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Deus ex machina
Promenade au Musée des Machines Antiques...
 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Merakih 19 Nohanur 814 à 18h58
 
Le Kil’Dé a la chance de bénéficier d’une architecture conservatrice, toute en hauteur. Vieillote, rapportent les visiteurs des autres Sharss. Enchanteresse, tout de même, dans sa vétusté même.

Aux yeux de tous, la beauté entrelacée et ancienne du Kil’Dé connaît son acmé au Parvis de Scylla. Longeant la faille, la place forme une sorte de très large agora. Des guides attentifs promènent des badauds badaudant, des enfants jouent, certains vendeurs ambulants tâchent de revendre des produits traditionnels à des étrangers, des robes colorées dansent au vent, accrochées à leur étal. Sous tout ce murmure calme et organisé, on peut entendre un crépitement guilleret, puissant, quelque chose que toute ouïe krolanne ne connaît pas : la berceuse tonitruante de l’eau. Accompagnée, en contrepoint, des halètements et cris des nacelleurs qui y travaillent, des exclamations surprises de ceux qui viennent jusqu’au bord observer l’abîme qui à elle seule permet à tous de vivre.

Certes, l’observation est sublime, et sa splendeur est chantée à quelques pas par des cantatrices du Chant qui tissent quelques mélodies à la gloire du Cantatère. Tout est paisible.
Pourtant, ce n’est pas cela qu’Oromonde préfère sur le Parvis.

Premièrement, elle éprouve une certaine affection pour la Loge du Destin. Colossal et étonnamment rude pour un environnement si idyllique, le bâtiment est hermétique, tout comme ceux qui y travaillent. Elle en a de nombreux souvenirs d’enfance, de moments d’attente où elle guettait le retour de son grand frère préféré, dont les Augures avaient prédit avec justesse la vocation de Conjurateur. Comment réagirait-il au fait que sa petite sœur soit devenue une Lanyshta ? Elle n’ose trop y penser. Cela fait longtemps qu’il est parti en mission.
Il est prédit qu’il doit en revenir…

En-dehors de la Loge, Oromonde aime particulièrement ce musée souterrain un peu dérobé aux regards qui pourtant attire et focalise flux de curieux et de curieuses.

Le musée des Machines Antiques est un étrange cimetière d’objets dénués de signification, désarticulés. Certains font plusieurs mètres de long, d’autres la taille d’une cuticule. On dit que ces machines furent utilisées au début de l’installation krolanne autour de la Faille pour construire la vie et les Kils, sécuriser la place.
En déambulant paresseusement à travers les corridors bondés du musée, Oromonde tâche d’imaginer ce que cela a du être, de vivre à cette époque. Dans ses courts moments de solitude (car elle a toujours du travail à faire où que ce soit), elle aime bien venir ici, dans cet endroit comme émergé du passé, et tâcher de se représenter les vies et aléas des premiers colons krolannes. A quoi pouvait bien servir cette bête de métal froid qu’on lui présente maintenant ? Qui s’est longuement échiné à bâtir cette arachnéenne construction, qui s’est intéressé aux emplois de ce minuscule appareil informe, tout de cuivre revêtu ?

Les gens du Kil’Dara auraient sans doute un œil plus expert qu’elle sur la question, habitué comme ils le sont à côtoyer des technologies avancées ; les guides présentent régulièrement des tours de visite où ils élaborent des conjectures et hypothèses qui suffisent à abreuver l’imagination curieuse et silencieuse de la jeune femme.

Existaient-ils des lanyshtas à cette époque ? La supposition est douteuse, aussi ne fait-elle que rêvasser, mouvant son grand corps sans grâce d’une pièce à l’autre. Et puis, sans doute faut-il mieux s’intéresser aux lanyshtas de maintenant ; que font-ils ? où sont-ils ? qui sont-ils ? à terme, que deviendront-ils ? Elle a la chance d’habiter le Kil’Dé, le seul quartier où on n’abat pas les lanyshtas à vue ; pourtant, elle ne saurait dire si leur sort est plus enviable. Elle songe à se dénoncer, bien sûr, mais…mais les pensées des entrelacs l’en dissuadent. Elle ne sait pourquoi, elle craint de révéler sa véritable identité, tout en se languissant à rencontrer d’autres des siens, partager leurs expériences, comprendre leur rôle dans l’Un. N’est-elle pas en train de contredire à toute son éducation ? Ne peut-elle bénéficier des avis des plus vieux lanyshtas – qui doivent bien être recensés quelque part dans ce quartier ? Et comment les trouverait-elle ? Par un code secret peint sur les murs ? Répondraient-ils ?

Déçue par l’ineptie de ses spéculations, elle laisse là le cours de ses pensées et penche la tête sur le côté pour mieux observer une des machines exposées. Peu impressionnante, peu particulière, cette dernière ne bénéficie pas d’une mise en lumière spécifique et a l’air très annexe. Sans savoir pourquoi, Oromonde tend la main pour en toucher le contact froid.

C’est alors qu’un truc crisse et fait « ploc » en tombant sur le sol tapissé.

Oups….

Les oreilles s’enflamment aussitôt. Mettant les mains dans les poches, elle jette un coup d’œil au groupe de visiteur voisin qui s’use les iris sur une construction plus imposante, à l’autre bout de la pièce. Apparemment, personne ne l’a remarqué. Du pied, elle tente de faire glisser discrètement ce qu’elle a fait tomber vers elle pour le ramasser quand elle en aura les moyens.
Mais son pied dérape et la petite pièce, quelle qu’elle soit, glisse plus loin dans la pièce…et fait un petit « ploc » contre le mur, pas très loin d’un vigile qui lui tourne le dos et n’a pas l’air d’avoir remarqué son manège.

Oups, oups, oups !...

Piquant du nez dans le long col de son manteau, Oromonde s’écarte, le visage rougi par l’embarras.

Comment faire pour remettre la pièce à sa place sans que les vigiles ne le remarquent...?



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Vayang 21 Nohanur 814 à 10h04
 
*** Apprendre la patience.
Dans la douleur. ***


Au même moment, au Musée des Machines Antiques…

Une jeune femme un peu bizarre trottine sur les pas d’un vieux krolanne qui semble très agité.
L’apprentie Thaïs et le Commis aux Sans-Destins Pujado sont de sortie…

Le vieux Pujado et son éternelle cape noire montre les machines à son élève. Il explique avec de grands gestes mais une voix totalement monocorde comment ces appareils ont changé leur monde et ô combien leur Quartier est historique à tous les autres. Un Quartier ayant un passé et un avenir, à la différence des ersatz modernes et sans trame qui le bordent. Le vieillard va peu à l’essentiel, digresse beaucoup, perd le fil de son discours dans d’infinis détails. C’est un grand savant mais un piètre pédagogue, impossible à écouter longtemps sans sombrer dans une indolente torpeur.


-… Vois-tu, car cette machine magnifique nous a permis d’accéder à l’eau qui… oui car je ne te re-soulignerais jamais assez que c’est l’eau qui rend notre Quartier si primordial pour tous les autres… alors, oui, d’accord, Kil’dara a de belles technologies, mais un marteau à vapeur n’a jamais désaltéré personne. A les écouter Scylla n’aurait eu qu’à se greffer des yeux. Je me demande d’ailleurs si c’est bien possible… ma cousine avait de la cataracte, ça ne l’a pas empêché de lire des Augures… pas plus que mon frère qui est sourd d’une oreille et qui est marchand… un bon marchand, lui, pas comme ce fichu épicier qui a voulu me fourguer trois pommes au prix de…

Thaïs traîne les pieds. Clairement. Trois semaines qu’elle suit les enseignements du vieux Pujado et cela lui semble déjà une éternité. Sa belle énergie et sa flamboyante motivation des premiers temps ont vite fait place à une muette résignation. Elle apprend, oui, mais à quel prix ! Il faut y aller étape par étape : le vieux Pujado est un somnifère ambulant, mais au moins conseille-t-il à Thaïs des professeurs et des ouvrages forts pertinents dans l’apprentissage des patois des autres Quartiers. Apprentissages pour lesquels Thaïs consacre désormais une bonne partie de ses après-midis et de ses nuits –tentant de mettre en pratique ses leçons au gré des bulles mentales. A s’en donner mal à la tête…

Thaïs est donc tout sauf attentive. Avec son uniforme de parfaite élève –ample robe noire informe, petits souliers vernis, perruque de longs cheveux coiffés en queue de cheval, fond de teint épais- elle tient plus de l’adolescente en maison de redressement que de l’étudiante modèle. Lorsqu’elle entend un léger tintement, suivi de l’étrange manège d’une grande krolanne aux cheveux courts... Laissant son Instructeur quelques mètres devant –absorbé dans son discours interminable, sans doute ne remarquera-t-il même pas l’absence de son adjointe- Thaïs observe. Fixe.

