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Tasse de thé entre demoiselles
Armes et boules de feu au vestiaire - La direction
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 4 Nohanur 815 à 21h51
 
*** Ambiance ***


Au sein du deuxième district, quatrième circonscription, enclavé au centre d’un désordre calculé de boutiques artisanales, se trouve une petite façade décorée avec goût. Sans trop de fioritures ni d’ostentation, elle affiche un charme élégant et délicat. Les poutrelles métalliques d’un style classique sont majoritairement recouvertes de lierre grimpant ou de rosiers afin de donner une impression de verdure au lieu. Les grandes baies vitrées nettoyées quotidiennement sont glacées jusqu’à hauteur d’homme, permettant de laisser passer une lumière diffuse tout en préservant les clients de la curiosité des passants. Sur le haut de la porte principale, on peut y lire en nobles arabesques « Le prince blanc ». Un adolescent, plutôt joli, sert de portier dans un uniforme un poil trop grand pour lui.

*** ***


A l’intérieur, le dallage brossé donne une impression de céramique neuve mais matte au sol. Un petit comptoir en bois patiné et zinc est à droite avec une vieille caisse enregistreuse. Une vitrine bombée annexée au comptoir fait la présentation d’un lot de pâtisseries alléchantes, biscuits, meringues, génoises et autres pêchés diététiques. Derrière le comptoir, on devine derrière des draps blanc cassé une penderie ou une sorte de vestiaire.

Mais c’est surtout le reste de la pièce qui attire le regard du visiteur. La curiosité vient du fait de voir des lampadaires en intérieur. Plus petits que leurs cousins des rues, ils sont plus propres également, ne servant généralement pas de balise territoriale pour les membres de la race canine. Puis c’est aussi la profusion de plantes qui peut surprendre. Loin d’être une jungle, la pièce est agrémentée d’un bon nombre de plantes vertes, souvent des palmiers ou bambous. En son centre, la pièce compte une petite fontaine de pierre blanche, polie par les années. Le bruit léger de l’eau permet d’agrémenter le décor sonore, couvrir les paroles et relaxer la clientèle. Un nombre assez restreint de tables, comme si on privilégiait la qualité des clients plutôt que leur quantité. De petites tables rondes recouvertes de draps couleur cannelle puis d’une nappe blanche. Les fauteuils en fer forgés, bien qu’élégants, demandent une certaine force à être manipulés. Bien rembourrés pour les séants délicats, ils n’en restent pas moins confortables une fois bien en place. Les tables sont décorées souvent par un petit bouquet de roses agrémentés de quelques brins d’autres herbes en fonction de la saison. Enfin, une porcelaine de qualité sans être tape à l’œil est dressée sur chaque table prête à recevoir. Quelques plateaux roulants sont éparpillés dans la salle pour le service.

La table pour trois personnes qui a été réservée par un habitué du nom d’Epoch se trouve au milieu à gauche. Les invitées y seront conduites par la propriétaire des lieux, une femme d’une bonne cinquantaine d’année dans une tenue stricte, démodée mais impeccable. Dans son regard, on peut toutefois y lire une certaine malice et un sourire en coin amusé incite à la bonhommie. Elle parle d’un ton posé, d’un rythme léger presque chantant. Elle a un style, une façon d’être et de servir qui rappelle indubitablement le majordome des d’Ascara.



 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Julung 5 Nohanur 815 à 09h56
 
Thaïs d'Ascara sera, sans doute, la dernière arrivée à la table. Elle se fraye un chemin entre les quelques habitués, sur les pas de la version féminine d'Harvain, au milieu de cet endroit antique, chic et discret comme seul Kil'dé sait le proposer.

Pour qui aime analyser, l'adolescente est sans doute une vraie mine d'or... Très jeune, la femme -fille ?- porte pourtant l'écusson de Commis aux Sans-Destins, fonctionnaire destinée à gérer les étrangers en son Quartier -avec une spécialité dans les Lanyshsta's, comme le faisait son prédécesseur malencontreusement tombé d'une falaise quelques semaines plus tôt...

Sa mise est indubitablement soignée : les tissus de sa robe officielle sont précieux, son écusson est ostensiblement rebrodé d'or, ses souliers sont neufs et en cuir supérieur, ses longs cheveux noirs sont retenus par une barrette d'argent ouvragée... Elle est maquillée de frais et avec un certain art : yeux verts rehaussés de charbon, bouche discrètement dessinée, teint de porcelaine unifié... Pourtant, elle ne fait aucun effort pour paraître séduisante ou féminine : ses gestes sont rudes, elle plaisante à la première occasion sur sa perruque et peste ouvertement sur les pans de sa robe qui s'accrochent aux chaises. Manifestement, elle ne s'habille et ne se maquille que par obligation sociale -et du fait de son Nom-, que par l'habitude d'être préparée par ses domestiques chaque matin, s'arrêtant là à tout effort consenti. Les cosmétiques ne parviennent pas tout à fait à adoucir son visage aux traits trop nets pour être agréables, ni ses vêtements à donner des formes de femmes à un corps androgyne dynamique, délié mais sans réel relief.

Thaïs marche avec un halant presque guerrier, parvenant toutefois à slalomer entre les obstacles avec une aisance et des réflexes affûtés : si elle détonne dans un milieu social guindé, elle n'y est pas pour le moins très habituée. Son port a quelque-chose de royal, son menton reste haut et quiconque croise son regard avec une pointe de scepticisme se fait renvoyer dans les cordes par un sourire rempli d'un dangereux défi. Thaïs est ici un peu comme une anguille électrique au milieu de carpes placides : même sans possibilité de ne pas se prétendre différente, elle demeure un poisson parfaitement habitué à surnager dans ces eaux.

Bref : l'ambigüe est mondaine, aimable et certainement insolente. En s'approchant de Jade, elle écarquille légèrement les yeux -la lanyshsta est parfaitement belle et femme, à sa différence- mais garde une contenance huppée. Elle détaille sans doute sa mise et ses manières l'air de ne pas y toucher -déformation du milieu, voyez. La Noxamancienne a déjà discuté avec l'étrangère, très aimablement, par télépathie. A déjà recueilli, aussi, plusieurs de ses anciens collaborateurs occis directement ou indirectement de son fait. Ce n'est pas une personnalité pour lui déplaire, mais elle se méfie toutefois de son caractère dominant et certain de la nécessité de décisions parfois trop... unilatérales.

Thaïs est enfin dans une situation ambivalente -ça la change !- : son poste officiel lui impose de gérer Jade afin qu'elle influe le moins possible dans les Destins des Kil'déens -aussi coupables soient-ils.
Son statut officieux et ses appétences tendent toujours à l'inciter à brûler joyeusement les principes ancestraux de ses pairs...
Donc il faut qu'elle explique à Jade qu'il ne surtout faut pas faire ce qu'elle fait.
Facile ?
Misère...

Pour commencer, Thaïs s'approche de la table, où sont probablement déjà assises Oromonde et Jade et se présente à cette dernière avec allant, une main fine et délicate mais à la poigne étonnamment ferme en avant :


Dame ? Thaïs d'Ascara.




 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Julung 5 Nohanur 815 à 10h49
 



Comme à son habitude, Oromonde est en avance.

Elle n'est pas surprise de ne pas découvrir Thaïs à son arrivée ; sa filiforme et enchanteresse camarade apparaîtra sûrement avec grand fracas...en retard. Par les culottes de Scylla, Thaïs, ce ne serait quand même pas compliqué de jeter un coup d'oeil à cette montre de quatre cent hyalins que tu portes autour du poignet ! S'agace légèrement la lanyshta.

Familière des codes de conduite du Locus Solus, auxquels elle fût initiée par nul autre qu'Harvain, Oromonde se tient immobile et d'une droiture sculpturale en attendant que la chef de salle vienne l'installer. La novice Prédicatrice se présente sous le nom d'Epoch et est guidée sans autres questions vers une petite table déjà aménagée.
Un regard habile discernera sans soucis l'agencement parfaitement maîtrisé des couverts, tasses et décorations. Les napperons pliés sont orientés de façons légèrement différentes, et pourtant harmonieuses. Bien qu'elle n'a pas encore réussi à le démontrer, la scribe est convaincue que ces dispositions ne doivent rien au hasard et font sans doute partie d'un code secret propre aux domestiques invisibles diplômés de cette école. La décoration florale est ainsi aussi lisible aux yeux du botaniste cryptologue qu'un texte de poésie. Elle ne désespère pas un jour de percer ce secret. A moins, bien sûr, qu'elle ne se fasse des idées...ce qu'elle fait généralement assez bien.

Une carte des thés est disposée à son côté. Une trentaine de pages à première vue. Normal, quoi. Pour l'instant, Oromonde n'y touche pas, attendant poliment l'arrivée de ses deux interlocutrices qu'elle accueillera d'un salut ouvragé de la nuque et d'une sobre inclinaison dorsale.

La roide jeune femme présente un visage placide et contrôlé. Contrairement à sa jeune amie, qui n'est que couleurs et drames, c'est un monochrome de noir, de blanc et de silence. Elle n'a pas amenée les documents lus chez les d'Ascara jusqu'ici, préférant tout d'abord jauger des motivations de Jade et surtout, de fait, éviter une nouvelle attaque imprévue. Harvain est chargé de les conserver et de les protéger le temps que les demoiselles entament leurs valses.

Une rencontre bigarrée qui ne manquera pas d'être intéressante, c'est certain...


Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Julung 5 Nohanur 815 à 20h23
 
Il était temps de rencontrer les personnes pour qui elle avait fait le déplacement jusqu'au Kil'dé.
Jusqu'ici, son voyage, pour ne pas dire son tourisme, avait été un mélange de découvertes et de déception, chacune parvenant à garder un aspect intéressant.
Ne rester plus qu'à espérer qu'il en serait à minima de même pour cette rencontre.

Le nom de l'établissement, en lui-même, était intéressant. Et purement Kil'déen.
Le Kil'dé était à la fois le seul à conserver une noblesse dotée de privilèges, aussi mesurés soient-ils -quand bien même certains individus d'autres Sharss s'arrogeaient à l'envie les titres les plus convoités ; il devait exister des dizaines de princes des voleurs auto-proclamés, dont un Lanyshsta, mais à sa connaissance aucun vicomte du vol à la tire- et le plus ancré dans le symbolisme.
Le blanc avait cette image de pureté, de noblesse, qu'on associait aux cygnes et à la lumière éclatante de la révélation, tout en oubliant que c'était aussi celui du pus ou de l'os bien nettoyé.
Il fallait sans doute, vu le nom, s'attendre à une clientèle plus proche, au Kil'sin, de celle du Barde Eclatant que de celle des Trois Rats Indignes. Ce qui, pour la tenue, réclamait sans doute un peu plus de recherche que la tenue de voyage, si elle ne voulait pas attirer l'attention.
Rectification : si elle ne voulait pas attirer l'attention sur sa tenue en plus de sa présence.

Quelques ajustements, afin de soigner l'entrée et de ne pas attirer des regards curieux.

Ainsi, c'est une silhouette véritablement grande qui se présenta aux portes du Prince Blanc, au point de faire légèrement tiquer le jeune portier, sans l'empêcher de reprendre très vite ses fonctions.
Une fois entrée, elle repoussa sa capuche vers l'arrière, dévoilant la queue de cheval haute qui avait tendu le tissu plus haut que sa taille véritable. Mais même sans compter celle-ci, avec les talons de ses robustes cuissardes -oui, il y avait encore de la poussière de la ville collée aux semelles, non, elle n'arrivait pas par coche- elle tutoyait les deux mètres dix, ce qui, paradoxalement, lui donnait un air fragile, humble, à devoir avoir la tête penchée pour s'adresser à autrui.

Lorsqu'on s'approcha d'elle, elle se contenta de deux mots, prononcés sur un ton calme, comme une main abaissant le levier d'une machine et sachant parfaitement ce qui en découlerait.


Réservation. Epoch.

Elle avait trois choix. Enfin non, plus, mais trois valables. Le krolanne qui la désignerait automatiquement comme étrangère, sans vraiment pouvoir la localiser. Le kil'déen qui la désignerait à son accent comme étrangère non localisée, et maîtrisant la langue du coin. Et le kil'sinite qui la désignerait comme kil'sinite.
Conclusion, le krolanne était la langue fournissant le moins d'informations.

On lui désigna, humblement mais néanmoins fermement, le vestiaire.
Un Guet-apens destiné à la priver de ses armes ? Peu probable. D'une part, elle n'avait pas connaissance d'un mobile suffisant pour tenter son élimination, d'autre part, même désarmée, elle risquait de forcer autrui à mobiliser des ressources qu'on avait pas envie de mobiliser en public. Il était donc peu probable d'être victime d'une agression armée ici -la meilleure solution étant sans doute de faire intervenir des krolannes dupés en force, sans y mêler des Lanyshstas- mais il n'était jamais perdu, à titre d'entrainement, de commencer par étudier le positionnement de la salle, la localisation des sorties, les axes d'attaque au sol, les lignes de tir, et la physionomie des serveurs. Qui risquait d'intervenir en cas de mêlée ? Qui échangeait de petits gestes de connivence avec ceux dont il croisait le regard, étant de fait sans doute apprécié, ce qui en faisait un choix prioritaire pour le prendre en otage ?
Il n'y avait jamais matière à s'ennuyer, quand on avait à observer.

