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Un nouveau service commence
 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 26 Nohanur 814 à 23h23
 
*** Ambiance ***


Le monde de la domesticité est petit.

La seule école hôtelière à ma connaissance est ici, au Kil'dé. Une institution vieille de plus de 150 ans qui a produit un nombre conséquent de personnel, hommes et femmes, dans tous les métiers possibles et inimaginables du secteur. L'annuaire des anciens et le réseau tissé pourrait rendre jaloux nombre d'organisations. Légales ou non d'ailleurs. C'est un cursus ouvert à tous car son fondateur l'a voulu ainsi. Mais extrêmement rigoureux dans l'épuration de ses étudiants. Pour arriver à une promotion d'une centaine de diplômés, il aura fallu éliminer à l'entrée et en cours de route dix fois plus de candidats.

Une fois dans le système, et pendant trois longues années, les étudiants auront à cœur de maîtriser l'excellence et l'essence même des fonctions hôtelières. La première année, le cursus est générique à tous et porte sur un socle fondamental et universel de connaissances et compétences que n'importe quel bon employé de maison se doit de connaître. Le programme se sépare en trois blocs : les arts de la table (décoration, sommellerie, argenterie, cuisine...), les arts du service (accueil, protocoles, bonnes manières, savoir-vivre...) et les arts de la gestion (recrutement, finances, gestion des stocks, préparation des déplacements...).

La seconde année voit s'opérer une séparation progressive mais nette entre les différents cursus. Beaucoup partiront vers l'hôtellerie pure, d'autres aussi nombreux vers la restauration, certains plus rares se spécialiseront vers une nouvelle branche qu'on appelle "l'événementiel". Enfin, une petite partie choisira la domesticité. Les matières seront plus spécialisées malgré encore quelques leçons en commun. Pour ma part, en spécialisation domestique, j'avais les mêmes matières que la première années mais nous allions beaucoup plus dans l'approfondissement. Nous devions conserver un grand nombre de matières mais au lieu d'en avoir une connaissance superficielle, nous devions connaître chacune jusqu'à la lie. Les matières se faisaient de plus en plus en travaux pratiques et non plus en leçons magistrales. Un bon majordome se doit de tout connaître sinon où irait le monde ?

La troisième année était divisée en trois parties. La première était le dernier semestre de cours où nous abordions les derniers éléments, ceux sur l'anticipation des besoins, la psychologie appliquée, l'étude des comportements et l'analyse de la communication non-verbale. Ensuite, nous avions notre premier stage au sein d'un établissement tiré aléatoirement mais toujours dans notre spécialité. Le deuxième stage était un stage ouvrier fait en sorte d'être le plus difficile physiquement et mentalement afin de ne jamais oublier la réalité de l'envers du décor.

En dehors des cours ? La vie d'étudiants normaux je suppose ? Sauf que nous faisions la vaisselle plus souvent et que nous savions repasser nos affaires. Certains étudiants avaient l'âge que j'ai aujourd'hui, d'autres beaucoup plus jeunes. Certains d'autres shars venaient se former dans la seule école valable dans le domaine. Du moins, c'est ce que racontaient nos professeurs, d'inaccessibles et intransigeants maîtres de savoirs enfermés dans leur tour d'ivoire. Nous les détestions autant que nous les admirions mais jamais, Ô grand jamais, nous ne ressemblerions à de tels vieux schnoks ou vieilles peaux, parole d'Harvain. Et dans les dortoirs ternes et froids, nous rêvions de dorure, de tapisseries soyeuses et de maîtres généreux à servir. Nous rêvions d'une vie en sortant de cet institut, d'une vie en dehors du Locus Solus.

Une fois diplômés, nous étions propulsés dans la nature, un peu inconscients, un peu prétentieux malgré notre éducation rigoriste. Oh, il n'était pas rare, malgré tout ça, de voir quelques diplômés gâcher leur talent et partir dans une toute autre vie comme si ces trois années n'étaient qu'une broutille. J'ai commencé tout en bas de la hiérarchie par choix alors que j'aurai pu commencé à un meilleur poste. Mais j'ai été toujours convaincu que toute expérience était bonne à prendre et que c'est le talent et le travail qui me feraient grimper les échelons.

J'ai eu plusieurs maîtres, tous très différents les uns des autres. Des personnes pour qui j'ai travaillé, chacun avait ses qualités et ses défauts. A quelques reprises, il y eut méprise et je du poser ma démission car on nous apprenait aussi que nous étions des serviteurs, non des esclaves. Et pour certains, il n'y avait aucune différence. Et que l'asservissement d'un d'entre nous valait à celui de la profession en son ensemble. Chose indubitablement insupportable. Alors au final, malgré mon cursus de domestique, j'ai plus souvent travaillé en hôtellerie ou en restauration. Chose que je ne regrette pas au final, j'ai pu apprendre un éventail de connaissances et de compétences plus large que si j'étais resté au service d'un seul maître pendant tout ce temps.

Le monde de la domesticité est petit.

Notre réseau de coreligionnaires ou d'anciens de notre école fait office également de bourse au travail. Ainsi, c'est par un autre ancien que j'appris le dépôt d'une offre de majordome dans une grande famille de notre Kil. Je mis deux semaines à glaner des renseignements sur cette famille et quelle ne fut pas ma surprise en découvrant un point commun inédit en la personne de la jeune fille de maison. J'avais failli en faire tomber mes lunettes. Ainsi, au jour et au lieu dit, je me présentais avec d'autres prétendants dont certains que je reconnaissais de visage. Je vins avec les références d'usage, mes diplômes, mes lettres de recommandations et quelques autres documents.



