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Nouvelle Perlespective
 
Perle Glennsapi
Assistant au Transfert d’Idée,
Electromagnétologue

Kil'dara  
Le Julung 5 Nohanur 815 à 14h56
 
Un craquement assourdissant résonna dans les locaux. C'était le résultat de l'activation du générateur arclectrique par les magnétologues de retour au travail ce matin. Ce bruit retentissant accompagné du chuintement des conduites à vapeur et du vrombissement mécanique des machines que l'on remettait en marche ne suffit pourtant pas à réveiller la krolanne assoupie.

Un léger gémissement s'échappa de ses lèvres et elle remua faiblement sur sa couchette. Mais pendant quelques minutes encore elle ne fit que dormir en respirant paisiblement.
Et puis, brusquement, elle ouvrit grand les yeux. A la manière d'un plongeur venant de frôler la noyade, elle se redressa en aspirant goulûment une grande bouffée d'air. Haletante et échevelée, elle s'assit lentement au bord de son lit et y resta immobile un moment le temps de reprendre à la fois sa respiration et ses esprits.

C'était fou comme une existence pouvait complètement basculer en quelques instants à peine. La veille, Perle était une simple -quoique brillante- krolanne vouée à l'étude de la magnétologie et maintenant au réveil elle était... Quoi ?

Lanishsta.

Cette certitude était profondément ancrée en elle depuis qu'elle avait ouvert les yeux. Elle n'avait aucune idée du pourquoi mais elle le savait. Et cette simple certitude en elle même était profondément déroutante. Pour l'instant les conséquences qu'auraient cette nouvelle condition passaient au second plan face à l'incongruité de cette certitude.
Perle n'était pas intuitive. Elle ne se fiait pas à de simples "ressentis". Pour accepter quelque chose comme étant vrai il lui fallait des faits, des observations et des preuves. Une fois passée par le crible rigoureux de son analyse et alors seulement, une information était jugée vraie, fausse ou impossible à déterminer avec certitude pour le moment.
Et pourtant.
Pourtant elle savait qu'elle était désormais une lanishsta. Aussi étrangère que soit cette sensation pour elle, elle en avait l'intime conviction. Ce qui rien qu'en soit prouvait que quelque chose de primordial clochait en elle. Elle avait été fondamentalement altérée et cette idée la terrifiait.

Bien évidemment l'hypothèse de la démence (probablement l'une de ses plus grandes peurs) ou d'une altération de ses processus mentaux dû à une contamination quelconque lui vint à l'esprit. Cela expliquerait d'ailleurs l'étrange lassitude qu'elle ressentait depuis qu'elle s'était réveillée. De plus elle avait l'impression que son esprit était inexplicablement... léthargique. L'empoisonnement pourrait expliquer cela.
Mais elle n'y croyait pas. Elle croyait dur comme fer être devenue une lanishsta et encore une fois cette croyance irraisonnée venue de nulle part l'irrita profondément.

Elle avait une folle envie de crier. Un grand hurlement où elle verserait sa peur et sa colère d'avoir été intimement altérée.
Elle n'en fit rien.
Peut-être s'y serait-elle laissée aller si elle avait été seule et sûre de ne pas être entendue : cela aurait pu avoir un effet cathartique bienvenu. Mais en l'occurrence elle ameuterait surtout tout ses collègues à proximité ce qui ne ferait qu'empirer sa situation.

La panique n'arrangera pas les choses.

Elle s'accorda le temps de calmer le tumulte de ses pensées et de ses émotions en se concentrant uniquement sur sa respiration. Elle ferma les yeux.
Inspirer.
Expirer.
Faire le vide.
Inspirer.
Expirer.