Et pense. Sans faire trop attention à l’hermétisme de son esprit –jeune, jeune lanyshsta- quelques mots épars filtrent de sa caboche, résonnent mentalement dans le musée sans pour autant en dévoiler totalement le penseur.

Ennui. Ennui. Ennui.

J’ai envie de MOURIR.
OuRir
Rir
Ir...

Pourquoi, mais pourquoi ?

Il va me parler de la cataracte de sa cousi.. Bingo.

Pitiéééé.
Itiéééééé
tiééééé
iéééé
éé

Elle fait quoi ?

Bizarre.


*** ***



 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Luang 24 Nohanur 814 à 13h06
 
Le vigile va se retourner, le vigile va….
Ouf !
Un espèce de petit vieillard monologuant à haute voix passe pile à ce moment-là et distrait l’attention du gardien, qui se fixe sur la promenade discursive du bonhomme.
Soulagement. Cela lui offre peut-être…une fenêtre de deux ou trois minutes pour intervenir, réquisitionner le boulon et le replacer au bon endroit.

Oromonde entreprend un rapprochement en crabe, l’air tellement de rien que n’importe qui posant les yeux sur elle à cet instant précis comprendrait qu’elle cache quelque chose. La pièce a roulé contre le mur et se trouve coincé entre un pan de tapis vétuste, rougeâtre et poussiéreux, et le mur lambrissé. Redressant le col de son manteau innocemment, Oromonde en profite pour s’adosser contre le mur.
Bon. C’était pas mal.

Elle avait vu des gens adopter cette posture auparavant. Apparemment, elle consistait à relever un genou, à garder les mains dans les poches et à avoir l’air un peu dédaigneux et las du reste du monde. Ces sentiments et attitudes étant très étrangers à Oromonde, elle se contenta de rester toute droite contre le mur et de regarder ses pieds, ce qui donnait à la scène un côté « pingouin inadapté socialement » qu’un esprit généreux pouvait trouver un peu mignon et un peu ridicule.
Qu’importe. Maintenant, elle n’a plus qu’à tendre le bras et à se baisse rapidement et…
Par Scylla ! Un écho de pensée retentit alors dans son esprit, dans une espèce de sonorité labyrinthique un peu angoissante. Il y est question de mort et d’ennui. Elle écarquille les yeux et manque refaire tomber la pièce qu’elle rattrape in extremis, perturbée.

Quel enfaillé (insulte kildéenne courante) de lanyshta faisait les siennes dans le coin ? Ce n’est pas la première fois qu’il lui arrive de capter des pensées proches ; à l’Hermine de Cristal déjà, le phénomène s’était produit. Et lui avait causé assez de sensations fortes comme ça ! Certes, elle se languit de rencontrer en chair et en os d’autre de ces monstrueux krolannes…mais de là à être prête à les croiser au hasard, certainement pas !

Est-ce-qu’elle a été répérée ? Est-ce-qu’on l’a trahie ? Va-t-elle être arrêtée ? Après tout, la pensée précédente sur la mort et l’ennui n’est pas très rassurante. S’agit-il d’une menace ?

Elle jette un coup d’œil à la machine, met le boulon dans sa poche et songe à quitter la pièce. Mais si l’autre lanyshta se trouve proche – ce qui est suggéré par la réceptivité pointue avec laquelle elle capte sans effort et malgré elle l’écho de ces pensées -, ne risque-t-elle pas plutôt de l’alarmer sur son identité ? Avoir l’air de rien, avoir l’air de rien. Elle se rapproche de la machinerie et l’observe avec attention, se demandant où ranger le truc de métal qu’elle vient de récupérer.
Pensant :

Qui que vous soyez, si vous êtes venu me vendre : sachez que je sais qui vous êtes et vous dénonce aussitôt aux autorités.
Déclinez vos intentions immédiatement, s’il vous plaît.

Parce que bon, Oromonde reste quelqu’un de poli malgré tout.



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Luang 24 Nohanur 814 à 20h49
 
Thaïs observe à la dérobée cette krolanne étrange qui semble faire tant d'efforts pour ne pas l'être. Elle semble s'intéresser de près à une machine, se penche dessus, l'examine d'un peu trop près. Une voleuse ? Elle n'en a pas du tout l'apparence. Mais après tout, l'habit ne fait pas l'Augure...

L'Adjointe aux Sans-Destins, pétrie d'idéaux tout frais et aiguillonnée par sa jeunesse, prend son courage à deux mains. Elle gonfle la poitrine, prend un air discret -autant dire qu'elle ne l'est pas du tout-, flâne en regardant un coup ses pieds, un coup le plafond, un coup Oromonde. Manège très naturel au milieu d'un musée historique : une visiteuse regardant tout, tout, tout sauf les pièces millénaires, marchant au milieu du vide en se dirigeant doucement vers la seule partie sans vitrine de la salle : le centre..

Mais Thaïs se le jure : elle va la choper, cette mécréante ! Sans doute une étrangère, Kil'darienne sans scrupule venue pomper le savoir ancestral de Kil'dé. Mais on ne l'a fait pas, à la d'Ascara ! Thaïs s'imagine se jetant sur l'inconnue, l'immobilisant au sol, lui crochetant le bras, hurlant aux autres krolannes de ne pas paniquer, qu'elle a la situation bien en main. Son Maître, le vieux Pujado, extatique d'admiration, à jamais fier de son élève. Ses parents, les yeux remplis de larmes d'admiration, payant une statue à la gloire de leur progéni...
Oui, l'adolescente a tendance à s'emballer facilement.

Soudain, un flot mental vient frapper Thaïs. Stupeur. La lanyshsta se fige, écarquille les yeux, toussote -autant porter un panneau clignotant "quelque-chose ne va pas chez moi"...

Son esprit s'emballe, elle ne contrôle plus rien, plus rien n'est contenu et tout déborde.

Quoi ? Les... autorités ? Je... Qui me parle ?
Je... VOUS, déclinez vos intentions ! Quoi que qui... Que qui quoi... Qui que vous soyez !

Je suis nulle. Merde, j'ai pensé tout fort. Merde, j'ai re-pensé tout fort. Mer...
Raaaaaaaah.

Ne penser à rien. A rien de gênant en tout cas. Ma vessie plei... Nan !

CHOU-FLEUR, CHOU-FLEUR, CHOU-FLEUR, CHOU...
Je fantasme sur ma meilleure amie.
CHOU-FLEUR, CHOU-FLEUR...

Que ?

NOOOOOOOOON


Et c'est ainsi que fort discrètement, en plein milieu d'une pièce par ailleurs fort calme, dans un résonnant hoquet d'effroi, Thaïs s'accroupit à terre en se tenant la tête, le visage figé dans une admirable grimace d'horreur.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Julung 27 Nohanur 814 à 22h04
 
Peu avant l’explosion mentale qui s’ensuit, un pli irrité vient faire bouder la bouche pourprée d’Oromonde. C’est qu’elle a remarqué l’étrange parade nuptiale de l’étudiante en robe noire qui….s’agite et fait des choses, visiblement en sa direction.
Cette gourde ne va-t-elle donc pas me lâcher ? fulmine la krolanne, assassinant sur place la silhouette serpentine de la gamine. Avec l’autre lanyshta sur place, j’ai autre chose à faire que de m’occuper de ça !

Elle se déplace discrètement (c'est-à-dire avec fort gestes et grincements de parquet) sur sa droite, adoptant la célèbre technique du crabe, et…
Et soudain, le chaos !

Cela résonne dans sa tête comme si quelqu’un lui avait crié directement dans l’oreille. Une suite de pensées visiblement mal dirigées s’enfonce sous son crâne et lui scie les synapses. Parmi ce flot incongru se dessine, sans qu’elle sache bien pourquoi, l’image persistante d’un légume blanchâtre et duveteux. Elle a l’impression de…beuh…sa vessie lui paraît soudainement plus lourde qu’il n’y a quelques secondes.
Parmi tout cela, pourtant, une seule phrase apparaît clairement : ‘Je fantasme sur ma meilleure amie.’

Perplexe, Oromonde, peu aguerrie aux choses de l’amour, répond involontairement : Quoi ?
Puis, le silence, plus rien, ou alors, plus exactement, un autre type de chaos.