J'entrais par la porte de service comme l'exige la règle. Pendant mon temps libre, j'avais déjà flâné dans le quartier autour de la maison. Une vaste demeure dans un style néoclassique on dirait, pierre de taille propre. Les haies ne sont pas trop mal taillées, la pelouse par contre laisse à désirer, si Scylla voyait ça... Ah tiens, le gravier est ratissé, bonne idée mais inutile dans ce contexte, le jardinier aurait mieux à faire. Ca manque de massifs floraux, je n'en vois aucun. C'est quoi ce tas rachitique ? Des bégonias ? Eh bien... Je n'ai pas le temps d'en voir beaucoup plus alors que je rentre dans un petit couloir de service où attendent déjà plusieurs autres candidats. Je ne m'assied pas, un bon majordome ne s’assoit pas. Pourquoi pas s’affaler sur la chaise tant que nous y sommes ? Je continue à regarder autour de moi, je renifle discrètement, j'écoute les sons de la maison.



 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Julung 27 Nohanur 814 à 11h00
 
*** 'Elle" avait encore épuisé un domestique. Une krolanne effacée et tremblante qui avait craqué très rapidement. Si le patriarche de la famille d’Ascara –le père de Thaïs- avait la réputation d’être un employeur ferme mais juste, sa mère était affublée de rumeurs persistantes de cruauté et de maniaquerie qui en avaient découragé plus d’un.

Et ce n’est pas sa fille qui aurait prétendu le contraire. ***


Ce sont donc de nouveaux entretiens qui avaient été planifiés au sein de la demeure familiale. Une maison bourgeoise en pierres de taille, simple et de bon goût. Aucune fioriture excessive ne venait gâcher la façade digne et noble de l’endroit, qui avait su éviter les différentes modes architecturales passagères pour opter pour un style plus intemporel. Un parc ceint d’une enceinte entourait l’habitation, l’abritant dans un écrin de calme et de verdure. Chose rare, une fontaine agrémentait les jardins, machinerie ancestrale fonctionnant en circuit fermé, preuve de la réussite ancienne et ancrée des Ascara –l’eau étant une ressource précieuse que nul dans les Kils ne s’amusait à gaspiller.

L’intérieur restait dans le même style : les pièces disposaient de dominantes de couleur mais le tout y était cohérent et peu surfait. Les meubles étaient de bois massif assez sombre, d’une excellente facture. Des tapis élaborés couvraient un parquet impeccable ; les tableaux et les bibelots avaient une qualité certaine et étaient disposés avec parcimonie, de manière à mettre chaque objet en valeur et à ne pas créer un effet d’opulence. Ici, le goût primait sur le nombre, toujours.
Les d’Ascara n’étaient pas de nouveaux riches. Ils ne prouvaient plus rien ostensiblement.

Quelques portraits s’enchaînaient dans les couloirs : krolannes dignes aux hautes responsabilités et épouses sages aux enfants parfaitement éduqués dans leur dos, symbole ultime de la dynastie. Les mâles destinés à occuper de grandes responsabilités, les femelles à faire de beaux mariages et à élever une progéniture de haut vol.

Après quelques minutes d’attentes, durant lesquelles lui fut proposé un thé, Harvain fut introduit dans un petit bureau de travail. Un feu de cheminé y crépitait et l’ambiance qui y flottait semblait assez pesante. Sur un fauteuil aux délicats motifs floraux était assise une krolanne rousse d’une quarantaine d’années. « Belle » était toujours le premier qualificatif qui venait à l’esprit lorsqu’on examinait cette femme. Un corps élancé au port altier. Une peau laiteuse. Des cheveux roux impeccables relevés en une coiffure complexe. Des yeux incroyablement perçants et durs, d’un vert enflammé. Tout était maîtrisé : les ongles vernis de carmin à la robe de soie bordeaux qui semblait cousue à même le corps. Du maquillage habile à la position par rapport aux flammes –la lumière découpant un admirable nez sur l’ovale. Puis, arrivaient inexorablement les détails –surtout à un esprit observateur comme Harvain- : de fines ridules qui gâchaient la porcelaine du visage, la cruauté d’un regard –ce vert autrefois si passionnel, devenu sans illusion et trop affûté-, la moue sévère d’une bouche grimaçante. La beauté se fanait indubitablement, entraînée dans sa chute par le caractère sûrement aigri de la femme. Il était plaisant d’imaginer cette créature jeune et innocente –une Déesse sur terre, sans nul doute. Il était triste de constater les outrages du temps, non seulement sur son physique mais plus sûrement sur son être profond. La Déesse était devenue vengeresse, faisant payer à ses adorateurs encore présents la défection de tous les anciens fidèles.

Dans le dos de la Belle femme se tenait debout une jeune fille, qui ne semblait pas inconnue à Harvain. Une krolanne un peu endimanchée dans une lourde robe moirée, de longs cheveux vissés sur la tête, le visage trop fardé. La moue boudeuse et profondément embêtée. Il y avait une certaine ressemblance entre Thaïs et sa mère, mais l’adolescente avait quelque-chose de violemment atypique. Nul défaut physique apparent, pourtant son visage semblait trop acéré pour être tout à fait plaisant, son genre trop gommé pour être bien féminin. Tant et si bien que sans la robe, le maquillage et les faux cheveux, la majorité aurait été bien en peine à déterminer s’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon.

La mère de Thaïs l’avait obligée à participer aux entretiens –une femme du monde se devant de savoir choisir ses domestiques. D’où l’expression de « je vais me pendre » affichée sans retenue par l’enfant.
Ennui, ennui, ennui.

Les deux femmes, sans en être réellement conscientes, étaient tombées dans un jeu assez comique du gentil et du méchant Commis à la Défense. Lorsque Thaïs semblait enthousiaste pour un candidat ou une candidate –chose assez rare vu son intérêt pour l’exercice-, sa mère devenait inexorablement cruelle avec l’élu. Et quand un postulant trouvait miraculeusement grâce aux yeux de sa mère, Thaïs savait trouver les mots pour la déstabiliser et la faire passer pour ridicule. Deux avaient fini en pleurs, une s'était évanouie. Quant aux autres, ils étaient repartis en se jurant que nettoyer les rues de Kil'dé avec une brosse à dent serait une partie de plaisir plutôt que d'avoir à travailler sous l'égide de telles furies.

