Quelques jours après un premier raté, Linsey veut à nouveau tenter de créer des liens avec les autres membres de la Main. Elle commence par Thaïs, celle qui semble mener le jeu.

Linsey a bien pris conscience du décalage qui existe entre elles, et même si elle sait pertinemment qu'elle ne comblera jamais ce fossé, elle essaie de faire quelques efforts pour cette fois : Thaïs l'a invitée à prendre un thé dans leur grande demeure familiale. Elle passe un certain temps à nettoyer ses "bottines Beatles" jusqu'à les faire briller, puis à mettre de l'ordre dans ses cheveux. Elle laisse de côté son vieux pantalon de cuir, pour oser un pantalon de lin blanc. Suit une légère couche de rouge à lèvres, marquant un net contraste avec le pâle naturel de sa peau. Elle repasse également son haut blanc et ample, et recouvre le tout d'une étole sable avant d'enfiler un manteau qui l'aidera à ne pas geler en chemin. La dernière fois qu'elle avait pris autant de soin à s'habiller, c'était aussi la dernière fois qu'elle avait entendu parler de son ex.




Elle connait bien le chemin maintenant, mais passe par la grille principale - en espérant ne pas avoir mal interprétée l'invitation - devait-elle passer par la porte arrière comme l'autre fois ? Trop tard, Linsey frappe à la porte.

 
Les coups retentissent sur le bois massif de la porte. Scylla me vienne en aide, pourquoi ne pas y aller à coups de pieds ? Il y a une sonnette, c’est fait pour ça ! Je regarde ma montre gousset. Hum…presque à l’heure. Dommage pour la ponctualité, rendez-vous dans une prochaine vie.

J’ouvre la porte et lève un sourcil. Inclinaison quinze degrés.

Bonjour mademoiselle Derfùn, bienvenue.

Je la laisse rentrer et analyse sa mise. Repassage approximatif, pantalon mal taillé, étole de qualité moyenne, maquillage inexistant, coiffure anarchique. Eh bien, j’espère que personne ne l’a vue rentrer…

Je ferme la porte derrière elle. Je tends la main, habitué. J’attends…

Je vais vous débarrasser de votre manteau.

Je récupère cette horreur.

Merci. Si vous voulez bien me suivre…

Nous traversons le hall d’entrée ou plusieurs familles auraient pu y habiter. Nous passons par un enchainement de plusieurs pièces jusqu’à arriver à un boudoir richement décoré où l’attend déjà mademoiselle Thaïs. Sans un mot, je les laisse là tandis que je vais pendre le manteau au vestiaire. Je me dirige ensuite vers la cuisine où je prépare une théière de thé fumé. Je prépare l’assortiment de mignardises. Une part de gâteau à la fraise, une tranche de millefeuilles, un minuscule fraisier et un macaron à la vanille bourbon.

Quelques minutes passent.

Je reviens avec mon plateau bien garni puis sers les deux jeunes filles.

Aujourd’hui, un thé indigo fumé du Kil’dara.

Je range le plateau sous le bras et reste dans un coin de la pièce.

 
Dès l'ouverture de la porte, Linsey a les yeux fichés en l'air.

Bonjour Monsieur, lui accorde-t-elle poliment, déjà immergée dans un monde où le paraître est crucial.

Après ses premiers pas à l'intérieur, elle est fortement impressionnée par la beauté et l'immensité de la demeure. Elle suit Harvain et ses instructions, tout en continuant de regarder tout autour d'elle. Ils arrivent finalement au petit boudoir où l'attend Thaïs. Ne sachant pas comment se comporter, elle reste plantée un bon moment devant la porte en attendant que son hôte fasse le premier pas afin d'imiter ses manières.

Les banalités sont alors échangées, elles s'installent et Harvain rapporte "le thé". Ou plutôt, un nectar divin agrémenté de fabuleuses gourmandises dans un décor enchanteur.

 
Thaïs accueille Linsey avec un sourire franc. Elle l'invite à prendre place en se levant pour lui montrer un fauteuil face au sien. Se rassoit et ne dit rien le temps qu'Harvain les régale. Le temps de laisser Linsey s'habituer à l'atmosphère de la maison et à l'ambiance cossue et centenaire du lieu.

