vide fam
 
 
Bienvenue dans le forum de Kil'dara » Le Stroboscope » Au nom des Pierres, du Fil, du Dessin d'esprit

Page : 1

Au nom des Pierres, du Fil, du Dessin d'esprit
Avoir la foi en le Créateur
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Sukra 10 Jangur 815 à 11h57
 
Le Créateur...
Bien sûr qu'elle en avait entendu parler. N'importe qui en avait entendu parler. Et elle plus qu'aucun autre, vu qu'on l'avait plus d'une fois qualifié -tantôt en compliment maladroit, tantôt en insulte tout aussi maladroite- "d'automate du Créateur".
Mais jusqu'à maintenant, ce n'était qu'un nom, un ensemble de notions regroupées de façon arbitraire sous une appellation unique, comme lorsque des personnes choisissaient de faire telle ou telle chose "par respect pour l'esprit du Kil". Une simple expression.

Puis il y avait eu le collier.




Et là, soudainement, on était plus dans le même cas.
Le bijou avait été créé d'après un schéma à priori très ancien. Et même si cela était faux, s'il avait été créé à partir d'une invention, sa confection datait d'au moins cinq ans, soit largement avant l'arrivée des Lanyshstas. Ce qui n'avait à priori aucun lien, aucune importance, tant de choses s'étant passé avant l'arrivée des Lanyshstas, sauf que...
Sauf que le bijou influait sur ses capacités Lanyshsta !

Et pas qu'un peu. Pas comme quelqu'un qui disait "je travaille mieux dans une pièce claire" ou "oui, ce bout de bois pourrait servir de bon tuteur pour mon pied de tomates", non, c'était un accroissement considérable.
Et non pas généralisé, comme cela aurait pu être par un heureux hasard : comme en chimie, il existait des catalyseurs, des éléments qui accroissaient considérablement certaines réactions, et il était possible qu'existe un matériau, un état d'esprit, une température, quelque chose, qui accroisse les capacités des Lanyshstas.
Ici, on en était très loin. C'était quelque chose de parfaitement adapté à une manifestation des pouvoirs, et totalement inutile pour tout les autres.
Un outil extrêmement spécialisé... Et parfaitement adapté.
Quelque chose de bien trop en adéquation avec les besoins pour qu'il s'agisse d'un hasard. Sans compter qu'elle avait senti quelque chose, une très légère perturbation, aux environs de l'objet.

Conclusion : le Créateur, quel qu'il soit ou quoi qu'il ait été, n'était pas simplement cette figure mythique qu'on retrouvait par-ci par-là. Il existait, d'une part, et d'autre part en savait un bout sur l'altération de la réalité.En d'autres circonstances, Jade aurait pu se lancer dans la traque du Créateur et de ses traces, pas le moins du monde inquiétée par le fait que, dans les siècles précédents, des centaines de krolannes aient lamentablement échoué dans cette quête.
Mais pour l'heure, elle avait autre chose à faire, et devait se contenter de l'approche empirique.

D'où le détour par les Archives, où elle avait rencontré le Doc pas plus tard que la veille.
Elle n'avait pas eu à y passer longtemps pour confirmer ce qu'elle s'attendait à y trouver : pas grand chose.
Soit les informations les plus sensibles étaient trop bien cachées pour qu'elle puisse les dénicher pour le moment, soit il n'y avait pas grand chose. Le Créateur n'était pas un unique krolanne, cela, au moins, était à peu près certain. Étalonnement des découvertes comme champ de compétences sortaient des capacités et de la longévité d'un individu normal. Un mutant ? Hautement improbable, mais possible.

Par certains points, l'histoire du Créateur rejoignait celle de Malhaut : un génie de son temps, isolé, aux talents multiples... Et si les rumeurs les plus folles courant sur Malhaut et ses hybridations était vrai, il pouvait avoir accès à une durée de vie assez étendue pour d'aussi vastes recherches.
Par bien d'autres points, ceci dit, cela ne collait pas, pas du tout.
Il était bien possible de faire d'autres hypothèses, du genre "Malhaut fut le premier Disciple du Créateur", mais ça ne restait que des hypothèses.

Au temps pour la recherche dans les archives : elle allait devoir passer à la seconde piste.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Sukra 10 Jangur 815 à 13h18
 
L'endroit était décevant.

