vide fam
 
 

Page : 1

domi habuit unde disceret
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Dhiwara 14 Dasawar 814 à 12h26
 
*** Ambiance ***


L'hermine de cristal ne ferme ses portes que les luang. Ce n'est pas pour choyer ses employés afin qu'ils se reposent bien qu'un serveur reposé soit un meilleur serveur, mais surtout parce que l'activité tourne au ralenti. Ouvrir pour deux ou trois clients serait une perte sèche sur les frais. Et puis cela permet un grand nettoyage. Comme sur un bateau, il y a toujours quelque chose à faire : nettoyer les cuivres, cirer le parquet, faire la poussière, revoir l'argenterie, brosser les chaises et les fauteuils... L'ambiance est bon enfant, les tenues moins strictes, les attitudes plus décontractées. Viennent ceux qui veulent monnayant une petite rallonge à la fin de la semaine suivante. Cette fois-ci, presque personne une fois n'est pas coutume. Suite à une demande que je leur ai fait, les volontaires sont venus plus tôt le matin laissant l'Hermine vide pour le reste de la journée.



J'ai ressorti du placard mes vieux livres de cours de l'époque où j'étais au Locus Solus. Bon, ils sont un peu cornés, les pages ont jaunies depuis le temps (faut dire que ces bouquins sont plus âgés que moi...) et il y a encore les ratures et annotations de l'étudiant brouillon que j'étais mais ils restent à l'hôtellerie ce que le Cantatère est au Kil'dé. Une référence absolue et intemporelle. Au gala des anciens de l'Université, on m'a confirmé que les cours sont encore les mêmes. Fi de la modernité et de ces nouvelles modes d'hôtellerie d'amateurs. La tradition perdurera encore quelques siècles.

Quoique, le terme "volume" serait plus adapté à ces livres quand je les regarde à nouveaux. Il y a de quoi donner le tournis peut-être ? Alors voyons...j'ai bien pris le programme de première année...oui. Donc "arts de la table" volumes un et deux, "arts du service" tome un à quatre et "arts de la gestion" module un... Ça doit être bon....ah cette définition sur la couverture, qu'est-ce que je la trouvais insupportable il y a quarante ans. "L'homme mange. L'homme d'esprit seul sait manger". Et maintenant, je force chacun de mes serveurs à la répéter tous les jours avant le service.

Je vais en profiter pour préparer une table.




Voilà... Ensuite, on verra les savoirs : savoir-vivre, savoir-faire, savoir-être, savoir-servir, savoir-s'habiller, savoir-manger et les savoirs-mondains. Ca fera une bonne base avant de passer aux choses plus sérieuses...si notre apprentie survit déjà à ça...

J'entends la porte s'ouvrir et jette un oeil à ma montre. Demi-tour droite et inclinaison quinze degrés.


Ah mademoiselle Oromonde, bonjour.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Dhiwara 14 Dasawar 814 à 22h47
 
Oromonde a toujours été de nature travailleuse et appliquée, c’est un fait. D’ailleurs, elle a commencé à travailler fort jeune : en témoigne l’adaptabilité dont elle fait preuve à l’Hermine, et le soin qu’elle apporte aux travaux manuels.
On lui a un peu tout fait essayé sur place : le ménage, bien sûr, la plonge, le service, l’accueil (une fois), les commandes, l’aide en cuisine…Tout cela sous le regard acier et inexorable d’Harvain, au silence inquiétant, et sous les commentaires et critiques faciles d’à peu près…tout le monde, en fait.

Oromonde n’est pas une grande serveuse. Elle ne révolutionne pas l’art de l’hôtellerie et de la restauration, et on peut dire qu’elle est même plutôt moyenne. Cependant, on à découvert, non sans stupeur, qu’elle était vraiment douée à une chose : la présentation des plats avant l’envoi en salle, et l’intendance des consommables. Il faut dire qu’un esprit méticuleux ne peut trouver là que son plaisir. Du reste, Oromonde reste une enfant des Fissures et par conséquent ne s’épuise guère facilement, ne prend pas la mouche, et fait le travail en temps et en heure. C’est juste que, bon. Elle n’a pas le sourire, l’aisance, la fluidité et les manières qu’on attend du travail. On devine bien que, naturellement, la jeune krolanne est plutôt tentée d’aller remonter les bretelles des clients parce qu’ils n’ont pas bien fini leurs assiettes plutôt que de leur rapporter pour la cinquième fois une corbeille de pains.

