Ses paupières semblaient aussi lourdes que des volets massifs aux gonds rouillés. Avec un effort qui mobilisa toute sa volonté, il les ouvrit et plongea subitement dans un monde rouge et palpitant. Des formes géométriques indistinctes dansaient devant lui, des formes malsaines aux contours noir orangé qui ondulaient et se penchaient sur lui. Sa tête – mais il n’avait même pas conscience d’avoir une tête- n’était qu’une boule de feu sur le point d’exploser et qui vibrait au rythme des pulsions de ce monde infernal.
Il referma les volets.
La deuxième fois qu’il ouvrit les yeux, ce fut sur un environnement plus familier, le monde rouge céda vite la place à une grisaille ténue et les formes qui dansèrent toujours un moment eurent la bonne grâce de se figer progressivement en géométrie tout aussi ordinaire qu’un mur. Sa tête le faisait encore souffrir. Il sentait l’arrière de son crâne –le supposait-il- posé sur un mur opposé.
Le mal de tête le faisait encore souffrir mais d’une manière supportable. Et comme si le monde se créait par étape, il se découvrit un corps qu’il pouvait appréhender. Des membres durs, froids, terriblement lourds, écrasés sur une surface toute aussi dure et humide. Son annulaire gauche tressaillit provoquant une étrange sensation comme si d’un coup on l’enfermait tout entier dans une boite « un sac pensa-t-il » invisible qui le scindait du reste du monde. « Allez arrêtes de te balader partout, rentres la dedans et n’en sort plus ! » aurait pu dire la voix de la création.
Puis ce monde décida de créer le son. Là sur un côté. Il se força à tourner la tête, sentit ses articulations souffrir et bouger dans ses emplacements avec des petits déclics secs tel une machine mal huilée.
Un espace noir strié de raies de lumière blanche magnifique vint l’accueillir et lui barrer le son. Sa vision s’ajusta sur des planches mal posées et souvent déclouées puis en même temps qu’il sentit une odeur pestilentielle le cueillir ; lui provoquant la nausée ; il vit à travers les planches. Il est dans une ruelle qui débouche sur une rue. Une rue passante. Il ne voit que les pieds chaussés ou les plis des robes qui virevoltent mais il comprend qu’il s’agit d’une rue passante. Il devine son activité à travers les gens qui s’interpellent gentiment – mais aussi moins gentiment-, au clopinement des bêtes d’attelage sur les pavés et les cris d’animaux que l’on peut retrouver sur les marchés. Il est quelque part dans une ville. « Kil’dé » lui vint à l’esprit puis l’idée s’envola. Les planches forment une caisse dont il ne souhaite pas savoir le contenu.
Il ramena la tête face au mur. Il se sentait mieux et reprenait ses esprits.
Il allait se contracter dans une tentative pour redresser son corps quand il les entendit.
Il entendait les voix dans sa tête.
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