Sur le sol du musée vient de s’effondrer l’espèce de gourdasse étudiante perruquée qui avait commencé à la filer. Alors, certes, Oromonde n’a pas inventé l’eau chaude, ni l’eau froide, et elle n’est pas la plus rapide d’esprit ni d’actes ni de mots ; pourtant, la connexion s’opère assez vite entre le déferlement inattendu de pensées et la silhouette qui hoquette et grimace en position fœtale.

Oh oh.

Evidemment, des gens commencent à se retourner pour voir qui vient ainsi perturber leur tranquille et attentive contemplation…
Pas que la jeune fille risque d’être découverte, mais sait-on jamais ! Les entrelacs ne parlaient-ils pas de phénomènes surnaturels qui finissaient par se développer chez les lanyshtas ? Si jamais cela doit se produire sous ses yeux, la longue brune s’en voudrait certainement !

D’un mouvement frustre, elle retire son manteau et en enveloppe aussitôt l’adolescente, proclamant vivement :
« Elle est claustrophobe ! Il faut l’amener dehors ! » Et, en essayant au mieux d’avoir l’air de savoir ce qu’elle fait, elle tente de glisser ses bras sous les épaules de la jeune fille. C’est qu’elle pèse un peu lourd pour les frêles bras d’Oromonde !

Si c’est bien vous, je vous en prie, faites un effort ! Je suis désolée. Je ne voulais pas vous mettre dans cet état ! J’ai juste eu peur !

« Laissez-moi vous aider, mesdemoiselles », intervient brusquement le vigile jusque là oublié. D’imposante stature, il lance une ombre haute et tenace au-dessus des jeunes lanyshtas. Oromonde lève vers lui un visage pointu et vide de certitudes, ne sachant trop que dire…



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Vayang 28 Nohanur 814 à 11h00
 
Tout va très vite. Concentrée sur son état catatonique et le blocage de ses pensées intimes, Thaïs réalise à peine qu’Oromonde lui saute dessus, la soulève et commence à la sortir du merdier inepte dans lequel elle a réussi à se fourrer avec brio.

Ce n’est que lorsque l’ombre de l’imposant vigile leur barre la route que Thaïs reprend à peu près ses esprits et reboucle tout ce qui vient de se passer. Après un regard paniqué à sa comparse –qui parle Kil’déen et ne doit pas être tant que ça une voleuse venue d’un autre Quartier-, Thaïs commence à penser à plein régime. Le mot « claustrophobie » a à peine effleuré ses oreilles qu’elle se met à se tenir la tête en hurlant :


LES MURS ! LES MURS !

Puis, tout bas, comme si les dits murs étaient d’horribles conspirateurs à l’affût du moindre secret :

Ils… ils veulent me... me... poignarder.

Point positif : elle a été réactive et s'est adaptée.
Point négatif : à agir trop vite, on dit un peu n'importe quoi.

De fait, Thaïs savait que la claustrophobie avait un vague rapport avec la peur de mourir dans une pièce, quant à savoir exactement comment…

Dans tous les cas, l’effet fut parfait : le vigile ouvrit une bouche béate, fronça les sourcils non sans une pointe de stupeur effrayée et indiqua du doigt une issue proche, vers laquelle les deux femmes ne manquèrent pas de se précipiter sans demander leur reste. Il était devenu hors de question pour lui de s'approcher de filles si bizarres qui pensent que les murs du musée -à plus forte raison dans la salle la plus spacieuse et aérée- étaient des tueurs vicieux.

Thaïs avait repris du poil de la bête, pas peu fière de sa trouvaille de murs assassins et de son allure de folle à lier. Elle courait même devant Oromonde, lui tenant la main pour mieux l’entraîner et l’extraire d’une situation où elle l’avait un peu violemment hâtée.

La porte s’ouvrit à la volée, Thaïs manqua de se croûter lamentablement au sol en se prenant les pieds dans une marche, se rétablit –sans sembler voir que sa perruque avait sautée entre temps, accrochée à la poignée-, bifurqua rapidement dans la rue extérieure et poussa Oromonde dans une ruelle adjacente, sombre et tranquille. Scène peu commune et particulièrement louche que ces deux jeunes femmes sortant du Musée hâtivement pour mieux aller se planquer…

Thaïs souffla quelques instants, complétement époumonée, puis se tourna vers Oromonde et lui adressa un sourire jeune et sincère. Elle tendit sa main en signe de salut et dit normalement –entre deux respirations sifflantes :


Je vous dois des excuses, je crois. Je m’appelle Thaïs. Thaïs d’Ascara. Je… je ne maîtrise pas encore bien mes… dons. Je vous suis redevable.

Scène singulière que cette adolescente au visage de garçon et aux cheveux courts massacrés, en robe d’étudiante, le maquillage très blanc défait, adresser un regard pétillant de malice et à la chaleur sincère.

Puis, avec une soudaine désapprobation tranquille :


Je suis désolée de vous avoir mis dans un tel embarras. Mais, dans le Musée, vous étiez… bizarre.

L’hôpital se foutant de la charité.
Une digne Ascara.

Ceci n'est dit sans aucune méchanceté toutefois : on peut déceler en Thaïs un certain rang social, toutefois elle semble très naturelle et sans arrière pensée aucune.
Une fille entière.

C'était sans compter sur le vigile, qui, une fois la surprise passée, s'était lancé à leur suite et les cherchait maintenant à quelques mètres de là, dans la rue. Seule Oromonde pouvait le voir, Thaïs lui tournant le dos.
Il ne s'agissait probablement que d'une question de minutes avant que les passants ne lui indiquent la ruelle où se terraient les deux complices.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Vayang 28 Nohanur 814 à 13h31
 

Ce n’est pas tout à fait ce qu’avait prévu Oromonde…comment ça, des murs poignardeurs ?

Derrière la tête relevée de Thaïs se livrant à sa tragique révélation, on peut apercevoir le visage effilé d’Oromonde qui se contorsionne en une grimace incrédule, du style : « Elle n’a quand même pas dit ça ! »
Le pire, c’est que ça marche. Béate d’admiration devant l’invention de la jeune fille, Oromonde ne demande pas son reste et s’enfuit en sa compagnie (ne réalisant pas qu’elle garde encore sur elle la pièce de la machinerie, et par conséquent qu’elle vient de commettre un vol. Oups.) Il faut dire qu’elle n’a pas trop le choix non plus, vu que l’adolescente s’est emparée de sa main et gambade allègrement au-devant d’elle. Peu habituée aux contacts et encore moins à se donner en spectacle, Or est rosée de confusion et traîne un peu derrière. Bon, il faut au moins qu’elle parvienne à récupérer son manteau, cela est certain.

Soudain, Thaïs tombe !

Déstabilisée, Oromonde se rattrape elle-même de justesse au mur. Le tout ne prend qu’une fraction de seconde, mais…mais c’est suffisant pour que l’adolescente se retrouve scalpée !
Une touffe de cheveux pendouille en effet de la poignée de la porte…Oromonde pousse un petit cri de surprise et d’effroi, croyant pendant une fraction de seconde qu’il s’agit bien là du cuir chevelu de l’adolescente, et commence à hyperventiler. Mais voilà que la jeune fille se relève l’air de rien et reprend sa course folle et – il faut bien le dire – entraînante…

« M-mais…vos cheveux ! » commence Oromonde, choquée à l’idée qu’on puisse s’enfuir comme ça, sans sa perruque ! Elle a le réflexe d’agripper le scalp avant d’emboîter le pas à Thaïs, activité facilitée par sa longueur de jambes et son passé enfantin occupé à courir en compagnie de ses frères sur les toits, échelles et parcours des Fissures.

Il n’en faut pas plus pour que la jeune fille la pousse dans une ruelle sombre, visiblement pour effectuer une apologie en bonne et due forme. La scène est d’autant plus inattendue qu’Oromonde tient dans ses mains la perruque éclatée et que, sans son long manteau, on s’aperçoit aisément qu’elle fait une tête de plus que sa compagne et a des goûts vestimentaires discutables.

« Vous êtes une d’Ascara ? » interrompt l’artisane avec de grands yeux ambrés ; un soupçon de crainte se promène dans cette interrogation qui n’en est pas vraiment une. Ça alors ! Autant dire que les jeunes lanyshtas venaient de deux mondes totalement opposés et différents…elle espérait que l’adolescente ne prendrait pas mouche de son caractère, et ne s’aviserait pas d’en faire part à sa famille, dont les ramifications complexes et haut-placées sont connues dans le Quartier.

