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Tourisme d'attente
Tourisme attentif
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 1 Nohanur 815 à 10h48
 
Relativité.

C'était la clé de la compréhension, réaliser que ce qui était "beaucoup" pour certains pouvait être "très peu" pour d'autres.
Du point de vue du Kil'sin, elle connaissait bien le Kil'dé. Pas autant que les érudits qui l'étudiait, ou que les diplomates qui le pratiquait, bien loin de cette ultra-minorité de spécialistes d'un autre Kil, mais largement au dessus du commun des Kil'sinites qui se contentaient de quelques rumeurs sur leurs voisins.

C'était là la puissance des connaissances issues des livres.

Mais face au moindre Kil'déen, face au plus humble des enfants de la mère des Sharss, elle était dénué des informations les plus élémentaires, celles qui formaient, au Kil'sin, une toile dont elle ressentait la moindre vibration. C'était bien joli de savoir que la plus vieille boulangerie du Kil'dé était la boulangerie Al'Derthe, sur les Béatifiques terrasses, mais inutile face au fait de savoir que chez Gromel, deux rues plus bas, les brioches étaient meilleures, pour 20% de moins.

C'était là la limite des connaissances issues des livres.

Sans compter que les connaissances, quoique parfois très précises, ne couvraient pas l'intégralité des aspects de la vie Kil'déenne. On trouvait des dizaines d'ouvrage d'architecture comparée -et Jade en avait lu trois et survolé quatre autres- mais pas un seul qui n'évoqua plus que de façon parfaitement superficielle et anecdotique les questionnaires à l'entrée au Kil, en vu de se voir octroyer un passe de Sans-Destin.

Elle était passé par la voie officielle, n'ayant rien à gagner et trop à perdre de tenter maladroitement une méthode alternative.

Elle allait avoir affaire, sauf accident, à une aberration statistique : trois Lanyshstas se connaissant avant leur transformation, soudés par autre chose qu'un simple opportunisme. Chose assez amusante, à part très récemment, bien qu'ayant été en rapport avec chacun des trois, aucun n'avait évoqué un lien avec les deux autres. Thaïs lui proposant son aide pour des contacts au Kil'dé il y a près d'un an. Harvain désirant s'assurer de son soutien pour prévoir des tenues pour les Lanyshstas qu'elle leur "expédiait". Oromonde lançant un appel à l'aide depuis les égouts du Kil'sin... Elle avait été la plus difficile à rattacher aux deux autres, en fait, seuls les propos de Rhôz sur le sauvetage d'une "amie d'un ami" ayant permis de faire coïncider la personne de Oromonde au troisième Lanyshsta du Kil'dé en charge des receptions des réanimés. Même si l'utilisation de surnom entre eux sur les Entrelacs pouvait donner un indice en ce sens.
Bien sûr, depuis, ils avaient participé à la récupération de Yloyse, qui depuis parlait de ses "amis du Kil'dé".
Il fallait donc s'attendre à des individus préparés par une bonne dose de mensonges, d'approximations, et de représentations théâtrales larmoyantes. Dommage qu'ils n'aient pas également reçu le Papillon, celui-ci ayant refait surface au Kil'dara, sans doute auraient-ils pu mieux voir les contradictions des versions joliment arrangées.
Au moins, il y avait Cal Keran... Cal l'impulsif, le passionné, qui avait du la dépeindre sous un jour particulièrement désavantageux, mais au moins, l'auto-proclamé Prince des Voleurs avait, paradoxalement, un fond profondément honnête.
Que sous le coup de la colère il voit les choses sous le pire des jours était une chose, mais elle le voyait mal mentir sciemment, dans le seul but de la salir. Cal pouvait bien la considérer désormais comme un monstre à éviter, il demeurait, de son point de vue, et à sa manière, quelqu'un de fiable.

A quoi s'attendre, alors, de la part des protagonistes ?

Thaïs, tout d'abord, était sans doute la plus transparente. Une personnalité ambivalente, entre des fonctions officielles assez importantes, nécessitant une pondération et un sens de la diplomatie constamment travaillés, et une nature profonde autrement plus impulsive, vindicative, avec des penchants pyromanes. Sans compter l'utilisation du patronyme, à particule, à ce point ancré dans les habitudes qu'il laissait sa marque dans la perception de sa propre personnalité. Une noble, donc, cette caste particulière qu'on ne retrouvait qu'au Kil'dé.
Ce qui en faisait la tête du groupe, d'apparence sinon de fait, un tempérament sans doute dominateur, à défaut d'être trop manipulateur, et qui tenterait sans doute de lui imposer certaines limites, pas tant pour la contrôler que pour affirmer son autorité. Noxamancienne, avec une quasi certitude. Éviter les réactions en miroir, qui conduirait à une escalade, avec elle.

Oromonde, ensuite. C'était un Mystère. Pas un secret tellement grand qu'il en mérite une majuscule, mais plutôt ces petites pâtisseries à plusieurs couches. Une surface un peu dure, la réserve naturelle, qui l'empêche d'être trop communicante, trop collante. Puis une épaisse couche molle, une douceur naturelle, un retrait vis à vis de l'autorité. Ce qui en faisait une bonne suivante, une amie fidèle. Mais alors qu'on se disait avoir affaire à une personne un peu terne, dénuée d'intérêt, un coeur dur, rigide, une partie de soi qu'elle pouvait protéger face à tout et n'importe quoi. Ne pas s'attendre à un conflit avec elle, pas un conflit ouvert du moins, plutôt du genre à jouer les tampons, les médiateurs. Mais à ne pas mépriser, négliger, ou considérer comme quantité négligeable, car elle était un élément d'équilibre dans le tryptique, un contre-pouvoir passif, et qui s'ignorait même peut-être, à Thaïs. Elle avait dit oeuvrer de façon à être capable d'altérer les Augures des personnes. Quels liens pouvaient avoir une employée des Archives et une des Sans-Destins, avant leur altération ? La nature douce et attentive tendait fortement vers une inclinaison naturelle à la Phérémancie, mais le coeur inaltérable, profondément enfoui, ne devait pas laisser fermée la possibilité qu'elle soit Korthomancienne.