Même s'il était sagement à l'abri dans sa housse de cuir d'un vert profond, le lourd fusil de précision pouvait difficilement passer pour un instrument de musique, et partit donc pour le vestiaire. A celui-ci, furent ajoutées deux étuis à poignard du même vert, venant de leurs accroches sur les flancs.
Puis, sans que la moindre de ses expressions puissent sembler y voir matière à étrangeté, Jade fit glisser hors de son fourreau une longue lame à un seul tranchant, trop courte pour un sabre, trop longue pour un couteau, lequel se trouvait directement incorporé au cuir moulant de son pantalon. Si la lame était d'un vert bien moins prenant que les pièces de cuir déposées sur le comptoir, elle partageait néanmoins sa teinte avec la peau de la vigilante.
Petit geste de dénégation : elle garderait sa cape.
Pas qu'il fasse un peu trop froid pour elle -même si c'était une très bonne excuse- mais simplement qu'à retirer la soie qui lui couvrait les bras, elle accentuerait le contraste entre la finesse de ses membres et l'épaisseur de ses protège-poignets de cuir, ceux-ci pouvant paraître étranges, et pas de simples accessoires pas forcément du meilleur goût.

Lorsque la cape glissait un peu, on pouvait voir, descendant des bras, la même teinte que celle se trouvant sous le décolleté du tailleur ample d'un vert pomme agressif : un noir profond, la seule couleur qui ne fasse pas partie du monochrome de verre de tout son attirail.

Trois chaises.
Pas sur le thème "trois chaises plus la quatrième partie en balade", non, trois chaises réparties en "trois parts un tiers", de celles qui semblent présenter une symétrie parfaite à l'oeil non exercé, tout en laissant un angle plus large par lequel les serveurs avertis peuvent arriver et desservir l'ensemble de la tablée sans risquer de bousculer les convives.
Le "nous vous rejoignons" ne s'appliquera donc pas à l'intégralité de la troupe.
Pas à la table, du moins. Occupation externe ? Possible. Après tout, elle n'est pas l'attraction de l'année, il doit exister d'autres choses plus urgentes que de se réunir pour discuter autour d'une boisson quelconque. Possible aussi que l'un des trois -enfin des deux restants, l'une des places étant occupée- soit chargé de surveiller de l'extérieur.
Choix de la place. L'une des deux permet de voir l'entrée, et une partie de l'extérieur, l'autre a une vue bien moins dégagée.
Le potentiel de chaque place semble évident, et n'importe qui vous le dira : avoir l'oeil sur l'entrée, afin de voir ce qui arrive, est la première des sagesses. On ne tourne pas le dos à une porte.
Mais c'est justement parce que n'importe qui est au courant que n'importe qui d'un peu intelligent partira du principe que sa proie choisira cette place, et qu'il tentera d'innover.
Une perturbation non spécifique n'est pas à craindre, pas au Kil'dé, pas dans un tel établissement, et même si c'était le cas, ce n'est pas une position bancale qui l'empêchera d'y faire face. Une perturbation spécifique, par contre, devrait avoir du mal à l'atteindre de l'extérieur avec le dos calé contre un pilier, un palmier bloquant un côté et ne laissant qu'un angle très restreint de l'autre, et si elle doit se tourner pour espérer voir l'entrée, le reste de la salle, et notamment l'accès aux cuisines, s'offre à elle.

A l'inclinaison de Oromonde, elle répond d'un bref hochement de tête, et redresse le tissu de la chaise du bout de la botte, tant pour observer le pied que pour vérifier -on ne perd rien à ne négliger aucune piste- que rien ne se trouve en dessous.
Enfin, elle s'assoit, sur sa cape, sous l'oeil réprobateur de la propriétaire.
Oui madame, cela fait terriblement paysan, cela froisse le tissu, et de plus, la poussière de la route va aller dire bonjour au tissu. Mais franchement, madame, seriez-vous plus à l'aise si vous saviez que ce n'est pas par manque de manières, mais parce que votre cliente envisage tout les avantages à tirer d'un affrontement dans votre établissement, qu'elle agit ainsi ? Chacun ses petits secrets.

Elle détaille Oromonde. Pas assez invasif pour mériter "dévisager", trop incisif pour se contenter d'un "détailler".
Le contrôle de l'une répond à la neutralité des traits de l'autre, cette expression de marbre que Jade arbore lorsqu'elle est en phase d'acquisition d'information, sans besoin particulier d'afficher un simulacre d'émotion.

Pas un mot de sa part.

Inutile de se focaliser sur une conversation, tant qu'il reste des éléments à puiser de l'environnement.



La perfection est amorale.
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Vayang 6 Nohanur 815 à 17h29
 
Thaïs s'avance donc vers Jade et lui tend une main avenante et ferme, en choisissant instinctivement la langue krolanne -non qu'elle ne maîtrise pas le Kil'darien, mais elle ne souhaite pas exclure Oromonde de toute conversation et ignore si son hôte parle le Kil'déen.

Dame ? Thaïs d'Ascara.

La jeune fille s'installe ensuite sans ambages sur la place qui lui a été laissée. Un instant, son regard glisse sur Jade. Alors, c'est donc à ça qu'elle ressemble... Grande -elle dépasse Thaïs de plus de 20 centimètres !-, mâture -elle a bien 15 ans de plus que l'adolescente-, forte -dans son attitude, son aura. Féminine mais pas dans la séduction -un esprit pratique, sans doute aucun. Finalement, Thaïs se dit que Jade colle assez bien à l'idée qu'elle s'en était faite et comprend mieux son surnom de "la Verte" -choix des vêtements, reflet de la peau et des cheveux et couleur des yeux, il y a là une cohérence sans aspérité apparente. Seules les courbes de l'étrangère étaient imprévues et la perturbent quelques secondes : Thaïs imaginait Jade globalement moins... femelle.

A côté, la Kil'déenne fait gamine et chétive, mal finie. Il est presque incongru de voir en elle une menace quelconque tant elle semble fragile de carrure et déconnectée du monde réel -avec sa perruque et sa silhouette où les formes ont oubliées de pousser.

Toutefois, Thaïs ne semble pas le moins du monde décontenancée : si Jade est un chat au pelage luisant et aux griffes certaines, l'adolescente pourrait incarner un rat sacrément retors. Et puis la jeune Noble a depuis longtemps pris le parti de côtoyer des gens en tout point supérieurs à elle physiquement, même si la présence d'une jolie Dame lui fait toujours courir un curieux frisson sur la peau...

Sans laisser le temps à un silence pesant ou à un malaise quelconque de s'instaurer, Thaïs entame une conversation pleine d'allant :


Oromonde m'a dit que vous souhaitiez nous aider dans le... cas Carmïnn. Je vous avoue que nous sommes dans une situation... délicate, et que toute nouvelle force s'avère bienvenue.

Un silence. La serveuse passe et, constatant que manifestement le choix de thé n'est manifestement pas encore fait, s'éloigne d'un pas dynamique. La table est dans un lieu relativement isolé, les conversations peuvent se faire en toute discrétion -Harvain sait toujours choisir des places de rendez-vous délicieuses et garantissant un anonymat parfait. Thaïs reprend :

Nous avons dû quitter mon domicile après un incident malheureux. Quelqu'un, ou quelque-chose, à essayer de nous... endormir. Avant de nous faire quoi, nous ne le serons heureusement probablement jamais...

L'affaire a été classée par la Défense, bien que reprise par un Apostat dont nous ignorons encore l'identité. Concernant la Famille en question, le fils manque à l'appel -mère égorgée sur le seuil de sa porte, père disséqué, brûlé, éventré. Aucun vol notable, bien entendu.

Je ne peux m'empêcher de faire le lien entre ce fils disparu et la recherche de Klem de son soi-disant fils. Surtout que c'était la dernière enquête où il a travaillé de façon connue...


Le regard est appuyé. Jade a participé à la recherche de ce "fils", semble-t-il à Thaïs. L'adolescente paraît réfléchir avant de rembobiner sa logique et de repartir du début -merveille d'un esprit foisonnant :

D'ailleurs avez-vous une idée des actions que vous pourriez mener ? Kil'dé est un Quartier tranquille où les étrangers, les Sans-Destins -ne voyez rien d'insultant dans ce terme- se doivent d'impacter le moins possible les trames de vie des habitants...

 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Sukra 7 Nohanur 815 à 15h38
 
La vie est une adaptation perpétuelle.
Ou du moins, elle a tout intérêt à l'être si elle a envie de durer un minimum.
Thaïs était très proche de ce à quoi elle s'attendait. Par bien des aspects. Mais d'autres -notamment le caractère emporté affiché, signe d'immaturité émotionnelle pouvant coller à une adulte légèrement attardée sur un plan psychologique, mais étant au final cohérent avec l'âge réel- devaient être recalibrés immédiatement.
Car si son caractère collait mieux à son âge apparent, d'autres capacités, qu'on pouvait estimer normales chez une adulte, venaient alors faire un tour vers les secteurs du "en avance sur son âge". Et de fil en aiguille, avec une minuscule inclinaison de base, d'autres éléments se trouvaient grandement altérés au sommet de la construction mentale.
Mais soit on acceptait de perdre du temps à rectifier de telles choses, soit on acceptait de se bâtir des opinions sur une vision erronée des choses.


Elle avait serré la main sans répondre, la répétition d'éléments connus n'étant pas une technique des plus efficientes.
Ainsi il manquerait Harvain. Dommage, même si on avait ici un équilibre, certes instable.
Mais au moins, ils ne perdraient pas de temps en discours inutiles, puisque Thaïs entama directement le vif du sujet.

Parfait, autant jouer cartes sur table. Sans pour autant négliger les observateurs.
Il était tentant de se focaliser entièrement sur une personne, afin de décortiquer chaque élément, de prévoir son prochain coup en se ménageant un avantage. C'était ainsi qu'elle était parvenue à déstabiliser Obadia. Mais dans le cas présent, se concentrer sur la seule Thaïs, qui prenait logiquement les rênes de la discussion, aurait signifier laisser Oromonde dans l'ombre. Tant qu'elle n'en savait pas plus sur ses interlocutrices, mieux valait varier les sources d'information.

Aussi, tout en réagissant aux propos de Thaïs, ses oreilles restaient attentives au reste de la salle, son regard ne quittant pas Oromonde.


Pas d'inquiétude à avoir. Je sais me faire aussi discrête que nécessaire lorsque le besoin s'en fait sentir. En nettoyant les témoins, ou en m'abstenant d'être vue, tout simplement. J'ai tendance à privilégier la méthode la plus efficiente, mais il est généralement possible d'incorporer une limitation non bloquante à l'exécution des tâches.

La formulation, néanmoins, était intéressante. Soit elle était volontaire et réelle, chargée de la titiller, soit volontaire et fausse, afin de l'induire en erreur -le premier cas étant peut-être plus plausible que le second, mais la récente réévaluation ne permettait plus de négliger le second cas- soit c'était involontaire, une transcription non pas de la réalité, mais du ressenti de la réalité.
Les étrangers se doivent d'impacter le moins possible les trames de vie des habitants.
Je ne suis pas une étrangère. J'ai le droit d'impacter les trames de mes Voisins.
En éliminant le cas d'Apostasie, restait donc la conviction que la transformation en Lanyshsta octroyait des droits nouveaux mais, celui-ci n'étant pas partagé, il était plus crédible que ceci soit lié à une opinion personnelle : Thaïs d'Ascara, de par sa naissance, ses fonctions, et/ou sa nature, recueillait assez d'éléments pour avoir le droit de bouleverser la vie d'autrui dans son Kil. Et la limitation s'étant mise sur le Kil'dé, et pas étendue ailleurs -Jade était pourtant curieuse de voir comment aurait terminé un Kil'déen tentant d'interférer avec un projet interne au Kil'dara- ce droit devait s'étendre à la Cité.

Hypothèse d'orgueil validée.

Et ce de façon d'autant plus amusante qu'elle l'était via une forme d'appel à l'humilité.

Ceci étant dit, le portrait psychologique pouvait attendre face aux nouveaux éléments d'enquête.


Les actions que je pourrais mener ? Le suivi d'un plan à long terme. Et quand on regarde un plan à long terme d'assez près, on constate que c'est une suite d'improvisations sur l'instant.

Inutile, ceci dit, de partir trop sur la théorie grandiloquente ou les jolies images. On lui offrait du concret, elle rendait du concret. Première règle : ne jamais sous-estimer l'adversaire. On pouvait aisément réajuster ses hypothèses pour les adapter à un crétin, mais rarement pour les rehausser à posteriori.
Elle avait un cas, et il ne restait plus qu'à progresser de la même façon qu'au Kil'sin : en reprenant l'enquête. Mais en pensant avoir affaire à quelqu'un de malin.


Quel âge est sensé avoir le fils ? Son existence est-elle confirmée ?

Avant tout, mieux valait expliciter un peu ses questions.

Oui, Klem a évoqué un adolescent fugueur, ce qui était un mensonge vite perçu, et assez vite admis par lui. Mais, lors de ses premiers contacts, peut-être encore perturbé par l'altération mentale dont il a été la victime, il avait laissé échapper une pensée, une référence à quelqu'un de sans doute bien plus jeune. Sans que je sois persuadée que celui-ci n'était pas un appât mental, d'où la demande de confirmation de présence d'un enfant, tant par document que par témoignages de voisins.