Elle prend bien soin aussi de dissimuler la fatigue que lui provoque ses soirées de travail cumulées à ses matinées à l’atelier, sa condition nouvelle de lanyshta, les demandes extravagantes de Li Yun, les rêves éparpillés qui sédimentent son sommeil, et sa vie personnelle. Rajoutons à cela l’étude des pavés de savoir-vivre qu’on essayait de lui faire ingérer, et on imagine l’état de la lanyshta.

Elle est affairée à reposer des palettes sous le pied des tables de la grande-salle lorsqu’un autre jeune commis vient la voir avec un air de soulagement qui indique aussitôt à Oromonde que le contremaître, aujourd’hui, la convoque spécialement.

« Le sergent veut te voir », signifie le jeune homme.
Oromonde grimace.
« Tu crois qu’il va me faire réciter quoi ? »
« Je parierai sur les arts de la table, volume trois, deuxième chapitre. Je crois l’avoir vu dresser une table. »
Oromonde inspire et tâche de se remémorer la lecture la plus insipide de sa vie ainsi que les remontrances et conseils qu’on lui a déjà donnés.
« La cuillère à potage…la cuillère à potage…zut, à quoi elle ressemble, déjà, la cuillère à potage ? »
« C’est celle qui est à droite de l’assiette. A droite ! A la toute fin. »
« Merci, Moé. »
« Bonne chance. »

Elle se relève et se précipite vers l’Office du Sergent, comme l’appellent les petites mains qui comme elles viennent accomplir leurs formations ici (du moins lorsqu’ils sont encore sobres.) Le surnom tient aux manières rigides et quasi-militaires du majordome qui, s’il n’est pas le propriétaire de l’établissement, est tout du moins un de ses archanges les plus terribles. Elle prend le temps de lisser ses manches et de s’assurer que sa chemise tombe bien légèrement au-dessus des poignets – « pour ne pas gêner pendant le travail tout en restant élégant. » Elle rajuste son col, passe une main rapide sur son chignon pour s’assurer qu’il est bien mis – « pas de cheveux lâches, ça tombe dans la soupe et c’est inconvenant. » Bon. Voilà. Allons-y.

Elle pousse la porte et pénètre à l’intérieur d’un pas raide et guindé, maintient une expression impassible, porte la main droite à son flanc gauche et réalise une inclination angulaire torse-cuisses de 22°.

« Monsieur Harvain. » se contente-t-elle de dire, chassent le terme « sergent » de son esprit et attendant que celui-ci l’informe sur ses raisons de la convoquer.

Pourvu qu’on ne parle pas des arts du service, démonstration trois du cinquième chapitre, elle a fait l’impasse et n’a pas d’antisèche sur elle…


Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Luang 15 Dasawar 814 à 23h19
 
*** Ambiance ***


J’observe et j’analyse la jeune femme devant moi. Oui, elle est mieux habillée que la première fois, j’ai veillé à ce que l’uniforme, sans être du sur-mesure, soit le plus proche de la réalité. Mieux coiffée aussi, ce n’était du luxe d’ailleurs. La démarche toujours aussi raide, bon, Kil’dé ne s’est pas faite en un jour. Les manières manquent de fluidité, d’harmonie, de style… En fait, ça manque de tout. Elle mime les autres, exécute fidèlement, trop peut-être, le manuel mais il n’y a pas ce qui fait un vrai serveur. Ça viendra.

Peut-être.

La confiance, voilà ce qui lui manque à cette petite. Hum… trop classique. Un serveur, mais pas que puisque le monde hôtelier est ainsi, doit avoir une assurance absolue dans l’exécution de ses fonctions. Nos clients, nos maîtres se reposent sur nous parce qu’ils ne font pas tout eux-mêmes. Ils nous délèguent une part à la fois infime et énorme de confiance pour gérer à leur place ces tâches. Hum, je réfléchis un peu trop.