Harvain, enfin, ne méritait peut-être pas la majuscule, mais était néanmoins, réellement, un mystère. Trop peu d'éléments pour juger, une discrétion qui n'était pas innée, mais travaillée. Et la faculté de se focaliser sur des détails à priori mineurs, tel le thé servit à une personne fraichement réincarnée. Ce qui pouvait se traduire de plusieurs façons : une limitation intellectuelle, ne lui permettant de s'épanouir que dans des domaines restreints. Ne collait pas avec sa démarche active de protection de son domaine. Une passion totalement artificielle, une protection lui permettant de dissimuler ses véritables intentions derrière un masque de serviteur affable. Dans ce cas, il était effectivement doué pour masquer ses faits et gestes. Ou encore une nature véritablement mono-maniaque, le signe d'un craquement aux coutures d'un esprit trop à l'étroit dans une image étriquée qu'il donnait de lui-même. Dans les deux derniers cas, de façon au final assez peu différente, il était dangereux, à ne pas sous-estimer.
En fait, si Thaïs était l'impulsivité et Oromonde le contre-pouvoir, lui jouait, selon les cas, le pivot central, ou le marionnettiste. S'ils s'étaient rencontrés après transformation, la seconde aurait été plus probable, mais qu'ils se connaissent depuis plus longtemps tendait à pencher pour la première solution. En fait, il était inutile de chercher les liens Thaïs-Oromonde, puisque c'est Harvain qui était le dénominateur commun.
La plupart des gens devaient en faire un personnage de second plan, un décor atypique avec ses qualités et ses défauts, alors qu'il était peut-être le plus important du lot. Le plus grand potentiel. Ne pas le cantonner à apporter les petits fours.
De par sa nature, vraisemblablement Korthomancien. S'il maîtrisait des pulsions destructrices derrière sa façade inamovible, ou s'il avait des origines difficiles l'ayant appris à ne compter que sur lui-même, pouvait être Noxamancien ou Phérémancien, mais la Korthomancie restait la plus probable.

En attendant de les rencontrer, Jade en était réduite à attendre.
Ceci dit, il y avait plusieurs façons d'attendre : se louer une chambre d'hotêl et patienter dans sa chambre. Suivre un guide pour engloutir toutes sortes de spécialités locales.
Ou sortir les quelques livres qu'elle avait emmené, une mine de plomb, et se lancer dans une série d'annotations dans la marge.


Place Stanislas Longjumeau, longue de 300 coudées. Dans la diagonale, peut-être, mais c'est clairement exagérée sinon. Ah, et la terrasse de ce troquet a du être couverte depuis l'édition du livre, ce qui en modifie la carte. Et crée un toit permettant d'arriver à...
Tiens, musée de la guerre du Kil'dé, avec l'évolution des armes à feu de Scylla à nos jours, allons voir ça.


Il faudrait aussi rapidement observer les habitudes pécuniaires des Kil'déens, les cibles les plus rentables pour quelques vols à la tire. Car si elle n'avait pas l'intention de se faire prendre, elle n'avait pas non plus l'intention de se rendre dans les bureaux de change le temps de son séjour en ville, c'était un peu trop évident à pister...


La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 1 Nohanur 815 à 16h03
 
On parvenait parfois à des découvertes fascinantes aux endroits les plus incongrus.

Là où la technologie de l'armement était sensée être en perpétuelle progression, rendant inutile toute utilisation des méthodes anciennes, elle avait découvert un élément des plus étrange.
Si Jade était des plus douées -éducation spécialisée oblige- pour analyser et optimiser, voir pour extrapoler à partir d'éléments infimes, elle avait, en terme de création pure, des limitations que ne connaissent pas les enfants. Et parfois, un petit quelque chose pouvait être utile...

L'arme s’appelait l'arbapoudre. Ou plutôt, l'arbalète à rechargement à poudre. Elle avait à la fois toute sa place, et aucune, dans le musée des armes à feu. En effet, l'arme ne tirait pas d'une réserve de poudre sa puissance destructrice, mais elle l'utilisait pour la phase de rechargement.
Une simple pression libérait une corde tendue -ou plutôt un fil d'acier tressé- permettant d'expédier, par un processus très classique, un projectile, avec une force et une précision impressionnante.
On chargeait alors l'arbapoudre de deux cartouches, qu'on faisait détonner l'une après l'autre.
La première servait, via pistons, à tordre l'arc, afin de détendre assez la corde pour faire remonter un jeu de minuscules poulies.
La seconde faisait remonter violemment le taquet, avec une puissance démultipliée par l'action des poulies, afin de ramener la corde en traction maximale.

Le système était loin d'être parfait : les poulies avaient tendance à se coincer dans leur va et vient sortie-rentrée, ou elles cédaient sous la pression, le chargement des cartouches se faisait par l'avant, et il fallait ensuite retourner l'arbapoudre pour finir la tension à la manivelle classique, le retrait des poulies redonnant systématiquement un peu trop de jeu.
Bref, la manoeuvre était plus complexe, et l'entretien beaucoup plus exigeant, que pour une arbalète classique, pour un gain de temps relativement faible. L'arme avait rapidement été abandonnée.

Mais la puissance de la poudre pour participer au chargement !
A cela, elle n'aurait pas pensé d'elle-même.
Mais maintenant qu'on y était, elle avait de quoi recycler une idée jetée aux oubliettes trois siècles auparavant.