C'est à ce moment là qu'elles les entendit.
Les voix.
Où plutôt c'est là qu'elle prit conscience de leur présence, car elle réalisa rapidement que le brouhaha qu'elle percevait à présent était là depuis son réveil, en bruit de fond, couvert par le vacarme de ses propres pensées et émotions. Maintenant qu'elle avait reprit son empire sur elle-même, la présence multiple et étrangère était immanquable.
C'était à la fois distant et proche, extérieur et intérieur. Perle réalisa vite qu'elle "n'entendait" pas réellement tout ceci. Cette constatation fut rapidement vérifiée : bouger la tête ou couvrir ses oreilles de ses mains n'avaient absolument aucun impact sur l'intensité du "bruit" (faute d'un meilleur terme pour décrire ce phénomène). Par contre elle avait l'impression d'être quasiment sur le point de parvenir à discerner des propos compréhensibles en focalisant son attention. C'était un peu comme si elle se trouvait derrière la porte d'une pièce remplie d'une foule en pleine discussion, l'oreille collée à la porte et la main sur la poignée. Encore un petit effort et elle pensait pouvoir l'ouvrir.
Un phénomène qui allait nécessiter son attention...
Mais chaque chose en son temps.


Elle se releva. La disparition de son poids du lit enclencha un mécanisme qui rétracta la couchette dans le mur à grands renforts de grincements et de cliquetis. Puis de nombreux panneaux du mur et éléments du lit pivotèrent et s'imbriquèrent pour former une bibliothèque fort garnie qui vint impeccablement se loger au millimètre près entre la table à dessin et une seconde bibliothèque.
La pièce était avant tout le bureau de Perle dans le département de magnétologie. Mais elle y avait fait quelques ajustements ingénieux afin d'optimiser l'emploi de son temps. Le lit-bibliothèque était ainsi très loin d'être le seul meuble multi-fonctions des lieux. Le local pouvait au besoin offrir en gros le confort d'une chambre de bonne. De cette façon elle pouvait occasionnellement y passer la nuit et ainsi économiser le temps d'un aller retour à son domicile lorsqu'elle souhaitait passer d'avantage de temps sur son travail.

Tout d'abord, il était clair qu'elle allait avoir besoin de temps pour faire le point sur son nouvel état. Elle allait donc commencer par se faire porter pâle pour aujourd'hui. En la circonstance, c'était après tout doublement vrai. Tout d'abord parce que quelque soit le phénomène qui l'avait altérée, celui-ci l'avait laissée passablement affaiblie. Elle se sentait épuisée, tremblante et ses idées étaient comme brouillées.
Ensuite parce qu'elle était littéralement toujours pâle, sa peau ayant une teinte naturelle blanc nacré...


Quelques minutes plus tard, Perle avait fait un bref brin de toilette (en profitant pour vérifier qu'aucune altération physique visible n'avait accompagné son changement), s'était changée et avait fait passer le mot parmi ses collègues qu'elle ne se sentait pas très bien (ce qui était par ailleurs tout à fait vrai) en passant bien évidemment sous silence la cause de son indisposition.

De retour dans son bureau, Perle put reprendre sa petite séance d'introspection. Le plus urgent était de comprendre le phénomène psychique qui l'affectait. Bien que le grand nombre de variables inconnues ne lui permette pas d'en avoir une certitude absolue, elle estimait que son changement ne la mettrait pas en danger dans l'avenir immédiat. L'étude des conséquences de son nouvel état sur son avenir à proche, moyen et long terme viendrait donc après qu'elle ait rassemblé le maximum de données.

Elle fit quelques petit réglages à sa montre, la posa devant elle et ferma les yeux.
Son esprit se focalisa à nouveau sur les "présences" dans son esprit. Et encore une fois elle se retrouva derrière la porte métaphorique la séparant du hall des "voix". Cette fois elle poussa plus loin.

« ...i quelqu'un m'entend, qu'il rép/QU'UN? C'EST QUOI CE QUI/mnée à être télépathe et à vivre avec ce fl/couteau entre les omoplates pour vous cho/J'ai un pote qu'à d'gauché genre une bre/ne communiquons pas, nous disparaîtrons./tous accès à ces "pouvoirs"... »


*Digueding digueding dong*
La montre sonnait. Trente secondes s'étaient donc écoulées. Perle se retira.