Harvain fut appelé. Il suivit jusqu’à la pièce une petite domestique aux épaules voûtées et au regard fuyant, qui semblait lui vouer une admiration sans borne et une dose énorme de pitié pour l’épreuve qu’il s’apprêtait à affronter la tête haute. La porte fut refermée derrière Harvain et, après un « bonjour » mondain rempli de miel, la mère de Thaïs prit soin de n’absolument pas inviter l’homme à s’asseoir. Elle se contenta de lui demander s’il avait amené des références, s’empara d’une main leste des papiers et les examina longuement dans un silence des plus mortels. Technique classique des recruteurs un peu pervers : faire régner un silence de cimetière pour voir si le candidat essaye de meubler –auquel cas il se déstabilisera souvent en l’absence de réponse.

Thaïs réprima un hoquet de surprise en voyant Harvain. Son esprit s’emballa immédiatement. Un autre lanyshsta dans la maison ? Ce pouvait être une excellente idée ! Ou la plus catastrophique de tous les temps si Harvain ne nourrissait pas les meilleures intentions à leurs sujets ou au sujet de Thaïs. Elle ne s'étonnait pas qu'Harvain postule dans l'absolu, l'annonce étant relativement attractive et les d'Ascara ayant tout de même la réputation de bien payer les quelques salariés.

L’instinct de l’adolescente lui criait de faire confiance à l’homme. Et elle se sentait si isolée, ici, entre ses parents et l'Orateur qui détestait les lanyshstas.

C’est donc un discret trait mental qui fusa rapidement :


*** Messire. Si vous voulez ce poste, je ferai tout pour vous l’obtenir. Mais ma mère est une mégère, il va falloir jouer fin. ***


Et, justement, au même moment, comme captant la bulle télépathique, la bourgeoise releva le nez. Elle regarda Harvain du haut du crâne en bas des chaussures, avec une lenteur horrible. Une torture devant laquelle plus d'un aurait tremblé ou douté de la perfection de sa mise.

Comme sentant la connivence qui s’était déjà nouée, elle attaqua immédiatement assez fort –l’instinct maternel, chose merveilleuse- et demanda d’un ton pincé :


Vos références sont intéressantes. Mais ne pensez-vous pas être trop vieux pour servir avec diligence, efficacité et… bonne santé ?

La salope.

Taper là où elle-même se sent faible, avec une assurance tranquille et une moue intransigeante.
C’est à ça qu’on reconnaît les grands prédateurs.


*** Petit rire mental, invitant à ne surtout pas entrer dans l’engrenage de l’araignée.

Répondez de façon courte –tout ce que vous pourrez dire sera retenu contre vous, soyez en sûr : prenez soin de laisser le moins de prises possible. Appelez là « Madaaaameuh » en faisant traîner les voyelles, elle adore l’obséquiosité. ***


*** ***



 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Julung 27 Nohanur 814 à 21h43
 
Je prends bien note d’analyser ce que je peux voir. Oh oui, je connais bien cet archétype de maîtresse. Je pourrai passer deux bonnes heures à expliquer ce que je sais et pense savoir de la maîtresse des lieux. Dans notre jargon, nous appelons ça une « quatre » ou plus communément une « despote-sous-son-toit-aux-sautes-d’humeur-imprévisibles-qui-tient-encore-à-son-standing-et-le-fait-savoir ». Toutefois, à son crédit, la maison est plutôt harmonieuse, la décoration est plutôt bien arrangée même si j’y trouve un certain immobilisme en la matière. Les choses ont peu évoluées ici. Difficile d’imposer un renouveau si madame refuse catégoriquement en criant au scandale. Comme si un majordome pouvait avoir des idées farfelues… Et puis quoi encore, pourquoi ne pas porter une chemisette rose avec une cravate verte tant que nous y sommes.

J’entends la pensée de la fille qui me dérangent plus qu’autre chose. Comme si en quatre décennies je ne savais pas gérer ce genre d’employeurs… Moi un « messire » ? Humf, comme si j’en étais un ! Quelle incongruité ma parole. Ces jeunes ne savent même plus comment s’adresser à quelqu’un correctement. Et le protocole là-dedans ?

Laissez-moi faire. Soufflai-je mentalement.

J’en ai servi des plus rebelles que ça. Un peintre moderne qui pensait qu’il était pourchassé par un poulet, une vieille dame qui ne vivait que pour ses chats, un vieil acariâtre obnubilé par son argent, un jeune couple qui dilapidait l’argent des deux familles en soirées… Une « quatre », j’ai déjà vu pire mais j’avoue que la question, je ne l’avais pas vu venir. Amusant amusant.


Madame, je n’ai peut-être pas la force ou la constitution de mes jeunes années mais une expérience professionnelle de quarante ans me permet de compenser sans difficulté aucune mon âge. J’ai toujours servi avec diligence dans l’exercice de mes fonctions. Un bon majordome sait faire face à toutes les situations après tout.

Je commence à percevoir, du moins ai-je l’impression, une amélioration de mes capacités physiques. Je suis moins essoufflé quand je cours ou que je fais les carreaux. Qui sait si finalement, cette fichue télépathie ne me serait pas utile ? Il me faudra faire un tour sur ce consensus mental.


 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Vayang 28 Nohanur 814 à 12h28
 
La matrone ne répondit rien, dans un premier temps, se contentant d’une moue expectative et pleine de doutes. Un haussement de sourcil pouvait indiquer à un esprit avisé qu’elle appréciait toutefois la tournure de la réponse.