L'infusion, bien sûr. Elle ne s'attendait pas à des participations en masse, voir à pas de participations du tout, sur un domaine :
- Dont les gens n'avaient rien à faire,
- Auquel ils ne comprenaient rien,
- Où ils avaient du mal à suivre,
- Où leurs méthodes différaient,
- Dont ils voulaient égoïstement rester des figures de savoir obscur, car cela rapportait plus.
Mais cela ne l'empêchait pas de s'intéresser au plus près aux améliorations subtiles que pouvait produire l'infusion sur les équipements.

Il faudrait une arme adaptée, potentiellement capable de fonctionner correctement sans infusion. Et pas que pour ne pas éveiller des soupçons : il était facile d'enchanter une lame pour qu'elle coupe mieux, mais enchanter un bâton pour qu'il coupe était affreusement compliqué. L'infusion était bien plus facile lorsqu'il s'agissait de renforcer, d'affiner quelque chose de déjà préexistant.

Donc une arme adaptée, à des munitions adaptées. Plus longues, une dose de poudre plus importante, de, mettons, 50%. Il faudrait forcément adapter un système de combustion totale, avec peut-être une membrane du type de celles utilisées dans les projections concentrées afin de ne pas perdre en puissance à cause d'une expansion trop lente des gaz. Mais on pourrait alors utiliser ce surplus -un tiers de la dose finale, donc- en en dérivant la puissance, afin notamment de réarmer le chien, et d'enclencher la cartouche suivante.
Attention, néanmoins : si l'énergie était sans doute suffisante pour ramener brutalement la balle suivante -après tout avec deux fois plus on expédiait le même projectile à des vitesses susceptibles de lui faire percer l'acier- il faudrait éviter un mouvement trop brusque de l'ensemble, qui se traduirait immanquablement par une cartouche mal positionnée, et donc une arme enrayée.
Plutôt tabler sur des mécanismes qui devraient, en principe, fonctionner de façon automatique, sauf blocage mécanique. Et faire sauter ce blocage mécanique par le biais de l'énergie dégagée.

Pour le chargeur, le principe était assez simple. S'assurer d'une remontée par le biais de ressorts, avec, à chaque occurrence, à chaque cran, un cliquet bloquant. Ce cliquet étant renfoncé par l'énergie de la détonation. Simple, mais néanmoins très précis, si on ne voulait pas que le processus s'altère. Mieux vaudrait sans doute investir dans un unique chargeur de maître, rechargé à la main à l'aide de munitions adaptées, plutôt que d'espérer pouvoir compter sur la fiabilité de chargeurs jetables.
Pour le chien, c'était plus problématique, mieux valait repenser le système. Pas de lourd chien frappant vers l'avant, puis rebasculé vers l'arrière. Les mouvements dans le sens contraire étaient chaque fois violents, et sources de nombreuses contraintes. Non, plutôt imaginer un chien qui se présenterait sous forme de roue à aube -au moins trois rayons, plus permettant sans doute une meilleure stabilité, mais trop empêchant une courbure adéquate- aux rayons souples, dotés d'un percuteur. En tordant le chien, toujours dans le même sens, les rayons souples seraient pliés vers l'arrière par l'action d'un butoir. Butoir se résorbant soudainement par l'action explosive de la détonation, ce qui... Non, non, elle ne voulait pas d'une arme tirant sans cesse. Le butoir devait rester assujetti à la seule gâchette.
Donc un appui suffisant sur la gâchette rentrerait le butoir, permettant au rayon du chien de frapper correctement, mais ressortant avant que le second rayon ne puisse frapper -quoique, il ne ferait alors que produire des étincelles dans une chambre vide. Mais le tout était de rebloquer le tout. La puissance de la détonation servant alors à redonner de la force à l'axe du chien, qui sans cela n'emmagasinerait certainement pas plus d'une demi-douzaine de libérations.

Oui, oui... avec un tel système, on obtiendrait alors une arme capable de tirer normalement à la pression de la gâchette, et de retirer aussitôt que celle-ci serait repressée, permettant d'envoyer une balle toutes les unes ou deux secondes, tant que le chargeur n'était pas vide !

Bon, la taille du chargeur était alors à définir également, car s'il était tentant de prévoir un chargeur énorme, la remontée des balles devant être précise, et constante, se baser sur un unique ressort pour remonter quinze balles était d'un optimisme un peu trop délirant. Se baser sur deux jeux pouvait doubler la capacité, mais suggérait alors qu'à l'entrée de chambre, il y avait de quoi alterner les sources d'approvisionnement. Il y avait la possibilité de l'arme à canons multiples, mais Jade ne faisait pas dans la pétoire d'arrosage, préférant le tir de précision. Du genre de ceux où deux centimètres de différence vers la droite ou la gauche pouvait changer la donne. Dans ces conditions, avoir un fusil de précision capable de tirer rapidement ne servirait à rien s'il fallait réorienter la visée entre chaque tir, en fonction du canon concerné.
Problématique. Sans doute ne fallait-il mieux pas s'attendre à une capacité dépassant la demi-douzaine de projectiles.

Resterait ensuite le problème du recul, car celui-ci resterait proportionnel à la quantité de poudre utilisée...
Bon, le retrait du cliquet de chargement n'absorberait qu'une quantité infime d'énergie. Le rechargement de la torsion du chien, nécessitant un transfert d'énergie plus délicat, ne pourrait atteindre un taux de rendement que très bas, aussi, même si l'énergie à récupérer au final serait très faible, elle consommerait une bonne partie du surplus.
Utiliser l'énergie excédentaire, responsable du recul accru, pour compenser le recul accru ? Possible, peut-être.
Là, on passerait par de l'infusion pure. Déclenché par contact du doigt sur la gâchette, avant la pression libératrice. Enfermer l'arme dans un cocon de mana froide, afin de l'envelopper. Le tir libérerait une énergie qui serait dissipée par le mouvement enclenché, bloqué par la mana soudainement échauffée, laquelle récupérerait d'une part son énergie, et d'autre part permettrait, par ramollissement, des mouvements légers, destinés d'une part à réorienter la visée, et d'autre part à ne pas endommager l'arme dans un carcan trop rigide.
Oui, cela pouvait marcher.

