La glace se fissurait inexorablement sous les pieds de la fillette, paralysée par la peur. Devant elle, ses parents observaient, impuissant, les crevasses se creusant toujours plus profondément autour d'elle. Le grondement sinistre des blocs de glace se séparant couvrait déjà leurs cris et même - elle s'en apperçu avec horreur - ses propres hurlements de terreur. Parfois, le vacarme se muait en milliers de voix, parlant toutes les langues et tenant mille discours, et la jeune fille se bouchait les oreilles de toutes ses forces - car dans chacun de ces mots, c'est une vérité indicible qui se cachait.

Déjà disparaissaient ceux qui l'avaient vu grandir, engloutis par une brume sanglante, dissipés comme un mirage. Et, dans cette seconde qui duraient une éternité, la fillette se rendit compte que leur nom même s'était évanouis dans les limbes.

* S'ils avaient jamais existé. *

Un hurlement réveilla Minuit. Il lui fallut quelque instant pour comprendre qu'il venait de sa propre gorge. Une sueur rance et glacée couvrait son corps et trempait ses vêtements, révélant le trouble de comme le sang sur les mains révèle l'assassin.

La jeune fille, encore tremblante sous le coup de l'émotion, prit une profonde inspiration, cherchant à calmer son émoi. Mais quelque part en elle, attendant sournoisement son heure, un doute non formulé alimentait son angoisse.

* Ce rêve... Ces voix... *

Un soupir, un murmure. Elle se retourna vivement, manquant de choir de la poutre qui formait tout à la fois son lit, son plancher et sa table. Rien, rien d'autre que le grouillement des rats que le printemps rendait entreprenant en contrebas, et le vent vespéral s'engouffrant dans les trous de ce qui avait été le toit de la Tour, il y a bien des éons.

* Qu'est-ce que... *

L'astre nocturne et solitaire, que d'aucuns surnommaient Minuit, frissonna doucement. Pour la première fois depuis qu'elle s'était installé dans la Tour, la peur venait l'étreindre de ses doigts poisseux. Elle aurait juré, à l'instant, entendre des voix - et pire, elle aurait juré pouvoir les comprendre, si elle faisait un effort. Mais, d'une certaine manière, elle eut la certitude que cette compréhension détruirait à jamais son minuscule univers, qu'elle avait eut tant de mal à sauver du désastre de sa vie.

* C'est la faim qui me fait délirer. Ou la fièvre - j'ai du prendre froid. Il faut bouger - oui, agir, se réchauffer et trouver à manger. Revenir aux fondamentaux. *

Elle se leva, le jambes un peu tremblantes, et d'une traction souple grimpa sur le toit. Dehors, la nuit tombant sur la ville dévoilait un spectacle rassurant: celui des toits de Kil'sin, baignés par une demie-lune clémente.

* Pas l'idéal pour la discrétion, mais ca devrait aller. *

L'ombre s'élança vers son destin.