Mieux valait toujours prévoir un coup à l'avance.
Et, lorsque c'était possible, une catégorie supérieure de dénombrabilité de coups à l'avance.
Idéalement, une chiée.

Et là, quel était le coup final ?
Une fichue opération d'élimination des Krynänns sur les Remparts, pour le bien de laquelle sa précédente observation avait était peu fructueuse.

Puis était venu Klem, ou plutôt "Klem", dans la mesure où il était probable qu'il leur mentait sur une partie plus ou moins importante.
Elle avait exposé plusieurs pistes possibles au Cynique.
L'adolescent pouvait ne pas être son fils,mais un prisonnier échappé.
Ou le fils d'un rival. Dans tout les cas, nous serions les chasseurs.

Il pouvait aussi vouloir l'éliminer sans attirer l'attention sur lui, cachant des informations qui rendrait l'affrontement inévitable ou soumis à erreurs. Si un descriptif précis de l'adolescent n'était pas fourni, il fallait envisager sérieusement la recherche volontaire de bavure.

Il était aussi possible que cet adolescent n'existe pas. Pourquoi, alors, lancer les Lanyshstas à sa traque ?
Pour un piège. Qui se déclinait en deux grandes familles.
Dans la première, l'adolescent potentiel, ou les néo-Lanyshstas, étaient l'appât. "Klem" se livrait à une gigantesque mascarade, dans le seul but d'être observé, écouté par un autre Lanyshsta, sans doute le propriétaire de l'Oeil. Celui-ci sortirait de son antre et Klem lui sauterait dessus.
La seconde était plus problématique. Elle s'appuyait sur le fait que nombre de néo-Lanyshstas seraient en dehors des Sharss, regroupés à des endroits pré-définis. Le statut d'extérieur éliminait la possibilité d'une dénonciation massive aux autorités des Sharss (ce qui était presque dommage : cela aurait pu permettre de voir ce qui faisait office d'autorité dans le Kil'sin, aux yeux de "Klem" ).
Par contre, ce serait l'occasion idéale pour un groupement de Lanyshstas anciens d'exterminer des néo-Lanyshstas -que ce soit par instinct de survie, préférant qu'on les oublie en exterminant eux-même les plus faibles, ou encore un test brutal, à moins que ce ne soit simplement par envie.
Il faudrait attentivement étudier l'attitude de "Klem". S'il changeait d'avis sur une éventuelle récompense, et proposait des choses plus intéressantes, sans aller jusqu'à l'absurdité de promettre monts et merveilles, c'est qu'il désirait sans doute assurer sa couverture tout en maximisant le nombre de Lanyshstas de sortie.

Mais quelque soit l'objectif final, encore impossible à déterminer, il était presque sûr que "Klem" tentait de les manipuler.

Ce qui ne change pas grand chose.

En effet, que faire ?
Outre les suppositions, il y avait les faits. Et les faits, c'est qu'il semblait en savoir long, ou du moins plus long qu'eux.
Jade avait vis à vis de l'information une attitude semblable à celle que d'autres adoptaient vis à vis de l'argent ou de la taille du pénis : il était important d'être la mieux lotie.

Tourner le dos à "Klem" ? Hors de question. Toute interaction avec lui engendrerait des bribes d'information, aussi indignes de confiance soient-elles. Sans compter la possibilité qu'il ait un fond honnête. Même un échec de la mission pouvait être profitable, si la collaboration durait assez longtemps.
Et dans le meilleur des cas, s'il s'agissait d'une manipulation subtile... La comprendre pourrait permettre d'avoir la possibilité de la retourner contre son auteur et de s'en servir comme d'un moyen de pression afin d'en extraire plus d'informations.

D'où collaboration.

Jade avait déjà prévu une petite opération de repérage, avec les Comités de Vigilance, avant la sortie à la recherche des Krynänns qui perturbaient les échanges aux Remparts.
Elle avait également proposé, publiquement -ou du moins, publiquement au sens télépathique du terme- de lancer une phase préparatoire à cette très officielle opération, en se basant cette fois-ci sur du personnel volontaire aux compétences multiples.
Comprendre tout Lanyshsta qui voudrait sortir sans que ses voisins se demandent aussitôt "tu faisais quoi dehors ?"
Nulle intention de le crier sur les toits, mais un petit papier préparé préalablement qu'on pourrait sortir en cas de besoin... Était toujours utile.