«Il n'y avait rien de bizarre là-dedans,» répond Oromonde avec perplexité, sincèrement incapable de se figurer en quoi elle avait pu paraître si atypique, et très franchement un peu vexée à cette idée. « J’essayais de remettre le…le truc, là, sur…sur… »

Sa voix s’éteint alors qu’elle aperçoit devant elle la forme du vigile interrogeant deux passants qui les montre du bras.
On l’a déjà constaté, Oromonde n’a pas une très grande souplesse d’adaptabilité. C’est après tout quelqu’un qui favorise la méthode à l’éclat. Cela lui prend donc un peu de temps pour calculer leur situation, et évidemment…
Evidemment, à quoi le lecteur peut-il s’attendre ? Il n’y a qu’une seule façon de régler cette épineuse situation.
Sans prévenir, les joues rendues chaudes par ce qui consiste pour la jeune femme en un acte tout à fait inhabituel, elle enlace l’adolescente et l’embrasse du bout des lèvres (on ne vas pas y mettre la langue, non plus, c’est déjà assez embarrassant comme ça.)



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Vayang 28 Nohanur 814 à 15h52
 
Thaïs a à peine de le temps de froncer les sourcils en demandant suspicieusement « quel truc ? » que leurs lèvres se joignent.

Et le monde bascule.

Ce n’est pas un simple baiser krolanne, non. Un baiser lanyshsta est bien plus que cela. Surtout lorsque l’une des deux protagonistes vient de découvrir qu’elle broie magiquement des oreillers au moindre sentiment contrasté et a parfois du mal à maîtriser jusqu’à sa simple télépathie…

Alors imaginez quand une fille qui aime les filles, pas vraiment sortie du placard, pas jolie, pas vraiment bien dans sa peau, pas vraiment maître de ses nouvelles capacités, se fait ainsi embrasser soudainement par une jeune femme plus âgée et séduisante -même si elle s'en défendrait probablement si on le lui disait…

C’est une déferlante de sentiments qui fuse de Thaïs et s’engouffre en Oromonde. Le contact physique semble favoriser l’intensité de ce raz-de-marée et les deux femmes se font clouer sur place, comme électrocutée par un courant irrépressible.

Leur visage s’engourdit d’ailleurs, car il y a bien de la magie là-dessous. Au point de jonction, une légère lueur s’épanouit doucement.

Le flot psychique de Thaïs est mélangé mais splendide : des centaines de couleurs, des explosions de pétales, des arabesques infinies. Puis un tourbillon de ronces, des ronces épineuses et magnifiques, qui aspirent tout, déchiquètent tout. Et fleurissent. Fleurissent de rouge.
De rouge à en crever.

Une image se grave dans la tête d’Oromonde : une sublime blonde de l’âge de Thaïs.
Aussi féminine que la d’Ascara est indéterminée.
Lymiria. Qui regarde ailleurs.
Qui s’en fout.
D’elle.
De tout.

Sans doute la jeune femme comprend-t-elle plusieurs choses sur Thaïs :
-Que l’adolescente est bien trop bouleversée par ce baiser féminin –son premier baiser tout court- pour que les filles la laissent indifférentes.
-Que pourtant, ce n’est pas un flux d’hormones qui déferle, comme il aurait pu être le cas d’un baiser accordé à un mâle bouillonnant. Ce n’est pas que du désir. C’est plus profond. Plus délicat et bouleversant.
-Qu’il s’en est fallu de peu pour, qu’en place d’obtenir une planque, elles ne se mettent à briller de mille feux –limite à flotter dans les airs dans un tourbillon d’étincelles, comme dans les romans à l’eau de rose- et ne soient repérées probablement au-delà des frontières mêmes de leur Quartier.

Finalement, le vigile regarde un instant le couple enlacé dans la ruelle. Avec des cheveux courts et d’une couleur différente que sa perruque, de dos, Thaïs ressemble à un garçon qui n’a plus rien à voir avec l’étudiante endimanchée du musée. Quant à la fille que ce jeune homme embrasse, avec son étrange sac à main en poil, elle ne correspond pas non plus tout à fait à la grande brune que le molosse a vu à l’intérieur. Il s’approche –les deux femmes resserrant leur étreintes (perdues pour perdues)- mais se détourne finalement, à la recherche d’une folle aux cheveux longs et de sa copine affolée. Limite gêné par l’intensité de l’étreinte de ces deux jeunes gens.

Et alors qu'il tourne les talons, sans doute Oromonde aperçoit-elle sous le bras du krolanne son blouson.
Qu'il cherchait peut-être simplement à lui rendre.

Inévitablement, les femmes finissent pas se détacher. Thaïs a le regard vitreux, les joues enflammées, les mains tremblantes. Bafouille quelque-chose d'incompréhensible. Lance désemparement une dernière image mentale particulièrement nette à Oromonde.

Puis tombe dans les pommes.


*** ***


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Luang 1 Dasawar 814 à 13h45
 
Ça brûle !
Et ce n’est pas normal.

Quelle étrange réunion s’est ainsi opérée, dans quelle toile vient-elle de s’empêtrer ? Oromonde a déjà eu deux ou trois fois l’occasion d’embrasser de plus ou moins séduisants comparses en de plus ou moins intéressants endroits, et elle est convaincue qu’elle n’est pas supposer faire autant d’effets à qui que ce soit. D’ailleurs, Oromonde est certaine qu’elle n’est pas supposée faire des effets à qui que ce soit tout court. Enfin, regardez-là un peu : une grande brune lisse et fade comme elle, aux gestes malhabiles et aux pensées stériles, pauvre de fait comme de droit, le nez désespérément planté dans les étoiles pour ne pas voir la réalité de son quotidien !

Est-ce-que sa bouche est en train de…briller ?

C’est donc ça, ces phénomènes lumineux dont parlent les Entrelacs ? Est-ce-que ces fichus lanyshtas n’auraient pas pu au moins prévenir les autres des circonstances exactes de leur apparition ?!
Les impressions et les visions s’enchaînent dans l’esprit de la jeune artisane qui ne sait plus où donner de la tête, ce qui semble être une conséquence logique de la présence de Thaïs dont la chaleur et la vivacité chaotique perturbe, et de beaucoup, la normale tranquillité d’Oromonde.

Mais la lueur ne vient pas d’elle, constate assez rapidement la krolanne, et dieux, elle la brûle vraiment.

Contre toute attente, ce n’est pourtant pas nécessairement désagréable, et sans doute, une fois cet imprévisible baiser achevé, Oromonde aura-t-elle le temps de se remémorer que Thaïs a une décade de moins qu’elle.
D’étranges images se précisent au centre de tout cela. La vision d’une très jolie krolanne, au dos badin détourné…celles de fleurs (pourquoi ?...) Tout cela vient, Oromonde le sent, de la psyché en fission de la jeune d’Ascara dont les pouvoirs lanyshtas lui semblent bien plus avancés que les siens. De l’artisane même ne se dégage qu’une vague impression de noirceur bleutée s’évanouissant sans un mot, lourde comme une âme zébrée d’amer, légère comme un spectre. Lancinante imagerie qui s’évapore pourtant aussitôt que leurs visages se séparent.

A sa grande surprise, Oromonde constate qu’elle est bien moins essoufflée et rougie que sa compagne de mésaventure. La remarque est de poids. D’ordinaire, la krolanne est de celles qui s’embarrassent et perdent le fil de leurs pensées et de leurs mots, n’être pas dans cette situation est…bienvenu, quoiqu’étrange.
Bon. Rassemblons nos pensées, et ne pas penser au chatoiement mordoré et piquant qui lui taquine les lèvres et qu’elle se retient de chasser de sa manche, consciente que ça ne servirait pas à grand-chose et que ce geste serait mal interprété.

Comment expliquer à Thaïs que c’était très bien mais que maintenant il fallait rentrer chez ses parents…
Fort heureusement, un évènement incongru vient sauver Oromonde de cette piquante situation : la jeune fille s’évanouit.
Oui, comme ça, d’un seul coup, et quasiment de tout son corps. Oromonde laisse échapper un petit cri de surprise et d’inquiétude : déjà qu’elle tient son faux scalp dans ses mains, ne manquerait plus que Thaïs s’ouvre le crâne pour de vrai !

Quelque chose d’étrange vient en même temps lui titiller la cervelle…une vision de champs de… choux-fleurs ?
La gamine est vraiment perturbée, songe Oromonde, rendue perplexe par cette vision.
Et puis bon, attendez un peu !
C’est la première fois qu’elle embrasse une mineure du même sexe (ouch), et au final, celle-ci : a) s’évanouit (ce qui est soit très flatteur, soit très vexant, dans tous les cas carrément inquiétant), b) pense à des CHOUX FLEURS tout du long ?!!

L’outrage !
Décidément, ce n’est pas une très bonne journée pour Oromonde, qui ravale son peu d’estime de soi de travers.
Des choux-fleurs…mais quel étrange traumatisme est-ce là ?