Toujours est-il qu'elle ne put éviter une charmante remarque, adressée à elle-même :


Bien, bien, bien. D’habitude j’évite d’avoir des employés plus âgés que les murs, mais laissons-lui le bénéfice du… doute.

Sourire mielleux. Harvain devait encaisser les remarques acerbes sans broncher, c’était un prérequis.
L’homme pouvait sentir la présence compatissante de Thaïs, qui se contentait donc d’un rôle d’observatrice, mi désolée, mi amusée par la situation.

Sa mère reprit, sur le ton du babillage :


Je suppose que vous êtes apte à effectuer tous les travaux qui incombent à une telle fonction. Nous disposons d’un cuisinier, d’un jardinier et d’une femme de maison qui effectue l'entretien domestique. Il faudra les diriger, vous serez responsable d'eux et répondrez de leurs erreurs.

Un mouvement de la main, comme on chasse une poussière incommodante.

Le jardinier est le fils du cuisinier, que j’ai recruté car son père me donne toute satisfaction. Mais force est de constater que le garçon est peu doué –vous avez dû passer par le parc : que pensez-vous de son état ?

La mère attendit l’avis d’Harvain, ne sembla pas du tout le prendre en compte et enchaîna à la suite :

Surtout, vous sentez-vous capable de le congédier en notre nom, tout en conservant toute la motivation du père ?

Sourire carnassier. Elle fit signe à Thaïs de faire un pas en avant.

Vous avez peut-être une technique. Imaginez que ce soit ma fille. Parlez-lui comme vous lui parleriez…


 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Sukra 29 Nohanur 814 à 11h29
 
Je reste prudent dans l'expression de mon avis. C'est bien une "quatre" dans toute sa splendeur. Je me contente de hausser un sourcil métaphorique. Oh oui, je connais ça. Ca pourrait m'insupporter, oh disons après dix années de service, mais après deux minutes, je reste plutôt serein. On nous a aussi formé à ce genre de situations au Locus Solus.

La clef est l'anticipation et la maîtrise des informations. Oh allons, que croyez-vous madame ? Que je suis venu avec mes rouflaquettes et mon costume sans rien savoir ? La domesticité parle entre elle. Nous connaissons tout. Après tout, nous préparons vos repas, lavons votre linge, vous emmenons à vos rendez-vous galants, délivrons vos petits cadeaux, écoutons vos confidences, éduquons vos enfants, accueillons vos amis, servons vos digestifs. Vous avez presque droit de vie et de mort sur nous. Mais nous, nous vous connaissons bien mieux que vous-mêmes. Lorsqu'un majordome rentre au service d'un nouveau maître, il ne manquera pas de contacter l'ancien serviteur afin de s'enquérir sur tous les éléments bons à savoir. Efficacité immédiate et le secret professionnel est scrupuleusement respecté. On dit que certains serviteurs ont emportés certains secrets dans la tombe, même face à la torture. Des modèles, assurément, pour nous.

Alors oui, je me suis permis d'avoir quelques informations en avance. Oh rien de confidentiel. Pas encore. Juste quelques banalités, votre plat préféré, votre petit digestif à cinq heures sauf quand monsieur est là auquel cas vous prenez un thé vert. Vous êtes insupportable selon vos serviteurs mais vous aimez la perfection. Vous êtes comme les autres mais vous ne le savez pas et vous ne voulez pas le savoir. Normal. Soit. Par contre, votre dernière question, je ne l'avais pas prévu. Bien joué.


Madame, le parc est mal agencé. Il ne respecte pas les standards de composition florale, les dimensions ne sont pas harmonieuses, la perspective est probablement mauvaise, la taille est aléatoire et donne une impression bâclée, l'herbe est grossièrement tondue, les massifs sont mal entretenus, aucune sculpture florale... Je pourrai continuer longuement.

Toujours immobile, je la regarde.

En résumé, il s'agit là davantage d'un jardin à la Kil'sin même s'il emprunte certains traits au Kil'dé. L'idée est louable mais mauvaise car il est inconcevable de mélanger des genres aussi différents.

Ca c'était pour la partie facile. Maintenant, plus dur. Oh non, je ne jouerai pas votre jeu.

Ce genre d'erreurs seraient impardonnables pour un jardinier chevronné ou même fraîchement diplômé et j'aurai pu procéder à son renvoi séance tenante. Toutefois, pour quelqu'un sans éducation formelle, cela serait faire preuve d'une erreur de jugement de le renvoyer sans lui donner les bons "outils" pour qu'il fasse ses preuves.

Je tourne la tête vers la fille.


Une fois que je lui aurai expliqué les tenants et aboutissants de l'art de l'horticulture, les canons, les harmonies, il aura sa chance. En cas de réussite, nous conserverions un fils compétent et un père diligent. En cas d'échec, je ne doute pas qu'il pourra trouver un poste avec des requis moins élevés et je ne doute pas que le père comprendra.


 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Sukra 29 Nohanur 814 à 17h32
 
Intéressant.

Souffla la mère de ses lèvres carmines.

Pirouette habile. Réponse excellente.

Thaïs regardait ses pieds. Elle savait que plus sa mère versait dans la douceur, plus dangereuse elle était.
La Fatale se passa une main sur son épaule, comme détendue, en épiloguant :


Je pense aussi qu'en Kil'dé, chaque plante doit être à sa place et que l'harmonie, si elle n'est pas innée, doit être... encouragée par les actes nécessaires. Tout est prédestiné. Je déteste le hasard ou le désordre. Dans mon jardin ou ailleurs.


Coup d'oeil acide à sa fille, qui soupira sans le vouloir, habituée à ce type de remarques à son encontre.
Comme une fleur, Thaïs était remise à sa place et sa féminité peu innée 'encouragée' par force perruque, fards et rembourrages stratégiques imposés par sa chère mère. Elle pouvait donc témoigner que la doctrine de vie énoncée par sa génitrice était bien appliquée à la lettre en cette maison.