Thaïs est... au naturel. Elle ne porte pas de perruque comme à l'habitude, n'est pas maquillée et est habillée d'une combinaison pastelle très simple qui fait ressortir la couleur miel de sa peau -souvent dissimulée sur une épaisse couche de maquillage nacre. Ses vrais cheveux forment un halo ébouriffé autour de son visage de garçon et semblent avoir subis tous les outrages d'un ciseau furieux.

Sans être négligée, Thaïs est donc tout sauf sophistiquée. Il se devine sans mal que ses parents doivent être absents actuellement et que le rôle qu'elle joue habituellement -parée, grimée, déguisée- est une obligation sociale et ne reflète en aucun cas sa nature profonde.

Avant l'arrivée de Linsey, Thaïs est absorbée dans un livre écrit en langue étrangère. Un recueil de poésie qu'elle pose sitôt l'invitée introduite par Harvain.

Vous êtes très en beauté.

Fait remarquer la d'Ascara en préambule, comme un homme ferait un compliment à une amie. Elle enchaîne tranquillement, détendue, croquant une pâtisserie et sirotant son thé avec flegme. Ses yeux verts ne quittent pas ceux de la lanyshsta rousse. N'ayant pas l'habitude de faire des ronds de jambe ou de tourner trop longtemps autour du pot, la Noxamancienne entre directement dans le vif du sujet.

Merci d'être venue, Linsey. Je voulais vous apporter plus de précision sur la Main.

Vous l'avez compris, je tente de former un premier cercle de Lanyshsta's en Kil'dé. Ceux en qui j'ai absolue confiance.

Des êtres différents, de milieux, de pensées et de talents distincts. Mais qui ont au moins un but commun : l'entraide, la solidarité.

Ainsi, Oromonde est une artisane douée et sincère. Harvain est la fidélité incarnée. Et vous, je vous sens d'une volonté d'apporter votre pierre sans égale.

Un haussement d'épaule. Thaïs précise :

Bien entendu, cela n'exclut en aucun cas d’interagir et de faire confiance aux autres Lanyshsta's de Kil'dé ou des autres Quartiers. Au contraire. Mais la Main peut incarner un socle sur lequel s'appuyer, une base sur laquelle nous sommes absolument certains de pouvoir nous reposer.

Nos derniers échanges avec cette lanyshsta bleue nous a prouvé combien le fossé peut être grand.

Les épreuves commencent à poindre. Klem n'est qu'un prémisse, je le crains.
Lions nos Destins pour mieux les surmonter.

 
Linsey apprécie ce compliment sur son apparence, elle qui s'est donnée tant de mal. Elle pense aussi avoir saisi un léger haussement de sourcil chez Harvain, elle n'a pas du le laisser indifférent, ce qui la met très à l'aise.

Suivant l'exemple de Thaïs, elle entame les quelques pâtisseries en savourant chaque bouchée longuement. Tout en écoutant attentivement la description de la Main selon Thaïs, un visage revient sans cesse dans l'esprit de Linsey.

J'ai moi aussi pris contact avec d'autres Lanyshtas, de façon particulièrement maladroite. Elle saisit la tasse et souffle dessus pour la refroidir et en savourer les senteurs épicées. Maintenant que la plupart sont revenus, je vais tenter de renouer contact. Je partage votre point de vue Thaïs, il est crucial que les Lanyshtas apprennent à se faire confiance. Enfin, déjà, que nous sachions en qui nous pouvons faire confiance.

Elle renonce au thé pour le moment, trop chaud pour elle, et repose la tasse.

Quant à Yloyse, je ne sais toujours pas quoi en penser car je ne connais pas son histoire. Ce qui m'a frappé, c'est cette crainte qui existe entre les Lanyshtas des différents quartiers. Oromonde et nous trois, nous sommes tous d'accords sur le principe de la Main je pense. Maintenant, il va falloir se décider sur notre manière d'agir.

Elle regarde Harvain de temps à autres, tente de décrocher un sourire sur ce visage solennel. Situation assez inconfortable pour une non initiée, elle lui adresse un simple... Qu'en pensez-vous ? En pensée privée, avant qu'une autre pensée lui échappe complètement... Vos gâteaux, j'en mangerais jusqu'à tomber malade ! Oups... Il fallait reposer le combiné avant.