Ce qui laissait la dernière partie. Ses deux prochaines sorties se feraient en groupe.
Pour préparer celle des Lanyshstas et éviter qu'ils ne tombent dans un piège trop grossier, Jade était donc sortie, seule.

Ils n'avaient pas encore les localisations possibles. Délicat, donc, de faire quoique ce soit. Mais maintenant qu'elle était de sortie, tenter de repérer les petits groupes de Krynänns, voir si quelque chose leur avait fait changer leurs habitudes, cela était faisable.

Et puis, à la réflexion, elle n'était pas vraiment seule. Son fusil l'accompagnait. Et cette fois-ci, elle ne s'était pas encombrée de ces stupides têtes plates.

 
J'étais encore pieuté lorsque la pensée d'un appel à l'expédition me passa entre deux neurones.
Habituellement, l'idée d'aller s'aventurer au delà des remparts m'aurait parue saugrenue. Mais j'avais changé. Et j'avais soif, de connaissance, d'expériences.
De quoi étais-je capable?

J'ignorais encore tout des capacités qu'impliquait ce nouvel état. outre ma peau désormais décolorée, je ne faisais que fantasmer sur des racontars de gaillards avinés.
Il s'agissait d'atteindre un nouveau stade dans l'art du spectacle. La manipulation de la chance par le contrôle de l'esprit. Un sujet fort passionnant. Quelles en étaient les limites?

Pour se faire, je devais m'efforcer de me rendre appréciable, utile diraient certains. De croire en la cause commune.

Celle qui semblait être Jade, du comité de Vigilance, paraissait tout aussi curieuse que moi. Une alliée de choix si l'on pouvait la considérer comme l'une des ancienne parmi les jeunes éveillés.
Je tirais mon tranquiliseur de son coffret. Cellules énergétiques : ok. Gâchette.... Je l'actionnais en direction d'un rat fort peu audacieux. Il tomba raide...mort ou paralysé. Qu'importe, la gâchette et son mécanisme fonctionnaient.

Un porte bonheur, évidement.
J'ajustait mon costume. De noir et de blanc pour l'occasion. Un veston sur le dessus, pour la discrétion...relative. Je décidais également d'emmener avec moi quelques herbes à mâcher. La fumée en terrain hostile ne paraissait pas adaptée. A défaut de disposer d'artifices réellement efficient, je gavais mes poches de boules étincelantes, à fumée ou malodorantes. Sait-on jamais. Un bon pet peut parfois faire son effet.

Puis, le cul posé sur le parquet, face à la porte de l'atelier-chambre à coucher, j'attendais.

 
Elle était sortie dans la zone donnant vers le Kil'dé. Globalement.
"Klem" avait vaguement mentionné deux lieux : un fortin abandonné et une zone d'habitation abandonnée. Rien dans la zone ne ressemblait à la première possibilité, quant à la seconde... Elle s'étendait à peu près partout. De toutes façons, sans description de l'adolescent, elle ne pourrait même pas le ramener si par miracle elle tombait nez à nez dessus.

Non, elle ne pouvait se contenter que de voir les éventuelles évolutions récentes. Comme elle lavait dit à Rhôz, on avait tendance à appeler indifféremment "Krynänn" ou "rebelle des Portes" deux groupes excessivement proches sur la forme, mais fortement opposés sur le fond.

Les parias de toutes sortes, les épris de libertés, les criminels, les aventuriers, sortaient de la protection des Sharss.
Leur principale préoccupation devenait alors généralement l'eau potable, ce qui expliquait qu'ils se rassemblent le long des Aqueducs, afin d'y poser de petits dérivateurs. Ce n'était que des rebelles au sens où les Sharss représentaient une forme quelconque d'autorité. Ils étaient relativement mobiles, les Sharss n'aimant pas avoir à ses portes dont la simple survie se basait essentiellement sur leur capacité à voler ce qu'il leur fallait, mais restaient le long d'axes précis.