La femme fit planer un instant de silence, très détendu cette fois -comme si l'entretien était remporté- puis se leva et commença à faire des tours concentriques autour d'Harvain. De plus en plus près.


D'ailleurs... Nous avons tous un Destin, nous Elus du Un.

J'étais une Horlogère réputée, j'ai tout abandonné pour épouser le Puissant qui m'était assigné.
Ma fille fera bientôt un beau mariage, comme il est prévu -ne reste que le détail de l'époux, pensez...

Et vous... Que dit votre Augure ?


Elle s'arrêta à quelques centimètres de l'oreille d'Harvain, son parfum entêtant et racé enveloppant doucement l'homme :


Êtes-vous destiné à être prochainement père et à nous imposer votre progéniture ?

Dans un murmure et une grimace :

Les enfants sont une telle plaie...


Thaïs leva les yeux au ciel, ayant parfaitement entendu les derniers propos de sa mère.
Mais elle la connaissait. Elle sous-entendait "les enfants des gens pauvres".
Enfin, elle supposait qu'elle le sous-entendait...




 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Sukra 29 Nohanur 814 à 19h35
 
Nom mais dites donc ! Pour qui se prend elle ?! Quel culot, quel sans-gêne, quelle insolence ! C'est inadmissible, ça se saura dans tout syfaria !

Un parfum bon marché...

Beurk beurk beurk. Scylla me vienne en aide pour affronter le mauvais goût olfactif...

Passé ce moment de dégoût profond où il me faudra progressivement changer certaines habitudes chez cette future maîtresse qui finalement a des failles de mauvais goût. Oh finalement, une question à laquelle je ne m'y attendais pas. Enfin pas de tout de suite. Les employeurs qui posent ce genre de questions attendent généralement plusieurs mois ou années ou à l'occasion d'une situation spécifique pour poser ce genre de questions indiscrètes. Nous y sommes préparés, on nous le répétait suffisamment souvent. Je me souviens de ce cours bien particulier.


Citation :
- vous là, au fond qui dormez ! Donnez-moi au moins trois raisons de ne pas répondre à la question "parlez-moi de vous" venant d'un employeur ou d'un client glapit mon professeur d'art du service
- euh...parce que nous ne sommes pas payés pour raconter nos vies, parce que nous pourrions dire des pensées ou des faits pouvant offenser notre interlocuteur et parce que nous avons plus important à faire que de discuter. répondis-je en citant mes anti-sèches
- rigoureusement et absolument....faux jeune homme. Je vais vous le dire. Il vous posera la question mais ne s'intéressera jamais à la réponse. Il pourra penser que c'est pour mieux vous connaître voire pour être votre ami ! Vous en connaîtrez tellement sur lui qu'il pourra un jour se sentir menacé et tâcher d'en savoir plus sur vous, rééquilibrer la balance. Et puis après, il commencera à vous poser d'autres questions, vous demander davantage jusqu'à remettre en cause votre indépendance, vos qualités et pire, votre niveau de service.

Je hausse un sourcil.

Mon augure madame ? Rien de bien intéressant j'en ai peur. En synthèse, que j'accomplirai mon rôle au service des autres. A partir de là, la suite était toute tracée.

Une réponse bien vague, bien plate permettra d'asseoir le côté fade et inintéressant du domestique. Autre sourcil levé.

A mon âge, madame, ce n'est pas le sujet d'avoir des enfants.

Plutôt les problèmes de dos...


 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Sukra 29 Nohanur 814 à 20h34
 
La féline acquiesça doucement, rapprocha son visage de l'impassible Harvain puis retourna s’assoir. Elle reprit les documents donnés par l'homme en début d'entretien et les examina avec une attention accrue. Après de longues minutes, elle consentit à s'en détacher pour trancher d'un air qui n'y touche pas :

Nous vous prenons. A l'essai, il va s'en dire. Vous pouvez commencer demain. Vous verrez les détails avec les domestiques en place, je répondrai aux questions restantes par la suite, afin que tout soit réglé au plus juste dès le début.

Elle s'empara d'une clochette et au tintement la domestique effacée qui avait accompagné Harvain réapparut dans l'embrasure de la porte, prête à le raccompagner. Alors qu'il tournait les talons et qu'un flux mental de Thaïs le félicitait, la bourgeoise précisa :


Dernière chose, j'oubliais. Votre première tâche : annoncer à tous ceux qui attendent dans le couloir qu'ils ne sont pas retenus. Merci.

Ceci dit, Harvain put disposer et la porte fut promptement refermée, tandis que la domestique emmenait le nouvel embauché devant trois krolannes d'âges divers qui attendaient fébrilement leur tour.

Dans le petit bureau, la mère de Thaïs s'enfonça un peu plus dans son fauteuil en murmurant :


Excellente recrue. Du cran, ça nous changera.
Mais...
...pourvu qu'il n'aille pas faire du charme à ton père.


 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Dhiwara 30 Nohanur 814 à 11h55
 
Quoi ? C'est tout ? Oh je m'attendais à pire à vrai dire. Mais je suppose que j'aurai bien d'autres occasions d'affronter ces lubies à l'avenir. Me voilà bien rapidement mis à la porte. A croire que l'emploi du temps de madame était rempli. Hum, je suis bien content d'avoir eu ce poste, je pressens d'avoir des frais supplémentaires d'ici peu et mes émoluments de maître d'hôtel à l'Hermine ne suffiront bientôt plus.

Me revoilà dans le couloir que j'ai abandonné quelques minutes plus tôt.


Messieurs, votre attention s'il vous plait. Vous m'en voyez navré mais la fonction de majordome vient d'être pourvue. Si vous le souhaitez, une tasse de thé vous sera servie avant votre départ.

Un instant.

Bonne journée messieurs.

Nous sommes des professionnels, nous connaissons les règles.

J'envoie un message à la jeune fille. Nous aurons de longues discussions prochainement.



