulièrement actif dédié à une interface d’analyse d’images spécialisée dans la sémantique.
A cet endroit, les bulles de pensées sont comparées aux mémoires-modèles préexistantes pour déterminer si elles sont en accord ou non, ce qui détermine leur interprétation. Les modèles défilent et le plus ressemblant fusionne avec la pensée pour l’identifier…

Il ne reste plus au lanyshta qu’à rester tapis dans l’esprit de la Contrôleuse pour intervenir au moment adéquat.





(Agur 816)
 
Helhar'sen
Gestionnaire du Kil,
Le Doc

Kil'dara  
Le Sukra 4 Jayar 816 à 11h40
 
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Alors que l’infiltration du lanyshta peut sembler avoir duré des heures vu depuis l’intérieur, dans le continuum temporel réel l’eau a à peine eu le temps de commencer à chauffer, frémissant tout juste.
Le Doc’ coupe le feu sous la casserole et y jette une boule à thé contenant une bonne pincée de feuilles de thé. Se rappelant de la grimace mal dissimulée lors de la première visite de Naoko quand il lui a servi un thé trop infusé, il prend cette fois soin de servir les tasses avant que l’eau ne vire au brun opaque…

Quand le lanyshta redescend au rez-de-chaussée pour rejoindre la Contrôleuse, il apporte également un dossier coincé sous son bras.
***

- Votre thé, et mes rapports d’étude de l’année dernière. dit-il en déposant les deux sur le bureau. Je vous avoue que j’ai surtout été très occupé par mon activité médicale l’année dernière, il faudrait vraiment que j’embauche un assistant... Donc à part une étude menée en Jolantir, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de poursuivre mes projets de recherche l’année dernière.

***
Voilà, l’hameçon est lancé. Et la Contrôleuse y mord directement en délaissant ce qu’elle lisait pour ouvrir le dossier qu’Helhar’sen vient de lui donner.
Or il s’agit de son étude de l’embryon de frobekh, qui a eu lieu fin Jangur 816…
***

Dès l’instant où le lanyshta a parlé de Jolantir 815, le chiasme d’analyse sémantique a appelé son modèle pour la recherche de ces mots-clefs, prêt à comparer aux dates qu’elle verrait dans le document. Dans l’esprit de la krolanne, Jolantir est une bulle orangée d’où émane une douce chaleur, tandis que l’année 815 est représentée par un lien vers les mémoires de l’année passée.
Quand elle lit enfin "Jangur 816", la pensée qui arrive ressemble plus à un bloc gris, froid et humide aux arêtes aiguisées. Normalement, le modèle "Jolantir 815" devrait céder la place au modèle "Jangur 816", mais c’est précisément là que le lanyshta intervient, il immobilise le premier sans laisser de place au second. L’esprit de la krolanne ayant été amorcé pour s’attendre à lire "Jolantir 815", le chiasme est leurré et croit que le modèle en place est celui qui identifie au mieux les mots lus… et il opère la fusion avant de passer au traitement de la bulle de pensée suivante.

Il suffit ensuite de répéter la manœuvre à chaque fois que le regard de la Contrôleuse relit les dates figurant dans le dossier. De façon intéressante, le processus devient de plus en plus facile à chaque fois : en insistant, il se pourrait que la manipulation persiste…


***
Ysstin feuillète le document, et son visage laisse peu à peu entrevoir un mélange de surprise et de mécontentement.
***

- Une vivisection de frobekh in ovo? finit-elle par demander en refermant le dossier. Il va falloir m’expliquer en quoi étudier les stades embryonnaires de ces créatures pourrait apporter quoi que ce soit au CBEK… Au CEFS à la rigueur, mais là j’ai du mal à voir le rapport.

***
Si ce n’est que ça, c’est que la manœuvre a réussi, elle n’a absolument pas remarqué que le dossier était daté de Jangur 816! Le reste de la justification ne devrait donc être qu’une question de rhétorique.
Helhar’sen prend le temps de souffler sur son thé et d’en boire une gorgée avant de répondre.
***

- Et c’est précisément pour ça qu’il s’agit de recherche innovante, madame, répond-il enfin en s’efforçant de ne pas laisser transparaitre son soulagement. Voyez-vous, il se trouve que les frobekhs sont des nuisibles qu’il faut régulièrement exterminer quand ils s’établissent trop près des Sharss. Ce genre d’action nécessite du personnel qualifié, de l’équipement, ça prend du temps, de l’argent, et c’est très risqué. L’idée de fond est donc de rentabiliser ce type d’action au maximum. L’huile de Ruche se vend à un bon prix, mais les nids de frobekhs recèlent de bien d’autres choses potentiellement intéressantes.
Je ne m’étendrai pas sur tout, mais juste pour aborder la question des œufs, je vous dirais que le rationnel de base a été le constat qu’il s’agit de quelque chose qu’on trouve en abondance dans les nids de frobekhs et qu’à l’instar de la plupart des foetus on peut en tirer des extraits aux propriété nutritives, médicinales, voire cosmétiques intéressantes.


***
Il y a un léger instant de flottement avant que la Contrôleuse ne reprenne la parole, tout en prenant quelques notes sur son propre carnet.
***

- Admettons… Mais dans ce cas pourquoi ne pas avoir présenté ce projet au Conseil? Vous auriez peut-être pu débloquer des fonds...

- Ah vraiment? questionne le Doc’, clairement sceptique.

***
La menace frobekh étant marginale, il n’y aurait jamais d’industrie basée sur l’exploitation de leurs nids, et personne ne voudrait mettre des ronds dans un projet aussi excentrique. Et ça elle le sait parfaitement.
La krolanne ne répond pas tout de suite, finissant de rédiger quelques lignes avant de refermer son carnet et de le ranger dans sa serviette.
***

- Quoi qu’il en soit, à l’avenir veillez à remplir complètement votre déclaration d’activité, y compris les champs facultatif expliquant vos travaux, aussi peu prometteurs soient-ils.

***
Le lanyshta sent bien que ce n’est pas l’envie de lui chercher des poux qui manque à la Contrôleuse, et elle pourrait très bien décider de rester pour vérifier l’ensemble de ses registres en quête d’autres anomalies. Anomalies qu’elle trouverait probablement car personne n’est parfait, à commencer par lui… aussi Le Doc’ réprime-t-il une terrible envie d’attraper le sac de la Contrôleuse et de le lui faire bouffer. Tout ce qui l’intéresse c’est qu’elle sorte à présent.
***

- Je peux faire autre chose pour vous aider? demande-t-il d’une voix polie mais dénuée de toute amabilité.

- Il semble que tout soit en ordre pour cette fois. répond-elle sur le même ton que lui. Merci pour votre coopération, c’est allé vite finalement vous voyez...

***
Ce n’est que quand le lanyshta referme la porte derrière la Contrôleuse qu’il rompt le contact avec son esprit, avant de s’affaler sur une chaise avec un soupir.
Il aurait été beaucoup plus simple de juste la "laisser sur le carreau" - pour reprendre la solution d’Elyas aux krolannes gênants - cependant le Doc’ a l’intuition qu’utiliser la manipulation mentale sera une solution potentiellement bien plus efficace une fois qu’il la maîtrisera mieux.
Il y a encore du travail avant de bien maîtriser néanmoins…
***





(Agur 816)

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