Les adorateurs des Ists étaient un tout autre problème. Les Portes communiquaient entre elles, et il était probable qu'au fond, l'une d'elle débouche sur la Faille de Kil'dé et assure leur survie. Ils étaient plus sédentaires en ce sens qu'ils s'éloignaient rarement de leur Porte, mais ils en rayonnaient dans toutes les directions.
Ils étaient également mieux organisés, quoique d'une façon illogique, et poussés par un instinct n'ayant pas grand chose à voir avec celui de survie, une forme particulière de fanatisme.

"Klem" espérait que l'adolescent n'avait pas rejoint les Portes ? Il n'était pas le seul.
Quitte à être agressé par une nuée de crève-la-faim, Jade préférait largement ceux susceptibles de fuir aux premiers morts, que ceux que le sang rendrait frénétiques.
Il était plus facile de traquer un fuyard que d'éviter les coups de hache pendant qu'on rechargeait.

A part ces différences de psychologie, les deux groupes combattaient de façons équivalentes.
Mal nourris, toujours à lutter pour voir se lever demain, ils étaient généralement peu endurants. De même, quand on est prêt à se battre pour un trognon de pomme, c'est généralement qu'on a épuisé toutes les possibilités de l'obtenir de façon simple, comme le commerce. Autrement dit, pas de lourdes protections ou d'armes élaborées.

Pour autant, les miséreux n'étaient pas faibles, sans doute parce que seuls les survivants restaient, et Jade n'en aurait pas défié un seul en combat rapproché : trop rapides, trop précis, malgré leurs couteaux rouillés.
Ah, oui, la rouille. Ce n'était pas forcément le pire des problèmes. Le pire était sans doute que les Krynänns avaient eu la bonne idée, depuis quelques temps, d'imiter les cousins des Portes, et que s'ils avaient du mal à trouver à manger, ils parvenaient sans peine à extraire de diverses plantes un suc dont ils badigeonnaient leurs armes, pour des résultats divers mais rarement plaisants.

Il faudrait les maintenir à distance. Si cela ne tenait qu'à elle, chaque membre de l'expédition, pour lutter contre les Krynänns, se serait vu doté d'une arme à distance. Cas idéal, mais qui présupposait qu'ils ne rencontreraient QUE des Krynänns. Cela pouvait être le cas mais...

Mais non. Elle venait de localiser ce qu'elle aurait préféré ne pas localiser. Une simple crotte, mais qui démontrait que quelques personnes avec de lourdes machettes, prêts à intercepter violemment une boule de poils agressive, seraient indispensables.
Ils étaient là, dans le coin.

Des Frobekhs...

 
Des Frobekhs. Il faudrait avoir l'oeil.
Au même moment, un contact télépathique lui parvint. Oui, l'Oeil était arrivé au Kil'dara.
Son aide, ses conseils, avaient été sollicités, mais les Kil'dariens semblaient au moins avoir les choses bien en main. Ce qui était largement moins sûr au niveau du Kil'sin

Pour autant, l'Oeil pouvait s'inclure dans la stratégie globale. C'était peut-être une pièce de diversion, peut-être un élément central. Au fur et à mesure que les éléments se mettaient en place, Jade les livrait à son destinataire.
Elle n'aimait pas se répéter, mais par rapport à sa précédente conclusion, la vision globale s'affinait, incluant de nouveaux éléments.

Pensée :

Elle avait passé sous silence un élément, précédemment. Oui, qu'ils soient la cible ou l'appât changeait bien des choses, mais dans les deux cas, "Klem" était le chasseur.
Il fallait aussi envisager que Klem soit la cible. Ce qui pouvait donner à l'Oeil trois familles différentes d'utilité.