Non pas qu'il soit miteux ou autre, bien au contraire, mais il semblait crouler sous le superficiel.
Sans doute un des effets secondaires de se retrouver au Stroboscope : autant les boutiques des Embarcadères étaient pour la plupart un simple étal donnant sur l'entrepôt, autant celles du Stroboscope faisait assaut de couleur et de lumière pour attirer l'oeil du chaland.

Au moins y avait-il ici le soucis de l'originalité, dans ce champ de fleurs.
Car de loin, c'était bien l'aspect que donnait la devanture : un soleil éclatant, un ciel bleu, et plus bas, les tiges vertes aux fleurs rouges, tandis que passaient dans le ciel gris quelques nuages blancs.

Au final se trouvait mêlées dans ce tableau toutes sortes de créations, de toute taille, forme et valeur, regroupées par leur seule couleur.
La seule idée d'un inventaire devait suffire à faire faire des cauchemars au gérant.

Jade ne s'était pas arrêtée depuis une minute devant la vitrine, remarquant qu'en plus de toutes leurs différences la qualité des pièces était très diverses, qu'elle se fit aborder.


Quelque chose pour votre plaisir, madame ?

La krolanne était petite, légèrement boudinée dans une tenue dévoilant sans vergogne ses appâts.
Outrageusement maquillée, aussi. Si les mots employés étaient délicats à comprendre, leur sens était relativement clair, sans compter que le ton, particulièrement sensuel, ne laissait pas de doute sur les plaisirs immenses proposés.
Une pute.
Analyse secondaire.
Rectification : trop de bijoux à retirer, très voyants. Pire qu'une prostituée : une vendeuse. Le plaisir proposé n'avait alors plus rien à voir avec une faveur sexuelle -du moins pas sans payer un supplément- mais bel et bien avec le fait de se parer de gemmes diverses.
Même si elle devait s'estimer infiniment supérieure à toutes celles qui faisaient un autre commerce dans ls bars alentours, tout dans l'attitude de la krolanne renvoyait pourtant le même message : je suis à vendre.


Je recherche un de vos artisans.
Oh, vous venez du Kil'sin ! J'adore le Kil'sin ! La liberté, les discussions, la... La liberté surtout.

La langue semblait avoir une existence autonome. Si elle avait reconnue un accent Dath'ogal, sans doute aurait-elle proclamé son amour des poils et des puces.
Quoiqu'il en soit, ses automatismes étaient déjà en train de faire entrer Jade dans le magasin.


Iriiiiis ! Nous avons une cliente, elle vient du Kil'sin !

Proclamé comme si l'information valait son pesant d'or, et qu'elle avait nécessité une dure lutte pour l'obtenir.
Heureusement, la Iris en question n'était pas une agaçante péronnelle comme sa vendeuse. Elle tenait plus du livre ouvert.

Visage rond, amical, au sourire léger mais sincère. Un peu voutée, les cheveux grisonnants, des mains fines et une tenue simple, mais de bon goût. Debout derrière son comptoir, ayant relevé la tête de son ouvrage. On pouvait tenter un récit de sa vie à sa seule vue : artisane de talent modéré, mais ayant le sens des affaires. Elle n'avait pas la capacité d'être reconnue comme une maîtresse d'oeuvre, mais savait ne pas tomber dans les pièges. Elle avait gagné assez pour ouvrir un petit commerce dans un quartier en vue et y employer des personnes. D'un naturel ouvert, elle avait préféré le Stroboscope, où elle verrait passer plus de gens, que des lieux plus académiques. Elle devait se charger de la décoration, peut-être même de ses propres vêtements, s'étant cherché longtemps, ayant sans doute hésité.


Que puis-je pour vous ?
Je cherche quelqu'un qui travaille vraisemblablement ici. Un ancien apprenti d'un bijoutier des Embarcadères. Parti à la fin de son apprentissage.


De la curiosité, une ombre d'inquiétude, même, mais vite effacée.
Ne poser des questions que lorsque c'était nécessaire.


Un instant je vous prie.

Elle entra dans l'arrière-boutique, dont la seule chose qu'on y percevait était une intense lumière.
Jade l'entendit parler, ce à quoi lui fut répondu un Pas que ça à faire ! assez sec, suivi d'une nouvelle phrase, et un grommellement pour toute réponse. La gérante revint bientôt.