Entre serveurs, pas besoin de « monsieur ». Harvain suffira. Bien sûr, pour les femmes, les bonnes manières impliquent un préfixe. Sauf cas particuliers bien sûr. Mais passons…

Ah ces jeunes…

J’observe sa mise. Intransigeant. Je lui ferai des remarques une autre fois.


L’uniforme vous va plutôt bien mademoiselle Oromonde même si manifestement vous n’êtes pas encore habituée à lui. Un petit conseil…imaginez-le comme…une seconde peau. Votre uniforme, ce costume, représente une profession qui vous a précédé et qui vous survivra. Mais passons...

Vous semblez être un bon élément selon notre saucier Leigh Hunt, pourtant exigeant à la limite du supportable même pour moi. Comment disait-il...ah oui... "un commis passable avec autre chose que de la béchamel dans la cervelle pas comme les cruches qui tournent autour de moi dans ma cuisine". La plus haute marque de distinction à ma connaissance, surtout au niveau de la béchamel...


Je tend la main pour lui montrer mes manuels.

Mais que ceci ne vous éloigne pas du reste. Vous allez apprendre en quelques semaines déjà bien chargées par vos autres obligations l'équivalent d'un an de cours intensifs réservés à une poignée d'étudiants théoriquement élitistes. Mais vous réussirez. De gré ou de force.

Comme j'ai réussi fut une époque.

Petite question, comme ça, en passant...

Facile.

Dans un plan de table à la Kil'déenne, 14 couverts, parité respectée, table rectangulaire, où placez-vous un invité d'honneur et sa femme ? A quoi devez-vous toujours faire attention concernant la maîtresse de maison et pourquoi ?


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Vayang 19 Dasawar 814 à 19h40
 
Son uniforme, une seconde peau ?
Mouais. Encore faudrait-il qu’il ne la serre pas trop aux coudes, que le pantalon ne lui gratte pas les fesses, et que ses camarades farceurs ne s’appliquent pas à lui donner de petites tapes amicales et enfarinées sur le dos. Elle prend note mentalement de régler tous ces détails. Elle est assez bonne couturière, sans doute peut-elle élargir la couture incognito assez facilement. Pour ce qui est de la matière qui gratte…ben…peut-être pouvait-elle s’arranger pour coudre à l’intérieur un morceau de velours. Quant à la farine…peut-être pouvait-elle percer les sacs de façon à ce que la blague se retourne contre son acteur.
Enfin…Il a dit quoi, là, le sergent ?

Comment ça, de gré ou de force ?

Bon, ne pas paniquer. Elle avait subi l’apprentissage de Maître Li Yun. Tout le monde savait que Yun punissait les élèves inconséquents de façon austère et drastique, généralement en les envoyant tanner les cuirs en amont de leur réception : or, les tanneries utilisant principalement les urines comme agent réactif, autant dire que ce n’était pas très gratifiant, surtout à six heures du matin en hiver. Oromonde avait elle-même eu droit à ce traitement. Elle avait aussi fait le poirier avec un bonnet d’âne sur la tête et recopié plus de lignes qu’elle ne pouvait s’en rappeler. Harvain était certes un majordome d’exception et un chef de rang inquiétant…mais Yun terrorisait les enfants en bas-âge à chaque fois qu’il lissait la pointe de ses moustaches accentuées.
Récitant :

« Un invité d’honneur se place à la droite de la maîtresse de maison, et sa femme se trouvera à la droite du maître de maison. Ils sont bien entendus placés face à face. »

Bon, ça, ça allait. Mais quid de la maîtresse de maison ? Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? Il y avait plein de choses qui pouvaient faire office de réponses à cette question. Sa tenue ? Son emplacement près de la cuisine ? Sa conversation ? L’ordre protocolaire de présentation des invités ? Mais du point de vue d’un domestique, à quoi fallait-il scrupuleusement prêter attention ? La chronologie du service ? Bon sang, elle allait se planter sur la première question...la honte !

Hésitant à répondre, Oromonde opte pour la sincérité (avec fracas) :
« Monsieur, votre question n’est pas assez précise pour moi. Pourriez-vous l’expliciter s’il vous plaît ? »



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Sukra 20 Dasawar 814 à 11h27
 
J'esquisse un rictus, entre le sourire amusé et l'agacement. Un peu des deux au final.