Mais c'était là plus une curiosité qu'une aide directe. On voulait toujours sauver les vivants, mais on en oubliait trop vite de parler aux morts. Et même quelque chose qui manquait pouvait être trouvé, si le trou était assez semblable à sa silhouette.

Femme vraisemblablement non pertinente. L'égorgement est une mise à mort sûre, rapide dans le geste d'éxecution, quelque chose de crédible pour se débarrasser discrètement d'un obstacle sur le perron afin de passer aux choses sérieuses à l'intérieur.

Le corps du père... N'est pas cohérent. Des brûlures sont efficaces en torture, mais soit elles sont suffisantes, et on passe à une élimination pragmatique, soit elles ne le sont pas et on continue plus ardemment. Mais même si elles sont globalement efficaces, elles réclament une logistique théoriquement mise en place quand on a plus de temps. Et on a alors tendance à commencer par des lésions plus douces, la gradation étant importante.

De même, éventration ? Pour de l’exécution, c'est trop lent, à moins de percer en profondeur, afin de trancher les organes et pas seulement la gaine abdominale. En guise de torture, c'est trop brutal, c'est un geste final, irréversible.

Trois hypothèses en découle :
1) C'était un incubateur. L'oeil, ou autre chose, en est sorti, faisant usage de ses appendices pour se frayer un passage. Aspect sans doute déchiré, brûlures sur la paroi interne des plaies. L'enfant pouvait avoir son importance, l'entité mise en incubation dans son père pouvant avoir été mise là à fin de surveillances, ayant peut-être été éveillée par l'éveil des capacités de l'enfant spécifiquement recherchées.
2) On cherchait quelque chose. Avec des outils brutaux. le père était la cible. S'il a effectivement été "disséqué", c'est que l'objet de la recherche n'était pas là où il était prévu qu'il soit, et que les autres recherches n'ont rien donné. L'enfant pourrait avoir été enlevé en guise de pseudo-rançon, afin de faire valoir son déplaisir du à la disparition d'un élément précieux.
3) C'est une mise en scène. Un corps mutilé, car la mutilation choque, et est rare. L'éventration, en ce sens, est un très bon choix, car l'aspect visuel est nettement plus fort que l'empalement anal par un tisonnier chauffé à blanc, par exemple. On peut savoir à l'avance qui récupérera l'affaire. L'enfant pourrait être un appât. Potentiellement inventé.


Une pause. Quelque chose la titillait, là dedans, la gênait, sans qu'elle mette la main dessus.

Je suis étrangère ici, oui. Ce qui joue tant sur mes handicaps que mes avantages, car je suis avant tout un profil adapté.
Sans rentrer dans les détails d'une explication des différentes étapes de déductions, la personne qui a repris l'affaire -personne au sens d'entité unique reprenant plusieurs caractéristiques. Il peut s'agir d'une unique personne, ou d'un groupe de personnes- cumule des capacités et dons d'Apostat, Lanyshsta, prédication. Ce qui assure non seulement l'excellence de ses capacités de traque sur un plan psychique, physique -les capacités d'enquête de base sont accessibles à tous-, et statistique, mais aussi sa protection potentielle, voir son imperméabilité quasi totale, à ces mêmes techniques de recherche. En tant que Lanyshstas d'origine Kil'déenne, et ayant des compétences autres, vous êtes -tout comme Carmïnn, des proies idéales.
Pour ma part, j'ai sciemment développé des capacités spécifiquement destinées à la traque de Lanyshstas, qui n'égalent sans doute pas celles d'un potentiel spécialiste ancien, mais qui seront mieux que rien. Je suis de plus étrangère, non seulement au Kil'dé, mais aussi, vraisemblablement, à la Cité, ce qui rend aveugle une capacité de notre nettoyeur de pistes. Et accessoirement, depuis la création des Comités de Vigilance, je suis spécialisée sur la résolution d'enquêtes non résolues, autrement dit, entrainée à dénicher le petit détail qui aura échappé aux autres.


Je ne suis sans doute pas la seule à pouvoir servir ici. Je ne puis probablement pas faire jeu égal sur tout les plans avec cet Apostat. Mais je suis potentiellement ce qui s'en rapproche le plus.

Mes actions, c'est à vous de les nourrir, au gré des circonstances. Mes handicaps, c'est à vous de les pallier. Car effectivement, je suis une Sans-Destin. Et non, je n'y voit rien d'insultant, mais le fait que vous ayez pris soin de le signaler laisse donc penser que cela aurait pu être le cas. Qu'une marionnette chérisse à ce point ses fils semble indiquer qu'elle les pense faits d'or, ce qui est, en soit, intéressant.


Ne voyez rien d'insultant dans le terme "marionnette", bien sûr. Non. Généralement, le fait de percevoir l'insulte latente, et de vouloir la désamorcer, démontraient une intelligence capable de trouver une périphrase satisfaisante, mais y renonçant soit par excès de fainéantise, soit par envie d'affirmer une image de "je ne suis pas diplomate", soit encore de titiller la personne en face. Il aurait été intéressant de retourner le regard vers Thaïs pour mieux analyser sa réaction à ce moment, mais Oromonde avait parlé de compétences, de liens avec la Prédication. Elle devait tenir autant à son mode de vie, dans sa chair, que Thaïs dans ses paroles. Elle serait sans doute, pour le coup, plus intéressante.

On parlait de mutations, chez les Lanyshstas, des histoires affreuses, répugnantes...
N'empêche, Jade aurait eu l'utilité de quelques paires d'yeux supplémentaires.

Et, chose au combien rare, elle gâcha elle-même une partie de son observation en continuant d'un air pensif quand elle aurait du se taire.


Hypothèse 4 : Double piège. On a fait une scène horrible sachant que Klem serait appellé dessus. Sauf que la disparition de l'enfant a joué le rôle d'appât et l'a mis hors-jeu, nous faisant du coup entrer dans le calcul. Mais affaire étrange non résolue + disparition d'un enquêteur dont un Apostat-Lanyshsta-Prédicateur n'ignorerait pas le statut ne pourrait alors avoir qu'une unique conséquence : l'implication directe de cet Apostat.

Ce qui faisait de lui la cible initiale, et d'eux tous les chiens chargés contre leur gré de le dénicher.
Stop. Qui essayerait alors de dénicher cet Apostat, ce protecteur du Kil'dé ? Sans doute le Traqueur de la seconde vague, qui s'attaquait alors à un ennemi qu'il était incapable de débusquer autrement. peut-être parce que lui-même était du Kil'dé, et que le super-Apostat avait alors un cran d'avance. Mais s'il surveillait Carmïnn...
L'ennemi de mon ennemi a beau ne pas forcément être mon ami, la collaboration Carmïnn-Traqueur était peu probable. Elle en avait peur. Départ chez les Dath'ogals non pas pour le chercher, mais pour se protéger ? Quel pourrait être son lien ?
A moins bien sûr que Carmïnn n'ait eu un enfant qu'elle ait confié aux Flicksen, ce qui ferait un merveilleux moyen de pression.
Re-stop. Et l'implication des Obadias là dedans ? A moins que le Traqueur ne soit relié aux Obadia, et que ce soit lui qu'elle ait senti alors.

Non, plusieurs éléments ne collaient pas, d'autres collaient trop bien...
Et il n'y avait qu'une façon de savoir, c'était de tirer sur le fil pour voir ce que le rideau cachait.
Elle suspectait un subterfuge. Quelqu'un d'intelligent. Qui aurait multiplié les voiles. Quelle était la meilleure cachette ? Là où on ne regarderait pas. Parce que ce n'était pas pertinent, pas intéressant. Le passé lointain d'un insignifiant, par exemple. Le genre de détail que même quelqu'un de doué était susceptible d'avoir oublié...


L'Augure de madame Flicksen lui avait-elle prédit un enfant ?

Et l'endormissement, chez vous ? Avant ou après avoir récupéré ces informations ?


Réadaptation, encore. Elle avait initialement compris que c'était chez les Flicksen.
Ailleurs, elle avait quelques hypothèses, mais surtout, cela voulait dire que ce n'était pas un système de défense, mais bien d'attaque.

Et on attaquait que ce qu'on voyait. Et on le surveillait.
Ou de défense... Mieux valait de défense.


Soit vous avez ramené quelque chose chez vous que vous n'avez pas encore abordé, soit Harvain est potentiellement en danger.


La perfection est amorale.
 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Sukra 7 Nohanur 815 à 16h33
 


Qu'est-ce-qu'on s'amuse comme des petites folles, à discuter meurtres, tortures, sociopathie, empalement par voie anale au tisonnier chauffé, règles de comportement des sans-destins, et à jouer les chiennes de faïence ! Cela ferait presque sourire Oromonde, sincèrement amusée par, disons, l'originalité de la conversation. A l'arrivée de Thaïs, elle lui a lancé une bref reconnaissance psychique, un simple sentiment de soutien et de présence comme elles ont l'habitude d'en échanger depuis leur rencontre. Quant à Jade, elle n'a pas pu dissimulé sa perplexité et surprise à la voir ainsi soulever la nappe et regarder comme pour les faire parler le moindre recoin du mobilier présent. Quelle étrange créature. Bien sûr, elle a déjà pris contact avec elle il y a à peine un mois ou deux, lors de l'épisode aux égouts (beurk), mais, dans le feu de l'action, elle n'a pas relevé, disons, l'incongruité générale du personnage. Elle s'était plutôt focalisée sur l'efficacité assez démentielle de la créature. Oromonde étant loin de même soupçonner que cette rencontre puisse mal tourner, elle n'imagine pas une seconde que Jade est en réalité en train de faire la reconnaissance tacite des lieux et de l'analyser. De son point de vue, c'est juste une grande perche verte qui essaie de lui faire du pied sous la table, dans un mutisme autiste, en semblant un peu trop intéressée dans la disposition environnementale pour être saine d'esprit. Ceci dit, c'est vrai que ces tasses de thé sont plutôt jolies. Peut-être qu'ils n'y sont pas habitués, au Kil'Sin.

Sentiment que lui rappelle désormais l'exposé de Jade tandis qu'elle répond longuement à Thaïs. Cependant, la mécanique rhétorique à l’œuvre est des plus intéressantes. Elle se doutait qu'en contactant Jade, elle gagnerait un point de vue nouveau et englobant, ce qui lui paraissait être une position dont ils manquaient actuellement. Une vision systémique des choses. A condition de ne pas s'y enfermer, ça constituait des pistes.

Quelques petits éléments la font tiquer dans le discours de Jade. « Plan à long terme », parce qu'elle ne comprend pas ce que la lanyshta veut dire par là. Et toutes ces histoires d'enfants auxquelles elle n'avait pas pensé. D'autant que, de fait, ni Thaïs ni elle n'ont pour le moment avancé  sur l'enquête : il s'était passé peu de temps depuis leur sortie au Locus. Et, effectivement, le passage sur la marionnette est un peu curieux, mais la Prédicatrice est habituée à ce que les Sans-destins lui sortent des trucs bizarres comme ça. Elle se rappelle encore de la tentative d'explication d'Yloyse qui avait tenté de lui parlé de démocrate. Bizarres, ces gens. Habituée aussi à ce qu'on ignore grosso modo son point de vue dès que le mot « liberté » était lancé, la Prédicatrice ne considère pas opportun pour le moment de reprendre les conceptions de Jade sur la question. D'expérience, ce genre de débats est souvent improductif.

Oromonde en profite tout de même pour jeter un coup d'oeil à la carte de thés, en avisant la propriétaire qui profitera sans doute du premier moment de silence pour apparaître et leur demander leur commande.

D'une voix douce, la jeune femme s'immisce dans la conversation, la tête plongée dans les descriptions aromatiques des différents breuvages.

«  Je me permets d'intervenir sur la question des Augures.
Leur interprétation reste ce qu'elle est : une interprétation parmi d'autres. Il est très peu probable que ce moment « d'endormissement » figure sur l'un ou l'autre de nos augures, à moins d'être final. Très rares sont les Augures réellement exhaustifs et détaillés dans leurs circonvolutions. Et ils sont d'une lecture assez ennuyeuse, je dois dire.

Pour ce qui est des Flicksen, il est de notre intention de vérifier cela. Dès la fin de cette conversation, en fait. 
Et je vais simplifier vos hypothèses : les documents mentionné sur les Entrelacs sont actuellement conservés avec soin et nous n'avons pas voulu les laisser sans surveillance.
Je ne suis pas sûre qu'ils aient réellement de l'importance, bien qu'un des messages a été nettement rayé et modifié peu avant de nous le transmettre. Peut-être serait-il possible de décrypter son message originel dans un laboratoire spécialisé selon des méthodes de copiste.
En tout cas, les papiers ont attiré l'attention. Mais s'ils étaient si précieux que ça, je doute que nous les aurions obtenu en premier lieu. Ne surestimons pas leur importance, même s'ils constituent notre point de départ ici. »


Saveur « myriade myrtilles, teinte de caramel et poire salée à la fleur de sel... » ça existe, ça ? Se demande-t-elle en poursuivant sa lecture.


Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Dhiwara 8 Nohanur 815 à 19h14
 
Thaïs lance une oeillade complice à Oromonde alors que Jade entre dans un résonnement aussi construit qu'impressionnant. Didactique et... machinal. La capacité d'analyse et de déduction scotche Thaïs, et le débit pointilleux, au vocabulaire et à l'expression si particuliers, amuse l'adolescente. Elle comprend mieux, au fil des mots de la Verte, ce système de pensée, apparemment dénué d'aspérités ou de faiblesses, capable de broyer quiconque s'y oppose -ou quiconque peut être utile à broyer pour étude. La d'Ascara est à mille lieu de ce système, instinctive et parfois irréfléchie, emportée et jeune, capable de se lancer bille en tête dans les opérations les plus dangereuses sans trembler. Parfois, l'improvisation totale et l'imprévisibilité parfaite dispose de ses forces. Statistiquement moins souvent que la planification méticuleuse et la réflexion approfondie, certes.

La d'Ascara laisse filtrer un petit sourire à l'évocation péjoratives des liens qui guident les Kil'déens. Une étrangère ne peut comprendre, et la Commis ne relève pas.

Pour le reste, Thaïs note attentivement les nouvelles portes révélées par Jade -quelques minutes qu'elle est là et déjà beaucoup de nouvelles possibilités se révèlent, certaines plus plausibles que d'autres. Elle écoute aussi Oromonde en hochant calmement de la tête, rejoignant les remarques de sa compagne. Elle rajoute, ses yeux sur la carte des thés -bordel, elle ne sait jamais quoi choisir !


Harvain est en sécurité. L'Augure est en effet la prochaine étape.

Je ne vois pour l'instant que des voies d'investigations officielles : vérifier les trames de vie -ce qui nous confirmera ou non l'existence avérée de l'adolescent-, regarder si des affaires similaires se sont déjà produites, en Kil'dé ou ailleurs -vous pourrez sans doute activement nous aider sur ce dernier point.

Nous faisons face à des ennemis contre lesquels votre... expertise est vitale. Nous pouvons continuer de faire les proies identifiées, si vous voulez tenter de chasser le chasseur.


Un sourire. Thaïs semble arrêter son choix sur l'un des rares thés comportant moins de cinq ingrédients, dont la simplicité la séduit. Un breuvage se dégustant sans sucre, assurément. Peu subtil et direct.

Parallèlement, le ton reste léger dans la bouche de l'adolescente, comme un simple babillage entre amies. Thaïs paraît fragile physiquement, assurément, pourtant elle évoque l'intervention -la protection- de Jade sans afficher la moindre peur pour sa propre vie. Elle est dans une affaire sombre et dangereuse, mais évolue dans ce contexte avec un flegme certain.

La d'Ascara complète :


Votre théorie sur l'implication coupable de cet Apostat est très intéressante. Toutefois, s'il a enquêté officiellement sur l'affaire -comme c'est noté dans les dossiers de la Défense, bien que son nom soit barré-, il ne doit être guère difficile à retrouver. Il a dû mener des interrogatoires, tracer son action -qui était officielle.

Je me permets de souligner le caractère... sacré des Apostats en Kil'dé. Dans un Quartier où nous sommes tous prédestinés, l'Avenir leur a offert tous les possibles. Outre sa dangerosité potentielle, nous parlons de nous attaquer éventuellement à une... entité sacrée.


Thaïs évoque cela sans cérémonial particulier ni gravité appuyée. Comme un simple constat.

La serveuse ne va pas tarder à revenir...


 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 8 Nohanur 815 à 21h29
 
Noté.

A regarder l'une, il faut bien s'adresser à l'autre pour maintenir le contact.
Ceci étant dit, après la réponse d'Oromonde, elle se laisse aller à laisser passer ses yeux de l'une à l'autre, et à la salle : pas que les choses deviennent inintéressantes, juste que l'observation a ce qu'on pourrait appeller un... Rendement dégressif.

La marionnette n'a pas engendré de réactions. Vu l'implication de l'une, et l'impulsivité de l'autre -ou du moins, l'implication et l'impulsivité supposées- elle s'attendait à des manifestations plus vigoureuses.
Pas grave : il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réaction, il n'y a que des informations, et passer outre ou expliquer sont des éléments aussi intéressants qu'un discours enflammé sur la supériorité culture Kil'déenne.
Pas qu'elle soit du genre à vanter la variante Kil'sinite, ceci dit.

Bon, en recoupant les réponses, qu'apprenait-on aussi ?
Documents conservés avec soin. Non laissés sans surveillance. Surveillance par quelqu'un extérieur aux Lanyshstas ? Au Kil'sin, cela aurait été un "non" direct, mais ici, il ne fallait pas sous-estimer l'aura des familles nobles, et le poids des traditions. Qu'ils aient accès à des krolannes aveuglément dévoués restait possible.
Harvain en sécurité. Là aussi, les subtilités sémantiques pouvaient aboutir à un contre-sens, mais on pouvait "ne pas se faire de soucis" pour la sécurité de quelqu'un irrattrapable, préférant laisser "en sécurité" les personnes dans un endroit sûr.
L'habitation des d'Ascara aurait pu remplir les conditions requises, mais c'est là qu'avait eu lieu l'attaque. Thaïs pouvait-elle avoir un deuxième endroit considéré comme sûr ? Une sorte de garç... De filleière ? Les moeurs Kil'déennes étaient différentes de celles Kil'sinites, et un fort besoin d'indépendance pouvait fortement inciter à posséder un tel pied-à-terre, mais outre les ressources nécessaires, il fallait généralement un certain niveau de contrainte avant d'arriver à cela. Et Thaïs n'était probablement pas mariée, ou alors depuis peu. Sans compter que, dans l'hypothèse d'un domaine secret, où garder son autonomie, une adolescente aurait eu du mal à faire entrer autrui, surtout un subordonné -sauf si celui-ci était déjà en charge de l'endroit.
Venant d'Oromonde... Posée. Pas chez elle : si une habitation était menacée, les autres pouvaient l'être aussi. Elle pouvait avoir des amis, des personnes en qui elle faisait confiance. Elle semblait au moins se faire aisément des amis, cf l'épisode des égouts.
Harvain restait la pièce mystérieuse, la moins analysée, mais devait avoir accès à un réseau d'anciens maîtres ou apprentis, des connexions dans certains établissements.

Seul dans le nid secret de Thaïs, chez des amis de Oromonde, ou derrière les murs d'une institution où il cotoyait ses pairs : c'était les trois possibilités principales pour y trouver Harvain et les documents, les seconds se trouvant sans doute sous la garde statique du premier. Avec, dans presque tout les cas, une présence krolanne alentours.


L'identité du barreur pourrait aussi être intéressante.

Pourquoi barrer un document ? C'était du travail en plus, pas tant pour la main que pour la réflexion. On devait repérer tout les éléments sensibles, et les barrer. Sans en oublier un. Si on voulait bloquer quelqu'un, il suffisait de détruire le document, ou de le refuser. Si on voulait l'aider, on le lui donnait. Qu'on barre le document, et cela signifiait soit qu'on désirait titiller la personne à qui on le donnait, soit qu'on tentait de concilier la personne nous ayant dit de ne rien diffuser, et celle à qui on préfère ne pas refuser un document.
Dans le premier cas, pour peu que ce soit l'Apostat qui ait barré le document, cela ne renseignerait pas sur son identité, mais éclairerait ses intentions.
Dans le second cas, cela désignerait quelqu'un sous pression, se sentant coincé entre deux feux dont il ignore lequel est le plus fort, autrement dit, quelqu'un qu'il devrait être relativement aisé d'interroger de façon rentable.

Ah, le thé, aussi. Les impressions fugaces, perplexité, satisfaction -ou excitation, difficile à dire- qui passaient sur les visages de Kil'déennes montraient la progression de leurs choix. Jade n'ayant pas encore ouvert la carte des thés, elle s'en saisit et, sans même faire semblant de l'ouvrir, la reposa de l'autre côté de son assiette. Si on ne pouvait présumer des capacités globales d'observation des personnes, dans le cadre de leur spécialisation, on pouvait s'attendre à du haut niveau. Additionné à une disposition quasi ritualisée, il ne faisait nul doute que l'association "carte fermée" et "changement de la position initiale" serait interprété comme "choix fixé", et elle ne retarderait pas la prise de commande lorsque les autres aurait fini.

Ceci dit, quasi machinalement, elle palpait la couverture de la carte, la pulpe de son pouce glissant sur la tranche, engrangeant de façon quasi automatisée des informations de dimension, texture, nombre et souplesse des pages, à défaut de s'intéresser aux informations écrites.
Lorsqu'une information est accessible à un grand nombre de personnes, il est généralement inutile de s'intéresser à son extraction systématique : elle sera encore accessible aisément en cas de besoin. Les informations rares étaient privilégiées.


Il me semble qu'on nait Apostat, qu'on ne le devient pas... Mais à part une vérification initiale, y a-t-il un signe de reconnaissance sûr de l'Apostasie ? Une caractéristique indéniable ?

Pour envisager le pire des scénarios possibles auquel elle souhaiterait être confronté, Jade se livrait habituellement à un petit exercice mental simple : cela commençait par "si j'étais dans ce cas, qu'est-ce que je ferais ?".
La protection que la tradition offrait aux Apostats avait visiblement -et sans doute intentionnellement, cela choquant la morale Kil'sinite- été sous-estimée dans les ouvrages traitant du Kil'dé.
Du coup, en Lanyshsta Kil'déenne, qu'aurait-elle fait ? Elle aurait tout fait pour "devenir" Apostat, pour avoir ce bouclier et cette arme terrible, quitte à se forger un alias de toutes pièces.
Kil'dé avait sans doute de très bonnes méthodes pour savoir qui était réellement un Apostat, et qui simulait. Mais l'infaillibilité de telles méthodes de repérage tenait justement à leur caractère secret : si tout le monde savait que le mot de passe était "chasse au pigeon", n'importe qui était capable de repérer celui ne connaissant pas le code. Sauf que tout le monde le connaissait. A l'inverse, qu'on soit le seul à le connaître, et on saurait, de façon infaillible, trouver ceux qui ne connaissent pas le code. Mais ceux tentant de se faire passer pour nous poursuivraient jusqu'à croiser notre route.


Bref. S'il était probable que les Apostats aient le moyen de se reconnaître entre eux, un faux Apostat, protégé par son statut, serait imperméable à toute investigation de la part de non-Apostats.
Il était bien sûr possible, sinon probable, qu'on ait affaire à un véritable Apostat mais vu qu'il serait délicat de s'attaquer à une telle personne, autant ne pas négliger les angles d'approche les plus doux.

Ceci dit, les prédictions aussi recélaient un danger. Peut-être moins visible quand on était plongé dedans.

Et oui, je me doute qu'une attaque non létale ne serait pas indiquée dans les Augures. Un enfant pourrait raisonnablement l'être. Mais cette "imprécision" est justement intéressante.

De temps en temps, une belle image valait mieux qu'un long discours. A défaut de dessin, elle pouvait donner un exemple.

Lorsque j'ai acquis mon premier fusil au Kil'sin, le vendeur m'a prétendu qu'il était "fiable jusqu'à deux cents coudées", expliquant qu'au delà, il y avait trop d'influence néfastes et que la chance intervenait.
Il réglait la hausse proportionnellement au carré de la distance, expliquant que les études avaient montrer que la balle chutait ainsi. Et de même, latéralement, il déviait en fonction du souffle du vent.
Je touche régulièrement à trois cents coudées. Sans chance. Simplement en prenant en compte la perte de vitesse de la balle avec la distance, qui augmente les compensations à longue distance, et en ponçant les balles standardisées afin d'éliminer les reliquats de ligne d'assemblage dues aux productions en chaine. Et en prenant au maximum en compte la réaction de la cible -à trois cents coudées, elle n'a pas le temps de réfléchir à ce qu'elle doit faire, mais un mouvement réflexe est généralement entamé, et il faut en prendre compte, idéalement en connaissant la cible.
J'ai la même arme, les mêmes cibles que d'autres. Mais je touche mieux, car ma lecture des circonstances est plus poussées.


Et les Augures... C'est cela, non ? Des éléments complexes. Qui subissent même une double interprétation : une à l'écriture, une à la lecture. D'où des imprécisions, que l'on explique par d'inévitables interprétations.
Au Kil'sin, la plupart des gens sont prêts à raconter une ou deux blagues sur une prédiction incorrecte. Mais elles tombent trop souvent juste pour que cela soit basé sur du pur charlatanisme, c'est statistiquement impossible.
Donc, que quelqu'un parvienne à lire les éléments de complexité, qu'il ne soit pas simplement instruit dans l'art de la prédiction, mais également doué. Qu'il ait les éléments pour réécrire, de lui-même, une prédiction sur autrui. Et les connaissances pour les décrypter.

Vous l'avez-dit vous-même, les Augures réellement exhaustifs sont très rares. Leur forme n'est donc pas normalisée, et ils existent.
Dans ce cas... Quel est la limite théorique d'une telle pratique ? Ou à minima, quelles limites expérimentales ont été atteintes ?