Sans chercher à en comprendre plus – et guère certaine que cela soit possible – Oromonde soupire et fait le tour de la gamine. Elle ne va après tout pas la laisser en plan dans une ruelle du quartier, aussi bien fréquenté soit-il, et puis bon, ça ne se fait tout simplement pas. Pour la seconde fois en cinq minutes, elle passe ses bras sous les aisselles de l’adolescente et la relève en grognant, car elle est d’autant plus lourde qu’elle est maintenant vraiment dans les vapes.
Bon…il va falloir qu’elle parvienne au manoir des d’Ascara avec leur fille dans les bras, les pieds inélégamment écartes et traînant sur les pavés. Elle hésite à retourner au Parvis, mais bon, ce ne serait pas une situation très discrète, aussi fait-elle appel à sa connaissance géographique pointue de son Quartier pour chercher le meilleur moyen de ramener la jeune fille à sa demeure sans l’exposer dans la moitié des monuments touristiques du coin.

Elle espère qu’elle pourra refiler l’adolescente en douce à un de ses serviteurs plutôt que de se pointer elle-même devant la matrone de la famille, qu’on surnommait en douce « le dragon » dans la classe ouvrière du Kil’Dé. Ou alors, que quelqu’un aura l’intelligence de venir lui donner un coup de main…


Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Matal 2 Dasawar 814 à 22h55
 
Un sac inerte. Voilà tout ce qu'était Thaïs maintenant. Profondément évanouie, elle ne semblait sortir de cet état que pour bredouiller des mots incompréhensibles et sombrer de nouveau. Thaïs n'était pas spécialement lourde mais pas légère non plus. Son physique fin était en réalité relativement musclé et sec, là où il aurait pu se deviner creux et léger. Décidément, les apparences étaient en tout point trompeuses la concernant.

Toutefois, le corps de la jeune fille s'était quelque peu raffermit et sa main avait fini par se refermer assez fermement sur le bras d'Oromonde. Comme une chaîne l'obligeant à s'occuper de l'adolescente jusqu'au bout. Dans cette main palpitait une force étrange, un crépitement diffus. Les pieds de Thaïs ne traînaient pas mais marchaient très faiblement, automatiquement, comme aiguillés par une volonté propre.

Après la place où les badauds ne semblaient pas faire trop attention à ce drôle de couple -garçon inerte et peut-être saoul en bonne compagnie-, les rues plus huppées se présentèrent vite. Proches de la faille, il fallait toutefois gravir quelques marches pour aller à leur rencontre. Les habitations s’espaçaient peu à peu, les jardins faisaient leur apparition. Les voisins épiaient l'étrange duo de loin, derrière des volets ou des rideaux tendus.
Ambiance pesante, marécage de pouvoir où avait grandi tous les d'Ascara's.

Finalement, c'est devant un portail antique présageant la propriété recherchée qu'Oromonde finit par arriver. Un ouvrage simple mais élégant, sans ostentation, à l'image de la demeure en pierre blanche qui se découpait derrière quelques arbres et buissons. Haute et intemporelle, imposante sans en être arrogante : un édifice à la force tranquille et à la grâce discrète.

Dans les jardins, un jeune krolanne semblait s'activer avec application -comme s'il s'était pris un soufflet récemment. A la vue d'Oromonde et d'une Thaïs de chiffon sans perruque, il mit quelques minutes à réagir. Il s'approcha, entrouvrit le portail -occasion pour Oromonde de pénétrer le parc-, écarquilla les yeux en reconnaissant sa maîtresse évanouie -plus à sa tenue qu'à sa mise défaite, en réalité- et, sans un mot, tourna les talons pour courir prévenir quelqu'un en la demeure. Complétement désemparé.

Oromonde pouvait attendre ici, sur le pas de la propriété ancestrale, ou s'engouffrer dans l'allée blanche et ombragée sur la sente du domestique...





 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 3 Dasawar 814 à 17h36
 
*** Ambiance ***


Ah que j’aime ces moments de calme agitation. Chacun s’affaire dans son coin pour entretenir la demeure pendant que les maîtres s’occupent à pas grand-chose. Je n’entends que le bruit des chiffons et du balais, je ne sens que la cire de parquet et le produit pour les carreaux, je ne vois ni poussière ni tâches. Je pourrai presque me permettre de sourire mais point trop d’enthousiasme, cela ferait mauvais genre.

Les autres domestiques sont ma foi un peu étranges, comme des animaux apeurés, je comprends qu’ils n’ont pas la force nécessaire de subir et de rester indemne. A moins que ce ne soit moi qui n’ait pas suffisamment vécu les affres de la fonction. Quel est mon rang parmi les précédents majordomes ? Le dixième ? Le vingtième ? Davantage ? Les autres ont perdu le compte apparemment. Scylla…

Je suis encore en phase de rodage. Oh je ne parle pas du métier bien sûr même si ça doit faire sept ou huit ans que je n’ai pas servi comme majordome. C’est plutôt de découvrir tout le domaine, les tâches, les habitudes, les exigences qui prend du temps. Un bon majordome tient un registre, une sorte de dossier permanent, à la fois calendrier et liste énumérative des fonctions, de l’inventaire, de l’intendance, des frais, des contacts… Tout ce qui permet de faire son travail de manière efficace, ça me semblait la base mais il faut croire que mes antérieurs n’ont pas eu ce réflexe élémentaire, misère… Résultat, il me faudra poser une liste interminable de questions à madame ou monsieur pour avoir toutes mes réponses. Si ce n’est pas malheureux, moi, poser des questions ! Humf !

Alors que j’étais en train nettoyer l’argenterie dans un bain de bicarbonate de soude, le jardinier vient me voir. Le regard que je lui jette lui fait comprendre qu’il aurait plus de chance de survivre à de l’eau infectée plutôt que de le voir débarquer sur le parquet ciré avec ses chaussures pleines de terre et de boue. Comment ça c’est pressé, il y a la jeune maîtresse dehors avec quelqu’un d’autre ? Mumf ! Des fréquentations douteuses.

Je sors de la demeure avec un couteau à poisson que je suis en train d’astiquer avec une peau de chamois pour me présenter au portail. A mesure que je vois l’étrange tandem, je hausse le sourcil, le droit pour l’occasion. Puis quand je reconnais la deuxième figure, j’ai du mal à me retenir de hausser le gauche également.


Allons bon…bon sang de mémoire…ah oui ! mademoiselle Oromonde. J’aurai préféré vous revoir dans d’autres conditions hum ?

Nous verrons pour les explications plus tard. La d’Ascara a l’air toujours vivante. Il est temps pour moi d’utiliser le Mot de pouvoir ultime. Il s’agit d’un secret qui se transmet de major de promo en major de promo depuis des générations d’étudiants en arts du service. La bonne phrase prononcée avec le bon ton qui assure l’obéissance absolue, le réflexe myotatique de la tête de mule, celui qui fait se lever les enfants récalcitrants le matin, celui qui assure la priorité à une intersection ou une place bien située à un restaurant. Voyons que je me souvienne…

Mademoiselle Thaïs, debout ! Il est l’heure !! Votre bain est prêt.


 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Merakih 3 Dasawar 814 à 18h17
 
Borborygmes.

Mpfrrrr-gro-brum…

Pas le baiiin…

Non, maman. Laisse… moi.


Thaïs dodelina la tête un instant puis la releva soudainement. Complétement éveillée. Magique.

Encore un peu sonnée, elle mit quelques minutes à reprendre ses esprits. Assez étonnée de se retrouver chez elle alors qu’elle était dans une ruelle sombre l’instant d’avant, l’adolescente se repassa les événements dans sa tête. Elle rougit alors et lança un regard de biais à Oromonde, tout en se dégageant de tout contact. La honte la submergeait très manifestement.


Merci… Encore…

Bafouilla-t-elle timidement.

Merci pour tout.

Trancha-t-elle avec plus d’assurance, se jurant intérieurement de tout faire pour oublier cet instant aussi embarrassant que troublant.

Thaïs regarda un instant Harvain, ne sachant trop que faire.


Dame, je vous présente Harvain, la Perle de cette maison. Harvain, je vous présente…

La d’Ascara s’aperçut avec embarras qu’elle ne connaissait même pas le prénom de la femme qui l’avait embrassé et en sembla désolée. Elle laissa un blanc, dans l’optique qu’Oromonde se présente si elle le souhaitait. Thaïs nota sans doute un sentiment étrange dans le regard des deux lanyshstas –comme s’ils se connaissaient déjà…

Puis, avec assurance –une légère fébrilité se décelant toutefois dans la voix- la magicienne invita d’un ton ferme :


Vous prendrez bien un thé, chère. Suivez-nous.

