Un très joli gourdin, au bois plein de nœuds et d’histoires. Mais les nœuds au réveil, point pour moi. Dans un glapissement du plus bel effet, à mi-chemin entre la pucelle effarouchée et la perdrix qui apprend à nager, je roule vers la gauche et, dans un choc sonore, tombe du lit tandis qu’un gourdin lancé à pleine vitesse par ce qui semble être un homme fort marri, voir un mari, assassine violemment un oreiller, projetant mille et une plumes dans la chambre avant de se retourner vers moi dans l’objectif apparemment assez clair de voler dans les miennes.
Je me lève d’un bond et me rends compte que je suis nu comme un ver, métaphore malheureuse quand on est dans son habit de naissance, je vous le concède.
Nu comme un ver donc. Et un homme tient un gourdin, malheureuse métaphore à nouveau, et me regarde d’un air peu amène. D’un œil au lit, je pense déceler la cause du délit dans les traits fort avenants d’une jolie blonde. Bon, certes, le cri strident qu’elle laisse échapper en ramenant draps, oreillers et membres de son frêle corps contre elle ne rendent point hommage au délicat faciès que j’embrassais cette nuit.
Sentant, donc, que l’origine de cette affreuse méprise réside parmi les draps, je m’adresse au galant homme gourdiné tout en cherchant du pied mon pantalon, probablement négligemment jeté à même le sol hier soir…
- «
Cher ami, ce n’est pas-du-tout ce que vous croyez, dis-je, en appuyant bien sur le «
pas du tout ».
Pour toute réponse, le gourdin effectue une nouvelle envolée au milieu des plumes qui retombent sur la scène comme une neige hivernale indolente. Je me baisse précipitamment, ce qui me permet de retrouver mon pantalon. D’un bond gracieux sur le côté, tenant plus du crapaud paraplégique que du gentilhomme, je tente d’enfiler une jambe tout en cherchant du regard mes bottes, ma chemise et mes bretelles.
- «
Voyez-vous, les apparences peuvent parfois être très… »
Nouveau coup de gourdin qui manque d’écraser mes orteils, que j’ai fort mignons et surtout fort utiles. Je bondis dans un léger glapissement purement reptilien et bute sur une botte, manquant de m’effondrer sur le parquet en me tordant la cheville. J’en profite pour la récupérer. La botte, pas la cheville.
- «
… trompeuses ! », finis-je.
Ne l’entendant pas de cette oreille, ni de l’autre d’ailleurs, l’homme bondit sur moi et abat son gourdin, pas de remarque vous ai-je dit, fracassant le bureau devant lequel je me trouvais un instant plus tôt. Me jetant sous ses bras vengeurs, je me retrouve à quatre pattes, technique militaire trop peu connue. Ah, je retrouve une autre botte. Le compte devrait être bon. Si je ne m’abuse.
DROITE !
Quelque chose éclot dans ma tête avec violence. Une injonction impérieuse. Je n’ai pas même le temps de comprendre ce qu’elle est que mon corps réagit à l’instant et se jette sur le côté. Le parquet où je me trouvais élégamment en train de me vêtir tant bien que mal un instant plus tôt éclate en échardes de bois lorsque le gourdin s’abat avec violence.
Je me relève d’un bond, en sautant dans mes bottes. Une astuce que m’a appris un saltimbanque de passage, coutumier lui aussi des échappés drapesques matinales.
- «
Sachez donc, cher monsieur, que je n’ai pas couché avec votre femme ! »
Un grognement teinté d’un rugissement éructe hors de la poitrine du gaillard dont le coffre, fort imposant, permet un cri impressionnant. Il recommence à mouliner vers moi de son gourdin. Silence sur les remarques ai-je dit !
- «
Il s’agit là d’une redoutable méprise ! Je puis vous assurer que votre femme…
-
Papa ! Ne lui fais pas de mal ! Arrête !
- … que votre fille donc, n’a absolument rien eu à craindre de ma part. »
Je note dans un coin de ma tête que je n’avais encore jamais connu le père furieux. Le mari marri, oui mais le père qui vitupère, jamais.
Courant d’air.
Je note par la même occasion que la fenêtre de la chambre de la jeune femme est ouverte et semble donner sur les toits.
Nouveau tourbillon gourdinesque de notre père sévère, qui insiste lourdement.
- «
Cher monsieur, il semble que nous soyons en désaccords profonds sur ma présence dans la chambre de votre fille Soléa…
- Méranda ! s’écrie celle-ci.
- … de votre fille Méranda, me reprends-je. Il convient donc, pour l’heure, de vous tirer ma révérence… »
Ce que je fais vivement, non pas pour joindre à la parole, le geste mais bien pour éviter un nouveau coup de gourdin.
Me relevant, je bondis sur la table, saisit ma chemise qui traîne sur le dossier de la chaise et saute par la fenêtre, priant de tout cœur que le toit ne soit pas trop pentu.
Il l’est.