En une heure de visite, elle venait de se récupérer un mois d'expérimentations à réaliser ou faire réaliser.


Bon, fontaine du Parvis de Scylla. Elle serait celle disposant du jet le plus haut de toute la Cité.

Et depuis qu'elle avait vu à quelle hauteur la fontaine du Kil'Darogan avait volé lorsqu'elle l'avait bloquée, elle se disait qu'il devait y avoir là matière à recycler quelques idées en une glorieuse innovation de l'histoire des engins de siège...


La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Luang 2 Nohanur 815 à 14h23
 
C'est fou ce que les gens pouvaient inventer comme technique pour s'arroger le droit d'user de superlatifs.

Oui, la fontaine du Parvis de Scylla disposait du jet le plus haut de la Cité. Comprendre par là qu'elle disposait d'un filet d'eau sortant d'une version locale de corne d'abondance, portée à bout de bras par une montagne humaine de personnes. La statue devait faire dans les cinq mètres de haut, très poétique, très allégorique, l'union permettant d'arriver à la récompense suprême, une source infinie d'eau pure.
Mais le jet était absolument ridicule, la pression peinant à monter le liquide à cette hauteur.

Avec de telles libertés, le Kil'sin devait aussi avoir sa propre version de fontaine au jet le plus haut de la Cité, une obscure canalisation largement au dessus du niveau de la matière noire.

Du coup, la visite suivante avait été une petite bijouterie.
Ou du moins, ce que Jade avait repéré dans le guide comme étant une petite bijouterie, et qu'elle avait comparé aux devantures actuelles. Deux avaient fermé, trois étaient restées de petites bijouteries, et deux autres avait grandi.
La première, aux teintes criardes, proche du centre, avait beau être la plus impressionnante, elle avait été écartée : tout indiquait qu'elle était aux mains de quelqu'un sachant communiquer, reprenant les critères esthétiques du Kil'dara et du Kil'sin pour les mêler à ceux du Kil'dé. Une boutique peut-être bonne, mais pour touristes, où l'on parlait certainement krolanne sans le moindre accent, où on était prêt à vous affirmer que tout vous allait.
La seconde, par contre, avait pris de l'ampleur par un simple phénomène de sélection naturelle : si elle avait grossi, c'est que ceux qui étaient là étaient doués.

La porte poussée, quelques mots de bienvenue, mais sans bouger de sa chaise derrière le comptoir, auxquels Jade répondit d'un hochement de tête.
Alors qu'elle passait, lentement, de pièce en pièce, une nouvelle question lui fit donner une réponse.


Là.

Haussement de sourcils de la part de son interlocuteur. Pas que la réponse soit inadaptée -si elle avait tout compris, il lui avait demandé si elle voyait quelque chose qui attirait sa faveur, littéralement- mais simplement qu'il ne devait avoir réalisé qu'à cette instant qu'elle n'était pas de son Kil.

Jade n'était pas mauvaise en patois local -tant qu'ils ne parlaient pas trop vite, ou ne versait pas trop volontiers dans leurs étranges références culturelles, du genre "aussi fluide que les larmes que Scylla versa sur les ruines d'Aschür", même si pour celle-ci, elle s'était renseigné : à priori le visage de Scylla était maculées de cendres, et les larmes eurent des difficultés à se frayer un passage. Mais d'autres références restaient obscures- comprenant de fait l'essentiel des propos lui étant directement adressés, et une bonne partie de ceux qu'ils pouvaient s'échanger à portée d'oreille.
Mais si elle n'avait pas l'accent Kil'sinite, elle gardait -tout comme elle avait eu durant des années cette petite particularité au Kil'sin- un accent personnel, justement dépourvu de toute trace d'origine, unique en son genre, et parfaitement reconnaissable. Des syllabes parfaitement formées, des liaisons grammaticalement parfaites... On aurait pu lui donner un poste de lectrice dans des cours d'initiation au Kil'déen, quelque chose de théoriquement parfait, mais trop éloigné du langage usuel pour faire illusion.
Elle comprenait, et pouvait, si besoin, se faire comprendre, mais en aucun cas se faire passer pour une native, ou même pour une habituée des lieux.

Mais du coup, le marchand la laissa-t-il admirer quelques minutes de plus son talent.

Les œuvres, bien sûr, étaient toutes différentes. Mais on pouvait voir plusieurs regroupements, issus d'écoles différentes, chaque Kil ayant sa spécialité.

Le Kil'dara, où elle avait appris les bases, était le plus au point sur l'élaboration des métaux, sur le choix des matériaux, et sur, de façon générale, tout ce qu'on pourrait appeler la partie mécanique, de la trempe à la taille.
Le Kil'sin, lui, était réputé pour son inventivité, ses choix audacieux d'alliage, ou de combinaison métal-pierre. C'est là qu'on trouvait les meilleures mises en forme des métaux, les sculptures les plus détaillées, les bijoux les plus éclatants.
Le Kil'dé, à l'inverse, semblait de prime abord terne, monochrome, presque. Les formes de base paraissaient limitées, le choix des pierres restreint. Mais il venait rapidement à l’œil exercé la confirmation que la réalité était bien plus subtile qu'à première vue : ici, ils étaient passés maîtres dans l'art de la variation, et de la maîtrise complète de leurs formes.