Titouan est occupé pour le moment. Mais sans doute puis-je m'occuper de vous, selon ce que vous...
J'attendrais.


Ferme, précis, sans agressivité, mais exposé avec assez de conviction pour qu'on sente que Jade resterait effectivement là, à attendre. Sans regarder le reste de la marchandise. Sans discuter. Reprenez le travail.
La gérante tiqua un peu, mais s'inclina.


Comme vous voudrez, madame...


La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Luang 12 Jangur 815 à 15h41
 
Jade s'était immobilisée, de trois-quart dos par rapport à la gérante, au milieu du magasin, de telle sorte qu'elle puisse continuer à bouger les yeux sans que cela se voit.
Les yeux, car cela lui permettait de conserver un maximum de possibilités de recueillir des informations.
Sans que cela se voit, car lorsque Jade se décidait à se tenir immobile, elle le devenait vraiment. Ne restait plus alors qu'à laisser faire la psychologie...

Car c'était bien une guerre des nerfs qui s'était engagée là, entre elle et la gérante. Cette dernière avait sans doute mal pris les directives, et était prêt à la faire poireauter, alors que Jade voulait que l'affaire prenne le moins de temps possible.
Cas idéal dans ce cas : s'arranger pour laisser entendre qu'on pouvait rester là pendant des heures.

Les cinq premières minutes passèrent, simplement. Mais la cliente suivante, légèrement rebutée par cette géante verte la dévisageant dès son entrée, transmis son malaise à la dénommée Iris, et sitôt partie, la porte donnant sur l'atelier s'ouvrit, donnant lieu à quelques explications à voix basse.

Et dix minutes plus tard, Iris étant entre temps revenue s'occuper du magasin, elle se rouvrit...


Quoi ?

Pas franchement agressif, mais au moins agacé. Jade se retourna sur un krolanne mâle, la vingtaine, brun de peau et de cheveux. Collier de barbe soigné, une tête de moins qu'elle, musculature fine mais réelle. Il la dévisageait sans crainte, seule la demande de sa patronne l'ayant arraché à son travail.
Jade indiqua la porte vers l'atelier.

Discutons au calme. Je vous suis.

Yeux levés au ciel, mais rien de plus. De son point de vue, sans doute ne cédait-il pas à un caprice, mais se rapprochait-il de son lieu de travail, et il n'aurait pas à raccompagner sa visiteuse.
Sitôt la porte franchie, il reprit le même mot, avec juste un soupçon d'agacement additionnel.


Quoi ?
Je cherche à en apprendre plus sur l'art de la bijouterie.
Alors demandez à Iris !


Là, on était passé à l'exaspération, il se retournait déjà. Mais une des mains de Jade s'abattit sur son épaule tandis que la seconde sortait le collier de derrière ses vêtements.

Ce n'est pas Iris qui a fait ceci.

Bouche légèrement entrouverte, yeux écarquillés, il contemplait sa propre oeuvre. Il tendit la main... Et se pris une tape dessus. Il sembla se réveiller, regardant Jade dans les yeux.

Ce n'est pas de Iris, non... Et vous voulez apprendre quoi ?
Les bases serait un bon débout.
Et pourquoi moi ?
J'ai... Mes raisons.


Avec une petite pause dans la diction, le temps de glisser les yeux vers le pendentif. Il remplirait ce silence de ce qu'il voudrait. Et effectivement, il y fut prompt.

Je suppose que oui. Moi aussi j'avais les miennes. Vous savez ce qu'est la pierre centrale ?
Du Chrysoprase.
Oui, c'est...
Avec des inclusions de serpentine.


Tête brusquement relevée, l'oeil qui pétille. On y voyait la lueur de l'intérêt, mais aussi celle du... Respect ?

De la Nepouite pour être précis. Vous connaissez bien les pierres ! Mon précédent maître était du genre à confondre...
Jade et Malachite. Je sais.


Petit gloussement songeur, mais les yeux, toujours, revenaient au pendentif. Maintenant que l'attention était captée, le collier pouvait réintégrer son giron.

J'ai du ne manger que des patates pendant deux mois pour me payer la pierre centrale. Mon maître voulait m'imposer de la malachite, justement, arguant que "c'était bien assez proche pour un vieux schéma inutile". Bon, alors, que puis-je faire pour vous, Kil'sinite ? Car vous n'êtes pas là par hasard.
Je veux apprendre les bases. Vraiment. Je connais les pierres, mais pas les techniques de taille, ni les méthodes de manipulation des métaux, hormis le revenu.
Le ?
Revenu. Changer la couleur superficielle des métaux par chauffe ultérieure.