 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Vayang 26 Dasawar 814 à 14h34
 
Cela fait bientôt un mois que j’ai pris mes fonctions. Je constate encore chaque jour, ou presque, l’ampleur des chantiers qui m’attendent. La gestion précédente était hasardeuse, le socle minimum d’entretien n’était que partiellement respecté et je ne parle même pas des diligences supplémentaires qu’il faudra mettre en place pour assurer un niveau d’exigence que j’estime moi, satisfaisant.

J’ai présenté le résultat de mon audit à monsieur et à madame avec les estimations chiffrées en temps, argent, mains-d’œuvre, les priorités et les enjeux sur chaque point. Cela prendra du temps, Kil’dé ne s’est pas faite en un jour. Ils ont globalement tout approuvé même si les dépenses étaient bien supérieures à leurs attentes. Il me faudra trouver des solutions pour couper certains frais, m’en occuper moi-même je suppose. Ils m’ont également fait savoir que l’éducation de mademoiselle Thaïs devait être une priorité à toute autre afin de répondre à son Augure. Sur ce point, il me faudra davantage de temps et surtout, je n’ai pas le pouvoir de décider unilatéralement d’où mon inquiétude. Pour l’instant, la jeune fille se consacrait à ses études avec maître Pujado répondis-je conscient de mentir pour moitié. L’autre moitié était dédiée à l’apprentissage de sa magie destructive et à d’autres compétences plus ou moins liées. Mais cet entrainement était empirique, flou, inégal, artisanal, nous avancions à tâtons, craignant toujours de créer un cataclysme lors d’un dérapage. Il était difficile de se renseigner sans éveiller les soupçons.

Moi aussi de mon côté, dans le plus grand secret, je me découvrais certaines facilités voire facultés. Sans en parler à quiconque, même aux autres membres de la Main, je m’essayais à certaines expériences, une éducation hors norme dont j’étais le tuteur et l’apprenti.

En attendant tout ça, je sirotais une tasse de thé tout en finissant de relire le plan de jardin que m’avait transmis un camarade de chambrée du Locus. Il s’était spécialisé dans l’architecture, la décoration et l’aménagement d’espaces au détriment du service disons plus « classique ». Dans le domaine de la verdure, ou pour reprendre un terme plus élégant, de l’art topiaire, je ne pouvais que constater son talent.



La période tombait mal. Il fallait attendre le retour des beaux jours dans plusieurs mois pour la mise en sol puis encore au moins deux mois pour la taille de forme. D’ici là, je passais commande pour préparer le jardin. Alors voyons, 150 pieds de buis, autant de thuyas, 50 pousses de lierres grimpants, 40 de troènes, 10 ifs, 5 hêtres et 3 de lauriers nobles. Le reste est déjà dans les jardins actuels. Plus quelques centaines de kilos de terreau, de graviers, des nouveaux outils et quelques statues.

Satisfait, je rangeais le plan dans un parapheur pour me lancer sur une autre tâche.



 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Vayang 20 Marigar 815 à 17h18
 
Plusieurs mois étaient passés depuis mon entrée au service des d’Ascara. En toute modestie, je n’étais pas peu satisfait de mes réalisations pour redonner au blason de la famille un peu de sa splendeur fanée. Selon mes critères pointilleux, les choses s’étaient améliorées. Je prenais plaisir à voir le bois briller, ciré et lustré, lui donnant cette patine qu’on les vieilles boiseries entretenues correctement. Beaucoup de travaux ont été réalisés à la demeure. Changement des tapisseries trop vieilles ou passées de mode, revue de l’argenterie et de la cristallerie, réapprovisionnement de la cave à vins, literie changée, fenêtres rechaussées… De nombreuses journées ont été passées avec quelques spécialistes de mes connaissances pour voir comment refondre en partie le manoir d’Ascara. Toute la mécanique sous-jacente et surtout le système de recyclage d’eau a été révisée également.

Mais le chantier le plus important restait la révolution totale des jardins. Avec le début du printemps en ce jour, comme prévu plusieurs mois plus tôt, les premières livraisons commençaient dès l’aurore. De lourdes charrettes remplies à ras bord de diverses essences arrivaient sur les graviers de l’entrée. Implacablement, je recomptais chaque livraison, regardait si les arbres proposés n’étaient pas malades ou en trop mauvais état et surtout conformes à mes souhaits. Les thuyas étaient directement acheminés vers la bordure extérieure du jardin. Le branchage était et touffu de cet arbuste permettrait un encerclement élégant, continu et permettant une bonne barrière à l’abri des regards indiscrets. J’avais en tête d’ajouter à cette ceinture arborée plusieurs lames de rasoirs et autres objets tranchants et peut-être quelques fils barbelés histoire de surprendre quelques imprudents ou curieux en excès qui voudraient nous saluer sans être annoncés. Je laissais le soin de la supervision des ouvriers à notre jardinier qui avait beaucoup appris depuis mon arrivée. Les travaux dureraient plusieurs semaines et je ne pouvais me permettre de tout surveiller à plein temps. Pendant cette période, les entrainements de notre petit club des cinq étaient interrompus pour plus de discrétion. Pour le plus grand malheur de cette sale bête de Ter qui en profitaient pour se goinfrer.

En parallèle, les statues du jardin étaient déplacées vers une remise et les quelques fontaines étaient coupées pendant la durée des travaux. Je discutais avec le maître d’œuvre qui coordonnait l’ensemble des travaux de terrassement sur plusieurs parties du jardin pour revoir le nivellement et améliorer la perspective dans la continuité du grand salon pour les réceptions. C’était la partie la plus impressionnante du chantier assurément. Madame d’Ascara n’aimait pas trop voir envahi son jardin d’autant de personnes sales et peu éduquées mais à force de persuasions, j’ai pu lui faire comprendre que c’était un mal nécessaire pour redonner à la famille d’Ascara la place qu’elle avait perdu au sein de la haute société et éblouir les autres maisons.