Là où le Kil'dara cherchait de nouveaux fonds, et le Kil'sin de nouvelles formes, le Kil'dé recherchait l'harmonie. Des siècles à travailler les mêmes métaux, avec les mêmes pierres, avait permis de savoir parfaitement quelles étaient leurs forces, et leurs faiblesses. Ici, jamais la pierre d'une bague de fiançailles ne partirait, que la demoiselle soit lavandière ou forgeronne : usure, contraintes, écarts de conditions étaient des paramètres d'autant mieux maîtrisés que les cas de base étaient peu nombreux. Les boucles d'oreilles pouvaient bien être ternes vis à vis de certaines créations étrangères, elles ne vous déformeraient pas les lobes comme de lourdes créations Kil'sinites, ni ne vous déclencherait d'irritations comme certaines œuvres Kil'dariennes.
En guise de différenciation, ils étaient aussi devenus particulièrement doués dans l'art de la gravure, leurs outils semblant plus fins que ce qui se faisait ailleurs.

Il fut un peu délicat d'expliquer que non, elle n'hésitait pas entre ces trois bagues, mais voulait effectivement les trois, et un peu plus encore de convaincre l'artisan de lui céder quelques uns de ses outils, mais une bourse pleine était un langage universel.
Pleine de Hyalins.
Oui, certains gestes n'avaient pas besoin de traduction, et elle avait vite adapté certains automatismes à l'athmosphère Kil'déenne...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 3 Nohanur 815 à 19h19
 
Alors, comment trouvez-vous cela ?

Le vocabulaire. C'était la clé des échanges.
Un vocabulaire appauvri empêchait de voir les nuances, si on ne connaissait que les mots "ami" et "ennemi", on ne pouvait voir le monde qu'en noir et blanc, sans être sensible à la l'opalescence laiteuse de l'allié, au beige du co-idéologue, au gris de l'inconnu, à l'anthracite du traître.
C'est pour cela que les enfants, surtout les jeunes, étaient à ce point idéalistes.
C'est pour cela que les enfants, surtout les jeunes, étaient rarement au centre de l'étude attentive de Jade.

Mais ce qui paraissait normal chez un enfant, et impensable chez un adulte, on s'en rendait facilement compte lorsqu'on tentait de traduire un élément dans une langue qu'on maîtrisait moins bien.


C'est...

Car pour l'heure, elle n'avait pas de mot de vocabulaire adapté à la sensation qu'elle éprouvait en bouche.
En terme de description gustative, elle connaissait "bon", mais Jade préférait réserver les mensonges éhontés aux situations en nécessitant.
Il y avait aussi "dégueulasse", mais si on se rapprochait plus de la réalité, l'aspect catégorique du jugement n'était pas forcément idéal pour passer inaperçue. Après tout, un éclat de voix outré, une remarque acerbe, c'était autant de choses qui provoquait une tension ambiante. Et lorsqu'on était soumis à une telle tension, on revenait d'instinct à des gestes de sécurité, de protection. De vérification.
Si le gros krolanne aux riches robes pouvait attendre qu'elle ait fini son repas avant de réaliser que sa bourse avait disparu, elle ne s'en plaindrait pas.


C'est assez...

Il aurait suffit d'un mot. Il devait bien exister, dans cette antique culture, quelque chose qui signifiait "à l'odeur, on pense à un chien mis à sécher après s'être jeté dans une mare d'eau stagnante, au goût, on à l'impression qu'une brebis nous a vomi dans la bouche, mais il y a un petit goût sucré qui vous tapisse la bouche et n'est pas désagréable au final, même si je doute de pouvoir sentir le goût d'autre chose avant trois jours".
Mais en attendant de le trouver, il fallait trouver un compromis.


...bizarre.

Un grand sourire. Réponse acceptée comme étant cohérente avec ce qu'on attendait d'une cliente étrangère. La serveuse s'en allait déjà.

Jade, quant à elle, commençait à voir d'un nouvel oeil les auteurs de guides touristiques Kil'sinites. Un oeil où se reflétaient autant d'estime que de rancoeur, car il était à la fois affreusement trompeur et rigoureusement exact de qualifier ce "plat typique du Kil'dé, ayant pris naissance dans les Terrasses" de plat "comme on en avait jamais mangé auparavant, et comme on n'en mangerait plus jamais ensuite". En effet, il était peu probable qu'un organisme correctement constitué puisse supporter l'ingestion de deux portions de ce truc, même à quinze années d'intervalle.


Ceci dit, après quelques fourchetées destinées à vérifier si on s'y habituait ou pas -la réponse étant en l'occurrence "ou pas"- il restait quelque chose à faire du plat.
Si elle l'avait choisie, c'est que le guide le décrivait comme "une explosion de saveur mentholée dans un océan de feu". Et effectivement, on avait l'impression que l'estomac de la brebis fragile avait connu un excédent de menthe, alors que la couleur de l'ensemble était largement dominée par une palette rouge-orangée.
Faisant mine de sortir un mouchoir pour se moucher, elle récupérant dedans une petite quantité de poudre orange, qu'elle laissa tomber dans l'assiette.
Quelques secondes à touiller, et plus rien ne restait. Prélever un peu de la substance, renifler...
Mise en bouche ? Non, toujours rien.
Parfait. Ne restait plus qu'à recracher proprement le morceau dans l'assiette.
Le soporifique n'était pas très puissant -et vu le peu qu'elle venait de prendre en bouche, elle ne sentirait sans doute que légèrement plus fatiguée- mais il était surtout particulièrement décelable, ce qui en faisait un produit certes accessible, mais d'une discrétion déplorable. Ceci étant dit, il y avait au moins un plat dans lequel il pouvait passer inaperçu.

Jade déposant quelques graines à côté de l'assiette à moitié pleine, et sortit dans la rue, ressortant un autre de ses petits guides du Kil'dé.


Alors, voyons voir s'ils ont une spécialité à base de piment. Et s'ils la servent dans un établissement où on donne les restes aux chiens.