Fascinant. Tout simplement fascinant. Les perspectives entraperçues pendant ce court instant excitaient son imagination.
La montre avait été une sécurité, une ancre prévue pour la rappeler à la réalité par un stimuli sonore au cas où l'immersion dans des pensées étrangères altèreraient sa propre conscience. Mais cela ne semblait à première vue pas une expérience dangereuse pour elle. Elle continuerait néanmoins à l'utiliser par prudence en prévoyant des "explorations" de plus en plus longue dans un premier temps. On ne savait jamais.
C'était à priori des pensées qu'elle percevait. Elle avait peu de doutes là dessus. De qui provenaient-elles ? Des gens à proximité ? D'autres Lanishstas ? Seule une plus longue "écoute" pourrait le lui apprendre. Sa première tentative avait été maladroite. Elle s'était immergée dans le "flux" en ouvrant toutes ses perceptions mais à l'évidence pour pouvoir discerner quelque chose de cohérent il lui faudrait se concentrer d'avantage, parvenir à faire le tri et se concentrer sur un fil de pensée à la fois.
C'était faisable.

Elle replongea dans ce qu'elle apprendrait rapidement à nommer l'Entrelac. Et y passa ainsi de longues heures. Simple observatrice, elle restait prudemment en retrait en se contentant d'écouter. Pour l'instant, tout en perfectionnant sa maîtrise de ce nouveau sens, elle cherchait simplement à recueillir un maximum d'informations pour pouvoir évaluer sa nouvelle situation. Le savoir était ce qu'il y avait d'essentiel et pour le moment elle se gardait bien d'émettre elle-même. Se faire connaître sans prendre de précautions pourrait fort bien équivaloir à un suicide. Surtout au Kil'dara.
Il serait toujours temps de prendre contact plus tard.



 
Perle Glennsapi
Assistant au Transfert d’Idée,
Electromagnétologue

Kil'dara  
Le Vayang 6 Nohanur 815 à 19h23
 
Pour la énième fois, Perle regretta de ne pas pouvoir se permettre de prendre des notes écrites (trop dangereux, trop compromettant). En si peu de temps elle avait découvert tellement de choses juste en explorant ce nouveau terrain de jeu qu'étaient les Entrelacs. L'infusion ! La magie ! L'immortalité ! Une guerre à venir ! Un mystérieux ennemi inconnu des krolannes ! La Voix de Cendre ! Et pour toutes ses découvertes, tellement davantage de nouvelle questions...
C'était comme si elle avait vécu toute sa vie assise côté public de la salle de théâtre de la réalité et que soudainement, on lui ouvrait la porte des coulisses de l'univers.
Vertigineux.

Il y avait tant d'informations nouvelles qu'elle avait du mal à savoir où donner de la tête. Rien que cet incroyable phénomène de magie par exemple... C'était tout un nouveau champ de recherche pour l'Outre-science ! Les potentialités vous donnaient le tournis lorsque l'on y pensait. Bien sûr, tant que le kil'dara continuerait à adopter ce comportement rétrograde envers les lanyshstas les possibilités seraient drastiquement réduites. Elle rit du paradoxe. Le kil'dara sensé être à la pointe du progrès était le kil se fermant le plus les portes de ce nouveau domaine de recherche de par son attitude ridiculement radicale. Quel gâchis.
D'un autre côté l'idée qu'elle allait par la force des choses devenir une pionnière dans le domaine avait quelque chose d'excitant.

Elle se réprimanda intérieurement de laisser ses pensées vagabonder ainsi alors qu'elle était en plein travail. Son esprit toujours embrumé depuis son Eveil lui jouait encore des tours. Sa dextérité avait également pâti de la transformation. Raison de plus pour être deux fois plus concentrée sur l'ouvrage. Rajustant ses lunettes de protection, elle porta de nouveau son attention sur la tâche et le fer à souder dans sa main. Ce serait bientôt prêt.
Parmi ce qu'elle avait appris dans les Entrelacs, une information avait retenu son attention : à plus ou moins court terme elle allait sans doute se mettre à développer certaines facultés lanyshstas d'ordre surnaturel. Or d'après les témoignages qu'elle avait recueilli, la manifestation de ces facultés étaient la plupart du temps (pas toujours mais suffisamment souvent pour être pris en compte) accompagnée de phénomènes lumineux qui risquaient fort de la trahir si jamais cela se produisait en public. Surtout lors de leur première apparition qui serait possiblement imprévue et peu ou pas contrôlée. Cela pourrait attirer une attention sur elle même aussi malvenue que potentiellement fatale. Il fallait donc anticiper ce cas de figure et prévoir une contremesure : d'où son occupation actuelle.