 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 1 Astawir 815 à 07h46
 
Devant l’impossibilité de nous entrainer discrètement, et la discrétion n’étant pas vraiment une qualité de mademoiselle Thaïs, j’ai repris je le reconnais avec un certain entrain, son éducation disons plus conventionnelle. Toutefois, la jeune demoiselle ne partageait point mon enthousiasme à la noble éducation de tout ce qu’il faut pour être une femme accomplie au sein de la haute société de notre Kil.

Oh bien sûr, l’enjeu n’est pas de tout retenir par cœur car les Augures ont donné à mademoiselle Thaïs une excellente mémoire. L’enjeu est plutôt de la retenir de tout cramer parce qu’elle a trébuché sur son lacet. Et aujourd’hui, nous sommes en zone de risque. Bien plus dangereux que de mélanger des fioles aux contenus douteux, plus mortels qu’une excursion dans le quartier du kil’darogan…la leçon de valse bihebdomadaire de mademoiselle Thaïs.

Il incombe à la femme de chambre de l’apprêter correctement ce qui est déjà une sinécure en soi. J’ai cru comprendre qu’il y avait une prime de risque dans les honoraires quand il s’agissait d’être sur un sujet aussi délicat. Car la mode vestimentaire impose le port d’un corset serré de la bonne façon pour afficher une silhouette gracieuse et proportionnée. Et même si mademoiselle Thaïs a la chance d’avoir une carrure adaptée et athlétique, il n’empêche que les deux tonnes de pression nécessaire pour fermer le corset, et accessoirement d’empêcher de respirer, compriment « un peu ». Je vois donc arriver mademoiselle Thaïs engoncée dans une robe de bal « d’entrainement » boitant davantage que marchant. Oui, les bottines de danse avec cinq centimètres de talons réglementaires sont aussi un autre souci.


Ah mademoiselle Thaïs…merci de vous joindre à nous.

Le grand salon presque aussi grand qu’une salle de balle est le lieu régulier pour nos répétitions. Le violoniste est déjà présent et fini ses accords. J’enclenche le métronome.

Je me fends d’une profonde révérence puis m’avance sur la piste. Je la saisis de la façon la plus réglementaire possible.


*** Ambiance ***


Et un-deux-trois-quatre…


 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Merakih 1 Astawir 815 à 10h27
 
Thaïs a tout d'une femme du monde. La robe de bal hors de prix, les chaussures sur mesure, les bijoux scintillants, la coiffure travaillée -lourde perruque-, le maquillage discret. Tout, sauf l'expression. C'est profondément mortifiée que l'adolescente prend part à ces cours, le regard blasé et la moue défaite. Alors que le violoniste commence à jouer, il aurait pu être attendu de la jeune fille une grâce et une légèreté que son physique peuvent lui permettre -elle qui ne pèse pas bien lourd- mais il n'en est rien. Thaïs est une enclume qu'il faut déplacer, traîner, soulever. Même concentrée, même avec une volonté somme toute bonne -bien que loin d'être extraordinaire-, force est de constater que la d'Ascara n'a aucun don pour la danse.

Tableau pathétique, alors que le musicien virtuose joue un air magnifique, qu'Harvain est un symbole d'élégance et que le lieu est on-ne-peut-plus distingué, de voir cette jeune personne dépourvue du moindre soupçon de féminité se prendre les pieds l'un dans l'autre, rayer le parquet plus qu'elle n'y glisse ou s'accrocher à Harvain comme à un bouée de fortune en pleine tempête maritime.

Harvain sent crépiter les flux dans les paumes gantées de la jeune fille. Les sourcils de Thaïs se froncent, l'air se remplit d'électricité. Elle murmure dans l'oreille de son tortion... cavalier :


Il va probablement falloir tuer le violoniste. Je vous propose de profiter du fait que la salle sera en feu pour faire disparaître les témoins.

 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 1 Astawir 815 à 13h45
 
Scylla me vienne en aide, je n’ai pas encore eu d’élèves aussi mauvais depuis que je travaille. Mais j’ai déjà maté des têtes de mule plus coriaces, ce n’est pas aujourd’hui que je vais me laisser faire.

Non mademoiselle Thaïs, il n’y a que moi qui tue dans cette maison dis-je avec le ton le plus sérieux du monde.

Et un-deux-trois-quatre…

Le tout est de trouver le bon prisme d’approche. J’ai toujours trouvé détestable les gens avec leurs nouvelles méthodes « apprendre en s’amusant » qui laissait une part trop grande aux caprices de nos chères têtes blondes. Un maître enseigne, l’élève apprend. Et s’il n’est pas content, c’est pareil, ça rentrera dans sa tête. Au sens propre si nécessaire. L’obéissance est une vertu qui se perd j’ai bien l’impression.

Procédons différemment.

Je déteste parler pendant une musique et la télépathie offre de nombreux avantages à ce sujet.

Maintenant vous allez imaginer que nous sommes entourés par une bande de créatures peu avenantes qui en veulent à votre vie avec acharnement. Essayez d’esquiver leurs attaques…non-non-non-non-non, avec grâce et féminité. En rythme. Voilà, laissez-vous porter.

C’est légèrement mieux. Au moins n’ai-je pas l’impression de danser avec un sac de pommes de terre.

Maintenant, vous allez être attaquée de tous les côtés.

D’une pression sur l’épaule, je la fais tourner sur le côté et commence la rotation tandis que je la tiens de l’autre main.

Un tour pas plus. Bien… Attention, attaque par l’arrière, coup de pied retourné. Le pied droit s’il vous plait. Doucement. Voilà.

La tradition en prend un certain coup dans l’aile mais la prestation reste passable pour le moment.

De la fluidité dans les gestes. Le menton haut pour voir votre adversaire au loin, plus souples les hanches vous allez vous fatiguer pour rien, les épaules plus lâches. Bien.