Ou aux démunis. Mais où on ne jette pas, en tout cas. Au prix du deuxième -et dernier pour la journée, il faudrait trouver une autre herboristerie si elle voulait poursuivre ses expériences sans attirer l'attention- échantillon, cela aurait été du gâchis de se contenter d'un examen superficiel. Mais vu la toxicité du produit, elle n'avait pas l'intention de vérifier par elle-même si le goût restait inaltéré...


La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 8 Nohanur 815 à 17h12
 
... Et vous pouvez donc voir ici une maquette des différentes salles des Archives.

Les Archives du Kil'dé. C'était un peu le passage obligé.
Bien sûr, il aurait été des plus intéressants de pouvoir y passer plusieurs jours, à s'intéresser aux subtilités de la méthode, mais avec son passe de Sans-Destin de base, le plus bas niveau d'accréditation -elle se demandait si les criminels du Kil'dé n'avaient pas plus de droits qu'elle- il ne fallait pas s'attendre à la visite privée des salles interdites.

Du coup, ça avait été tour des bâtiments réels, et entrée dans un unique édifice qui était plus un "musée explicatif des archives" qu'autre chose. Elle faisait présentement partie d'un groupe de six, avec deux kil'dariens en voyage de noce, et trois kil'sinites en voyage tout court, les deux premiers ne pouvant s'empêcher de prononcer des "oh" et des "ah" à tout bout de champ, les trois autres préférant échanger des blagues et divers commentaires pas forcément pertinents, pendant qu'elle gardait le silence.
Il était vite devenu une évidence que, du point de vue d'un guide, les gens qui ne disaient rien étaient les chouchous.


Impressionnant, hein ?

Non. Mais cela ne l'empêcha pas de hocher la tête affirmativement : on ne gagnait rien à poser des questions ou a dénigrer ce qu'on visitait.
La maquette avait de multiples défauts, mais c'était justement ces défauts qui livraient le plus d'informations.
La taille des bâtiments alentours, déjà : qu'ils aient fait l'objet d'un traitement moins précis était compréhensible, mais ils étaient également représentés plus petits, et ce sans doute volontairement. Vu la concordance des étages, visible en comparant les hauteurs des fenêtres, ils étaient environ réduits d'un tiers, permettant aux Archives de se détâcher du lot plus visiblement encore, comme si l'importance culturelle influait sur l'importance physique.

Plus intéressant était les oublis, là aussi sans doute volontaires : la petite guérite de garde à l'entrée n'était pas représentée, alors qu'on pouvait presque distinguer les traits des gargouilles sur les hauteurs. La crainte d'une utilisation de la maquette pour trouver une faille de sécurité étant vraisemblablement hors de cause, on avait sans doute omis ces éléments gênants car n'étant pas digne d'être mentionnés sur une telle oeuvre.
De même, il manquait un bâtiment sur la maquette, un bâtiment bas mais qu'elle était certaine d'avoir vue, pendant le tour des bâtiments. Impossible, de l'extérieur, d'en connaître la fonction. Mais si on se basait sur sa disparition de la maquette, c'est qu'il ne s'agissait sans doute pas d'un élément indispensable à la bonne image des Archives.
Si on ajoutait à cela sa position...


Ces petits ronds, dessinés dans les rues alentours, c'est quoi ?
- Oh, ce n'est pas intéressant, ça. Ce sont juste les égouts.


Bien, bien. C'est ce qu'elle pensait, mais la confirmation était la bienvenue. Même si le niveau de détail était restreint, on avait dessiné, à défaut de graver, de minuscules plaques d’égouts de la superficie d'un ongle.
Et ce qui était impossible à voir en se baladant dans les rues du Kil'dé sautaient à l'oeil quand on le regardait avec des yeux de géant.


Et c'est un vieux quartier, non ?
- Le plus vieux, même ! C'est là qu'on trouve la plus ancienne maison de Syfaria, conservée soigneusement. A peu près ici.


Il désignait un point à un pas à l'extérieur de la table. Mais mis à part pour voir comment les bâtiments historiques étaient soignés, l'information n'avait que peu de valeur.
Non, ce qui était intéressant, c'était que le quartier était vieux. Construit à l'époque où les Machines fonctionnaient encore. Et si la surface était en perpétuelle évolution, soumise aux changements de politique, de mode, de conditions climatiques, s'il y avait bien une chose qui ne changeait pas dans une ville, c'était son réseau d'égouts.
Réseau d'égouts des Machines. Un maximum d'efficacité avec un minimum de matériaux.
Autrement dit, le réseau était prévisible, il formerait un maillage géométrique régulier, afin de minimiser la distance de n'importe quel endroit par rapport à un de ses tuyaux.
Et si toutes les bouches d'égout n'étaient pas visibles sur le plan, certaines s'étant retrouvées dans les caves de bâtiments au fur et à mesure des changements, on pouvait deviner les axes souterrains à partir des indices restants. Et la position des bouches cachées.

Jade entreprit de faire le tour de la maquette, lentement, posément, tandis que le reste du groupe commentait une grande vitrine montrant l'évolution du papier utilisé à travers les âges.
En prolongeant les lignes, en reportant les distances, elle visualisait le réseau, le superposait à la maquette. Une carte et une mine de plomb serait plus efficaces, mais si elle voulait quelque chose de vraiment précis, elle aurait le temps de vérifier plus tard. Pour l'instant, autant aller au bout de son intuition.


Oui.

Bien bien bien. Ils se recoupaient. Pas -ou peu- de doutes possibles, il y avait une plaque d'égout localisée juste sous le bâtiment fantôme. Qui devait sans doute, d'ailleurs, être celui des latrines. Minimiser le trajet de tels évacuations était un grand classique...
Sauf que les latrines -ou le gros bâtiment des latrines, du moins, les hauts archivistes devaient avoir un accès personnalisé plus pratique- était contigu d'une des ailes contenant les Augures, d'après le guide. Là où pas mal de personnes travaillaient, dans l'anonymat des grands nombres, ayant régulièrement besoin de les assouvir, leurs besoins, justement.
Et vu le type des urgences concernées, les portes des latrines étaient très, très rarement verrouillées, ou soumises à vérification d'identité.