N'ai-je pas été clair mademoiselle Oromonde ? Qu'ai-je dit juste avant ? Pas de "monsieur". Au prochain manquement, ce sera la plonge pendant une semaine.

Ma question imprécise ? Ma parole ! En voilà une remarque.

Il n'est pas nécessaire d'être plus précis car vous ne devez pas penser à une réponse mais à un ensemble de réponses mademoiselle Oromonde. Pensez-vous que votre employeur sera satisfait de vos services parce que vous avez pensé à un élément mais oublié les neuf autres ? Qu'il acceptera une excuse telle que "le plan de table et l'agencement de la salle à manger n'était pas assez précis pour que je puisse bien exécuter mes fonctions" ?

Allons....


Amusant, j'ai du faire la même erreur il y a quarante ans.

Chapitre...

Bon sang, c'était lequel...le chapitre un, c'était sur le choix des invités, le trois sur comment dresser la table..ah moins que ce ne soit le deux....

deux, paragraphe...

Passoire de mémoire...


paragraphes deux et trois.

Toussotement. Je pointe l'index vers le plafond dans un geste que j'emprunte sans le savoir à mon ancien professeur du Locus Solus.

La maîtresse de maison, si elle n'est pas servie, se place en général le plus près de la porte de la cuisine pour pouvoir s'éclipser discrètement sans gêner les convives. Toutefois, la maîtresse de maison laisse présider la très haute personnalité qu'elle aura invitée. Par très haute personnalité, nous entendons La Mesure, le Haut Commis ou le Précepteur du Concile, ou l'équivalent des autres sharss.

Le majordome se tiendra toujours en retrait derrière la maîtresse de maison, du côté gauche. Il sera convenu à l'avance d'un signe discret si la maîtresse de maison requiert un conseil particulier sur le protocole ou la bienséance.



 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Sukra 20 Dasawar 814 à 14h46
 
Oromonde accepte sans broncher les remontrances d’Harvain, ne laissant pas paraître le désarroi et la rage qu’elles lui causent. Elle fait partie de ce type de personne qui déteste avoir tort, surtout à ce type de jeux : cela remet en cause son intégrité même en temps que personne, et elle s’identifie bien trop à son travail pour ne pas être personnellement engagée dans l’affaire. Elle ravale donc sa hargne, songeant aux punitions de Li Yun.

Le paragraphe deux du chapitre deux. Mais vu la taille de ces pavés, même l’Audre de Scylla la prendrait en défaut ! Est-ce-qu’il faut vraiment autant de mots pour pouvoir dresser une table et laver des plats ?
Avec une application un peu contrariée, Oromonde répète la définition donnée par Harvain :

« La maîtresse de maison, si elle n'est pas servie, se place en général le plus près de la porte de la cuisine pour pouvoir s'éclipser discrètement sans gêner les convives. Toutefois, la maîtresse de maison laisse présider la très haute personnalité qu'elle aura invitée. Par très haute personnalité, nous entendons La Mesure, le Haut Commis ou le Précepteur du Concile, ou l'équivalent des autres sharss.
Le majordome se tiendra toujours en retrait derrière la maîtresse de maison, du côté gauche. Il sera convenu à l'avance d'un signe discret si la maîtresse de maison requiert un conseil particulier sur le protocole ou la bienséance. »
Mons…
Harvain. »


Pas la plonge....




Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Luang 22 Dasawar 814 à 10h58
 
Bien.

Ah j’aime quand une leçon est bien retenue. Oh oui, ce n’est que le début de l’apprentissage de toute une vie. Nous sommes tous des serviteurs du Destin. Sauf que la plupart ne le savent pas et le font mal. Alors une poignée d’entre nous tous décident de se dédier entièrement à cette vocation. La plupart de la plèbe nous prend pour des laquais, des sous-fifres, des larbins alors que nous nous rapprochons bien plus de prêtres. Bien plus qu’un métier, c’est une vocation. Bien plus qu’un état d’esprit, c’est une philosophie. Bien plus qu’un service, c’est Le Service.

Bref…


Vous ne trouverez ceci dans aucun manuel alors écoutez bien. Le plus important pour un bon majordome, quelle que soit la situation, le moment de la journée, les employeurs, la vaisselle… Même lorsque les mers bouilleront, lorsque le ciel tombera sur nos têtes, que des nuées de criquets nous envahirons, nous n’abandonnerons jamais…

Révélation ultime.