 
Haussement de sourcil. C'est à moi qu'elle parle ? Tout ça parce que nous sommes tous des lanyshstas, il faudrait donc rompre le protocole maître/serviteur et donc que je prenne part à la conversation ? Scylla me vienne en aide, tout ceci n'est pas inscrit dans mes manuels, je ne sais pas comment interagir correctement. En temps normal, on ne m'adresse pas la parole, ou du moins, on ne me demande pas mon avis. Quelle indiscipline.

Je tourne la tête vers mademoiselle Thaïs qui hoche la tête. Je n'allais tout de même pas prendre la parole sans son accord.

Je ne pense pas mademoiselle Derfùn, j'obéis.

Ca, c'était la petite phrase pour remettre les choses à leur place. Mais je sais que ça ne suffira pas.

En un, définir si la Main sera officiellement annoncé aux autres lanyshstas ou si cela restera...disons discret.
En deux, définir si cette main peut avoir davantage de doigts ou si nous restons sur une morphologie "normale", passer à plusieurs mains ?
En trois, définir quelle sera l'attitude à considérer face à l'extérieur : autres sharss, autres lanyshstas, krolannes.
En quatre et non des moindres, définir quel sera le rôle de la Main. J'entends concrètement et non pas des termes approximatifs tels que "entraide" et "solidarité" qui risquent d'être perçus comme faibles ou candides.

Réflexion faite, il faudrait que je revois la plomberie de la demeure, avec les gelées, il ne faudrait pas avoir une rupture en cette saison...

Nous avons accueilli une personne qui ne s'est pas faite que des amis. On peut supposer qu'elle a été tuée à cause de son caractère disons...difficile ou pour d'autres raisons plus importantes. Notre accueil peut passer pour une simple solidarité mais il faudra aussi considérer toute aide apportée à l'avenir comme susceptible de nous faire des alliés et des ennemis. A moins de ne prôner qu'une stricte impartialité et neutralité et rester en dehors de ce genre de...complots.

Ah oui, tiens, voir avec la femme de chambre si elle a bien mis de l'anti-mites dans les housses de vêtements d'été.

Prévoir aussi des protocoles. En cas de problèmes. Dans la précipitation, agir avec discernement, sans perdre son sang froid ou tout faire exploser. Mais, nous aurons le temps d'y réfléchir plus tard.

 
Thaïs hoche la tête, à la fois aux propos de Linsey puis aux questions successives de Harvain. Elle y réfléchit quelques minutes, s'abreuvant d'une petite gorgée du breuvage sucré, puis répond -sur le ton d'un avis donné, et non d'une vérité immuable :

Je pense que le mieux est de rester discrets. J'ai échangé avec plusieurs lanyshsta's d'autres Factions, dont la fameuse Jade qui semble être à l'origine de l'assassinat d'Yloyse. Il paraît régner une obsession des cercles, des luttes d'influence et être considéré comme une menace tout groupe formé. Autant ne pas se positionner trop tôt comme une entité proactive lanyshsta. Simplement apparaître comme un simple regroupement d'amis, comme devant Yloyse.

Le nombre de doigts... Je pense qu'il faut avancer prudemment et, pour l'heure, nous en tenir à notre nombre. Rien n'empêchera pas la suite d'en réexaminer la... morphologie.

Une pause.

Notre rôle ? Survivre, comprendre, avancer. Nous aider dans ces trois buts les uns les autres. Notre monde a changé avec notre mutation. Le monde a changé tout court. Je veux aller au bout de... l'expérience que je suis. Révéler mon potentiel. Accomplir mon Destin.

La richesse, je l'ai. La place sociale, je l'ai. Je n'ai que faire du pouvoir que je peux avoir sur les autres. Je n'ai que faire du pouvoir que les autres pensent avoir sur moi.

Le sourire est sûr de lui. Thaïs est bien du genre à tout faire sauter avec elle si elle se sent coincée, avec légèreté et bonheur.