Pensée :

Il y avait même une possibilité encore autre. Que le créateur de l'Oeil soit un allié, qui avait lié cet objet à Klem sans que celui-ci puisse s'en débarrasser de quelque façon que ce soit, sauf en cas de don accepté. Toute cette histoire serait donc inventée à seule fin que quelqu'un demande à récupérer l'Oeil.
Tordu, certes, mais la maîtrise des pouvoirs Lanyshstas ouvrait de tels potentiels que des hypothèses de cet acabit ne pouvaient plus être systématiquement écartées.

La ligne de la narration continuait à bourgeonner, elle se muait en un arbre de probabilité dont la plupart des branches ne dépassaient pas encore le stade du bourgeon.
Avancer en parallèle sur tout les plans était impossible, elle devait prioriser ses actions.

Voyage au Kil'dara. Pour étudier l'Oeil, éventuellement tendre un piège à son créateur. Elle avait demandé à avoir un accès au Kil'dara, sur un plan administratif.
Mais avant toute chose, organiser la sortie du Kil'sin.

Quel était la forme la plus probable du piège ? Que Klem les manipule pour tendre un piège. Une action défensive était difficilement aussi travaillée, et pour un piège des néo-Lanyshstas, l'ensemble manquait de finition. Klem avait besoin de monde, d'une façon précise, sans que le nombre soit déterminant.
Donc ils jouaient les appâts...
Mais était-ce une chose qu'elle pouvait altérer ? Non, c'était le cas où il lui manquait le plus d'éléments, à commencer par la cible.
Quoique moins probable, la possibilité d'une attaque massive visant l'extermination des néo-Lanyshstas était non seulement autrement plus dangereuse, mais aussi plus aisément contrable.
Elle aussi, était capable de se ménager des diversions et des effets de manches.

Cal, j'ai trouvé ta porte d'entrée.

Un tunnel d'évacuation. Permettant la sortie, mais aussi l'entrée discrète dans le Kil.
Était-ce une bonne idée de faire une telle confiance à Cal Keran ?
Il était probable que l'astuce ne serve à rien. Si c'était le cas, elle aurait assuré la sécurité du krolanne, et sa tranquillité à elle, celui-ci pouvait être des plus ingérable. Elle n'y perdait qu'une paire de bras.
Si l'astuce s’avérait nécessaire... Cal Keran ne courrait que peu de risques. Mais il pouvait sauver la vie à toute l'expédition. Au final, ça valait le coup d'essayer.

 
On prend les mêmes et on recommence.

"Klem" s'était à nouveau manifesté, et ces paroles amenaient du changement.

Jade avait du rentrer en ville, pour retourner vers la zone des Remparts qu'elle avait précédemment visité.
Car l'expédition du Kil'sin se séparerait en deux, l'une à destination de la place, l'autre vers le fortin.
L'une vers le Kil'dara, l'autre vers le Kil'dé.

L'adolescent, issu du Kil'dé, était probablement au plus proche du Kil'dé. Pourtant, Jade avait opté pour le Kil'dara. Pour une raison simple.
L'adolescent n'existait pas !
Du moins pas en tant que fils rebelle de Klem.
Elle avait demandé une description précise, avait insisté, et au final, avait obtenu plus que ce qu'elle pouvait espérer.

Vous le reconnaitrez aisément, c'est moi en plus jeune, aucun doute possible !

Quel adolescent ressemblait à ce point à son père qu'il pouvait se faire l'économie d'une description complète pouvant lui sauver la vie ? Ce qui laissait une infinité de variations sur un thème de trois grands axes.
- L'adolescent n'existait pas, tout simplement.
- L'adolescent existait, mais sa survie n'avait aucune valeur réelle aux yeux de "Klem". Il n'avait d'ailleurs pas répondu à cette question. Qu'il essaye de le faire éliminer "par accident" ou que ce ne soit qu'un appât sacrifiable n'avait que peu d'importance.
- L'adolescent existait, et était le portrait craché de son... Créateur. Jade savait renforcer les capacités des matériaux, les Lanyshstas anciens (ou au moins un) savaient fabriquer l'Oeil. Base identique, degrés différents. Jade avait créé Nicodron... Pourquoi Klem n'aurait-il pas créé un être à son image ?