Un brusque mouvement du poigne fit glisser une courte pointe d'un des bracelets de cuir portés aux poignets. Tout comme le cuir, le métal était vert.
Titouan hocha la tête simplement, salut d'un mono-maniaque à une autre.


On utilise pas cette méthode en bijouterie. Pas dès qu'on a des inclusions de pierres en tout cas.
Mais bon, de toutes façons, même pour les bases, il vous faudra du temps, et un professeur.

J'ai du temps. Aujourd'hui. Et un professeur. Vous.
Je travaille...


Accompagné d'un petit rire gêné, la situation lui semblant visiblement de plus en plus étrange.
Jade produisit une petite bourse, qu'elle lui plaça d'autorité dans la main. Le rire se figea, tandis qu'il réalisait lentement.


Vous êtes en congé.
Mais... Mais enfin cela ne va pas ! je... En plus pourquoi moi ? Je n'ai aucun sens de la pédagogie, pas de patience ! Il existe des tas de professeurs meilleurs et...
Je me fiche de la pédagogie. Je peux apprendre d'un mauvais professeur. Mais ma technicité sera limitée par celle qu'on me montrera, et pour ça, je veux le meilleur.


Bon, d'accord, ce n'était sans doute pas "le" meilleur. Si Jade avait pu mettre la main sur le Créateur, elle ne l'aurait pas lâché. Mais les personnes sachant réaliser un schéma du Créateur étaient vingt fois moins nombreuses que celles qui savaient vraiment le faire, et la plupart étaient des maîtres réputés dans leur domaine. Titouan était le meilleur choix disponible. Même s'il était gêné.

Ouais, bon, je... Ok. Je prends ma journée. Vous voudriez commencer quand ?
Le temps que vous préveniez votre patronne, je serais installée.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Luang 12 Jangur 815 à 21h54
 
Et effectivement, la vigilante était prête, installée à la place de l'artisan lorsque celui-ci revint.
Il retira les outils de la table, en disposant d'autres identiques pris sur un atelier.


Il vous faudra vos propres outils. Pas que ce soit une superstition ou autre, mais ils s'usent, et ils s'usent de la façon dont on les utilise. Surtout les ciseaux en fait. Avec des ciseaux neufs, on fait tous un travail moyen. Avec un ciseau personnel, on fait du bon boulot, avec le ciseau d'un autre... C'est la cata.
Le marteau, aussi. Attention au manche.

Bouleau ?


Dénégation joyeuse.

Pas aussi douée en bois qu'en pierres, hein ? Non, c'est du houx. Le bouleau serait trop tendre. D'un autre côté, pas mal de personnes se ruent sur de jolis petits marteaux à manches de chêne, soit disant que c'est incassable. Le manche, oui, mais...
Pas les os.
Tout juste ! Les vibrations, c'est la mort. Le houx reste suffisamment souple pour épargner le poignet, mais assez solide pour durer. Le tout, c'est de ne laisser aucun jeu entre la tête et le manche.
Tête spéciale ?
Non... Petite, pour ne pas fatiguer, et assez plate pour cogner sur le ciseau sans le faire dévier, mais surtout bien dense. Mais de l'acier classique, c'est bien assez.
Pour ne pas dévier... Il faut donc se concentrer sur le ciseau.
Exact. Le ciseau doit être placé parfaitement, et ne pas bouger. C'est la main de marteau qui bouge. Et vu qu'on a parfois des positions bizarres... Il faut taper précisément. Aussi pour ça qu'on garde ses propres ciseaux. Les mieux, je les épate au manche avant d'approcher la première pierre : plus précis.


Elle l'avait bien noté, mais avait initialement pensé que c'était là la marque de moyens restreints, d'outils utilisés jusqu'à l'obsolescence. Mais non, c'était une des nombreuses marques du perfectionnisme du krolanne, ce genre de chose... Qu'elle n'aurait décidément pas trouvé ailleurs.
En lui présentant les outils, là où on aurait dit "ceci est un marteau, il faut le tenir par le manche, et faire attention à ses doigts", Titouan livrait sans y penser et dans le même laps de temps de petits détails précieux.
Il lui faudrait sans doute pas mal de temps avant de parvenir à un niveau de maîtrise où ils feraient la différence, mais lorsque le temps viendrait... Elle serait prête.
Déjà, son professeur désignait le dernier outil usuel.


