Mal réveillée, Nonam titube hors de son lit et ouvre les volets en grand pour laisser l’extérieur faire le sale boulot. Le jour qui pointe à quelques dizaines de kilomètres et dont on aperçoit un éclat reflété sur des tessons dissimulés par d’autres formes encore indiscernables ne parvient qu’à lui faire plisser un œil. L’éclairage à quelques immeubles de là ne réussit pas mieux.
Elle inspire alors à fond, à la recherche d’un peu d’air pur. Ce qui entre dans ses poumons est frais et d’une odeur indéfinissable. Une touche d’huile de cuisson maintes fois réutilisée, qui devait déjà être rance à la naissance de sa grand-mère, une touche d’air salin, peut-être, et un quelque chose qui rappelle les foins coupés et séchés au soleil. A cela s’ajoute un faible relent de moisi saupoudré de poussière, l’odeur émise par les lampes au dessus d’elle et celle, pesante, toujours présente du quartier de Kil’dara.
Une odeur de science: de graisse, de rouages, de divers matériaux qu’elle ne sait reconnaître au nez, d’herbes multiples, d’essences, de formol, une pincée de mort, le tout distillé par la vapeur qui serpente toujours en bas de l’immeuble.
Nonam l’aime bien cette vapeur. Signe des avancées technologiques et des grandes expériences, elle amène aussi une touche de mystère et de distraction.
Combien de fois n’est-elle pas restée accoudée au rebord de la fenêtre, à observer ses circonvolutions, à chercher les minces rubans qui s’entortillent ou dépassent d’endroits insolites. Là, par exemple, à droite, en haut de l’immeuble, dans ce cercle éclairé et chauffé perpétuellement par l’éclairage juste au dessus! Il y a une boite aux lettres abandonnée sur un des derniers balcons et un filet de vapeur qui semble jouer dedans. Il rentre, sort, s’enroule autour de la boite puis disparaît de nouveau à l’intérieur dans un ballet tel, qu’on le croirait doué d’une volonté propre.
Nonam s’arrache au spectacle de la vapeur. Les odeurs puis les jeux de la brume ont réussi à la réveiller bien mieux que le faible rayon du soleil. Celui-ci s’entête pourtant à lui taper sur l’œil droit, et elle finit, vaincue, par rentrer la tête dans l’appartement.
A l’intérieur, l’eau pour le thé bout et elle la remplace par une casserole dont le contenu frémit bientôt, ajoutant au cocktail d’odeurs du dehors un fumet de bacon exquis. Pendant que le poêle cuit son brouet, elle fait sa toilette, puis avale rapidement la nourriture brûlante, efface toutes traces de son méfait, s’essuie les contours de la bouche, ouvre la porte d’entrée et accroche l’affiche qui dit: "Chez Nonam, annuaire des pratiques des habitant.e.s du Ras-du-Sol"
Une nouvelle journée de travail qui commence, pleine d’entrain, de bonne humeur et d’espoir.
Nonam repousse les souvenirs de la veille, qui s’est terminée sans que personne ne frappe à sa porte, accompagnés par des souvenirs des nombreux jours précédents, dont le déroulé est identique.
Elle fait place nette dans son cerveau, les idées négatives n’y ont pas leur place, elle s’installe dans le fauteuil le plus confortable et commence son attente. Aujourd’hui, c’est sûr, quelqu’un viendra souhaitant partager les actions réalisées dans son métier, et contribuer ainsi, peut-être, à l’avancée de la science!
Alors qu’elle suit le contour des livres que contient la bibliothèque, son esprit dérive sur les océans du savoir qu’elle a oublié, effleurant de près des théories très pointues, qu’il lui semble se rappeler un instant, continuant sur une étendue de sensations floues.
Sa mémoire ne revient pas aussi vite qu’elle ne s’y attendait, mais finalement, Nonam l’accepte plutôt bien. Elle se dit que si elle doit recueillir le Savoir, il peut être intéressant que son propre savoir soit presque inexistant, afin qu’il n’empiète pas sur celui des autres.
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