…une bonne tasse de thé.

Silence. Je m’attendais à un peu plus de réaction de sa part…humf !

Le thé, mademoiselle Oromonde, est l’élément le plus important de tous ! En aucune situation, vous n’oublierez qu’il est possible de prendre une tasse de thé ou mieux, d’en servir une. Le thé…

Je crois que je dois avoir des étoiles dans les yeux.

C’est la base d’une bonne réception, le liant social à toute mondanité, le nectar des personnes raffinées, l’élément qui vous distingue de vos pairs. Dites-moi quel thé vous buvez et dans quelle tasse et je pourrai dire votre rang social, votre situation maritale, une fourchette d’âge, quelle saison nous sommes, quelle heure il est et la couleur de la tapisserie à l’accueil.

Bon, le dernier élément est sujet à controverses lors des réunions des anciens mais quand même.

Il y a les serveurs qui savent préparer un bon thé et les autres.

Comme vous le savez, annexe trois, paragraphe…

Mince.

…relatif aux catégories de thés…

Faudra que je revoie mes classiques…

…il y a deux grandes familles pour la préparation qui sont d’une part les thés noirs, bleus et les parfumés et d’autre part les thés blancs et verts.

Pouvez-vous me rappeler les 5 règles d’or et le temps d’infusion pour préparer un thé noir à feuilles…disons brisées ?



 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Matal 23 Dasawar 814 à 18h19
 
Bon, d’accord, Oromonde a déjà pu constater de première main l’obsession d’Harvain pour le thé : c’est simple, à chaque fois qu’elle fût amenée à le croiser, le majordome s’est toujours débrouillé pour préparer du thé à un moment ou l’autre. D’accord. Et certes, le thé est un breuvage agréable et réconfortant, mais si le sergent s’imagine que le palais d’Oromonde est formé à savourer des feuilles de thé bleu aromatisé de feuilles de lotus argentés, il se fourre le coude au fond de la cavité oculaire - pour parler avec étiquette et courtoisie.

« Il y a les serveurs qui savent préparer le thé et les autres… »
Comprendre : si tu veux cette certification, petite, il va falloir faire swinguer la théière.
Heureusement, les petits commis ont tout prévu et connaissent l’affection de l’archange de l’Hermine pour le thé. Elle se rappelle brièvement les récitations communes effectuées en douce…et les méthodes d’antisèches qui lui ont été données par ses camarades.
Temps d’infusion, temps d’infusion…
Hop, bref regard vers ses chaussures.

« Le thé noir à feuilles brisées s’infuse de 3 à 4 minutes.
Il est généralement convenu, toutefois, de ne le laisser infuser que trois minutes afin de ne pas alourdir l’arôme tannique. »


Normalement, elle ne s’en est pas trop mal tirée. Les cinq règles d’or de la préparation du thé noir, maintenant…

« Tout d’abord, il faut faire attention à la condition des feuilles : plus elles seront broyées, plus le temps d’infusion sera rapide car l’échange avec l’eau est facilité. Le thé en sachet donc s’infuse moins longtemps.

Pour préparer le thé, il faut avant toute chose préparer la théière et les tasses, chacune étant uniques. Ceci nécessite d’y verser un peau « d’eau d’annonce » qui sert à chauffer les parois de l’instrument de façon à conserver le breuvage chaud. Ce même système est utilisé pour entretenir les théières les plus anciennes.

Il ne faut surtout pas mélanger le thé.

Le thé n’est servi qu’une fois tiédi car un thé trop chaud perd sa saveur.

On n’utilise pas d’ustensile en métal pour préparer le thé, est on ne le mélange ni avec du lait, ni avec du citron, sauf demande expresse de la dame de maison. »


Elle retient son souffle.



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 24 Dasawar 814 à 15h48
 
Je reste impassible. Ma question était plutôt simple mais terriblement précise au départ. Et voilà ce que j'obtiens. De l'aléatoire. Voyons voir...comment vais-je réagir pour exprimer mon désarroi ?