Quelques minutes plus tard elle mettait la touche finale à l'appareil.



Parfait. Vérifions maintenant que tout fonctionne.

Perle ouvrit le clapet arrière du boîtier et une petite manivelle se déploya en cliquetant. Elle activa celle-ci pendant une bonne minute avant de replier la manivelle dans son logement et de refermer le clapet. A nouveau elle ajusta ses lunettes. En plus ce cela elle enfila un long gant de protection sur sa main gauche avec laquelle elle saisit la partie tubulaire de l'appareil autour et à l'intérieur de laquelle s'enroulait un fil d'un alliage cuivré. La main droite vint prendre le boîtier à l'autre extrémité du câble et l'activa en pressant un interrupteur. Aussitôt une petite aiguille se mit à s'agiter sur un cadran. Perle opina du chef et actionna un second interrupteur.

Soudainement la foudre se mit à danser en crépitant le long des spires de la bobine cuivrée. La pièce était brillamment illuminée par intermittence au gré des caprices des arcs électriques.

Le phénomène cessa très rapidement. Mais peu importait, c'était suffisant. Elle sourit brièvement en enlevant ses lunettes de protection.
Voilà. Si jamais le déclenchement involontaire de pouvoirs lanyshstas en public risquait de mettre son secret en danger elle aurait la possibilité de sortir cet appareil, prétendre l'avoir accidentellement enclenché et mettre sur son dos l'inexplicable phénomène lumineux.
Ce n'était pas une garantie à toute épreuve bien évidemment mais ce serait à coup sûr mieux que rien du tout. Et si on lui demandait ce qu'elle faisait avec un tel appareil elle pourrait honnêtement répondre qu'il lui servait dans ses recherches. Le boîtier était en effet véritablement capable de mesurer l'intensité et l'orientation des champs magnétiques. La partie bobine électrique quant à elle ne servait à rien d'autre qu'à obtenir les effets sons et lumières lui servant d'alibi. Mais ça, inutile d'en faire mention. Et si un expert en cherchait l'utilité il serait toujours possible d'évoquer l'étude des effets d'une décharge électrique sur le magnétisme ambiant.

Peut-être s'était-elle donné du mal pour rien. Peut-être ses supposés futurs pouvoirs ne se montreraient pas erratiques et peut-être qu'ils se manifesteraient de manière discrète. Mais peut-être pas et mieux valait parer au maximum d'éventualités. Surtout au kil'dara.


C'était une précaution de prise et avec elle un paramètre de risque légèrement réduit. Elle allait s'accorder une nouvelle heure d'étude des Entrelacs puis il serait temps de passer à l'un des nombreux autres préparatifs qu'elle avait en tête pour parer aux scénarios catastrophes échafaudés par son esprit. Et ils étaient nombreux...



 
Perle Glennsapi
Assistant au Transfert d’Idée,
Electromagnétologue

Kil'dara  
Le Dhiwara 15 Nohanur 815 à 21h29
 


Le verrou tarabiscoté cliquetait follement tandis que Perle entrait la combinaison qui lui ouvrirait la porte du logement. Elle avait une excellente mémoire mais même sans cela il lui aurait été impossible d'oublier ce code bien particulier. L'entrée du dernier chiffre provoqua un petit "ding!" suivi d'un ronronnement d'engrenages bien huilés tournant à plein régime. Les chiffres du verrou tournoyèrent ensuite pour revenir à une simple suite de zéros. Après quoi la porte pivota d'elle même tandis que deux soupapes de son fronton laissaient échapper en sifflant de fin jets de vapeur pour évacuer un excès de pression.
Perle entra dans le petit vestibule familier. Elle refermait la porte quand une voix d'homme -le propriétaire de l'habitation- retentit, venant de l'étage supérieur.