Mais il pourrait être intéressant de nous attribuer chacun quelques rôles précis dans notre cercle. Linsey les relations internes au Kil, par exemple. Oromonde le montage d'un réseau commercial multi-Quartiers. Harvain le développement de notre potentiel lanyshsta, par la gestion de nos entraînements, de nos équipements et par la constitution d'une petite trésorerie de secours. Quant à moi, je peux m'atteler aux relations externes.

L'impartialité, je la prône. Je n'ai que faire des complots et des conflits qu'ils se tissent entre eux. Du moment que nous ne sommes pas éclaboussés.

Auquel cas, oui, il faudra aviser.

Puis, dans un murmure :

Les protocoles, oui. Excellente idée.

Un regard vers Harvain.

C'est votre spécialité.

Et, plus globalement.

Qu'en pensez-vous ? Il faudra également consulter Oromonde.

 
Linsey sent bien qu'elle est entrée dans un monde qui jusque là la dépassait. Il va bien falloir s'y mettre, apparemment cela va devenir une routine...

Harvain, je n'ai pas souvent le plaisir d'entendre vos pensées, mais je pense que vous devriez donner votre avis plus souvent car semblez avoir de très bonnes idées.

Ne sachant rien du professionnalisme de Harvain, elle dit cela comme une réelle invitation. Elle prend le temps de remettre de l'ordre dans ce qu'elle vient d'entendre, savoure une gorgée de thé, et poursuit.

Le simple fait de donner un nom à notre petit groupe, nous officialise et nous lie d'une certaine manière. Partant de là, oui, il est évident que nous devons au moins être solidaires et apprendre à nous faire confiance. Je pense que là-dessus, nous sommes sur la bonne voie. Pour le reste... Je ne sais pas trop.

Si par relations internes à notre Kil, vous voulez me confier la tâche de prendre contact avec les Lanyshtas du Kil'dé et de créer des liens entre nous, j'accepte puisque c'est une tâche qui me tient déjà à coeur. Je veillerai à ne pas nous mettre en danger, nous ou les autres Lanyshtas, en évitant de crier sur tous les toits l'existance de "La Main" ou les noms de ceux qui accepteront de me rencontrer. Nous avons vu avec l'épisode de Klem que certains Lanyshtas sont mal intentionnés, et étant donné les liens étroits qui existent entre nos esprits je... Je crains que si nous nouons des liens trop forts, un seul parasite pourrait complètement gangréner nos esprits à tous.

Elle saisit un macaron, et tout en l'étudiant du regard.

Je ne connais rien à la politique, à la diplomatie, ni même aux déguisements et double discours. Je vous laisse volontiers toutes ces choses là. Cela dit, Harvain a tout à fait raison lorsqu'il parle de nos ennemis potentiels si nous nous affichons comme un groupe, sous un nom, et comme un groupe ... Comment dire... Influent, donc dangereux.

Place à la dégustation maintenant. Toujours un délice ! Cette fois Linsey garde ses pensées pour elle-même, mais elle ne peut s'empêcher de faire de gros yeux gourmands à Harvain.

 
Thaïs hoche la tête. Elle adresse un sourire à Harvain tandis que Linsey l'extorque à un peu plus de paroles -elle connaît la rigidité du Majordome mais ne peut qu'approuver le constat de l'invitée.
La lanyshsta approuve Linsey :

C'est tout à fait cela : se rapprocher des nouveaux venus, voir si nous pouvons les aider dans leur... changement. Leur assurer qu'ils auront un soutien dans le Kil s'ils en ont besoin. Vous êtes une figure sympathique et honnête, je ne doute aucunement que vous pouvez vous charger de cette mission avec grande efficacité.

Tout en gardant à l'esprit, en effet, qu'un mécréant restera probablement un mécréant après s'être... éveillé. Soyez assurée que nous vous soutiendrons dans cette tâche et que nous vous -nous- ne laisserons pas atteindre par une quelconque souillure.

Plus facile à dire qu'à faire, mais Thaïs semble d'une sérénité absolue sur le sujet.

Je ne vise pas l'influence. Je n'ai que faire d'avoir une emprise sur les autres, qui sont tout à fait libres. Si nous sommes à même de les conseiller ou les aider, nous le ferons avec plaisir. Mais je me refuserai à rentrer dans tout marchandage ou lutte interne à notre... condition. Le commerce des identités ou des découvertes me répugne au plus haut point.