Dans tout les cas, l'adolescent n'était pas important.
Ce qui était important, c'était qu'ils sortent à sa recherche, qu'ils s'agitent, qu'ils occupent l'espace.

Renforcement de la probabilité de piège dont nous serions la cible.

La probabilité que les néo-Lanyshstas servent de ligne de défense s'amenuisait. Donc Klem était le chasseur...
Que les nouveaux éveillés soient les appâts ou les cibles, ils subiraient certainement une attaque de Lanyshstas.

Seuls deux lieux évidents, mais pas moins de cinq attaques possibles.
L'expédition du Kil'dé. Celle du Kil'dara. Celle du Kil'sin à destination du Kil'dé. Celle du Kil'sin à destination du Kil'dara.
L'Oeil...

Du point de vue de Jade, plus il y aurait de survivants, mieux ce serait, mais s'il fallait sacrifier les trois premiers points pour assurer la sécurité des deux autres, ce serait toujours ça de pris.

Pour l'Oeil, elle ne pouvait pas faire grand chose à part avoir confiance en l'esprit analytique des Kil'dariens. Ils retarderaient l'échéance au mieux tandis que elle-même se servirait de l'expédition vers le fortin pour ne plus avoir qu'une réorientation de retour à faire.
Pour la survie de sa propre expédition, le principe retenu était simple : se rendre indigeste.

Et compter sur la discrétion constante d'un extravagant instable.

C'était malheureusement la meilleure, ou du moins la moins pire des solutions. Elle espérait avoir été claire lorsqu'elle le lui avait expliqué.

Pensée :

Si besoin est, elle lui laisserait l'accès à son petit appartement. Pas qu'elle ait grande chose à voler...
Mais sa discrétion était indispensable.

Au final, le plus délicat serait peut-être de pouvoir rerentrer discrètement.
Jade avait sonné le rassemblement pour le soir, lorsque les ténèbres permettraient à Cal de s'éclipser, mais c'était une zone de l'Extérieur qu'elle connaissait moins bien que le quartier abandonné.
Elle n'avait plus le temps de faire une sortie de préparation pour retrouver un point d'entrée, il lui faudrait se débrouiller seul.

Elle, elle devait passer prendre des provisions, et notamment des gourdes d'eau pour un trajet complet. Idéalement quelques feuilles de Mûghanne, pour les cas d'urgence, si elle parvenait à en trouver.
Et peut-être aurait-elle le temps de finir son expérimentation sur l'armure de cuir qu'elle... Enchantait ?
Oui, si le terme n'était pas familier, il collait assez bien, en fin de compte...

 
Jade avait visiblement prit les choses en main. Elle aimait ça, la coquine. Une fausse impression de maîtrise, de pouvoir. De mon côté, je continuais de jouer le rôle du suiveur épaté, simplet. Mieux valait ne pas trop en dire sur mon désir très personnel d'exploitation de mes nouvelles capacités télépathiques.
Ce Klem en savait plus que ce qu'il n'y laissait paraître, c'était évident. Mais là encore, il fallait endormir sa vigilance, penser pour soi, dans l'ombre et se prémunir d'un éventuel piège.

Je ne connaissais pas vraiment l'extérieur. Inquiétant. Il fallait bien qu'il y ait un accroc. Une anomalie potentielle. Ainsi, suite au plan d'organisation fixé par Jade et approuvé en silence par tous, je décidais de rejoindre la Vigilante. Elle s'était vantée de connaitre les environs, d'y avoir effectué des expéditions. Je serais en sécurité à ses côtés. Du moins, je l'espérais.

J'ignorais encore de quelle manière la considérer. Était-elle vraiment une "machine" à analyser et récolter l'information? Si tel était le cas, il serait aisé de la manipuler, elle et son Eclipse. Cependant, quelque chose me disait qu'il y avait plus. Que derrière cette façade mécanique se cachait un esprit vivant, ambitieux.
Quoiqu'il en soit, elle était encore jeune. Sa soif d'exposition et de contrôle la perdrait peut-être.