Et sans demander l’avis à la jeune femme, Thaïs pénétra dans la maison, Harvain sur ses pas.

A l'intérieur, un grand couloir s’ouvrait sur un petit salon, mais Thaïs bifurqua vers les cuisines où sa mère n’irait pas la chercher. Harvain, après avoir travaillé quelques jours chez les d’Ascara, avait bien dû noter que l’adolescente ne faisait jamais de façon et allait avec un naturel décontracté –à l’exact opposé de la maîtresse de maison, femme maniérée qui ne supportait pas la moindre entorse au protocole.

La demeure était meublée avec goût et l’aspect riche s’y décelait plus qu’il n’était étalé. Un vase précieux par-là, un meuble ouvragé dans un coin, une tenture aux couleurs profondes ailleurs. Thaïs passait devant sans emphase, accessoiriste dans un décor de théâtre, mais avec une décontraction qui dénotait toutefois une habitude du luxe certaine.

Une ou deux fois, Thaïs faillit rechuter, assez faible et secouée par ses dernières aventures. Elle prit toutefois soin d'éviter poliment qu'Oromonde la touche de nouveau -trop gênant, trop gênant...

La cuisine était très claire, relativement moderne, et Thaïs prit place autour d’une simple table de bois ronde. Une chaise était disposée pour Oromonde et une autre, éventuelle, pour Harvain –Thaïs ne prenant pas l’initiative de trahir la nature lanyshsta du mâle ou de la femelle.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Merakih 3 Dasawar 814 à 19h28
 
« Non merci, ça ira, pour le thé… » mais personne ne l’a entendu et elle se retrouve coincée derrière, les bras ballants, sans manteau, avec le jardinier qui au loin l’épie derrière un buisson. Zut….
Ce jour serait inscrit définitivement dans la mémoire d’Oromonde comme « Le-jour-où-elle-n’aurait-pas-dû-se-lever-et-où-elle-aurait-mieux-fait-de-rester-chez-elle. » Les bras croisés sur sa maigre poitrine, un peu frileuse à cause de la perte de son manteau, la tête définitivement haute quoique ses joues soient rosies et son regard d’ambre inquiet, elle suit Harvain et Thaïs comme si ceux-ci avaient menacé de tuer toute sa famille et ses amis (ce qui est une expression : Oromonde n’a pas d’amis), ne sachant visiblement pas que faire, que dire, où se mettre ni où aller, bref, pour le dire dans le langage raffiné des Fissures : c’est la gêne, la grosse tehon, et elle est intérieurement dépitée du cours des évènements.

Et puis, qu’est-ce-que fait Harvain ici ? Ne devrait-il pas être à l’Hermine ? Va-t-il penser que…vous savez…les deux filles ensembles…oh, non…et qu’est-ce-qu’elle fiche ici, d’abord ? Scylla, elle est chez les d’Ascara !!! Ces gens-là peuvent changer des Augures s’ils le souhaitent ! Et leur fille l’a invité à boire du thé ! Dans leur cuisine !!! Peut-être même qu’il y aura des biscuits !!

Du calme, du calme…ne pas céder à la panique des points d’exclamation. Il y a une façon rationnelle de traiter cette affaire, elle en est convaincue…
Durant l’échange entre Harvain et Thaïs, Oromonde s’est contenté de marmonner son nom et d’ouvrir de grands yeux à la mention du bain (un peu gênée à l’idée de se représenter la scène.) Désormais, elle se pâme de désespoir et d’embarras en tâchant simultanément d’éviter les regards de Thaïs et d’Harvain, qui de toute façon ne font pas attention à elle.

Bon sang, bon sang…est-ce-que c’était un vase Ho-chi-minh qu’elle vient de voir ? Un de ceux qu’on fait importer directement des artisans kil’sinites ? Et c’est quoi, ce truc-là ? Une tapisserie raghisse ? Ne pas toucher, ne pas toucher…c’est pourtant si tentant et si proche…
Ils parviennent finalement jusqu’à la cuisine.

Qui est, par ailleurs, tout à fait ordinaire. Oromonde dissimule sa légère déception.
Thaïs prend place. Il reste deux chaises. Ils sont d’eux.
La galanterie et l’éducation du majordome voudrait qu’il laisse Oromonde s’asseoir en première.
Mais Oromonde s’est plus ou moins enrôlée à son service. Ce qui signifie qu’elle est hiérarchiquement inférieure au domestique, dans ce cas l’étiquette voudrait qu’elle attende qu’il s’asseye avant de prendre des initiatives, d’autant plus qu’il est plus âgé qu’elle.

Oui, certes, mais cependant, ils se trouvent chez dame d’Ascara où Harvain est en service et pas elle, par conséquent…par conséquent, quoi ? Qui doit s’asseoir en premier ? Quel casse-tête ! Elle ne savait plus !
De désespoir et de frustration, Oromonde opte pour la seconde solution, tire une chaise en arrière, et semble attendre, le visage brûlant, qu’Harvain s’y asseye.



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Julung 4 Dasawar 814 à 14h33
 
Je m’arrache les cheveux métaphoriquement en voyant cet ensemble de bévues au decorum. Scylla me vienne en aide pour faire face à ces tragédies. Il faut respecter…rha mais non, pas la cuisine ! Je n’ai pas fini la troisième vaisselle ! Et le thé ? Je n’ai rien préparé ! Non pas la table en bois elle n’est pas encore cirée ! Non on ne s’assied pas comme ça non plus !

Au secours… Elle croit vraiment que je vais m’asseoir ? Mais qu’est-ce qui vient de lui traverser l’esprit ?!


Asseyez-vous Oromonde. lui dis-je par pensée entre la suggestion paternelle et l’ordre dictatorial.

Bon, on s’active. Ah et en plus, ce n’est pas l’heure du thé ! Mais tout va de travers aujourd’hui, misère. Louée soit ma prudence et mon réflexe d’avoir fait acheter en premier une sélection de thés soigneusement approuvée par mes soins. Je m’éclipse dans la remise sombre qui est désormais remplie à moitié par des boites noires de thé de diverses tailles aux belles étiquettes. Tout est soigneusement rangé : thés noirs, thés blancs, thés jaunes, thés verts, mousselines de thés, thés bleus, thés en poudre, thés fumés, thés mûrs, thés de saison… Bon nous sommes en début d’après-midi et il reste des parts du framboisier d’hier soir, tant pis pour la redondance… On n’a plus de biscuits secs ?! On ne peut pas faire un thé sans biscuits secs ! C’est la porte ouverte à toutes les fenêtres ! Bon donc début d’après-midi et fruits rouges…voyons…ah ! thé blanc bien sûr. Bon lequel ? L’ivoire ? Le « au-delà du ciel » ? Le « longévité suprême » ? Le « pivoine blanche » ? Allez, va pour la pivoine blanche. Je saisis la boite, la secoue un coup et ouvre le couvercle pour sentir les arômes. Ah oui. A cinquante graines la boite, ils peuvent se permettre d’être bons… Ce petit goût d’amande douce et ce parfum de fleurs sauvage typique des thés blancs pour une saveur veloutée et une couleur lumineuse… Bon, allez, au boulôt.

Je sors de la remise et revient dans la cuisine avec ma boite sous le bras. Scylla que je déteste voir les maîtres de maison et les invités dans la cuisine, c’est contre nature ! Résultat, je vais devoir préparer le thé à côté d’elles. Pffff. Je n’entends rien, d’habitude les gens discutent non ? Tant pis, je sais que je ne pourrai pas les faire bouger. Je saisis une théière, une bouteille scellée d’eau pure. Deux personnes, je prévois le double dans le doute. Huit dixièmes de litre pour…vingt grammes. Où est cette fichue balance ? Ah ! Voilà… Hop sur le feu…bien…là. Pendant ce temps-là, assiettes, cuillères, tasses, soucoupes. Où est ce framboisier…Ah, sous la cloche, bien. Deux huitièmes de parts, c’est ce qu’il sied pour une dame. Voilà.

Je retire l’eau de la plaque puis verse le thé à l’intérieur et sors ma montre gousset. Pendant ce temps, je range la boite à thé dans la remise et j’attends à l’intérieur si elles veulent discuter tranquillement. Voilà à quoi j’en suis réduit, humf ! Au moins, ça sent bon le thé, j’aime le thé. Ah, bientôt sept minutes, je reviens dans la cuisine…je retire le filtre à thé puis pose le tout sur mon plateau. Un peu plus et je sortais de la cuisine pour aller au petit salon ! L’habitude… Au moins je n’ai pas besoin d’aller très loin. Et voilà. Service en quinconce, d’abord l’invitée, toujours. Bien. Et voilà, là c’est propre.