Et ça ?
Un étau.
Oui, merci ! Mais encore ?


Et bien quoi ? Un étau pour serrer les pierres, le temps de les travailler aux ciseaux. De quoi serrer les chatons des bagues, aussi, et...

La zone de contact. Amovible.
Oui. Pourquoi ?
Différents usages. Parfois tenir, parfois serrer.


Lent acquiescement, et une précision, aussi.

Et pas les même selon les pierres. Pour tailler un diamant, il faut le tenir dur... Sauf que si on utilise les mêmes patins sur un quartz, on l'abimera. Pour la taille de pierre, support cranté légèrement plus mou que la pierre, afin de ne pas la rayer. Pour le travail du métal, support plat plus dur que le métal mais plus doux que la pierre incluse, si on a le cas.
Et si la pierre est plus molle que le métal ?


Petite pause, un léger sourire.

C'est rare, mais ça arrive. Notamment dans plusieurs schémas du Créateur. Un jour vous découvrirez peut-être comment faire pour de tels cas. Tant que vous ne l'avez pas trouvé... C'est que vous n'êtes pas prête à vous attaquer à ça.

Oh. Trois minutes et elle avait déjà un objectif à long terme, sous-catégorie "l'objectif que l'instructeur vous a estimé incapable d'atteindre dès le début". Ce monde aussi avait ses petits secrets.

Bien, voilà pour les outils...
On passe aux techniques de taille ?



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 14 Jangur 815 à 12h00
 
Non non non, reposez ça !

Il lui avait placé une simple pierre, une turquoise brute, entre les mains, et avait disposé les outils. En précisant qu'ils allaient aborder le principe de la taille. Et alors qu'elle prenait les outils, voilà qu'il faisait machine arrière.
Jade leva un sourcil interrogateur.


Il ne faut pas se ruer dessus !
Le caillou est gros, mais il est fragile. Bourré de micro-fissures. D'impuretés. Et un coup sur une impureté, ça concentre les contraintes sur les micro-fissures, de là on part sur un plan de clivage, et vlan, on brise la pierre en deux !
Sans compter le problème des macles qui... Heu... Je deviens trop technique, là, non ?

Non.
Oh. Heu... Vraiment ? Bien. Bon. Enfin bref, pour tirer une pierre parfaitement taillée, il faut un millier de bons coups de ciseaux.
Et il suffit d'un seul mauvais pour tout gâcher.


Bien. Une recherche perpétuelle e perfection, car la moindre erreur pouvait ruiner l'ensemble. C'était une méthode qui lui convenait, pour ne pas dire un mode de pensée habituel.
Elle resta silencieuse, attendant les instructions qui ne manqueraient pas de suivre.


Il faut apprivoiser la pierre. Repérer les points susceptibles de créer des problèmes. On peut parfois passer une heure avant le premier coup. Il faut regarder la pierre brute, mais déjà parvenir à visualiser la pierre taillée qui se trouve à l'intérieur.

Visualiser ? Le processus se rapprochait grandement de l'infusion. Et ce dont il parlait était étonnamment similaire à ce qu'elle-même réalisait lors de la phase préparatoire d'un enchantement : lancer des vrilles d'exploration, palper la structure interne de l'objet afin d'y déceler les failles éventuelles.
Devait-elle... ? Après tout, elle maîtrisait désormais bien le phénomène. Il n'y avait que deux petites modifications à faire : bloquer le flux d'infusion, pour ne garder que la partie totalement invisible d'exploration, et, aussi, ne pas fermer les yeux.
Ce qui l'aidait elle risquait de paraître suspect aux yeux de quelqu'un qui lui avait précisément demandé d'observer...

Voilà. Elle ne voyait pas, d'autant plus qu'elle gardait les yeux dans le vague, mais elle ressentait la pierre. Le coeur était pourri : inutile de se diriger vers le centre du moellon, gorgé d'impuretés. La partie fine était pure, mais bourrée de fissures, toutes dans le même sens. De quoi tirer de belles lames turquoises, mais un volume uni négligeable.
La partie renflée, par contre, celle qui semblait de l'extérieur la moins prometteuse, était relativement homogène. Juste une fissure oblique, dans l'un des plans de clivage, ce qui devrait permettre d'accéder directement aux choses sérieuses.