Attention, second mouvement. Pensez à respirer mademoiselle Thaïs vous êtes toute rouge.



 
Thaïs d'Ascara
Commis des Sans Destins
Kil'dé  
Le Julung 9 Astawir 815 à 18h30
 
Thaïs se concentre. Absorbe les conseils d'Harvain, fait de son mieux. Un combat, une danse mortelle. C'est cela. Esquiver. Attaquer. Les gestes se font plus précis, la grâce est presque là -hors de portée pourtant. Thaïs a chaud, n'économise pas son énergie : cette catastrophe qui avorte ne se fait qu'au prix de nombreux efforts. L'adolescente n'arrive même pas à penser, à répondre, tant elle est à son affaire, concentrée.

Le violoniste doit avoir quelque chose de sadique, car la musique accélère, le rythme s'embrase. Thaïs écarquille les yeux d'horreur alors que les pas se font de plus en plus rapides. Elle glisse, se retient à Harvain, éructe magnifiquement dans une lente mais inéluctable chute. Entraîne le Maître d'Hôtel avec elle.


FOUTRAILLES !

Patatra.

Thaïs est sur Harvain. La musique a cessée. D'un bond félin, l'enfant se relève et fait face au musicien. Un doigt accusateur est pointé, tandis que l'esprit demande à Harvain :


Permission d'estropier ?


 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 15 Astawir 815 à 16h10
 
Refusée mademoiselle Thaïs.

Agacé.

Si vous avez de l'énergie à revendre, peut-être qu'une petite marche forcée de cinquante kilomètres ou quelques heures d'entrainement intensif vous calmeraient ?

Je me relève lentement. Aïe mon dos. Je m'époussette davantage par réflexe que par nécessité. C'est moi qui m'occupe de la poussière dans cette maison et on n'en a plus revu depuis mon arrivée. Aïe mes lombaires. Je me redresse en grimaçant puis m'approche. Je fais un signe de négation avec mon index comme un métronome.


Non non non mademoiselle Thaïs, on ne pointe pas du doigt les innocents violonistes.

Il va encore fuir. Le violoniste n'avait pas l'air serein d'ailleurs. Il trouvait qu'il y avait quelque chose de bizarre chez cette jeune fille qui ressemblait à une poupée meurtrière plutôt qu'à une jeune fille lambda qu'il voyait tous les jours.

Reprenons s'il vous plait monsieur, lentissimo je vous prie. En douceur, reprenons avec une valse à quatre temps.




 
Harvain
Gens de foyer
Kil'dé  
Le Merakih 17 Jayar 815 à 17h21
 
L’arrivée prochaine de l’été impliquait de grands changements dans une maisonnée. Le fameux grand nettoyage de printemps avait pris un peu de retard avec la fin des travaux du jardin. Mais maintenant que nous avions un jardin décent et conforme aux us et coutumes traditionnels avec des proportions harmonieuses, des perspectives géométriques et des accords floraux agréables pour les yeux, il était grand temps de s’occuper de l’intérieur de la demeure.

Les autres membres du personnel de la maison sont en rang devant moi dans la bibliothèque. Allyam le jeune jardinier qui remplace son père depuis peu, Alberto le cuisinier qui ne jure que par des plats gras, riches, en sauce pour le plus grand plaisir de monsieur d’Ascara et Selenia la femme de chambre dont la vue est aussi mauvaise qu’à travers une pelle. Eux aussi ont évolués depuis plusieurs mois. Plus professionnels, plus consciencieux, plus compétents. Plus détendus également depuis que je gère principalement madame d’Ascara. La marâtre sournoise et venimeuse m’est difficile à gérer tous les jours mais j’ai déjà eu pire maîtresse. Quant à la fille, eh bien… C’est une autre histoire mais elle est à peu près maintenue dans des limites raisonnables. Nos séances nocturnes de défouloir semblent la laisser un peu plus calme le reste de la journée. Une soupape pour une cocotte-minute en quelque sorte.


Allyam, vous vous occuperez des extérieurs de la maison. Les murs auraient besoin d’être rafraîchis et reblanchis. Les murets ont souffert des travaux également, plusieurs pierres se sont déboitées, n’oubliez pas d’appliquer le bon dosage pour le ciment. Enfin vous finirez par les murs d’enceinte, il me faudrait un état des lieux.

Alberto, vous prendrez toutes les pièces d’intendance qui ont besoin d’un bon coup de nettoyage. Listez également les équipements qui auraient besoin d’être changés ou réparés. Et également tous les cuivres de la demeure auraient besoin d’un coup de chiffon lustré.

Selenia, il est grand temps de sortir la literie d’été. Procédez aux changements dans toutes les pièces et appelez la blanchisserie qu’ils s’occupent du couchage d’hiver. S’ils essayent d’augmenter les prix, vous me prévenez n’est-ce pas ? Pas comme la dernière fois, la facture a failli me faire grimacer. Vous referez aussi un tour dans les salles d’eau.


Je frappe dans mes mains.

Allons !

Moi, je m’occupe du reste. Quelques centaines de mètres carrés de parquet à cirer plus les innombrables boiseries. Laver les carreaux de la soixantaine de fenêtres de la demeure. La poussière est pour moi, je ne le laisse à aucun autre, je ne serai jamais satisfait du résultat. Je passerai une tête au niveau de la plomberie. Cette machinerie précieuse est également très sensible, c’est ma plus grande hantise qu’elle nous claque entre les doigts. Plus grande hantise après une rupture de stock de thé bien sûr… Je m’occuperai des inventaires de bougies, consommables divers, bouteilles de vin, les stères de bois, le charbon… Et l’inspection de la charpente également. Sans oublier les tapisseries à aérer et à entretenir.

Les travaux dureront une bonne semaine pour tout remettre en ordre.



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