D'une brève pensée, je la contactais pour lui signaler ma venue vers les remparts, au crépuscule. Il me faudrait quitter les Estaminets plus tôt, avant que la foule ne se précipite dans les tavernes. Le cas échéant, je risquais de me retrouvé entraîné dans un spectacle non désiré. Je les entendais déjà, ces simplets avinés : "Eh l'Arlequin, vient donc nous faire une galipette. Et des pétards ! Ah ouai ouai ! Des pétards !". Le pétard, c'était dans leur cul terreux que je le carrerais.

Dans un petit sac à double brettelles, j'amassais trois gourdes d'eau, quelques morceaux de viande séchée ainsi qu'un peu d'herbe, une pipe et un petit carnet. Comme à mon habitude, je conservais mon briquet dans une poche et divers artifices dans les manches. J'étais une sorte de bombe humaine. Rien de dangereux là dedans.
Enfin, je vérifiais une nouvelle fois que le tranquiliseur était toujours à ma ceinture, le cran de sûreté en place. L'idée de me faire paralyser une valseuse en pleine fuite m'apparaissait, bien que très drôle avec le recul, fort handicapante dans le feu de l'action. A utiliser lors d'un futur gag, assurément.

L'après midi battait son plein.
Je descendis l'escalier d'acier, de bois et de pierre et me dirigeais directement vers la petite cabane où Mi-main et ses comparses passaient la plupart de leurs journées. Sans surprise, je me trouvais nez à nez avec le gamin aux boucles brunes. Je le fixais sans ciller. Il me rendit ce regard. Nous nous connaissions depuis ses sept ou huit ans. Un bon garçon, dégourdis, inventif, discret.
Tout en lui tendant un jeu de clés, je lui glissais à mi-voix :

Nous devons filer régler une affaire pour Bragg autour des remparts. Réception de marchandise très spéciale. Nous nous comprenons n'est-ce pas? Il acquiesça d'un geste de tête. Nous ignorons combien de temps les...négociations vont durer. Nous te laissons donc nos appartements. A toi seul. Arrange toi pour l'occuper autant de temps qu'il le faudra. Restaure toi, travaille sur des dispositifs si cela te chante mais ne quitte pas l'appartement tant que nous ne sommes pas rentrés.

Un alibi. Au cas où.

Si quelqu'un nous demande, réponds leur que nous réfléchissons à de nouveaux artifices et que nous ne souhaitons pas être dérangé. Qu'il en dépend du divertissement du Kil'sin.

A nouveau, le gamin hocha la tête.
Il se saisit des clés. Un petit sourire illumina son visage.

Mi-mains : Merci, monsieur Elyas, murmura t'il.

Il ne me trahirait pas.
Malgré tout ce que l'on pouvait dire, j'étais pour lui ce qui se rapprochait le plus d'un tuteur. Je lui fournissait suffisamment de nourritures pour survivre voir même s'engraisser. Il disposait également de mon enseignement en matière d'explosifs et d'arts de la scène. Parfois, je lui reversais une pierre ou deux, de quoi s'acheter une bière ou un peu de tabac. Mais surtout, à mes côtés, il disposait d'un toit. Pour un gosse des rues, ça n'avait pas de prix.
Sans demander son reste, il s'éclipsa à travers les escaliers menant à l'appartement.

Ma première assurance était mise en place. Il ne me restait plus qu'à rester en vie... Ah ah. La belle affaire.
L'air de rien, le sac en partie caché par mon pardessus grisâtre, je filais en direction des remparts, évitant soigneusement les grandes avenues des Estaminets.

J'arrivais à proximité des portes en fin d'après midi. Le soleil prenait cette lueur orangée. La chaleur envahissait mon visage immaculé. Jamais je ne retrouverais ce ton halé qui luisait devant l'astre... Jamais. C'était le prix à payer de l'évolution.
J'envoyais une pensée à l'intention de Jade, ne sachant pas quel autre Voix viendrait se joindre à nous.
Tapis dans l'ombre, à l'abris des regards de la garde, j'attendais, encore.

===> Les tours & détours, Farandoles, Le laid atterrissage du Sin'dara