Elle avait précédemment dit à Oromonde qu'elle n'aimait pas poser des questions, les questions d'autrui étant généralement plus instructives que ses réponses. Mais sur certains points, orienter la conversation sur des éléments précis était préférable, et quitte à ce que ce soit sur un plan purement théorique, la manipulation d'Augures par un Lanyshsta-Apostat avait un potentiel assez... Prenant.


La perfection est amorale.
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Luang 9 Nohanur 815 à 22h11
 
Pour Lina van Del Bry, la propriétaire de cet modeste établissement, la vie est bien calme. Elle en a vu des choses dans sa jeunesse, elle en a fait des choses également. Mais maintenant, à son âge, elle a raccroché les armes au vestiaire, investi ses quelques économies dans un salon de thé et vit une retraite bien paisible. De temps en temps, elle organise des parties endiablées de bridge avec quelques copines de promotion à siroter un alcool de mirabelle, à fumer des barreaux de chaises et à se remémorer le bon vieux temps. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure. Aussi, lorsqu'un coursier est venu réserver une table pour trois au nom d'Epoch, Lina porta inconsciemment la main vers l'endroit où était situé son hostler pendant une vingtaine d'années. Que voulait bien faire cette vieille carne d'Harvain pour qu'il en vienne à utiliser un de ses pseudonymes d'urgence ?

Mais des décennies d'obéissance aveugle eurent raison de toute autre considération et elle continua ses affaires comme à l'accoutumée. Elle se fendit de quelques haussements de sourcils - un défaut de fabrique du Locus Solus - en prenant le vestiaire de la grande invitée aux tons d'émeraude. Elle ne s'y trompe pas et d'un oeil connaisseur, mais rouillé, reconnait du bon matériel. Quelqu'un qui se trimballe avec un tel matériel est soit un vantard soit un expert. Et au jugé du pseudonyme employé, ce n'est pas le premier cas de figure. Quant aux deux autres personnes, Lina est suffisamment physionomiste pour en dresser un bon portrait intérieur. Ahlala, que de souvenirs ça lui rappelait. A son époque, on se donnait rendez-vous sur un pont une nuit de pleine lune, sur le tarmac d'un aérodrome, dans un sous-sol insonorisé... c'était moins confortable mais ça avait plus de panache ! Maintenant, les jeunes générations vont au salon de thé, tout fout le camp. Enfin bon.

Mais la plus grosse inquiétude de la propriétaire était présentement quand intervenir pour prendre la commande. Les fondements de la restauration étaient très clairs là-dessus, éviter de venir prendre la commande quand la discussion semblait sérieuse pour ne pas déranger. Sauf que là, depuis le début, à en juger par la concentration des trois protagonistes, ça risquait d'être très long... Tant pis, comme il existe des raisons d'état qui peuvent consentir la mort de milliers d'individus pour la sauvegarde de millions, il y a des raisons de service.

Prenant son calepin, Lina s'approche lentement pour être bien visible des clientes.


Bonjour mesdemoiselles,

Révérence de quinze degrés. Etrange sensation familière.

Bienvenue au Prince Blanc. Avez-vous fait votre choix ? Le thé du jour est l'aiguille d'or. Composée de magnifiques bourgeons dorés, séchés au doux soleil du Kil'dara, ce thé extrêmement rare est produit en quantité très limitée. Son goût rond et malté soutenu d'un parfum délicat de longane, reste longtemps en bouche et inonde le palais de fragrances inoubliables.

Avec ceci, nous vous recommandons un fraisier aux éclats de pistache et chocolat blanc.


L'espace d'un instant, la figure de Lina s'est illuminée en parlant du thé. Une secte bien étrange que celle des adorateurs du thé.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Merakih 11 Nohanur 815 à 15h27
 
Apercevant l'approche de Lina, Oromonde esquisse un geste de la main pour signifier qu'elle s'apprête à répondre, mais attend l'arrivée (et le départ) de la propriétaire.

«  - Je vous prendrai un thé Ingaloo B, merci. Et une part de fraisier. »

Un breuvage aux agrumes et aux feuilles d'hibiscus associé à une part de chocolat blanc, comment refuser ?

Une fois les commandes prises et Lina partie, Oromonde reprend, les mains croisées sous le menton et l'air concentrée  :

« - Autant que je le sache, l'Apostasie n'est pas marquée ou signalée extérieurement.
Cela n'est pour autant pas impossible : après tout, il y a beaucoup de choses que nous ignorons et le fonctionnement exact de la Cellule Apostate en fait partie. Cela demande vérification.

Thaïs a cependant raison : pour beaucoup d'entre nous, les Apostats sont vus comme des êtres sacrés, ou diaboliques...En tout cas, ils ne ressortent clairement pas des affaires de la Cité et surpassent l'existence krolanne. Les Sans-Destins, après tout, sont affligés par négligence de la part de leurs concitoyens d'une incertitude profonde quant à leurs vies ; ce qui leur fait croire à une certaine contingence des choses.
Les Apostats ne sont pas simplement 'oubliés' par le Destin, ils ne croient pas tout simplement vivre de hasard et de contingences, ils sont la contingence pure. Une unité dans l'unité. Dans une société où une personne est toute les autres, les Apostats sont extrêmement précieux. Du moins sur un plan théorique, puisqu'en pratique, on les croise que rarement.

Cependant, la Cellule Hermétique qui regroupe les bébés Apostats est connue, et les Augures qui déclarent qui est Apostat ou non, sont potentiellement accessibles. Rencontrer un Apostat, s'il le veut bien, ne devrait pas poser de difficultés.

Pour ce qui est du reste de vos questions...elles méritent réflexion. »

Les lèvres d'Oromonde s'étirent à peine en un sourire faible.

«  Vous avez raison de dire que certaines interprétations sont plus efficaces en raison de leur lecture des circonstances et des aspérités des Augures.
Au risque d'ennuyer Thaïs, »
clin d'oeil, « cela m'offrira le plaisir de détailler quelque peu pourquoi c'en est ainsi.
Vous savez que la société ki'déenne l'idée même du déterminisme qui la structure est fondée sur le Un. Le Un est ce qui en vue de quoi tout est fait et construit, ce qui à la fois enveloppe et est modelé par...eh bien, tout.

Cette lecture des 'circonstances', des complexités comme vous dites, n'est rendue possible que par une compréhension des mouvements du Un à chaque instant passé, présent ou à venir.
Autant dire qu'une seule personne dispose de cette lucidité et habileté : l'Augure – la personne.

D'autant plus qu'on peut peut-être parler de double interprétation...mais qu'en réalité celle-ci serait plutôt quadruple : tout d'abord la rédaction des Augures elles-mêmes sont fondées sur une lecture des événements circonstanciés de la naissance par rapport à une écriture de base, seule source objective de référence qui sont les œuvres de Scylla. Ces Augures mêmes sont ensuite relus, puis transmis, voire modifiés…

Cependant, votre propos me paraît peu clair et bénéficierait d'une reformulation.
Que voulez-vous dire en parlant de quelqu'un qui serait capable de réecrire les Augures  ou de les décrypter ? Parlez-vous des Prédicateurs en général, ou par rapport précisément à l'affaire qui nous occupe ?

Quant aux limites des Augures, celles-ci se posent-elles vis à vis de leur exhaustivité, ou vis à vis de leur validité ou application ?
Ce qu'il faut bien comprendre et qui peut peut être répondre à votre question, c'est qu'il n'y a pas de référent objectif à partir duquel s'établit la pratique. Pas de vision à long terme ou particulièrement lucide. Pas de méthode toute faite ou efficace, ni de divination comme certains s'amusent à en pratiquer dans les quartiers étrangers. On parle bien d'un travail d'investigation et de décryptage qui peut être faux, d'ailleurs. Ce qui explique la très grande variété des formes d'Augures que vous pouvez rencontrer.

Sur un plan technique, c'est là leurs limites.
Mais c'est aussi là leurs forces.
De fait, Scylla ayant prédit notre avenir à tous, l'Augure décrivant ceux des institutions, et les Prédicateurs ceux des kildéens, je ne vois pas très bien ce qui leur échappe...
On ne sait pas si un Augure est « vrai » ou non. Le fait est que, la plupart du temps, « ça marche. »

Passionnant, n'est-ce pas ? »



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 11 Nohanur 815 à 17h30
 
Mesdemoiselles.

Un simple mot peut parfois engendrer une foule de réflexions différentes.
Dans le cadre d'une énumération multiples, comme pour un discours, il convenait de donner l'intégralité des titres, fonctions, et qualificatifs.
Dans un cadre tel que celui-ci, on pouvait se contenter d'un unique mot, peut-être, fonction de la préséance. Ainsi, une assemblée mixte se regrouperait sous un "il" e, sauf erreur de sa part, les dames avaient préséance sur les demoiselles, ce qui signifiait qu'une unique dame aurait faussé l'appellation. D'où un "mesdemoiselles" adressé à tous.
Par contre, si l'appellation pouvait être pris comme flatterie -dans un cas indéterminé, mieux valait donner du demoiselle- dans un cas avéré, être rabaissé au rang de demoiselle pouvait être considéré comme une insulte.
Qu'elle-même soit, par incertitude, cataloguée comme demoiselle, était logique. Et donc, apparemment, Oromonde et Thaïs n'étaient pas, officiellement, des dames. Ce qui se traduisait soit par méconnaissance de leurs personnes, soit par confirmation qu'elles n'étaient pas mariées.
Il faudrait tenter de savoir si elles venaient régulièrement, afin de clarifier ce point.

En tout cas, c'était l'heure de la commande.


Eau.

Hum. Non. C'était comme convoquer un linguiste réputé pour lui demander de nous apprendre à dire bonjour dans un autre patois. Cela pouvait être considéré comme une insulte.

De la Faille. Préalablement bouillie. Température ambiante. Sans sucre, sans sirop, sans additif de quelque sorte que ce soit.

Remonter le niveau d'exigence. Transformer une tâche enfantine en tâche... Pas vraiment difficile, mais qui pouvait justifier qu'on s'adresse à du personnel de qualité.

Récipient gustativement neutre.

Après tout, les confitures prenaient bien le goût des casseroles de cuivre, non ? Faire bouillir de l'eau avait donc une chance -ou un risque- d'altérer, même de façon très minime le goût. A ce niveau de technicité des arts culinaires, Jade était en terrain inconnu. Mais si cela signifiait quelque chose de précis pour la propriétaire, tant mieux.
Dans le cas contraire...
Hum.
Disons qu'elle ne craignait pas spécialement de créer un scandale, dans une telle atmosphère huppée, mais il est certains dominos qu'il vaut mieux éviter d'effleurer, quand on ne sait pas ce que leur chute entrainera.
Avec le larbin de service, elle aurait pu peut-être laisser filer mais, à moins qu'elle ne se soit méprise sur la petite lueur dans les yeux, ce n'était pas le cas ici. Elle avait donné son explication sur le thé, elle allait en recevoir une autre. Jade prétexta de lui tendre sa carte -on tendait les cartes, ici, ou le personnel s'en chargeait-il ?- pour regarder Lina dans les yeux. Pas une excuse, juste un exposé des faits.


Le thé à ceci de commun avec le sexe et la torture que je reconnais leur utilité ponctuelle. Mais y associer la notion de plaisir tend à en systématiser la recherche, d'où comportement inutilement chronophage et prévisible.

Tout comme adopter systématiquement un comportement ascétique le rendait prévisible, transformant une force en une faille. Quand on arrêterait de lui en proposer... Elle pourrait s'en envoyer une tasse ou deux.


La perfection est amorale.
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Merakih 11 Nohanur 815 à 23h41
 
Thaïs passe commande à la serveuse avec un air entendu :

Un thé à l'abricot, s'il-vous-plaît. Et quelques-uns de vos délicieux biscuits au beurre salé.

Boisson et mets simples, presque rustiques, mais grands classiques. La d'Ascara ne goûte visiblement pas aux raffinements trop élaborés lorsqu'elle n'y est pas contrainte, et ne s'encombre pas de simagrées devant son public du jour.

La commande de Jade la fait toutefois sourire, dans son dénuement total et son vocabulaire chirurgical. De l'eau "neutre" dans un salon de thé réputé : la serveuse s'en souviendra probablement longtemps. Sans évoquer le traumatisme de la tirade suivante, alors que l'étrangère rend sa carte.

La d'Ascara écoute avec grande attention la réponse d'Oromonde. Le Savoir de sa comparse s'est considérablement accru avec son nouveau poste et ses nouvelles ambitions. Elle écoute d'une oreille attentive les explications de sa compagne, même si en effet certaines subtilités lui échappent. Il s'agit d'expliquer des concepts qui leur semblent évidents et qui n'ont aucune vocation à être servis en argumentaires extérieurs.

Thaïs reprend à la suite d'Oromonde, dans des termes autrement plus simplistes -résumant sa propre vision en des propos peu équivoques.


Nous sommes comme des fourmis dans une fourmilière unique, affectées à des rôles précis, programmées pour remplir parfaitement une tâche attribuée par une puissance autrement supérieure.

Les ouvrières à l'échine solide, les soldats aux mandibules développées, les nurses aux gestes précis ou les princesses ailées. A quoi bon dire à quelle heure quelle fourmi fera quoi ? L'important est que chacune remplisse la fonction pour laquelle elle est née, pour laquelle elle existe dans la fourmilière.