Thaïs balaie tout cela du revers de la main puis murmure un "d'ailleurs, attendez" avant de se lever et de disparaître dans la demeure. Elle revient deux minutes plus tard avec un colis de tissu. Elle pose le cadeau devant Linsey et l'invite à l'ouvrir, en commentant :

L'Hermine organise bientôt un événement spécial. Vous nous ferez honneur en vous y présentant. Beaucoup de gens influents du Kil y seront présents. Et sûrement des lanyshsta's. Oromonde, moi et -bien entendu, en temps que premier concerné- Harvain nous y trouverons.

Le tissu défait révèle une robe verte -couleur fétiche des cheveux roux- d'excellente qualité, élégante mais très simple dans sa coupe. Longue, fluide, elle soulignera parfaitement la jeunesse de Linsey sans la faire paraître prétentieuse. Une broche d'argent est également présente dans le cadeau : dans les cheveux ou sur la poitrine, elle représente un petit oiseau finement ouvragé. Miniature aux reflets blancs, symbole de paix et de pureté. Le bijou complétera à merveille la parure et soustraira Linsey de toute autre nécessité. Par rapport aux rivières de perles ou de diamants habituelles dans la Haute, la broche ne fera pas non plus passer Linsey pour ce qu'elle n'est pas et lui permettra simplement d'accéder discrètement à ce milieu.

Joignez-vous à nous.

 
Linsey peine à cerner ce curieux mélange dans la personnalité de Thaïs. A la fois calculatrice, intrigante, et pourtant elle dit ne pas vouloir rentrer dans le jeu des luttes d'influence.

Les quelques minutes durant lesquelles Thaïs s'absente, Linsey en profite pour rompre le silence en posant une question toute simple - et terriblement mais intentionnellement déplacée - à Harvain.

Et vous Monsieur Harvain, quel but poursuivez-vous ?




La surprise est totale, elle ne s'attendait pas à avoir un présent de la part de Thaïs. Elles se connaissent à peine, et n'appartiennent pas au même monde ! D'une certaine manière, ce cadeau le lui rappellera quelques secondes plus tard.

L'Hermine, Linsey en a vaguement entendu parler. Il s'agit d'un établissement chic où travaille Harvain. Si l'Hermine est à l'image de ce Lanyshta particulièrement coincé, elle s'imagine jetée en pâture dans cette faune de paons et d'hirondelles. C'est alors qu'elle ouvre avec un grand soin le présent de Thaïs, et y découvre un tissu plus délicat que tous ceux qu'elle avait pu porter jusque là. Toujours délicatement, elle se relève et sort la robe de son emballage pour en contempler la coupe.

Cette robe est tout simplement magnifique. Je ne sais pas si je dois accepter, c'est bien trop.

Elle commence à rougir. Linsey n'est pas née dans une famille pauvre, mais elle devine qu'elle ne pourrait jamais s'offrir ce type de robe. C'est alors que son attention revient sur le paquet, elle y découvre le petit oiseau et l'étudie sans s'en saisir.

Je ne sais pas si c'est une bonne idée de vous rejoindre à cette soirée, je n'ai aucune idée de la manière dont je dois me comporter. Je serais très mal à l'aise.

Elle imagine les violons, les coupettes d'alcools raffinés, les mignardises. Les courbettes, les faux-semblants, les bijoux et les coiffures élaborées des femmes de la bourgeoisie. Les discussions pré-conçues, les échanges de vanités et l'étalage des richesses. Tout cela est bien loin des tavernes qu'elle fréquente habituellement, où l'on rit de bon cœur et où la bière coule à flots, où l'on peut marcher en titubant et se rattraper au bras du premier venu. Que dirait-elle aux clients de l'Hermine, et comment pourrait-elle apprécier ce moment ?