Pierre correctement orientée, placée dans l'étau, outils saisis.


Non, non ! Attendez, c'est c'est beaucoup trop...

Trop tard. Le ciseau est placé comme en rabot, mais elle le déplace jusqu'à sentir la minuscule encoche de la tête de fissure.

Rapide !

Un unique coup de marteau. La fissure atteint rapidement son point de rupture, la fracture s'étend dans le cristal, comme une lame chauffée à blanc taillant dans du beurre.
Un petit morceau, grisâtre, rongé d'impuretés, se détache, laissant apparaitre, le la taille d'un ongle de pouce, une surface d'un bleu vert pâle, parfaitement uniforme.
Silence. Mais regard assassin.


C'était quoi, ça ? Conseil d'Evaluation de l'Artisanat ? Une plaisanterie ? Si vous me dites "un coup de chance", je vous préviens, c'en est fini de notre collaboration !

Coup d'oeil à la pierre. A l'artisan. Ah, oui. Forcément. Certains sont tellement baignés dans le mensonge qu'à force, ils prennent pour mensonge ce qui est dit en toute franchise, et se sentent trahis lorsqu'ils réalise qu'on leur a mentit sur le mensonge présumé.

Application des bases. Je n'ai rien fait d'autre que ce que vous m'avez appris. Analyser la pierre avant le premier coup. Utiliser les bons outils. Faire bouger le bras de marteau plutôt que celui de ciseau.
Mais enfin, je vous en ai juste parlé une fois, et il faut généralement des mois avant de parvenir à faire ce...
J'apprends. J'apprends vite. Et j'écoute. Je me fiche, je le répète, de la pédagogie. Ce que je recherche, ce sont les informations. Analyser, coordonner, appliquer les informations, se contrôler, reproduire, extrapoler, déduire, tout cela, je peux le faire. Potentiellement, tout le monde en est capable. Pratiquement, le potentiel des personnes est limité par le jugement subjectif de leurs propres capacités. C'est une tare qui me gêne moins que les autres. Mais ce qui me manque, c'est l'information primaire. Houx. Équilibre entre souplesse et solidité. Extrémité épatée des ciseaux. Usure personnelle des outils. Ces informations, je ne les connaissais pas. J'aurais mis longtemps, et dépensé beaucoup en essais infructueux, si j'avais du expérimenter par moi-même. Désormais je les connais. Même s'il faudra s'exercer avant que les automatismes corporels ne prennent le pas et ne finissent par surpasser les instructions consciente. Mais en attendant, la technique, je la *connais*.


L'artisan la regardait, s'humectant les lèvres, avec dans les yeux comme une forme d'horreur fascinée.
Il avait visiblement initialement envisagé une excentrique pénible, avant de réajuster son jugement sur une amatrice éclairée.
Désormais, il devait voir Jade sous un autre angle : un monstre, une aberration, qui provoquait à part égale des sentiments d'adoration ou de rejet. Il prenait conscience que chaque parole ne serait pas qu'un ensemble de sons, mais qu'elle serait irrémédiablement gravé, décortiqué, derrière les remparts infranchissables des impassibles yeux d'émeraude. Il ne donnait pas quelques instructions à une kil'sinite étrange, il était en train de voir son savoir se faire impitoyablement siphonner par une entité qui, si elle ne se laissait pas distraire, verrait ses capacités se développer irrésistiblement, jusqu'au moment où elle le reléguerait, lui, un des apprentis les plus prometteurs de sa génération, au rang d'insignifiant bijoutier de seconde zone.
Mais outre le rejet instinctif qu'elle lui inspirait, il y avait aussi cette sensation étrange, cette douce exaltation de découvrir entre ses mains une pépite et de se dire que, peut-être, on pouvait y laisser sa marque.

Lorsqu'il reprit la parole, sa voix était plus calme, légèrement hésitante.


En fait... Les techniques de joaillerie ne sont pas si nombreuses. Et peuvent toutes être considérées comme de la base. Simplement, c'est l'adaptation aux différents matériaux, acquérir la technique, qui ne se fait que lentement, à coup de pratique, encore et encore.
Pour ce qui est des informations générales, celles que l'on doit ensuite moduler... La matinée devrait suffire à les exposer.
Ne restera plus qu'à les retenir et se les approprier.