Pas qu'elle souhaite rapidement renouveler l'expérience des égouts -les deux dernières fois qu'elle y était entrée, au Kil'dara et au Kil'sin, cela avait été l'occasion de manœuvres à forts intérêts, mais assez pénibles- mais au moins, l'hypothèse de "passer par les égouts, sortir dans le bâtiment des latrines, passer une robe grise de novice, et se perdre dans la masse d'un bâtiment sensible" était à priori recevable. Disons, comme toujours, recevable jusqu'à ce qu'une meilleure opportunité se présente.


... passons maintenant à la pièce suivante...

Mieux valait rejoindre le groupe, maintenant. Après l'évolution du papier, les différents types d'encre.
Oh, joie.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 11 Nohanur 815 à 16h43
 
Yannar Tusbair, transporteur.
C'est ainsi que se nommait l'antipathique personnage.
Gras, agressif, il se montrait également imbu de sa personne et prétentieux.
Pour preuve, la façon dont il reprenait systématiquement l'employé qui s'adressait à lui, dans un Kil'darien semblant très convenable aux oreilles de Jade, sur de menues erreurs, mais s'obstinant à se glorifier de sa maîtrise du Kil'déen alors qu'il écorchait les oreilles de la Vigilante avec ses nombreuses fautes.
Une traduction mot à mot peut-être correcte, mais étant une simple transcription du Kil'darien de bas, sans aucun soucis de figure de style ou de règle grammaticale.
Et comme tout les gens gonflés de leur propre importance, donc, Yannar Tusbair parlait fort. Il faut dire que cela aurait sans doute été considéré comme une faute de goût de se trouver en présence d'un Compagnon Expert du Conseil du Transport Intérieur et Extérieur sans en avoir conscience.
Il se vantait de sa propre importance, aussi, et exposait bien sa mission à l'employé de l'hôtel, au cas où celui-ci aurait voulu lui donner autre chose que la meilleure chambre, car après tout il était venu pour exposer le problème d'entretien des Aqueducs, la partie située vers le Kil'dé ayant vu un chariot de transport à vapeur basculer lors du dernier trajet, du à un affaissement.

Yannar Tusbair, transporteur, râleur, touriste méprisant et exigeant, n'avait rien pour se rendre désirable.
Mais il était en train d'intéresser énormément Jade.

Pas en tant que compagnon pour la nuit, surtout pas, mais parce qu'il recoupait plusieurs caractéristiques intéressantes.
Un gros niveau de vie, déjà, une grosse fortune potentielle.
De grandes exigences, comme le montrait son rappel "je paye, alors j'ai !" de la meilleure vue. D'où une fortune disponible importante.
Un grand mépris, preuve qu'il ne venait pas souvent. Pas que le Kil'dé incite spécialement au respect, mais à force de voyager, on acquiert certains réflexes de survie que Yannar ne possédait pas. Autrement dit, visites uniquement occasionnelles, pas de pied-à-terre, mais surtout pas d'ardoise ouverte chez l'un ou l'autre, tout se réglait comptant.
Et un gros appétit, de ceux qui vous tiennent une bonne partie de la soirée à table.
Oh, et accessoirement, il se rapprochait du... Gros con, comme on dit. Du genre de ceux pour qui on ne fait pas de zèle quand il vient nous traiter d'incapables et se plaindre d'un problème.

Lorsque ce fut au tour de Jade de réclamer une chambre, elle n'eut qu'à jouer sur le contraste, calme, posée, affichant un feint sourire de soulagement lorsque le krolanne lui répondit dans un kil'sinite correct, pour l'amener à sourire et à lui faciliter son petit caprice.


Une chambre dans les hauteurs, pour l'air, et proche de l'escalier -je me lève tôt demain matin, autant éviter de réveiller les autres clients.

Pas qu'elle craigne spécialement de nuire à leur sommeil, ceci dit -les tapis des couloirs l'aurait obligé à claquer des talons pour se faire entendre- mais la meilleure vue était à l'étage le plus haut, et vers le Parvis de Scylla. Lequel était au nord, l'escalier en colimaçon le plus proche étant au nord-est. Ainsi put-elle obtenir une chambre située juste sous celle du compagnon Tusbair.

Sitôt installée, elle descendit manger, dès l'ouverture du service, afin de mieux coller à l'image de celle qui passerait une soirée courte et irait se coucher tôt pour se lever tôt le lendemain.
Repas court, mais non dénué de dessert, car même si elle se fichait pas mal de l'apport de sucre, il fallait justifier sa présence dans la salle, son rendez-vous unilatéralement pris ayant du retard sur ses prévisions.
Enfin, Yannar Tusbair arriva, se plaignant, comme prévu, dans la salle de restauration, donnant ainsi à Jade le signal de départ.
Le temps de régler préventivement la note, et elle pu remonter dans sa chambre.

Dehors, la nuit été tombée. Parfait. L'éclairage externe des venelles environnantes pouvait certes montrer, de la rue, qu'une forme bougeait tout là haut, mais qui allait s'amuser à regarder un sommet d'hôtel plongé dans les ombres ?
Ouvrir la fenêtre, enlever ses bottes -ça glisse, et ça endommage le mobilier sur lequel on monte, permettant de remonter la piste- et partir à l'assaut de la balustrade de la terrasse juste au dessus.
Un jeu d'enfant.
Par contre, Yannar n'avait pas éteint la lumière, pas plus qu'il n'avait ouvert la porte donnant sur le balcon, ce qui n'était pas étonnant, vu le personnage. S'agenouiller pour ne pas être vu d'en bas, tester la poignée. Verrouillée, forcément.
La fenêtre alors, un modèle simple, mais assez fragile. Un choc trop brutal faisait sauter le verre comme un rien.
Plutôt appliquer sa main contre le bois, et, tout doucement faire glisser le tout le long des gonds bien huilés.
La marge de manoeuvre était étroite : pour garder les mains bien plaquées, elle devait pousser fortement vers l'intérieur. Qu'elle remonte jusqu'en haut des gonds, et d'un coup, elle propulserait la fenêtre dans la chambre. Mais si elle parvenait à glisser presque jusqu'en haut...
Voilà. Le loquet n'avait plus rien contre quoi reposer, et la fenêtre tourna follement sur le quart de pouce de gond encore enclenché.
S'il était impossible d'espérer récupérer une fenêtre propulsée, l'empêcher de claquer contre le mur était assez facile.