J'écrase ma main d'un coup sec sur la table faisant sauter plusieurs couverts et tomber les verres dans un fracas cristallin. Tant pis pour la vaisselle, de toute façon c'est le service pour l'entrainement et le personnel. D'une voix calme, presque un chuchotement, je reprends la parole.


C'est...presque ça.

Puis reprend d'un ton normal.

Un bon thé noir s'infuse entre deux et trois minutes mais la doctrine prévoit effectivement trois minutes. Une dose réglementaire est de deux grammes cinquante par tasse, éventuellement augmentée à trois grammes mais jamais, Ô grand jamais au-delà de trois grammes cinquante. Une personne dépassant ce seuil est susceptible d'être abattue sans sommation si je la vois. Un cinquième de litre d'eau par tasse, chauffée à quatre-vingt quinze degrés.

Une fois l'infusion terminée, retirer le filtre, en coton bien entendu, remuer la théière. Ceci est très important pour obtenir une saveur homogène de la première à la dernière tasse.


Haussement de sourcil gauche.

Mademoiselle Oromonde, comment osez-vous dire que vous allez servir un thé "tiède" ?

Je retiens une grimace de dégoût.

Déjà parce que cela implique que vous ayiez le pouvoir de choisir quand servir. Pour un majordome, c'est une chose impensable. Ensuite, si vous attendez un moment jugé..."adéquatement tiède", vous ne prendriez donc pas en compte les préférences de chacun puisque vous serviriez le thé à la même température de tout le monde, et tant pis pour ceux qui le préfèrent plus chaud ? Abbération absolue.

Je suppose que vous vouliez bien évidemment dire : "le thé est servi chaud, à charge de la personne de le boire quand elle le souhaitera tout en évitant de se brûler". N'est-ce pas ?


Index en l'air.

Le mélange des thés est une science périlleuse et délicate. Deux catégories principales sont autorisées : les mélanges de thés et les mélanges parfumés.

Le principe du mélange classique est d’assembler différents crûs de thés d’origine afin d’obtenir des saveurs inédites et équilibrées. Tout l’art consiste à trouver les bons assemblages de saveurs différentes qui vivront bien ensemble, mais surtout de savoir les doser selon le résultat escompté. Le plus bel exemple des mélanges classiques est certainement le fameux "mélange kil'darien", qui est composé de thés d’Assam, de Cey-lan et du Kil'imandjaro. Ou l'intemporel "Scarabée d'or" mélangeant du thé vert, bleu et rouge dans des proportions encore secrètes à ce jour".

Quant aux mélanges parfumés, l'exemple le plus célèbre reste La Mesure Grey qui a eu l'idée en 735 de verser quelques gouttes d'essence de bergamote dans son thé. D'autres applications plus répandues sont à base de parfums de jasmin, oranges ou amandes.


Fin de la citation, je range mon index.

"Arts de la table" volume trois, chapitre huit, paragraphe sur les mélanges de thés.

Je me tourne sur le côté pour contempler le début de table que j'avais dressé. Je me frotte l'arrière du crâne, l'air absent.

Pardon, pardon mille fois de revenir sur des notions un petit peu élémentaires. Ca me semblait quand même intéressant de rappeler quelques notions de base avant d'aborder la suite de l'apprentissage qui est, vous vous en doutez mademoiselle Oromonde, nettement plus complexe.

Je réfléchis un instant.

Quelle essence préférerez-vous pour un topiaire en spirale et décrivez les principales périodes dans l'année.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Luang 29 Dasawar 814 à 13h18
 
Oromonde a du mal à réprimer son sursaut lorsqu’Harvain décide d’en finir avec les boiseries décorés de la table basse. Oups, songe-t-elle. Mauvaise réponse…

Restant impassible, elle écoute sans broncher les remontrances du majordome, se maudissant intérieurement pour la moindre de ses fautes.
« Oui, Harvain. »

Saletés de thés.
(On notera, d'ailleurs, la présence du phonème "thé" dans "saleté", et aussi dans "mocheté", et aussi dans "embêter", ce qui n'est sans doute pas un hasard.)