Un faux peut être fait. Une erreur peut subvenir. Un mauvaise explication d'un Destin donnée. Auquel cas nous aurons une ouvrière qui s'en ira en guerre ou une guerrière qui s'occupera des poupons. La fourmi trépassera un jour sans jamais avoir pu s'Accomplir. Et hors de cette erreur résiduelle infime au niveau de son ensemble, la fourmilière n'en continuera pas moins de bien fonctionner.

La survenue d'un Apostat en Kil'Dé est comme la survenue d'une fourmi qui n'appartient à aucune catégorie connue. Que la nature n'a doté d'aucun rôle précis. Ce qui est génétiquement une aberration. Ou un miracle...

Comme si le Destin, une fois sur un million, décidait d'engendrer un être parfait mais hors d'une fonction donnée. Et qui peut donc faire ce qu'il lui plaît, puisque la fourmilière le considérera comme béni -ou maudit- mais dans tous les cas destiné à exister et à assumer son rôle -celui de ne pas en avoir- comme nous assumons tous et toutes le nôtre.
Les Apostats, sont donc, par définition, tous différents.

La fourmilière les connaîtra sans nul doute, car cette engeance hors cases, née ainsi, est d'autant plus visible dans une société bien ordonnée...

Quant aux étrangers : des fourmis sans fourmilière. Elles sont sans doute nées pour un rôle précis, comme la grande majorité des fourmis, peuvent même parfois assumer ce rôle -le deviner, peut-être : soldat, ouvrière ou nurse...
Mais à quoi bon, hors de la fourmilière ?
Hors de l'Unité...


Thaïs hausse les épaules. C'est un discours appris et assimilé, auquel elle paraît toutefois croire réellement dans le fond.
Non qu'elle soit elle-même très conforme à une normalité quelconque. Mais malgré tout, hors des détails, la d'Ascara reste dans la droite ligne de son propre Augure. Ce qui ne signifie pas pour autant que tout est dit.
Simplement qu'elle connaît les grandes lignes de son utilité au Tout et s'y conforme, pour l'instant.

Les prunelles vertes se plantent dans celles de Jade, directes.


Vous semblez avoir de grosses, grosses mandibules. Mais que défendez-vous ?



 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Julung 12 Nohanur 815 à 22h16
 
Sitôt la preneuse de commande partie, les discussions avait repris.
Oromonde et Thaïs avaient pris des thés différents, de même que des accompagnements différents. La possibilité d'inclure du poison dans un élément, et l'antidote dans un autre, n'était donc pas à retenir. Sans doute pourrait-elle goûter le gâteau du jour, en fin de compte.
Pour le thé... La question n'était pas tant de renoncer aux menus plaisirs de la vie, mais disons qu'il était bon de contrôler le nombre de paramètres non maîtrisés. Le lieu, les personnes rencontrées, cela faisait déjà deux grands points. Au moins, avec de l'eau pure, les poisons et drogues susceptibles de n'être aucunement détectés étaient des plus restreints. Alors qu'avec un thé à la saveur inconnue, de nombreuses altérations auraient pu être faites sans qu'elle s'en rende compte.
Et qu'une chose soit peu probable ne signifiait pas qu'elle n'arriverait jamais : il était très peu probable qu'un krolanne pris au hasard meurt dans la journée. Pourtant, tous mourraient un jour ou l'autre.


Quoiqu'il en soit, Jade avait écouté attentivement les explications de Oromonde, et les précisions de Thaïs, sur ce fonctionnement typique du Kil'dé.
Une fourmilière, oui. C'était bien organisé, bien hiérarchisé. C'était là toute la force et toute la faiblesse des métaphores : faire comprendre facilement certains aspects, et en brouiller d'autres par des analogies maladroites.
Mais là où les poètes tentaient à tout prix de filer la métaphore pour préserver un style, l'échange d'informations se renforçait souvent par la multiplicité des images, permettant de choisir l'aspect le plus adapté.


Chaque vie est une goutte de pluie, son Augure décrivant sa chute, sans pouvoir savoir précisément quelle sera la force du vent, quelle influence auront les gouttes voisines, ou si un oiseau ne passera pas à cet endroit là.
Et l'Augure n'est certes pas capable de voir le destin de chaque goutte, mais elle discerne les courants globaux, sait quel égout va déborder, quelle rue sera inondée.


La prise de distance permet d'embrasser le tableau global. Ce qui est vrai au Kil'dé étant d'ailleurs vrai ailleurs, même si les eaux sont plus troubles, c'est la conclusion à laquelle nous sommes arrivé avec un... Opposant officiel.

C'était encore la meilleure qualification qu'on pouvait apposer à l'individu. Il était bien loin des rapports qu'elle pouvait -ou avait pu- entretenir avec Cal ou même le Doc, sans mériter de plein droit sa position sur la liste de traque. Pour autant, leurs discussions et analyses croisées étaient intéressantes.

Ce qui pourrait d'ailleurs permettre -en cas de force majeure, ceci dit, je doute que vous soyez prêtes à de tels bouleversements sans nécessité- d'émuler les capacités de l'Augure. Les Prédictions ont plusieurs sources de déviations ?Accroissez les déviations. Incorporez des éléments aléatoires de choix, travaillez sur de mauvaises dates, des circonstances erronées. Les Augures individuelles deviendront totalement inutiles, mais se rapprocheront alors d'un état de chaos inaltéré, dont les flux et reflux ne seront plus contraints par des connaissances individuelles précises, mais soumises aux mêmes variations globales. En travaillant sur un nombre important de prédictions ainsi altérées -plus elles semblent ne reposer sur rien, plus elles seront pures d'un point de vu entropique- il serait alors théoriquement possible d'en analyser les redondances, et donc d'en tirer les modifications d'ensemble.

Bien sûr, comparativement à une technique ancestrale, cela revient à deviner le tracer de canaux d'après les courants de surface, quand l'Augure se contentera de regarder une carte de ceux-ci, mais... Cela pourrait servir. Un jour.

Même s'il était plus probable qu'elle y parvienne d'abord au Kil'sin. Après tout, c'était bien là la conclusion qui avait déstabilisé le déstabilisateur : lorsqu'il avait réalisé que Jade, le robot de l'ordre, la machine, le golem, visait à accroître les tendances anarchiques du Kil'sin, en y conservant une unique toile rigide, afin de pouvoir au mieux prévoir les flots du chaos. Tant que ça bougeait, on pouvait s'adapter. Quelque chose de stable devenait bientôt quelque chose de mort.


Et les Apostats... Ce sont les effets de bord. L'huile sur la clé rouillée qui doit ouvrir ou verrouiller la porte de l'écluse. L'action est trop noyée dans le flot pour mériter une place. Les analyses sont trop différentes de celles de la pluie pour comprendre le mécanisme de lubrification. Mais c'est le point de variance qui peut détourner le courant.

Et pas de référence objective pour les Augures, hein ? Un chaos totale pourrait en donner une, mais à part cela, une approche expérimentale devait pouvoir donner des résultats suffisamment approchant.
La question étant plutôt : si une méthode de prédiction absolue était découverte, cela faudrait-il le coup de la partager ? Sans compter qu'on en revenait toujours au même problème...


Formulation intéressante, néanmoins. Je voulais savoir s'il existait une limite définie, "au delà de cette précision, tel et tel facteur rendent les détails impossibles à cerner, de façon absolue". Mais vous parlez juste d'accumulation d'erreurs à priori chacune évitable, en conditions idéales. L'interaction n'est là qu'en facteur accroissant d'imprécision, pas en facteur propre d'imprécision.
Conséquence immédiate : il serait, théoriquement, possible de réaliser une prédiction parfaite.
Hypothèse : une prédiction parfaite -au caractère parfait prévisible- est réalisée.
Conséquence : elle est amenée à un état d'incohérence.
Exemple : quelqu'un doit mourir précisément le jour de ses vingt ans. Il pourra alors sans risque partir chasser le fuscusien dès ses quinze ans.
Conclusion : une prédiction parfaite ne le restera qu'à la condition de rester secrète.


L'art de la prédiction est une institution au Kil'dé. Utilisée depuis des siècles par des personnes douées, et formées.
Statistiquement parlant, il y a, a eut, parmi eux, des génies. Si la méthode est accessible aux personnes "seulement" douées, les génies l'ont fait progresser. Mais l'enseignement reste traditionnel, non ?
Cause : ils auront été confronté à une barrière, à un principe d'incertitude, expliquant qu'une prédiction ne peut être à la fois parfaite et parfaitement connue du destinataire. Incompatibilité. D'où un choix, peut-être visible uniquement d'une minorité, de permettre aux personnes d'accéder à des Augures partielles, qui les aident bien plus qu'une absence d'Augure, mais sans générer les problèmes d'Augures trop précises.

Au final, mieux vaut garder l'hypothèse que la technique de prédiction parfaite est connue. Mais est protégée, car elle n'est efficace que tant que son existence reste inconnue. Ceux la maîtrisant étant incapable de décrire leur propre Destin, mais pouvant suivre les autres.


Il y avait bien alors la question "comment acquérir cette technique pour son propre usage", mais cela risquait de faire court sur cette visite au Kil'dé. Se cantonner à la découverte progressive des thés serait déjà une bonne étape.

Lorsque Thaïs tente de capter son regard, Jade la laisse faire, conservant le contact d'un air placide.
Et c'est après quelques secondes de silence qu'elle répond, d'une voix calme.


Mes mandibules ont toujours été les plus petites de ma fourmilière.
Une fois privée de celle-ci, j'ai simplement du les laisser évoluer, avec mes ailes de princesse, afin de pouvoir m'adapter, tout en émoussant les attributs de mon rôle précédent, à d'autres insectes.
Je n'ai aucune loyauté territoriale, me contentant d'optimiser l'utilisation de mes capacités.
Ce que je défend ?


Un léger haussement d'épaules, sans quitter Thaïs des yeux.

Le monde, tout simplement.


La perfection est amorale.
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Vayang 13 Nohanur 815 à 10h12
 
Thaïs écoute la réponse de Jade avec attention, apportant simplement quelques précisions qu’elle juge utiles :

Contrairement à la pluie, nous ne faisons pas que tomber. Nous construisons. Les Augures sont émis pour que chacun trouve sa juste place dans le Un, et y apporte la contribution qui lui a été dévolue. Elles n’ont aucune lecture, aucun intérêt, hors de l’Unité.

Les lectures s’imbriquent parfaitement les unes aux autres. Les Augures ne sont pas dénués de liens entre eux, au contraire. Le vent, les autres gouttes,... ne sont pas négligées.

C’est une tapisserie solidaire qui est interprétée, et si il est précisé à chaque fil sa couleur et sa place, c’est pour que l’ensemble ait une cohérence. Hors du tableau, il y a peu d’intérêt de dire qu’il fallait être jaune et se placer en haut à droite.

Quant à savoir si la Prédiction est parfaite : même si je sais que je vais mourir à 20 ans, il n’est pas forcément précisé dans quel état. Baver dans un fauteuil avec tous ses membres cassés dès ses 15 ans n’est pas nécessairement enviable à la mort et cette « petite précision » peut parfaitement être absente de l’Augure de base. La connaissance n’appelle pas la témérité : le Destin est un joueur qui ne triche pas mais qui ne ménage aucun coup.


Les manières se font plus aimables, le sourire plus courtois, les gestes plus féminins et élégants. Ce qui, chez Thaïs, n’est jamais très bon signe –plus l’ensemble est travaillé, plus l’individu est au contraire sur un fil raide.

Ma fonction est précisément d’éviter les éléments… aléatoires. Qu’un Sans-Destin étranger vienne s’imbriquer dans des vies bien rangées et prévues, pour introduire du… chaos.

Je suis payée pour nous débarrasser de l'oiseau qui passe au milieu de l'averse et qui n'a rien à faire là.

Il est hors de question de donner un coup d’épée dans la tapisserie ou d’inonder la fourmilière histoire de voir si l’expérience produit des résultats intéressants.


Le ton est relativement catégorique. Les yeux glissent vers Oromonde, à qui Thaïs laisse le soin d’apporter des précisions plus… scientifiques et diplomatiques. La d'Ascara se renfrogne visiblement, déjà au bout de sa patience sur un sujet qu'elle n'a aucune vocation à expliquer outre mesure ou à chercher à diffuser.

Le sourire de la Commis est pâle lorsque Jade évoque sa défense du monde. Guère convaincue.
Le monde peut être tout et n'importe quoi. Un monde apocalyptique et sans krolanne n'en reste pas moins un monde.


 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 17 Nohanur 815 à 15h30
 
La pluie s'assemble et forme des rivières. Elle creuse et modèle le monde. Elle apporte la vie, et sa puanteur, tout en confinant les krolannes dans la Cité. Je ne pense pas qu'elle ne fasse "que" tomber, et quelques gouttes mal placées forment le début d'un tourbillon qui perturbe l'intégralité du courant. Les Voisins sont liées, la rivière est une fusion, qu'une goutte de poison y soit versée, et elle se répandra dans tout les flots. Je ne pense pas qu'on puisse y négliger la moindre goutte.

Et oui, c'est exactement ce que je disais, merci : les Augures conservent leurs utilités par leurs propres limites, qu'elles soient innées ou artificielles, une prédiction absolue se détruirait elle-même si elle est partagée.