Se glisser à l'intérieur, refermer la fenêtre après l'avoir réenclenchée pleinement -autant éviter que l’atmosphère se refroidisse de trop- et s'occuper de la porte donnant sur le balcon.
Retirer le verrou.
Voilà, au moins, la sortie serait simple, même si la sortie sans aucune preuve n'était pas encore acquise.


Kil'darien. Logique.

Le bonhomme se glorifiait trop de son Kil pour renier ses principes. Et était visiblement dépourvu d'imagination. Dans un tel cas, à devoir trouver un petit récipient dans une chambre, où chercher ? Au meilleur endroit, forcément. Au plus sécurisé. Mais en suivant une unique version du "plus sécurisé", sans parvenir à voir les intérêts que pouvait avoir l'introduction de paramètres non optimisés, car aléatoires, l'endroit le plus sécurisé devenait aussi le plus simple.
C'en était désespérant : la malle de voyage, le double fond, les barres de lestage, celle évidée pour y laisser entrer une petite cassette.
Jade avait bien déposé chacune des affaires, respectant scrupuleusement les plis, dans leur ordre d'apparition. Inutile de se presser, elle en avait au bas mot pour deux bonnes heures, vu le personnage.
Et le mieux était que le larcin soit découvert le plus tard possible, raison pour laquelle elle n'avait pas touché à la bourse cachée sous l'oreiller, et qui devait contenir de quoi payer les "frais courant", la cassette servant à remplir la bourse tout les deux ou trois jours.
La cassette, par contre, était verouillée, et potentiellement piégée.
Le problème avec les Kil'dariens, c'était que l'imagination qui leur faisait défaut pour les cachettes se trouvait bien exploitée dans les sciences, et elle ne pouvait pas prévoir ce qu'il y avait dedans.
Rectification : elle ne pouvait pas prévoir ce qu'il y avait comme dispositif de défense, en plus des... Impossible de se baser sur le poids, mais à l'oreille, et aux variations de gravité en tournant le tout... cent graines là dedans ? Plus ou moins vingt pourcents.
Bon, elle verrait ça plus tard. Demain, dans un autre bâtiment.
Pour l'instant, replacer chaque élément dans l'ordre, refermer la malle.
Passer la main dans le tapis, pour redresser les poils, afin que la zone où elle venait de passer plus d'une demi-heure assise en tailleur ne garde pas de dépression visible.
Pas de lumière à rallumer ou à éteindre, parfait.

Jade n'était pas du genre à se bercer d'espoirs, ce qui évitait la désillusion. Aussi n'eut-elle pas de pincement au coeur en réalisant que le dispositif de fermeture de la porte, imparfaitement huilé, ne pourrait pas être placé à un point d'équilibre, afin de rebasculer en position fermée en claquant correctement la porte.

Qu'il ait besoin de plus d'argent que n'en contenait sa bourse, qu'il fouille sa malle, réalise la disparition de sa cassette, contacte les autorités, qu'ils dépêchent quelqu'un sur place, qu'il fasse le tour de la chambre, remarque que la porte donnant sur le balcon n'était pas verouillé, et -dernier point mais non le moindre- qu'il croit Yannar qui jurerait qu'elle était fermée, et oui, alors, ils pourraient suspecter un vol passant par le balcon.
Le cas échéant, autant cacher la cassette au meilleur endroit. Pas au "meilleur", non, juste au meilleur, celui où les gens penseraient à regarder, avant de se dire "oh, non, quand même..."
C'était une kil'sinite, leur dirait l'employé de l'accueil. Autrement dit, une de ces fichues anarchistes aux mœurs légères.
Cassette déposée près de l'entrée, vêtements entassés en fouffe au dessus, un tas informe où on distinguait néanmoins nettement, sur le dessus, la culotte.
La fenêtre resterait ouverte la nuit -elle n'aurait de toutes façons pas du expliquer le refroidissement du au fait qu'elle été restée ouverte tandis qu'elle était au dessus- et du placard fut sorti une grosse fourrure d'hiver, de quoi permettre de tenir en étant nue sous les draps malgré la fenêtre ouverte. De la pure excentricité Kil'sinite.

Puis qu'on la réveille, qu'on l'interroge, et que par dessus tout on trouve la cassette dans le tas de linge sale... Et elle pourrait toujours prendre un air gêné en expliquant que c'était un cadeau du gros monsieur mais qu'elle n'en avait pas parlé pour que son petit ami n'en sache rien. Elle n'était pas son meilleur rôle, mais face à Yannar, elle devrait pouvoir être crédible.


*** ***


Le côté frustrant des plans préparés jusque dans les moindres détails, c'est que la plupart des détails ne servent jamais.
Yannar mis trois jours à constater le vol, et avait depuis changé d'établissement. Jade dut prendre un bain chaud le lendemain pour compenser les effets de la nuit, qui avait rafraichi plus que prévu. Et elle du replier toutes ses affaires si soigneusement mises en tas.

Mais au moins, elle n'avait plus à s'inquiéter sur le financement de son expédition au Kil'dé.



La perfection est amorale.

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