C'est toi ? Je ne pensais pas que tu passerais aujourd'hui ! Attends juste un instant, je termine une bricole et je descend !

Sourire amusé. Elle savait par expérience qu'en général les "instants" avaient tendance à s'éterniser en longues minutes lorsqu'il "terminait une bricole". Après s'être débarrassée de son manteau elle alla donc à la cuisine faire chauffer de l'eau pour un thé en attendant.
Une bonne douzaine de minutes plus tard, le maître des lieux faisait enfin son apparition.




Malthazar Glennsapi, compagnon d'Archaos du Conseil de l'Amélioration des Biens de la Vie Quotidienne, son père.
Si l'on voulait être précis, biologiquement parlant c'était son oncle côté maternel. Mais il l'avait adopté dès sa naissance après que sa mère fut morte en couches et l'avait élevé comme sa propre fille. A ses yeux c'était son père. Elle reposa sa tasse et lui adressa un sourire chaleureux.


Bonjour papa. Tu es encore en train de plancher sur ton problème de fluctuation amperique ?

L'interpellé lui rendit son sourire et s'apprêtait à lui répondre mais il s'interrompit et fronça les sourcils. Il prit un instant pour la détailler avant de prendre la parole sur un ton concerné.

Tu as une petite mine Perle. Est-ce que tout va bien ?

Aïe.
Pour que son père l'ai remarqué, c'est qu'elle devait vraiment avoir une tête affreuse car Malthazar Glennsapi avait bien des qualités mais le don d'observation n'en faisait pas partie. Il était bien trop souvent perdu dans ses pensées pour cela. Elle nota dans un coin de son esprit de prévoir un minimum de maquillage si elle ne voulait pas trop attirer des regards curieux de la part de ceux qui avaient l'habitude de la cotoyer.
Elle lui adressa un sourire qui se voulait rassurant.


Je vais bien papa ne t'en fais pas. Je suis fatiguée mais cela passera.

Pour la fatigue du moins si elle en croyait les témoignages qu'elle avait recueilli sur les entrelacs. Sa nature de lanyshsta par contre risquait fort peu de disparaître comme cela.

Perle avait décidé qu'elle ne lui révèlerait rien de ce qui lui arrivait. Elle était relativement confiante dans le fait qu'il ne la dénoncerait pas si elle lui confiait son nouveau secret. Mais il était également beaucoup trop imprégné de la culture kil'darienne pour la laisser continuer à évoluer à sa guise au sein de la société darienne. L'hypothèse la plus probable était qu'il organiserait son exil pour l'un des autres kil si jamais il venait à apprendre la vérité.
En ajoutant à cela le risque qu'elle lui ferait prendre en l'impliquant et la possibilité qu'il les trahisse accidentellement, elle avait donc décidé de garder le silence.


Dis-moi. Quand te décideras-tu à prendre un autre code pour le verrou à l'entrée ? C'est très flatteur d'avoir pris ma date de naissance mais c'est surtout très stupide. N'importe qui se renseignant un minimum sur toi peut obtenir cette information et pour peu qu'il tente le coup il pourra rentrer chez toi à volonté... Il te faut un code tiré au sort qui n'ai pas de lien avec toi sinon c'est bien trop simple à deviner.

Malthazar leva les yeux au ciel et lui assura qu'il changerait bientôt le code. Mais ce devait bien être la trentième fois au moins qu'il le lui promettait sans pour autant le faire. Elle était prête à parier que rien n'aurais changé la prochaine fois qu'elle passerait...


Pendant un moment, le père et la fille parlèrent de tout et de rien, de leurs récentes lectures, des dernières percées technologiques qui défrayaient la chronique kil'darienne, de leurs travaux respectifs... Ces instants privilégiés lui firent presque oublier son Eveil. Presque.
Elle finit par aborder le sujet qui l'avait amené ici.