Mais il est bon de savoir que le Un connait le même engouement ici que la Liberté au Kil'sin, et le Progrès au Kil'dara.


Des objectifs utopiques, des cris de ralliements... Et des outils bien pratiques pour ceux qui avaient saisi leur utilité et qui n'hésitaient pas à instiller du fanatisme à leurs administrés.
Est-ce que c'était du cynisme ? En était-elle capable parce que, étrangère aux Sharss, elle n'avait pas subit de pression culturelle l'enjoignant à forcément considérer l'une de ces visions comme supérieure aux autres ? Ou était-ce un manque, la pièce finale qui aurait pu débloquer des notions telles que l'enthousiasme et la foi aveugle ?


Pour un temps, elle fut tentée d'avoir ces pensées à voix haute. Pas pour avoir des réponses, mais pour voir quelle sorte de fusil le Kil'dé avait offert à la très jeune Commis afin de tirer sur un oiseau vert de son acabit.
Mais si l'information serait à n'en pas douter intéressante, la recherche de certaines réponses en condamnait certaines autres, et il était préférable de ne pas pousser plus loin la recherche dans cette voie, pour l'instant. Il serait toujours possible de remettre les vromballes au diapason, comme ils disaient au Kil'dara, si Thaïs semblait croire qu'elle la contrôlait.

Depuis le début des transformations, elle avait suivi la ligne consistant à dire la vérité aux Lanyshstas -quoiqu'en limitant de plus en plus régulièrement ses explications, ses compatriotes ayant visiblement du mal à maintenir intact un flux d'information trop important- et elle n'allait pas changer de voie maintenant. Il était préférable de briser un orgueil et une opportunité que de se compromettre de façon irrémédiable.


Mais justement, j'ai une question. Aux multiples visages.

En parlant de visages, celui de Oromonde était inexpressif. Il aurait pu passer pour un désintérêt profond, mais nul doute que la jeune femme s'imprégnait au mieux des échanges, et qu'elle reprendrait la parole lorsque cela lui conviendrait.


Quel sens donner à Sans-Destin ? Ou plutôt, sur quel plan se fait l'opposition par rapport aux Kil'déens ayant une destinée. Ceux-là sont-ils des êtres supérieurs, des élus ayant un Destin, les autres étant une sous-race ? Ou est-ce un don octroyé par les traditions ?
En guise d'exemples, qui sera destiné, ou sans destin, entre le Kil'déen orphelin dès la naissance et élevé loin de chez lui, mais arrivant au Kil'dé vingt ans plus tard, ou de l'étranger qui viendra au monde et restera au Kil'dé durant ces vingts mêmes années ?

Car dans un cas, le Un est une forteresse perpétuellement assiégée par des intrus -et le Kil'dé n'a d'intérêt à la survie de la Cité que par le maintien d'une frontière fragile entre symbiote et parasite avec les autres Sharss- et dans l'autre, cela revient à dire que la Cité est régie par le Un, mais que ce qui vous déboussole, c'est votre cécité face au Destin des autres.

Une pause, courte, mais marquée volontairement.

Si tout fonctionne, et qu'un Kil'déen doit mourir à 20 ans, et qu'il en meure de la main d'un Kil'darien, cela tend à penser que tout est lié, que votre Augure peut donc suivre le destin des autres Sharss aussi bien que celui du Kil'dé, et que chacun a un Destin. Les grands courants restent visibles, mais les petites gouttes ne le sont pas, si elles ne viennent pas de la bonne source, celle qui est surveillée, le Kil'dé.

Au final, vu le caractère saint des Apostats de par leur indécelabilité sur la trame du Destin... Dois-je en conclure que l'organe des Sans-Destins est une manifestation de jalousie visant la négation de l'Apostasie potentielle d'autrui, en limitant ses interactions avec ceux du Kil'dé chez qui ces interactions sont de toutes façons déjà globalement prévues ?


Toujours le même ton calme, pondéré, une voix modulée comme celle d'une conteuse, qui aurait pu discourir des heures sans laisser paraître la moindre trace d'émotion personnelle.
Jade laissait à ses interlocutrices les rênes de la conversation, en leur faisant payer son prix habituel : toute bride d'information qui lui était présentée était impitoyablement décortiquée, étudiée, poussée aux limites du raisonnement, afin d'en tirer la substantifique moelle.



La perfection est amorale.
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Matal 17 Nohanur 815 à 18h16
 
Thaïs lance un regard presque... suppliant ? à Oromonde, avant de répondre aux interrogations de Jade une par une, toujours selon le prisme -sans doute simpliste- de sa propre vision.

Un Sans-Destin n'est pas un individu dépourvu de destin. Juste que le sien n'a aucun intérêt, puisqu'il ne s'inscrit pas dans le Un.

Imaginez une fourmilière bien ordonnée, où chacun remplit sa tâche avec abnégation et ordre, dans des buts jugés supérieurs. Soldats à la guerre, chasseuses à la chasse, ouvrières aux constructions, nurses aux crèches,...
Où chacun sait qui doit faire quoi, quand et ce qu'il adviendra de sa tâche -globalement.

Et à côté, une fourmilière complétement anarchique, où chacun va dans la direction qui lui plaît le plus. Soldats aux constructions, ouvrières à la chasses, nurses à la guerre. Cela dans un foutoir des plus joyeux.


Un instant de réflexion.

Ou des gouttes qui, au lieu de tomber bien droites et de creuser canaux et vallons, décrivaient des courbes les plus improbables pour aller s'éclater au petit bonheur la chance.


Un hochement de tête, satisfaite de la métaphore simple mais parlante.

C'est cela, être Sans-Destin. Ce n'est pas une insulte. C'est simplement une personne qui, hors du Tout, ne peut s'y inscrire. N'appartient pas à la fourmilière. Pas à l'averse bien verticale.
Pas car elle ne le peut pas. Mais car dès le début, elle ne s'est pas inscrite dans l'averse bien verticale ou n'est pas née dans la bonne fourmilière -là où chaque fourmi connaît et suit son rôle.

A partir du moment où l'Être s'inscrit dans une intégration à Kil'Dé, au Un, il peut être pourvu d'une Destinée. Sans doute son passé sera-t-il dépourvu de sens profond, mais son Avenir n'est pas perdu pour la Communauté.

Un Kil'déen, pour moi, est quelqu'un qui connaît et suit son Destin en Kil'dé. Apostats exclus.

Bref, ce n'est pas génétique. Juste que nos Destinées n'ont aucun sens hors du contexte précis de notre Quartier.


Un haussement d'épaule.


Qu'une goutte en biais traverse notre pluie torrentielle et ordonnée, qu'une fourmi aux grosses mandibules de la fourmilière d'à côté vienne s'occuper trois jours de nos poupons : ça n'aura pas une grosse incidence sur le Tout, vous en conviendrez. Cela se passe extrêmement souvent bien et sans remous aucun.

Le cas échéant, un Commissariat -le mien, celui de la gestion des Sans-Destins- existe pour minimiser toute... conséquence. Aucun Voisin de Kil'Dé n'a vocation à mourir de la main d'un étranger, par exemple : ça serait une interaction inadéquate que nous devrions gérer, un Destin potentiellement contrarié.

Un soupir, en conclusion.

Être Sans-Destin n'est pas être Apostat. Vous ne pouvez pas être ET Sans-Destin ET Apostat. C'est un non sens. Un Apostat est un individu du Tout qui n'apparaît pas dans la trame.
Un Sans-Destin est un individu qui n'est simplement pas dans le Tout.


Thaïs semble chercher un ultime exemple pour expliquer sa pensée.

Je ne sais pas, moi... Si notre Unité est une tapisserie, chaque Kil'déen un fil de couleur -jaune, vert, rouge ou bleu- qui doit se coudre à un endroit précis, un Apostat serait un fil d'une couleur totalement unique qui pourrait se piquer où bon lui semble, hors de toute définition initiale du dessin -mais probablement dans un but précis. Car peut-être qu'un fil d'or ou d'argent ne se coût même pas d'une façon classique, après tout...

Une image se forme dans la tête des deux lanyshsta's, envoyée par Thaïs. Une scène épique et classique.

*** ***


Et un étranger un fil d'une tapisserie voisine... complétement abstraite. Peu importe sa couleur. Peu importe qu'il soit d'or ou d'argent. Peu importe qu'il lui était dévolue une place, à la base : il est déjà bien cousu -au pif- dans son tableau.
Qui n'a rien à voir avec le nôtre.


Une autre image naît mentalement, plus... moins...

*** ***


Ce fil, de la tapisserie voisine, n'a aucune vocation à venir se coudre de force dans notre... oeuvre. Il n'y est pas prévu. Et s'il veut vraiment être prévu -car après tout, peut-être est-il finalement d'une couleur commune aux deux oeuvres-, c'est à force de patience et de compréhension minimale de la trame générique, d'attente et d'écoute de sa place précise, qu'il pourra s'insérer avec harmonie dans la tapisserie millénaire et sacrée de Kil'dé.

Un sourire assez pauvre, interrogatif sur le fait que l'adolescente ait réussie -ou non- à répondre aux interrogations de l'étrangère.

Voilà. Je ne vous dis pas que votre tapisserie est moche. Je vous dis que tous les goûts, en matière d'art, se trouvent dans la nature.

 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 17 Nohanur 815 à 19h59
 
Quelques hochements de tête. Qui, à la réflexion, ne semblent pas refléter une compréhension de tel ou tel point précis, mais plutôt une automatisation du processus "lorsqu'on est engagé en conversation avec une personne, le mouvement de quelques parties du corps aide à lui donner l'impression d'une interaction, et l'empêche de penser qu'on a perdu le fil".

Mais mis à part cette faible concession à la sociabilité, Jade reste telle qu'en elle-même, continuant à détricoter les informations qu'on lui fournit, presque automatiquement, reformulant au fur et à mesure.

L'indécelabilité du Destin est une condition nécessaire mais non suffisante à l'Apostasie. Un étranger pourra ne pas avoir de Destin perceptible sur un plan personnel, il ne sera pas Apostat car cette incertitude ne sera pas incluse dans une trame officielle, l'Apostasie étant également une éducation.

Mais certains points semblent obscurs.

Pas d'agressivité, pas de volonté de nuire. Au final, tout comme Thaïs, elle ne faisait que donner sa vision des choses, sans chercher spécialement à changer le monde. Juste à le décrire afin d'aider à son assimilation.
Mais le caractère implacable du processus pouvait s'avérer déstabilisant pour ceux n'y étant pas habitués.


D'abord, il y a déjà eu des conflits, le plus souvent larvés, entre Sharss. Qu'un unique meurtrier soit vu comme un élément isolé qu'il faut éviter, d'accord. Mais quelque chose de plus grand, le fruit d'une dynamique sociale, prévisible par les Augures ou les politologues, est quelque chose qui a existé. Sans compter les Frobekhs, les Krynänns.
Quelle différence entre mourir des mains d'un krynänn, d'un frobekh ou d'un Kil'darien ? D'une intoxication alimentaire ?
Les décès peuvent être prévus de sources naturelles -accidents, maladie- mais pas en étant le fruit d'une volonté consciente ?
Soit les étrangers sont à considérer à l'instar de la nature, des phénomènes parfois anarchiques mais pouvant être prédits -et du coup nul besoin de les contrer vu qu'ils sont prévus à la base - soit les êtres conscients -et à quelle limite de conscience la distinction s'établit-elle ?- sont une menace imprévisible, même dans les vues d'ensembles, et les répercussions en cascade de tels événements -comme un caillou rebondissant du mauvais côté en le lâchant au sommet d'une montagne- sont alors des menaces terribles pour l'ensemble du Kil'dé.


La parole était accompagnée, sur le même principe que les hochements de tête, de vagues mouvements de mains.
Mais soudain, l'une d'elle disparut sous la table, ne laissant que la seconde en mouvement.


L'autre point gênant et la confusion entre anarchie et désordre.
Oui, à la base, en partant de l'ordre, le désordre et l'anarchie se confondent. Mais là où le désordre est juste l'opposition à l'ordre établi, l'anarchie est une régression vers un état primitif de chaos qui, s'il ne peut être ordonné, peut être décrypté.
Exemple.


La main réapparu, un petit gravillon certainement extirpé d'une semelle coincé entre deux doigts.
Sans quitter Thaïs des yeux, Jade envoya le caillou en l'air, le réceptionnant dans son autre main.


L'eau coule vers le bas. Le feu brûle. Le fort triomphe du faible au bras de fer. Ce sont des lois non écrites, car intrinsèquement liées à leur nature. J'ignore où serait tombé un caillou pourvu de Destin, mais la trajectoire de celui-ci était prévisible.
Alors oui, donnez la liberté à vos fourmis, et sans doute testeront-elles d'autres fonctions. Mais finalement, elles se retrouveront dans le principe de base du "quand on peut, on veut", et se sentiront le mieux dans la place la plus conforme à leur propre représentation de leurs fonctions.
La plupart des fourmis soldates seront soldates. Qu'une soldate soit non violente malgré ses grosses mandibules, et elle les utilisera avec les ouvrières pour percer des tunnels. Et une nurse particulièrement protectrice protégera les larves plus efficacement que les plus terribles guerrières.