Aujourd'hui, un thé blanc "Pivoine blanche" avec un framboisier aux éclats de pistache.

Dommage que l’usage et la bienséance se retournent dans leurs tombes. Je range le plateau sous le bras et me plaque à un mur derrière la d’Ascara... Oh non, j'ai oublié le sucrier !! Voilà, ça y est, à force de chambouller le protocole, j'en oublie le sucrier, je suis perdu ! Restons calme, restons calme, restons calme.


 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Julung 4 Dasawar 814 à 16h47
 
Thaïs observait avec curiosité l'étrange manège entre Oromonde et Harvain. Cet instant de flottement jusqu'à ce qu'Oromonde s'asseye était résolument étrange. Se connaissaient-ils ? Le monde lanyshsta était-il si petit que ça ? Ou alors Harvain impressionnait la jeune femme, qui n'avait pas l'habitude des domestiques. Cet homme mûr avait une sorte de prestance écrasante et semblait juger vos moindres gestes. Il en aurait paralysé plus d'un.

Bah, cela glissait sur Thaïs : épiée et jugée toute son enfance, noyée sous les remontrances incessantes de sa mère, l'adolescente ne faisait absolument plus attention aux regards désapprobateurs. Elle semblait se détendre, ici, dans cette cuisine simple, en face d'Oromonde. Elle aurait même pu demander à Harvain s'il voulait de l'aide -si elle n'avait pas eu peur de se prendre un coup de cuillère en bois en réponse.

Le thé fut préparé dans le silence. Un silence un peu gêné. Thaïs semblait rassembler ses pensées.
Une fois servie, l'adolescente décida de ne pas y aller par quatre chemins. Et c'est avec tout le naturel du monde qu'elle demanda mentalement à son invitée:

Alors, vous embrassez souvent les filles ?

Sourire mutin. La boutade n'appelait pas vraiment de réponse. Au rose qui montait aux joues de la d'Ascara, il pouvait se deviner qu'elle n'était finalement pas si à l'aise d'avoir lancé cette question. Après tout, Thaïs ne savait toujours pas pourquoi Oromonde lui avait sauté dessus -elle n'avait pas directement vu le vigile, même si elle s'était sentie observée durant l'étreinte. Mais bon, vu que son univers implosait à ce moment là, elle n'avait pas non plus analysé l'environnement extérieur à la recherche du "pourquoi" et le baiser restait mystérieux.

Thaïs enchaîna à voix haute, se présentant sur le ton de la curiosité, avançant des informations pour mieux en apprendre sur son invitée -à qui elle semblait s'intéresser réellement :


Je m'appelle Thaïs d'Ascara, comme je vous le disais avant que... bref.

Je me forme au poste de Commis aux Sans-Destins. Je suis Adjointe. J'ai quelques talents pour les patois et je me sens utile. Le vieux monsieur qui était avec moi dans le musée...


Instant de silence... Un détail venait manifestement de lui revenir en tête...

...et qui doit me chercher avec affolement en ce moment, est mon tuteur et exemple, Maître Pujado.

Un chuchotement mental plein de connivence :

Aussi soporifique que cultivé.

Reprenant d'une voix normale :


Mon Augure me prédit un mariage prochain avec un krolanne haut placé, comme toutes les femmes de ma Famille. Ce poste n'est donc qu'un... passe-temps.

Un voile dans le regard, vite dissipé. Il n'y avait ni tristesse ni fierté dans l'avenir de la lanyshsta. Juste une froide constatation d'un immuable Destin. Le ton se fit plus chaud :


Vous êtes ici chez moi.

Une évidence. D'autant plus que c'était Oromonde qui l'y avait ramenée...


Mes parents ne sont jamais là. Papa et maman ne s'occupent pas de moi. Enfin, rarement...

Drôle d'emploi que ce "papa et maman" là où il aurait fallu qu'elle dise "Père et Mère". Une sorte d'attachement enfantin. Ne faisant que rendre plus cruel le désintérêt affiché des géniteurs pour leur enfant. Nul mélo, toutefois, dans la voix de Thaïs, peu encline à se faire plaindre et bien contente de cette liberté relative.


Papa travaille beaucoup, maman court les salons et les réceptions. Vous êtes donc y chez vous, lorsque vous le voudrez.

La mine était ravie. Thaïs offrait sa maison à une inconnue avec une décontraction totale. Sa maison remplie de richesses et de secrets probables...

Toutefois, un élément sembla ressurgir dans son esprit et, en reposant sa tasse, elle murmura tout de même :


Au fait... vous faisiez quoi, dans ce musée ?

Pas que le fait qu'Oromonde fut potentiellement une voleuse l'inquiètait -Thaïs avait depuis longtemps dépassé ce stade, et aurait pu continuer de trouver la femme sympathique même après qu'elle lui eut avoué qu'elle était une tueuse d'enfants en série. Plutôt une curiosité simple, pour aller au bout du mystère..


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Luang 8 Dasawar 814 à 13h22
 
Le thé bout. Le dos droit, le nez en piqué, les jambes sagement croisées, Oromonde attend, telle une poupée sagement disposé à la table de dinette d’une enfant folle furieuse qui a décidé d’ordonner un rendez-vous entre ses différents jouets.

Cette situation aurait pu être gênante, mais, fort heureusement, Thaïs lui demande en rigolant si elle a l’habitude d’embrasser les jeunes filles. Oui, c’est sûr, merci beaucoup, c’est bien moins embarrassant d’un coup, ahahaha !
Oromonde bredouille une réponse du bout des lèvres :

« Pas vraiment, dame d’Ascara. C’était exceptionnel. »

Bon, voilà. Réponse prudente. On pouvait l’interpréter de pleins de façons différentes. Ouf.

Le reste, Oromonde l’écoute avec de plus en plus d’attention et de stupéfaction. Quoi, Thaïs lui offre une part de sa demeure ? C’est impossible ! Ça ne se fait pas ! Et puis ce passage sur « papa et maman »…l’emploi de termes si familiers et si porteurs d’affection dérange un peu Oromonde, qui gesticule en contrepartie. Elle repense à ses propres parents, éprouve à nouveau de la tristesse. Ils lui manquent. Elle en chasse le souvenir nostalgique.
Une fois que l’adolescente lui laisse la parole, l’artisane a un bref sourire pâle, rareté sur le visage généralement impassible et lointain de la donzelle.

« Vous êtes très généreuse, ma dame.
Pour vous répondre, je…visitais le musée. Mais… »
Elle pousse un soupir, clôt les yeux un instant, et décide de se lancer dans sa révélation : « Pour ne rien vous cacher, je suis un peu maladroite et en effleurant une des pièces du musée, je crois bien l’avoir cassé », déclare-t-elle tout d’un souffle, et secoue la tête. « Je suis navrée. C’est ridicule. Mais bon…voilà. Vous m’avez un peu effrayé vous-même. Vous aviez l’air très mécontente à mon encontre ! »

Harvain intervint à ce moment-là pour distribuer du thé et des parts de framboisier à table. Oromonde se redresse et attend poliment d’être servie. Elle n’a aucune thé d’à quoi correspond le nom élaboré du thé ainsi proposé et se garde de se jeter sur la part de gâteau à mains nues comme elle l’a fait la dernière fois à l’Hermine. A la place, elle se saisit d’une petite cuillère, en coupe la moitié et l’enfourne tout aussitôt, adoptant vaguement un air de famille avec la catégorie des rongeurs.

Bon sang, songe-t-elle, ces framboisiers sont vraiment délicieux… !

Elle attend d’avaler sa portion avant de se décider à se rincer le gosier avec l’eau bouillie qu’on lui a mise sous le nez, et s met du coup à la recherche du sucre sur la table.

Curieux, il n’y a pas de sucrier…

« Pour revenir à ce que vous disiez, je vous remercie encore pour votre offre. Je ne sais pas si j’oserai l’honorer, mais elle me touche beaucoup. Je m’appelle moi-même Oromonde. Je suis une des petites mains du maître Li Yun, enlumineur et imprimeur de Kil’Dé. J’y travaille depuis mes seize ans. Auparavant je travaillais dans une tannerie, et encore plus tôt dans une forge – mais ça ne s’est pas très bien passé. J’habite aux Fissures. Mon aîné est Conjurateur, il occupe un haut poste dans la hiérarchie locale.

Mes Augures certifient que je suis vouée à servir et à créer de mes mains, d’où mes postes actuels. »


Il est d’assez bonne courtoisie en Kil’Dé, lorsque quelqu’un révèle une partie de ses Augures, de faire de même. C’est généralement perçu comme une forme de politesse et même de lien et de confiance.