Et c'est d'un unique mot, mais qui comprenait une implacable satisfaction, que Jade répondit.

Bien.


La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 18 Jangur 815 à 14h30
 
Les spécialistes sont par essence les meilleurs pour donner les éléments d'importance de leur spécialité, mais ils ne sont pas forcément les plus doués pour ce qui est de donner un point de vue objectif dessus.

Prenons par exemple une des "pas si nombreuses" techniques "de base".
Dans l'esprit de Titouan, c'était effectivement une technique de base car on l'employait couramment. Et il n'y en avait qu'une : la gravure.
Sauf que, Jade le réalisait maintenant, on pouvait la décomposer en une multitude de cas particuliers.
La gravure par morsure, qui consistait à protéger certaines zones avant de tremper le tout dans une solution corrosive, généralement qualifiée d'eau-forte, par exemple, nécessitait un liquide et un vernis s'adaptant à la surface.
La taille dure, à l'aide d'un poinçon et d'un burin, nécessitait d'autres outils, un angle de frappe différent selon les matériaux, et un travail de lissage de la zone de taille après coup.
Tandis que les métaux les plus mous et les plus précieux étaient enfoncés localement, sans perte de matière, mais en formant de petits bourrelets sur le pourtour, qu'il fallait prévoir à l'avance.

Certains artisans étaient connus comme étant des graveurs. Ils consacraient leur vie à cet unique aspect du travail des matériaux.
Et pour Titouan, ce n'était que l'une des "techniques de base".

Mais au moins, Jade avait ce qu'elle voulait : une mine d'informations dans laquelle puiser, avec un minimum de digressions. Chaque mot, chaque nombre, chaque geste transmettait une information qu'elle se savait incapable d'analyser en temps réel. Il lui fallait se contenter de stocker pour l'instant, ne pouvant faire le tri que plus tard.
Ce qu'elle apprenait aujourd'hui, elle ne le comprendrait pleinement, d'après ses estimations, que dans six mois environ.
Et même si rien n'entravait ses recherches, il lui faudrait sans doute près d'un an avant de pouvoir utiliser les techniques les plus subtiles dont elle venait d'avoir la démonstration.
Il n'était pas exclu qu'elle revienne par ici, à ce moment là, pour se perfectionner.

Mais pour l'heure, elle avait un emploi du temps chargé, et il lui fallait se retirer. Il fallait encore certains ajustements pour que cette nuit ne tourne pas au massacre.
Pas à coup sûr, du moins.

Trois heures après son entrée dans la boutique, Jade en sorti, laissant un ex-apprenti troublé et une gérante curieuse, tandis qu'elle-même réfléchissait aux implications de ce qu'elle venait de faire.

Le Créateur.
Figure légendaire, mythique, même, ayant laissé des schémas de toutes sortes.
La plupart incompris. D'autres ayant provoqué des bons technologiques.
Et toujours, une obsession du détail, quand bien même la voix était incohérente...
De nombreux schémas étaient reproduits, de véritables épreuves pour les artisans. Mais au final, la culture portait en elle-même les limites des artisans des Sharss.

Le Kil'sin cultivait l'initiative, la réflexion par soi-même, ce qui empêchait de suivre une voie qui apparaissait comme trop décalée.
Le Kil'dé, à l'inverse, prônait la pré-détermination, et entravait le dépassement de soi, s'il n'était pas prévu.
Le Kil'dara cherchait des raisons, et à regarder de trop près certains éléments on perdait de vue la globalité du problème.

Bien sûr, il y avait des marginaux. Les schémas du Créateur étaient reconnus, et, chacun à leur manière, ils savaient approcher la perfection demandée. L'application stricte, rigoureuse.

Mais elle, au moins, n'avait pas à lutter contre sa nature. Au contraire, il lui suffirait de revenir aux origines pour adopter l'état d'esprit nécessaire.
Au fond d'elle-même, elle pouvait trouver le Créateur...

Mais ce serait pour plus tard.



La perfection est amorale.

Page : 1

Vous pouvez juste lire ce sujet...
Nombre de joueurs actifs :0(Inscrits : 191)
Infos légales Mot de passe perdu ?