Concernant nos recherches sur le magnétisme, j'ai un projet en tête dont je voulais te parler.
Je souhaite partir en voyage dans les autres kils.
Là-bas, je m'emploierai à recueillir ce qu'ils savent sur le sujet pour le comparer avec nos propres données. Au fond ce n'est pas très différent de mon rôle d'Assistante au Transfert d'Idées ici sauf que ce serait à l'échelle de la Cité toute entière. A vrai dire j'envisage même d'aller rendre visite aux Dath'ogals si cela est possible.


Malthazar avait écouté avec un mélange d'intérêt et d'inquiétude. Il était visible que l'idée de faire passer la vitesse supérieure au concept de libre circulation des informations si chère au kil'dara n'était pas pour lui déplaire. Mais il était tout aussi évident que le fait de voir sa fille quitter la sécurité de l'enceinte du kil ne le ravissait pas spécialement.

Je vois... Je vois... Ce n'est pas inintéressant. Entre nous je doute que nos voisins aient vraiment quelque chose à nous apprendre toutefois. Surtout les Dath'ogals... Mais il est vrai que la seule façon de le savoir est encore d'aller le vérifier.
Je ne dis pas que c'est une mauvaise idée mais penses-tu vraiment que tu doives y aller toi-même ? Ce n'est pas sans danger surtout si il faut s'aventurer au loin pour trouver des Dath'ogals.


Elle acquiesca en souriant et répondit sur un ton rassurant.

Voyons papa tu me connais... Est-ce que je suis du genre à prendre des risques inutiles ? A me jeter au devant du danger sans préparation ? Tu n'as pas élevé une écervelée et tu le sais.

Il lâcha un rire amusé et lui jeta un regard qui trahissait une certaine fierté.

C'est vrai. Tu es brillante. Mais il faut pardonner à un vieil homme de s'inquiéter pour sa petite fille même si elle n'est plus si petite que cela !

Il ne put s'empêcher néanmoins de passer plusieurs minutes à lui lister toutes les précautions à prendre qui pouvaient lui venir à l'esprit tandis qu'elle écoutait patiemment en hochant la tête de temps à autres. Elle finit par reprendre la parole.

Ce n'est pas immédiat de toute façon tu sais. J'ai des préparatifs à faire tout d'abord et puis j'ai soumis le projet mais il me faut aussi la réponse du Conseil et notamment savoir à quel point il m'appuie.
Je peux compter sur toi pour en toucher un mot à tes collègues ?



Malthazar acquiesça et lui confirma son soutien.
Ils passèrent ensuite encore deux bonnes heures à bavarder avant qu'elle ne prenne congé. Au moment où elle s'apprêtait à sortir du logement, son père l'interpella une dernière fois.


Perle ! Gemme.

C'est avec un sourire affectueux qu'elle lui répondit.

Moi aussi papa.

C'était un vieux jeu de mot sans prétentions entre eux basé sur son prénom et qu'il n'avait pas utilisé depuis longtemps.
Une perle était une gemme et gemme se prononçait de la même façon que "j'aime".
C'était une façon de lui dire qu'il l'aimait.



Encore une précaution de prise. Elle aurait désormais une explication à fournir si jamais des "affaires lanyshstas" l'amenaient à devoir quitter le kil ou si elle avait besoin de fuir.
A vrai dire ce projet de collecte d'informations auprès des autres kils n'étaient pas qu'une couverture commode. C'était réellement une idée avec laquelle elle avait joué avant même son Eveil. Seulement à l'époque elle envisageait plutôt de confier ce travail à un groupe d'aspirants du centre formateur comme projet de recherche par exemple.
Maintenant bien sûr, c'était différent et elle avait révisé ses plans en conséquences.

Décidément, être devenue lanyshsta élargissait ses perspectives.



 
Perle Glennsapi
Assistant au Transfert d’Idée,
Electromagnétologue

Kil'dara  
Le Vayang 5 Fambir 816 à 14h51
 

***Le lendemain matin de l'aventure du Rafiot Troué***






Avec une petite grimace, Perle s'entailla la paume de la main à l'aide de son couteau.
Depuis plusieurs semaines, elle procédait ainsi chaque matin. Pendant une ou deux minutes elle laissait le sang s'écouler dans le lavabo en observant la blessure avec patience et concentration. Puis elle finissait par nettoyer l'entaille et la bander.

