Le lendemain matin, le Lecteur reprit le chemin de la Grande bibliothèque. Poursuivre les recherches, inlassablement, sur le Cantatère. Pour le Kil'dé, pour lui, pour les lanyshstas, pour Syfaria. Car il était convaincu que l'avenir de Syfaria se jouait en partie par la compréhension des textes sacrés de la prophétesse.
A ce titre, en reprenant les éléments découverts jusqu'ici, il en venait à penser que Scylla avait dû bénéficier d'une possibilité d'évoluer dans l'espace-temps. Les prédictions ne se suivaient pas mais s'éclairaient parfois parmi. La question, à laquelle il serait sans doute difficile d'apporter une réponse, était : avait-elle eu le pouvoir de faire voyager ainsi son esprit dans le temps ? Ou avait-elle pu se transporter physiquement dans le temps ? Ou avait-elle bénéficié d'une aide extérieure qui aurait, elle, pu obtenir les informations de part ses capacités particulières ? L'Audre connaîtrait ainsi une perception et une révélation particulières...
Il y avait également une question que nul n’avait posé jusque-là, une question qui paraissait très importante et qui risquait de poser un éclairage nouveau sur le contexte actuel : et si Scylla était la Voix de cendre ? Cela expliquerait beaucoup de choses.
D'ailleurs, personne n'avait recherché l'emplacement d'une éventuelle sépulture de la prophétesse. Cela serait difficilement réalisable et puis, quand bien même la localisation serait connue, il serait moralement impossible de profaner le tombeau pour en vérifier le contenu.
Gravissant les marches jusqu'à son bureau, le Lecteur ouvrit la porte de ce dernier, y entra et prit position sur sa chaise. Un mouvement d'étirement plus tard, il reprit l'étude des textes sur lesquels se focalisait son attention désormais depuis deux ans déjà.
Il s'agissait tout d'abord des textes 1, 321, 793, 511, 18. Puis sont venus s'ajouter à la réflexion les textes portant les numéros 472, 72 et 29. Il avait déjà tiré des enseignements de ces textes. Ses réflexions et les découvertes subséquentes lui avaient également déjà permis de forger de nouvelles hypothèses de recherche.
Les saisons avaient passées. Le temps s'était écoulé. Le temps, justement. Il était convaincu que le temps jouait un rôle capital dans la compréhension du Cantatère et des intrigues actuelles. Cette conviction lui avait été transmise par les résultats de ses recherches précédentes. D'où son hypothèse quant à la nature profonde de Scylla. Par ailleurs, les lanyshstas ayant eux-même la capacité d'altérer le temps comme le lui avaient appris les résultats d'anciennes recherches, cela démontrait la fluctuation temporelle dans laquelle baignait cette époque syfarienne.
Il savait que les numéros que portaient ces textes n'avaient pas été choisis par hasard. Des liens avaient déjà été tissés au cours des découvertes entre les textes 18 et 511, les textes 472 et 72 – sur ceux-ci, aidé par son collègue Adzo, le Lecteur était parvenu à une interprétation finalisée – et les textes 793 et 29. Ce dernier lien tenait à vrai dire davantage du soupçon que d'un résultat probant. Mais le Lecteur était convaincu qu'il existait un lien entre l'ennemi et la faction ombre. D'un autre côté, les textes 321 et 793 étaient par contre indubitablement liés, y compris dans l'ordre canonique du Cantatère.
Si, au-dehors, les feuilles voyaient à nouveau se rompre le fil ténu qui les reliait à leur arbre nourricier, la nourriture spirituelle ne manquait pas au Lecteur à l'intérieur des murs de la Grande bibliothèque de Kil'dé. Cependant, cette nourriture n'était pas forcément facile à obtenir. Les instruments pour se faire étaient connus, pas nécessairement la manière de les employer, à témoins les années passées à cogiter jusqu'ici, à les énigmes à élucider encore.
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