Nonam pénètre dans la bibliothèque d'un pas léger en lançant un "bonjour" auquel personne ne répond. Comme souvent, elle passe inaperçue et en profite pour scruter le lieu, cherchant autant à s'orienter qu'à reconnaître quelque chose.
Elle emboîte le pas à un groupe d'étudiants au visage sombre, qui semblent préoccupés par de proches examens. Elle suit les jeunes gens, un peu déçue. Elle a dû passer des jours entiers dans cette bibliothèque, et pourtant, rien dans l'endroit n'éveille en elle de sensations. Elle pensait retrouver ses souvenirs perdus, ou au moins avoir une impression de déjà vu, déjà vécu.
Et non, son corps et son esprit semblent vierges de toute expérience de bibliothèque. C'est comme si elle y entrait pour la première fois.
Les étudiants la guident jusqu'à un espace qui leur est dédié. Partagé en de nombreuses sections, il présente un aperçu des connaissances de Kil'dara, réparties selon un savant système de tri.
Les étagères proches possèdent des ouvrages sur des thématiques proches. On a ainsi des dégradés de sujets, qui s'étendent à partir d'un sujet-coeur.
La botanique, par exemple, repérée par un écriteau se trouve sur une étagère centrale. Les étagères environnantes possèdent des ouvrages liés au thème, mais de moins en moins: on peut ainsi y trouver "Ouvrir son salon de thé en 6 étapes", puis un peu plus loin "Synthétiser des aromes artificiels" (l'un des chapitres de l'ouvrage est dédié à l'arome de carotte), ou encore "La réflexologie plantaire. Améliorer son métabolisme en 3 massages quotidiens."
Les étagères au centre traitent donc d'un sujet indiqué par divers moyens de signalisation, puis celles autour le déclinent en ouvrages de plus en plus éloignés. Les cercles d'influences des différents sujets (botanique, commerce, santé, droit, histoire etc) se croisent pour donner des ouvrages hétéroclites tels que "Deux siècles de lois régissant la vente de talismans à base d'herbes du jardin contre la rage de dent."
Nonam tourne parmi les rayonnages, le plus silencieusement possible (quoi de plus menaçant qu'un étudiant en manque de sommeil qui se rend compte que ne pas aller en cours pendant toute l'année n'était peut-être pas la meilleure stratégie pour réussir ses examens, et, pour compenser, tente de lire tous les ouvrages de la bibliothèque consacrés à sa discipline!).
Elle se perd plusieurs fois, mais reconstitue petit à petit la manière de ranger les documents. Assez ingénieuse, il faut le dire. Outre le tri concentrique des sujets, les ouvrages sont classés par niveaux de difficulté et de spécialisation. Les traités les plus simples sont en bas, vous promettant une bonne luxation du dos à la fin de la journée, et se compliquent au fur et à mesure que vous remontez les rayons. Tout en haut, se trouvent les thèses les plus réussies et innovantes. Une inscription précise que la bibliothèque possède des archives plus complexes encore, mais qu'il faut en faire une demande spéciale, ou aller dans d'autre salles pour les consulter.
Cette pièce semble parfaitement pensée pour les étudiants, mettant à leur disposition le savoir nécessaire pour réussir leur cursus, selon leur niveau et leur spécialisation. Elle encourage leur curiosité en les amenant à feuilleter les ouvrages proches de leur discipline, puis les autres. Elle encourage également leur ténacité et leur sens de l’orientation, car il n’est pas facile de s’y retrouver, et encore plus difficile de se souvenir de la place exacte d’un traité.
Les documentalistes tournent d’un air sévère, prêts à donner des conseil mais aussi à vertement réprimander l’inconscient qui n’aura pas remis un ouvrage à la bonne place.
Nonam apprécie l’odeur de papier de l’endroit, l’éclairage aléatoire, qui s’arrange pour permettre une lecture optimale aux tables de travail, mais crée des zones d’ombres qui lui donnent un air surnaturel, presque vivant. Elle observe les allées et venues, la manière dont on se saisit d’un livre, dont on parcours le résumé ou la table des matière d’un doigt songeur, les moues ennuyées ou catastrophées des jeunes universitaires.
Cela n’éveille aucun écho en elle, elle ne se souvient pas l’avoir déjà vécu, être déjà venue en ces lieux. Mais l’atmosphère qui s’en dégage lui semble accueillante et l’incite à rester. Première matinée à la bibliothèque depuis sa perte de mémoire! Quel événement!
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