J'en suis un exemple : mes fonctions se développent en adéquation avec mes capacités, tandis que d'autres sont écartés lorsqu'ils deviennent inefficaces. Sans que quiconque guide ou en donne l'ordre.

Le Kil'dé est ordonné. Mais cela n'empêche pas les autres Sharss -et les krynänns, et les frobekhs- d'être structurés.


La seconde main s'immobilise à son tour.

Hypothèse posée depuis la conclusion des deux points précédents : si les Destins fonctionnent -et inutile de craindre que je tente de réfuter ce point par une pléthore de contre-exemples, les réussites, même partielles, du système font que des prédictions faites au hasard n'auraient jamais pu atteindre un tel taux de réussite, il ne faut donc y voir qu'une imprécision, vraisemblablement volontaire- ils concernent tout le monde. Pas seulement les krolannes du Kil'dé, et même pas seulement les krolannes.
Alors oui, reprenont les fils. Afin de ne pas les confondre, mais en effaçant leurs origines de leur nature, associons aux Kil'déens un fil blanc, et les autres couleurs aux autres. Sharss comme créatures et événements naturels.


Simplement, la trame du Destin s'entremêle de mille couleurs, et les Augures ne décrivent que les fils blancs des résidents du Kil'dé. Les entremêlements peuvent enfouir un fil blanc sous d'autres couleurs, et c'est cela qui perturbe la vision des Archives, et les pousser à rassembler les fils blancs dans un coin de la trame, où ils seront plus facilement visibles de bout en bout.
Oui, ils peuvent tenter de les lier en quelque chose de plus esthétique, mais je doute que l'ordre traditionnel, de par son caractère systématique, soit forcément supérieur à l'ordre naturel qui s'établit dans les fourmilières anarchiques.

Cela n'est à mon sens pas cohérent d'imaginer deux tapisseries distinctes. Les intrications sont par essence nombreuses, et une incorporation de fil étranger serait impossible, de bout en bout, alors qu'un fil invisible de la même trame qui remonte à la surface est bien plus facile à imaginer.

Tout est lié, et au final les actions des Sans-Destins sont terrifiantes car on ne voit pas leur couleur de fil, mais intégrés à la trame globale.


Une courte pause, les deux mains réapparaissent.

Sauf que les Apostats sont telles des lames de rasoir voletant autour de la trame. Les Kil'déens sont élevés avec cette culture, et ne posent pas de problème, entretenant le reste de la trame de la façon qu'ils jugent adaptés. Les indiscernables Sans-Destin -ceux qui, au Kil'dé, seraient devenu des Apostats par leur éducation- sont eux aussi des lames de rasoir, dépourvus de fil, mais sans contrôle.
Si leur action sur les fils de couleur sont impossibles à discriminer des entrelacs de fils, leurs actions sur la zone de la trame où se concentre les fils blancs est une balafre.
La plupart des cas se passent bien pour le Commissariat des Sans-Destins ? Ce n'est pas que sur mille cas, neuf cent quatre-vingt-dix-neuf soient traités de main de maître, le fil étranger magnifiquement intégré au sein de mille nouvelles interactions et le dernier soit le fait d'une négligence, c'est que sur mille cas, neuf cent quatre-vingt-dix-huit étaient des fils invisibles déjà inclus à la trame commune, mais que les deux autres sont des lames de rasoir, dont une a creusé des balafres.


A partir du moment où l'Être s'inscrit dans une intégration à Kil'Dé, au Un, il peut être pourvu d'une Destinée. Sans doute son passé sera-t-il dépourvu de sens profond, mais son Avenir n'est pas perdu pour la Communauté. Oui. Juste une question de définition, après tout.

Qu'est-ce que vous entendez par "intégration à Kil'dé" ? Car j'aurais eu instinctivement tendance à y comprendre "intégration au destin du Kil'dé", une fourmi folle pouvait avoir des conséquences dévastatrices, mais conséquentes, et prévues, et tout désir fort de modification serait alors suffisante.
Et pour tout dire, je pense qu'il serait intéressant pour moi de tenter de me faire blanchir le fil. Ne serait-ce que pour voir s'il en existe un.


Et la pauvre Lina qui avait hésité à venir prendre la commande pour cause de conversation sérieuse...
Il y avait fort à parier qu'elle devrait bientôt commencer à guetter une accalmie pour apporter les consommations, sans forcément se douter qu'elles n'étaient même pas encore vraiment rentrées dans le vif du sujet.



La perfection est amorale.
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Matal 17 Nohanur 815 à 22h07
 
Thaïs se met aussi à hocher la tête de façon un peu mécanique. L'approfondissement et les circonvolutions de Jade attisent peu à peu le caractère profondément buté de la Noxamancienne, qui n'en démord désormais pas...

Qu'une guerre éclate, qu'un conflit naisse, et la modification de la trame se sentira au niveau des institutions, résonnera dans le squelette même du Quartier. L'Augure saura sans doute le détecter et le prévoir. Par définition, tout est écrit parfaitement. C'est lire le dialecte du Destin qui est ardu.

Nous pouvons prévoir les saisons et leurs impacts sur la fourmilière. Nous savons quand viendra l'orage. Nous pouvons savoir quelle fourmi mourra de froid ou noyée. Mais dans ces cas précis, il est inutile de se pencher sur le Destin d'un seul insecte, lorsqu'il s'agit de lire l'Avenir de la colonie entière en une période de... transition.

Ce type d'événements se suit au niveau de l'ensemble. Non du krolanne particulier.
Il sera à parier que nombres de Destins seront mal interprétés ou contrariés dans ces périodes sombres. Difficiles à décrypter.
Et ce serait un moindre mal, sans doute..


Sourire aimable.


Vous vous focalisez sur la fin alors qu'importe surtout la route parcourue, le chemin emprunté. Peu de prédictions donnent précisément les circonstances et l'âge précis de la mort. Car ce n'est pas ce qui importe, finalement.
Ce qui importe, c'est la juste place occupée durant la vie. Globalement. Dans les grandes lignes.
La mort par empoisonnement, de la main d'un renégat ou d'un étranger : c'est presque anecdotique si la vie a été suivie pour son reste. Ca n'en sera pas moins une interruption de Destin intempestive, et mon Commissariat reste là pour en réduire la probabilité.

Quant à rejoindre Kil'dé juste pour savoir quel est son Destin est une démarche bien trop... égocentré pour s'inscrire dans le Un.
C'est voué à la stérilité.


Haussement d'épaule.

Je simplifie à outrance avec les fourmis. Mais dans une société bien organisée, les fonctions et les rôles se comptent par milliers. Et puis... qu'est-ce que la bonne place, au fond ? Là où vous êtes la plus... efficace ?

Peut-être que dans cinq générations, votre lignée est destinée à une fonction ou un acte tout à fait déterminant pour votre Quartier. Peut-être qu'en courant les Sharss avec votre épée, à votre "fonction en adéquation avec vos capacités", n'aurez-vous jamais d'enfant. Et que votre lignée s'arrêtera là. Que jamais la cinquième génération ne verra le jour, que jamais votre Quartier en sera impacté de façon déterminante...

Nos Prédictions s'inscrivent dans une trame autrement plus complexe et globale qu'une seule génération. Qu'un seul individu.

Nous sommes plus qu'ordonnés. Le chemin que nous suivons réside en un Accomplissement autrement plus grand que simplement garder un Quartier bien propret au jour le jour...


Les sourcils ne font qu'une ligne, signe d'une esprit particulièrement borné quand il a une idée en tête.

Il est risible de vouloir voir un tableau cohérent là où les membres des autres Quartiers, billes de couleurs éparses, éclatent au petit bonheur la chance. Ca n'a rien à voir avec la tapisserie centenaire de Kil'dé.

Quant aux Apostats, ils sont là pour tisser et construire. Les voir comme une simple menace pour le Tout est incorrect.
Un Apostat n'a pas de Destin mais a une fonction.
Ce n'est pas le cas d'un Sans-Destin.
Qui n'a rien de "terrifiant"...

C'est comme comparer un magnifique fil d'or à un fil qui ignore totalement sa couleur -jaune pisse s'il s'en approche le plus, allez- en nous expliquant que tout à chacun peut apporter de la brillance à la toile.


Une grimace, avant de lancer carrément :

Vous globalisez tout. Vous interprétez nos traditions en y rentrant de force vous-même et tous les vôtres. Mais Kil'dé n'a jamais eu vocation à intégrer le maximum de krolannes ou à accorder à chaque petit étranger un Destin. Nous n'avons cure de vos vies dépourvues à nos yeux de sens profond. Nous ne cherchons absolument pas à vous intégrer à nos traditions, qui, par définition, se sont toujours passées de vous.
Et si nous vous avons appelé les "Sans-Destins", ce n'est pas pour valoriser votre action dans la Trame de notre Quartier.
Mais pour vous en gommer au maximum.

J'ai l'impression de lire un livre de délicates poésies à une personne qui n'est friande que de romans policiers et qui me demande d'expliquer chaque rime avec le vocabulaire le plus sanglant possible avant de me réexpliquer qui sont les suspects et le coupable...


Thaïs se tait, un peu abruptement. Elle ne voit pas trop quoi ajouter de plus. Jade essaye d'expliquer des traditions et une croyance profonde en les disséquant d'un regard profondément extérieur... Ce qui se heurte, forcément à un moment, à certaines impasses.

 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 18 Nohanur 815 à 14h16
 
Aaah.

Ce n'est pas un sourire. Mais cela en à l'essence.
Pas le moindre étirement des lèvres, mais comme l'ombre d'un pétillement dans les yeux, le léger entrebaillement des lèvres tandis que se déploie sur la langue une saveur exquise.


Il y a effectivement une différence de point de vue.
J'ai parlé de pluie, vous avez restreint celle-ci à une chute solitaire des gouttes, sans voir les courants qui peuvent naitre une fois au sol.
J'ai parlé de lames de rasoir, vous n'y voyaient que destruction, déniant implicitement le potentiel bénéfique qu'aurait, par exemple, l'amputation d'un membre gangrené.
Vous parlez d'influence dans plusieurs générations en la restreignant à la seule ligne du sang -même si ce point est culturellement compréhensible, l'affirmation d'une valeur supérieure de la noblesse sur autrui n'étant initialement liée qu'à sa seule ascendance, les avantages initiaux permettant d'accéder à une éducation supérieure apte à concrétiser cette supériorité. Le choix de l'étalon digne de saillir telle ou telle pouliche de haute lignée doit être affreusement réducteur, non ?


Les doigts courraient sur les coutures des lourds bracelets de cuir, comme des caresses sur le corps d'un amant.

Mais merci pour cette franchise. Je pense qu'il aurait été délicat pour moi d'arriver seule à la réalité d'un courant d'opinion tel que "le Kil'dé est supérieur aux autres, par nature, et le reste n'est que menace à gérer". Ce qui d'une part explique l'attitude oh combien condescendante du "noyau", et permet d'extrapoler sur les attentes possibles d'une coordination inter-Sharss au cas où d'autres seraient menacés d'interaction.
Ambre, citrine, topaze soleil, héliodore -pour ne citer que les pierres- auraient pu répondre d'égal à égal au fil d'or, mais non, le seul jaune étranger ne peut être que celui de la pisse.

Vu l'importance que vous donnez à l'âge, en plus des lignées, je ne saurais trop vous conseiller de conserver vos selles sous verre : d'ici un siècle, ce seront de saintes reliques.


Ne me restera plus qu'à définir à quel point...

Rapide coup d'oeil vers Oromonde.

... cette conception... -oh, j'aurais bien employé "égocentrique", mais après que vous l'ayez utilisé pour qualifier ma question, je crains que ne me mettre en position de partager un adjectif avec un pur produit du Kil soit considéré comme une insulte envers celui-ci- détachée de ce fléau qu'est une vision globale des choses est répandue au sein de ce Kil, et je pense que ma compréhension du Kil'dé en sera grandement accrue.

Mais cela ne pourrait, par définition, se faire qu'en côtoyant d'autres Kil'déens. Des krolannes, pour un bien.
Il était temps de passer à autre chose, mais alors que le choix des sujets de conversations affleurait à la surface de son esprit, Jade pu sentir comme une légère pression interne, se loger contre la paroi de son estomac. Pas une tension, pas quelque chose de désagréable, juste comme une... Présence, quelque chose qui l'incitait à agir différemment.
Comme elle l'avait déjà dit à d'autres, une attaque parfaite hors de tout contexte était, par sa perfection intrinsèque même, prévisible, et pouvait donc se heurter à une défense spécifique efficace. Pour qu'elle reste au plus haut niveau dans toutes circonstances, il fallait aller au delà de cette perfection, la maîtriser pour les cas standards et chaotiques, mais savoir la rendre imprévisible face à un adversaire de valeur. Introduire des portions chaotiques.
Et c'est une de ces portions qui l'incita à faire un choix plus bas sur la liste, en l'associant au Sourire 2-C de son répertoire.


Puisque je doute que nous allions plus loin dans notre compréhension mutuelle sur ce domaine, et tant que nous sommes dans les sujets qui fâchent...
Quels sont vos rapports actuels avec Yloyse ?


Pas tant la teneur des propos qui importait que les réactions qu'ils engendreraient. Car si elle suivait la ligne oh combien brutale de la franchise implacable, rien n'empêcher de tester celle des autres.


La perfection est amorale.

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