Jusqu'à ce jour.

Cette fois-ci nul bandage ne serait requis car ce qu'elle attendait depuis un certain temps se produisait enfin.
La brume de fatigue qui semblait peser sur son esprit depuis son Eveil se dissipa. Elle eut l'impression de pouvoir enfin penser clairement pour la première fois depuis des semaines. Mais ce n'était pas tout, loin de là.
Elle fut pris d'une sorte de vertige.

Et le monde changea.

Ou du moins, la perception qu'elle avait du monde changea. La sensation était difficile à décrire. Cela devait probablement être comparable à ce que ressentirait un aveugle de naissance à qui l'on offrirait sans prévenir la vue.
C'était comme si l'on avait ajouté une dimension supplémentaire à la réalité. Tout autour d'elle était devenu plus... Riche ? Complet ? Vibrant ? Rayonnant ? Les mots lui manquaient. Il n'existait aucun terme dans le vocabulaire krolanne pour décrire ce qu'elle percevait à ce moment là. Et pour cause car pour cela il aurait fallut que les krolannes possèdent cette espèce de sixième sens qui venait à l'instant d'éclore en elle.

Tenter de dépeindre le monde qui s'étalait désormais devant elle -à la fois si familier et si neuf, si étranger- revenait à vouloir expliquer une couleur sans utiliser le moindre mot relatif à la vue, la lumière ou l'optique. C'était quelque chose qui devait se vivre pour être compris.

Autour d'elle, et même en elle, la "réalité" s'était faite perceptible, palpable, modelable même. Des courants d'énergies désormais révélés coulaient autour d'elle. Certains avaient un rythme lent et paresseux. D'autres flux étaient plus vifs, plus ardents. Ça et là des connexions se faisaient et se défaisaient entre eux. Ils étaient partout. Ils étaient en tout.

Elle leva le bras devant elle en un geste lent et ample. Sa main nacrée où perlaient quelques gouttes de sang passa au travers de l'un de ces courants. Elle provoqua dans son sillage un léger remous qui se propagea en ondes concentriques comme si l'on avait jeté un caillou dans l'eau. Elle "sentit" l'énergie lorsqu'elle passa au travers et elle perçut l'impact qu'elle avait eu dessus. Le courant dévia légèrement son cours avant de retrouver sa stabilité et sa tranquillité.
Son geste avait toutefois happé un peu de cette énergie sous forme de "filaments" restés accrochés à sa main. Sous son regard où se mêlait fascination et émerveillement ceux-ci furent rapidement aspirés jusqu'à se concentrer en tourbillonnant autour de la blessure qu'elle s'était elle-même infligée à la main.
Là, le miracle eut lieu.
Sous ses yeux la coupure guérissait d'elle-même. Une partie du sang qui avait coulé sur sa paume reflua même dans ses veines avant que la plaie ne se referme toute seule, ne laissant pas même une cicatrice visible.
Elle nota presque distraitement -plus par habitude qu'autre chose- que le phénomène s'était accompagné d'effets secondaires : une légère sensation de fraîcheur ainsi qu'un -prévisible- phénomène lumineux. Ce dernier n'était pas tout à fait ce à quoi elle s'était attendu cependant : il n'avait pas de source bien définie. Simplement, tout autour d'elle était devenu plus lumineux. Pas de flash, pas d'ombre projetée, pas de couleur particulière... Juste une luminosité anormalement accrue, comme si il y avait "simplement" eu amplification de toute la lumière déjà présente dans les lieux.

Elle rit.
Un rire empli de joie et -oui- de bonheur. Un rire qui avait quelque chose d'enfantin.
Pour le moment la stricte scientifique avait cédé la place, temporairement mise à l'écart par le pur émerveillement.
Elle se surprit à faire quelque pas de danse tourbillonnants et à rire à nouveau en "observant" les arabesques qu'avaient créé son mouvement parmi les flux d'énergie.

C'était beau.