« J’ai déjà entendu parler de Maître Pujado. » Elle sourit. Li Yun et Pujado sont des rivaux d’esprit et de talents, et leur hostilité commune est assez connue dans le Quartier. L’histoire raconte qu’ils se connaissaient tous deux étant gamins, et qu’une rivalité étrange aurait mûri dans leur jeunesse autour d’une histoire de jeune fille. « Il paraît qu’il est très…compétent. Je suis sûre que vous parviendrez à atteindre le rôle que vous convoitez.
Excusez-moi…

Est-ce-que vous auriez vu le sucrier, par hasard ? »
finit par demander Oromonde avec gêne.



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*
 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Matal 9 Dasawar 814 à 22h11
 
Thaïs hocha la tête à l'explication du comportement au musée. Elle avoua avec sa franchise habituelle :

Je vous avais pris pour une voleuse. Je suis désolée de vous avoir importunée...

Instant de réflexion. La tournure apocalyptique qu'avait pris la suite des événements méritait bien une petite précision :

...autant.

Le sourire se fit grand quand Oromonde cita Maître Li Yun. Le vieux Pujado avait pris l'habitude de rabattre les oreilles de Thaïs régulièrement sur "ce vieux sénile de Li", "ce grabataire de Yun", "ce bon à rien d'enlumineur". Il disait toujours cela avec un ton où perçait un étrange respect -malgré le caractère insultant des propos. Pour Pujado, Maître Li Yun survendait son art, ses productions étaient surfaites et, surtout, il se donnait un genre insupportable. La vérité ? Pujado était doué de sa langue mais pas de ses mains, là où Li Yun était fort manuel mais peu connu pour sa diplomatie.

Je suis sûre que vous êtes à bonne école.

Concéda Thaïs en un clin d'oeil complice. Elle n'était pas du genre à accorder du crédit aux commérages dont elle était inondée depuis toute petite en quasi-permanence, du fait de son milieu social traditionnellement délétère.

Thaïs jeta un oeil à Harvain, qui ramenait un petit sucrier d'argent avec son efficacité habituelle. Le visage du Serviteur était fermé et le sourcil relevé plein de mystères. Désapprouvait-il l'usage du sucre dans le thé ? S'étranglait-il intérieurement de cette demande ? Thaïs ne sucrait jamais son thé, par habitude plus que par calcul, mais ne vit aucune malice dans la requête d'Oromonde.

Un instant de flottement s'installa. Un calme douillet durant lequel les deux femmes sirotèrent leur thé silencieusement.

Puis une mélodie de clavecin monta dans la maison. La mère de Thaïs, à l'étage, jouait.
Jouait parfaitement bien.
Seule, dans une salle à l'étage.

Les yeux de Thaïs se perdirent un instant dans le vide et son sourire s'effaça. Un frisson la parcourut. Son visage se crispa.
C'était une mélodie d'enfance. Que lui chantait sa mère, autrefois. Non pour l'endormir.
Mais pour la sermonner.

Les doigts de sa mère sur les touches bicolores. Sa voix sans sourire.
Son éducation cruelle d'égoïsme.

Thaïs n'avait jamais été douée pour la musique.

L'atmosphère se tendit d'un coup. L'air devint électrique. Les yeux de Thaïs semblèrent devenir gris. Gris métal.
Une main sur la tête. Un doigt pointé. Une lueur soudaine.
Une liane d'épine.

La théière en porcelaine explosa.

Une minute figée s'écoula, éternelle, accompagnée de la jolie mélodie.

Thaïs, redevenue normale, les yeux affolés, se releva soudainement. Son regard passa d'Harvain à Oromonde. Voyaient-ils en elle un monstre ? Un simple enfant ? Ses pouvoirs étaient si récents... Si puissants... Elle ne les maîtrisait pas. Pas du tout.
Pas encore ?

Thaïs bredouilla des excuses. Sa robe était couverte de thé et de morceaux de porcelaine.
Elle était ridicule. La voix brouillée de larmes trouva le courage de murmurer :


Je suis... désolée... Je... Je vous contacte bientôt.

Un regard et une pensée à Harvain.
Puis Thaïs s'inclina et disparut.



 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Julung 11 Dasawar 814 à 11h54
 
Aaaaah le sucrier ! Panique, stupeur et tremblements ! Honte et déchéance sur moi et sur les générations à ne pas venir. Bon tant pis, faisons comme si… Voilà. Hop, ni vu ni connu. Bon, je n’en suis pas particulièrement fier mais bon, c’est un cas de force majeure.

Oh, une musique. Je n’avais pas encore écouté madame jouer auparavant. Hum, pas mal mais le tempo, diable, le tempo ! Non, non, non et non. Ah quoique… de toute façon, je ne suis pas là pour l’éducation des propriétaires mais de la fille. Bon, ça me fait penser d’aller voir où en est le jardinier, il a dû finir de tout débroussailler selon les plans que je lui ai donnés. Ce gosse est plein de bonne volonté mais tellement brouillon…

…qu’est-ce que…

J’assiste à la scène sous mes yeux. Allons bon. Certains éternuent, d’autres font sauter des théières. Bon, il va falloir ajouter ça à la liste des courses… Mais qu’est-ce que je vais faire ? Acheter une nouvelle théière qui serait donc dépareillée du reste du service ? Inconcevable !! Va falloir que je trouve un artisan pour refaire une théière identique ou sinon racheter un service en entier…ahlala… Bon, heureusement, le thé ne laisse pas de traces trop fortes mais faut faire vite.

La pensée me frappe comme une gifle. Non pas par son contenu mais la violence des sentiments qui agitent la jeune fille. Il me faudra aussi gérer ces sautes d’humeur et canaliser cette énergie. Mademoiselle a de l’énergie à revendre ? Pas de soucis, j’ai des idées pour l’occuper.

Bon d’ici là, va falloir que je range tout ça. Je m’empare d’un chiffon propre et le tend à Oromonde pour qu’elle essuie les tâches sur ses vêtements.


Veuillez l’excuser…

Je prends un autre chiffon puis essuie les traces sur la table et regroupe les morceaux de faïence dans un coin.

Bien sûr, ceci n’est pas arrivé, mademoiselle Thaïs n’a pas fait exploser cette théière…

…hors de prix…

…vous n’avez rien vu et rien entendu puisque vous étiez déjà partie.

Je me redresse et la toise dangereusement.

N’est-il pas ?

Ah oui…

Excusez-moi un instant.

Je quitte la cuisine puis me dirige vers le dressing à l’autre bout de la demeure près de l’entrée principale. Alors voyons, où il est…non, pas celui-là, pas celui-là non plus…bon sang, quel bazar. Ah ! Voilà…Je reviens dans la cuisine quelques minutes après.

De la part de mademoiselle Thaïs.

Je lui tends un blouson rouge foncé d’excellente facture. Double boutonnage, doré et travaillé. La doublure est d’un noir profond, cousue main. Ce manteau a été réalisé par un excellent artisan qui malheureusement a vu trop grand pour la frêle silhouette de la d’Ascara mais qui devrait aller parfaitement à Oromonde.


 
Oromonde
Prédicateur
Kil'dé  
Le Vayang 12 Dasawar 814 à 09h49
 

Pendant un moment, presque parfait, tout va bien.

Oromonde s’est détendue et sourit en réponse à Thaïs. Et puis il y a…l’accident.
Il arrive vite et sans prévenir. Bien sûr, ils sont tous ici entendu des choses sur les pouvoirs des lanyshtas…Mais Oromonde ne s’attendait pas à ce que Thaïs en fasse preuve si vite. La théière vole en éclats et Oromonde recule précipitamment, surprise par ce qui vient de se produire. Son regard va précipitamment de la théière à la jeune fille, et on devine aisément ce qu’elle pense : si Thaïs peut faire ça avec de la porcelaine, peut-elle le faire avec un crâne ? Malgré elle, elle ne parvint pas à trouver la force d’ajouter quelques mots de réconfort à l’égard de l’adolescente qui a l’air paniquée, et continue de la fixer avec un mélange de stupeur et, disons-le – de crainte. C’est uniquement après qu’Harvain l’ait poussé jusqu’à la penderie et lui offre un manteau – de magnifique facture – qu’Oromonde se reprend. Elle enfile rapidement la veste, en remonte machinalement le col.

« Il n’est pas besoin de le préciser, c’est évident. Je ne vous remercie pas pour ce thé que je n’ai pas bu. »
Elle hésite.

« J’espère qu’elle ira mieux… »

Et, fermant son manteau, part sans demander son reste.



Mon nom est Personne.
*Le Chaudon qui Fume*

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