 


Je hausse un sourcil. Ma parole, elle me repose une question ! Jeune effrontée ! Comment ose-t-elle ?! Scylla me vienne en aide, les bonnes manières se perdent... Ah ces jeunes. Et me donner du "monsieur" en plus ! Sacrilège ! Ah non mais vraiment, où va Syfaria avec une telle jeunesse ? De mon époque, personne n'aurait osé adresser la parole à un serviteur d'une telle façon ! Si mes professeurs voyaient ça, ils auraient eu une crise cardiaque. Je vois d'ici la réaction de notre professeur de protocole avec son haussement de coeur et son rictus crispé. Pauvre vieux Sédatiphe, il doit faire des saltos dans sa tombe.

Et je réponds à quoi moi ? Je ne vais pas l'ignorer, c'est une invitée tout de même. Mal habillée et très malpolie mais une invitée de mademoiselle Thaïs quand même. Humf ! Ses fréquentations vont de mal en pis.

Je ne poursuis aucun but j'en ai peur mademoiselle Derfùn. Je me contente de servir mes maîtres et de m'occuper de mes affaires.

Si ce n'est pas malheureux... Si ça continue, elle va me dire "et sinon, vous avez quel âge ?". Encore une qui n'a pas reçu de fessée dûment justifiée depuis un paquet d'années. Ah tiens, mademoiselle Thaïs qui revient. Oh misère... Non pas la robe que madame votre tante Pétulia vous a offert pour votre fête il y a deux ans ! Ca vaut une fort... Quoi ?! Inviter cette sauvageonne à l'Hermine ? A la soirée de lancement de la nouvelle carte ? Mais mais mais mais....Ah ! Scylla, au secours, vraiment là, ça ne va plus ! Je vais défaillir ! Ah non, pas toucher la robe ! Elle ne s'est pas lavée les mains je suis sûr ! Non...de la soie de cette qualité...

Rester calme, rester calme, rester calme.

 
Thaïs balaie les réticences de la jeune fille d'un sourire. Après tout, l'a-t-elle bien regardé ? La d'Ascara ressemble à une sauvageonne en ce moment, ses cheveux coupés n'importe comment, ses habits sans genre... Elle semble faire peu de cas de l'étiquette ou des manières de son "milieu". Thaïs se déguise la plupart de temps, joue une comédie. Elle n'a rien de plus que Linsey, sinon qu'un nom et les obligations qui y sont liées.

Un peu avachie sur sa chaise, très détendue, Thaïs affiche toujours sa tranquillité nonchalante.

Allons, vous vous fondrez dans la masse. Il y aura du monde. Sûrement des lanyshsta's que vous reconnaîtrez.

Un souffle.

Cette robe n'est qu'un morceau de tissu. Elle ne vous définit pas.

Un clin d'oeil. En tant que lanyshsta's, mutés, leur destin est désormais dans le jeu d'acteur, la comédie, le rôle.

Rien ne peut vous définir désormais.

 
La réponse d'Harvain la laisse perplexe. Comment peut-on vouer sa vie au service, et renoncer à toute forme de choix personnel ? Après tout, peut-être est-ce une bonne solution quand on n'est pas capable de faire ses propres choix.



Linsey se résigne, ce serait bien trop malpoli de refuser un tel cadeau, preuve d'une amitié naissante. Ce serait encore plus malpoli d'accepter la robe, et de refuser l'invitation à l'Hermine.

Très bien, je serai des vôtres. Et elle espère que son malaise se fondera dans la masse, comme dit Thaïs.

Rien ne peut définir Linsey désormais ? Elle ne comprend pas bien cette remarque mais ne la relève pas, préférant méditer dessus un peu plus tard. Seule compte l'émotion de la surprise à l'heure actuelle. Elle replie délicatement la robe et la remet avec autant de soin possible dans son emballage d'origine.

Nous serions-nous jamais adressé la parole si nous n'étions pas tous trois des Lanyshtas ? J'imagine que c'est là le bon côté des choses, faire de nouvelles connaissances, tisser des liens inattendus. Ces cadeaux me touchent vraiment beaucoup, n'hésitez pas à me demander quoi que ce soit. Je doute pouvoir vous offrir quelque chose d'une telle valeur, mais si vous avez besoin d'autre chose je serai là. Elle détourne son regard vers le serviteur. Cela vaut pour vous aussi Monsieur Harvain. Vous vous montrez tellement accueillants.