Bon, place aux questions sur les arts décoratifs et en particulier sur le merveilleux domaine du jardinage. Oromonde mâchouille sa lèvre inférieure. Un topiaire en spirale, c’est l’espèce de buisson qui tourne sur lui-même, non ? ça a besoin d’essence, ces bêtes-là ? Et d’où sort cette question sur les périodes de l’année ? Ben, il y a l’hiver, l’été, et des trucs entre…Curieusement, la jeune lanyshta doute de la survie de la table boisée et de son service à l’Hermine (tout de même relativement bien dédommagé) si c’est là sa réponse.
Coup d’œil à sa montre de service.

Visualisation mémorielle multi-sensitives. Son père adorait les jardins et avait essayé de lui apprendre : elle seule, dans sa fratrie, avait su montrer la patience et l’intérêt nécessaire à ce travail. Elle se rappelle de ses ballades au jardin du Kil’Dé, et des ifs tordus et spiralés qui s’y trouvaient. Son père avait l’habitude de pointer les fleurs et buissons du doigt :
« Alors ? » demandait-il.
Et la gamine, qui raffolait de ses jeux, affirmait péremptoirement : « Un chêne cendré à rainures rouges du Kil’Sin ! »
« Et là ? »
« Euh…je sais ! je sais ! Un laurier-rose épineux ! »
« D’où est-ce-que ça vient ? »
« De la Faille ! »

Il n’y avait après tout que la proximité de l’eau et le pénible travail d’aqueducs et d’irrigation qui pouvait justifier cette luxuriance de racines, bourgeons, pétales, insectes…raison pour laquelle le Kil’Dé restait à la pointe de la botanique, clamait son jardinier de père avec ferveur.


Après quelques instants de silence commémoratifs, qui laisse place à l’impatience, Oromonde déclame sans émotions et rapidement :

« L’essence la plus souple, la plus esthétique et la plus simple à tailler est l’if argenté à aiguilles souples. Ce végétal demande peu d’entretien et maintient des feuilles vertes tout au long de l’année. Il est marcescent et son port ramifié, comme tous les végétaux de la famille des troènes qui peuvent lui être subsidiés pour des raisons esthétiques. Il maintient un axe souple mais solide, qualité évidemment recherchée dans l’art topiaire. Cet arbre doit être taillé deux fois par an : en mayar et en otalir. La taille de la période de mayar, en particulier, est très importante : c’est elle qui va donner la forme au buisson. Il faut, à tout prix, éviter les périodes de gelée et de chaleur : l’une comme l’autre brûlent les rameaux et les bourgeons dénudés par la taille.

La forme spiralée demande plusieurs années pour s’établir. La première année, il s’agira de tailler l’arbuste en cylindre et de le monter sur un tuteur axial. C’est seulement à partir de la seconde année qu’on peut attaquer la formation des courbes. »




Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Julung 8 Jangur 815 à 17h02
 
Je ne hausse pas de sourcil. Humf. J’accorde un léger hochement de tête.

Bien.

Honnêtement, je m’attendais à pire. Je ne suis pas sûr que j’étais aussi bon à la fin de ma première année d’études.

La théorie me semble en bonne voie de maîtrise. Evitez les approximations, ne croyez qu’en la certitude mademoiselle Oromonde. Vous incarnez ou plutôt vous incarnerez un métier qui se doit infaillible. Si nos employeurs, nos clients estiment que nous avons des failles, nous n’aurons pas leur confiance et la qualité de notre service s’en ressentira et ainsi de suite.

J’étais déjà raide comme un I mais je me redresse encore.

Il vous faudra travailler sur ce point.

Un instant.

J’entends bien que pour l’instant, vous souhaiteriez éventuellement rester en coulisse mais je ne vous lâcherai pas de sitôt. Un bon personnel, même s’il a ses spécialités, doit avoir un socle de compétences que j’estime fondamental. Vous me comprenez ?

Question rhétorique. J’égrène les points avec mes doigts.

Confiance en soi !

Détachement émotionnel !

Professionnalisme !


Je range ma main.

Je vous accorde que vous faites preuve, pour l’instant, d’un professionnalisme motivé mais encore maladroit. Le reste par contre, est à améliorer.

Sous le tablier, nous sommes tous pareils, hommes et femmes. C’est pour ça que je vous traite aussi durement que les autres.


Presque gêné.

Mais certaines choses me dépassent.

Raclement de gorge.