La dernière fois qu'elle avait ressenti quelque chose de similaire, c'était lorsque -toute petite- elle avait escaladé les murs du kil et avait découvert une fois arrivée au sommet, l'immensité du monde autour de la cité. Pour qui avait grandi dans l'espace restreint de la cité environné de murs et d'espaces clôts, la découverte d'un horizon si éloigné que l'on ne pouvait pas le distinguer avait eu quelque chose de bouleversant.

De nouveaux horizons.
La beauté de l'infini, du champ sans limites des possibles.
N'était-ce pas au fond, le moteur fondamental du kil'dara ? Ce besoin de repousser les limites toujours davantage, de poursuivre l'horizon ?


Elle avait beau avoir su que ce moment arriverait, s'être largement renseignée à ce sujet dans les entrelacs et s'y être préparée, jamais elle n'aurait pu imaginer à quel point l'expérience la toucherait.
Car voilà : elle était désormais une lanyshsta à part entière.
Une "jeune" lanyshsta certes mais la période de maturation des néo-lanyshstas était bel et bien derrière elle désormais.
Elle se demanda si sa petite aventure au "rafiot troué" avait joué un rôle dans l'achèvement de sa "maturation". Elle avait été mise en contact avec pas mal d'éléments pour le moins inhabituels là bas : un certain nombre de ses congénères pour commencer dont non pas un mais bien deux anciens des vagues précédentes. Elle avait côtoyé des altérations de réalité d'une certaine ampleur et observé des magies dont nulle mention n'était faite dans les entrelacs. Elle avait expérimenté un contact intime avec la "Voix de cendre" et découvert l'Outrevision...
Bref, cela avait été une soirée bien remplie et il n'était pas du tout improbable que quelque chose dans le lot ait accéléré ou déclenché son épanouissement en tant que lanyshsta "complète".

Bien qu'étant toujours sous le charme du moment et de la découverte, le calme revenait peu à peu en Perle et avec lui la scientifique temporairement éclipsée reprenait les commandes.
Elle savait qu'un jour ou l'autre ses pouvoirs feraient leur apparition tout comme elle savait que leur première manifestation se faisait généralement de manière involontaire. Elle savait aussi que c'était un cap dangereux car ils se manifestaient généralement de façon visuelle. Pour ne pas que ce moment crucial ne la trahisse, elle avait donc cherché à le provoquer dans un environnement contrôlé et à un moment où elle était seul. C'est pour cela qu'elle s'était infligée encore et encore cette coupure tous les matins : dans l'espoir de provoquer le réflexe de guérison qui venait d'avoir lieu.
Cela avait été un peu douloureux certes. Mais cela avait été un prix bien maigre à payer pour éviter de se trahir accidentellement au kil'dara.
Mais ce n'était pas tout : les entrelacs décrivaient d'autres types de pouvoirs qui pourraient eux aussi la trahir si ils se déclenchaient à un moment inopportun. Maintenant qu'elle était pleinement lanyshsta et que le pouvoir de guérison s'était manifesté, les autres premiers étaient sans doute juste sous la surface, prêts à être déclenchés.
Il allait falloir tester ces nouvelles capacités de façon approfondie afin d'en apprendre leur étendue, leurs limites, leurs natures, en acquérir le contrôle. Et cela dans le plus grand secret. Il était exclu par exemple de laisser le fameux "pouvoir de destruction" se déclencher pour la première fois dans sa chambre ! Il faudrait commencer à utiliser les "labos" qu'elle avait sélectionné et préparé dans cette optique.

Et il y avait les caches lanyshstas, leurs fameux "cubes" mystérieux... Il allait falloir se renseigner à leur sujet le plus rapidement possible. Yloyse ferait l'affaire : elle semblait sociable, avait déjà fait preuve de générosité gratuite en offrant des pierres de vie et il serait facile de lui demander au détour de leur prochaine discussion au sujet de la commande qu'elle lui avait faite.
Et l'infusion... Ah l'infusion ! Depuis le temps qu'elle attendait de pouvoir en comprendre la nature et s'essayer à la pratique...

Son emploi du temps venait de considérablement s'alourdir.
Les choses devenaient vraiment intéressantes.

Elle sourit.



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