Vous avez déjà du croiser « La Dernière » au détour d’un couloir, à un moment où un autre. Elle fait preuve d’une certaine liberté que je lui octroie car certains éléments doivent rester… « libres ». Mais c’est une femme. Elle saura y faire.

Je regarde le sol avec les morceaux d’assiette, l’air songeur.

Vous pouvez disposer . « La Dernière » prendra contact prochainement avec vous.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Julung 8 Jangur 815 à 22h55
 
Attendez.
A-t-elle bien entendu ?
Serait-ce un…par toutes les saintes culottes de Scylla !...un COMPLIMENT dans la bouche du majordome ?
La poitrine d’Oromonde se gonfle de fierté et ses pommettes s’enflamment aussitôt. Chaque terrible doigt levé est une imprécation divine, une injonction céleste. Confiance en soi ! Détachement émotionnel ! Professionnalisme ! Euh…on commence par quoi déjà ?
Oromonde s’apprête à s’enfuir et à retourner aux patins de ses chaises quand Harvain laisse brusquement tomber la nouvelle : elle va devoir aller parler à la Dernière. Le visage de la jeune femme se décompose dans une déception mal dissimulée qui signifie, en toutes lettres : « Ah non ! Pas elle ! »

Ce n’est pas vraiment qu’elle déteste la Dernière…non, ses sentiments ne vont pas jusque-là. Mais la Dernière a tout d’une actrice, d’une femme douée et consciente de ce qu’elle veut, qui plus est capable de l’obtenir ; en bref, tout le contraire d’Oromonde qui est intimement persuadée que la Dernière ne saurait sans doute pas éplucher des patates et préparer un biberon de lait de chèvre avec ses jolis ongles manucurés, ses jolies mains fines et délicates, ses superbes cheveux roux éclatants, et son visage poupin animé d’une mutine expression qui fait défaillir à peu près tous les clients et clientes de l’établissement. Et aussi ses yeux pétillants, sa bouche pulpeuse, sa cambrure de reins parfaite, sa taille de guêpe, ses manières élégantes, son phrasé pépié et charmant, ses habits de haute-couture, son chapeau tout droit sorti des ateliers de confection de Zan Yen (frère de Li Yun), et sa fichue capacité à déposséder magiquement autour d'elle tout le monde de ses graines ainsi que de son intelligence. Oui, bien sûr qu’elle a croisé la Dernière. Généralement, Oromonde se trouvait en arrière-fond de la scène, les cheveux devant les yeux, à attendre qu’elle veuille bien arrêter de faire son numéro pour pouvoir servir son plateau de fromages, dans l'indifférence la plus totale.

Oromonde l’apprécie d’autant moins que cela ne prend pas deux minutes pour comprendre que la Dernière est une femme de théâtre, or elle voue une appréhension inquiète envers tous les individus qui sont susceptibles de faire des trucs bizarres et imprévisibles dans la seconde, comme déclamer un soliloque ou faire des sauts périlleux. Seule sa famille est au courant, mais son aversion a une origine historique qu’on peut faire remonter au jour où une actrice de rue qui animait des marionnettes a voulu faire participer la petite Oromonde à sa scène. Il y avait aussi un clown, un chat, et des tartes à la crème. On n’en dira pas plus par respect pour le traumatisme enfantin de la lanyshta, qui depuis lors pâlit à la voue d’un quelconque grimage soupçonneux, de fausses chaussures qui font "floc-floc" et jette des regards hostiles sur qui se targue de lui parler en didascalies.

En bref, comment quelqu’un comme la Dernière, si éthérée, si vive, si…trop, pourrait jamais s’entendre avec quelqu’un comme Oromonde, si…ben…prompte à éplucher des patates et heureuse de rester dans un coin à ne rien dire ?
Ce dilemme biographique se lit comme à ciel ouvert sur la figure déconfite de l’apprentie serveuse qui parvient quand même à exécuter une inclinaison de 23 degrés, orientation ouest :

« Bien, mons…Harvain.
Merci pour cet entretien. »


Et de reculer silencieusement pour se fondre dans les ombres.



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*

Page : 1

Vous pouvez juste lire ce sujet...
Nombre de joueurs actifs :0(Inscrits : 191)
Infos légales Mot de passe perdu ?