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Le nid de cobras
(flashback)
 
Perle Glennsapi
Assistant au Transfert d’Idée,
Electromagnétologue

Kil'dara  
Le Luang 9 Nohanur 815 à 18h23
 
I. Le Zoo ATI



Perle prit place à la table où l'attendaient ses quatre collègues. Une Perle tout ce qu'il y avait de plus normale, krolanne, car la scène se déroulait à une époque où l'Eveil ne s'était pas encore produit pour elle.

Ce matin là elle était en charge de l'attribution des tâches. Habituellement, c'était Neston -son chef d'équipe- qui en avait la responsabilité. Mais la veille il s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et un accident de décompression explosive à l'atelier de compression expérimentale du Compagnon Harazor l'avait laissé avec un poumon perforé ainsi qu'un bras brisé en au moins cinq points. Il avait eu de la chance dans sa malchance car il y avait eu plusieurs morts. Toujours était-il qu'étant officieusement son bras droit, c'était donc vers Perle que l'on s'était tourné pour assumer ses fonctions le temps qu'il se remette ou qu'un remplaçant soit nommé.
Elle espérait que Neston se remettrait. Et rapidement si possible. Ce n'était pas qu'assumer ses fonctions lui posait le moindre soucis. Non, ce qui était plus ennuyant c'était le risque qu'un inconnu soit nommé pour le remplacer. Neston était quelqu'un qu'elle connaissait et n'avait aucun mal à influencer au besoin alors qu'un nouveau responsable pourrait ne pas être aussi aisément manipulable. En outre, il n'était pas un mauvais bougre et Perle n'avait rien contre lui. Elle trouvait même que c'était une fourmi efficace et méritante.

Le terme "fourmi" n'était pas une expression de mépris. Il existait un grand nombre de profil d'Assistant au Transfert d'Idées différents et l'on en était venu au sein de la profession à les catégoriser en utilisant des métaphores animales.
Neston par exemple était donc une fourmi. Les fourmis étaient les plus nombreuses et formaient le coeur solide de la profession d'ATI. Efficientes et ordonnées, les fourmis étaient des administratives dans l'âme. Etre ATI était véritablement leurs vocations et une fois en poste elles ne le quittaient jamais.

Quant aux collègues autour de la table, il y avait un chaton, une fouine, un poulet et un embryon.

Marlanne était un chaton. Tout comme les chatons étaient curieux de tout et papillonnaient d'un centre d'attention à un autre, incapables de décider sur quoi porter leur attention et avides de découvertes, leurs équivalent ATI s'intéressaient à toutes les disciplines et faute de pouvoir se décider à s'investir dans une branche, ils devenaient ATI pour pouvoir suivre ce qui se faisait d'innovant dans tous les domaines. On associait généralement aux chatons une certaine naïveté et une bonne dose d'enthousiasme pas toujours bien maîtrisée.

La fouine était Anton. Tout comme le chaton, la fouine était dotée d'une curiosité insatiable. A cela près que ce n'était pas tout à fait le même type de curiosité. La fouine aimait être au courant de tout ce qu'il se passait partout, à tout moment et si possible en premier. Ce qui l'attirait dans le poste d'ATI, c'était qu'il donnait de bonnes excuses pour pouvoir se trouver un peu partout et obtenir des informations de première main. La plupart des fouines étaient également d'incorrigibles commères.

Hubril quant à lui était un poulet. A la manière de cet oiseau pourvu d'ailes mais n'étant pas né pour voler, les poulets ATI étaient dotés du bagages de connaissances scientifique nécessaire pour s'élever à de plus hauts postes mais n'en possédaient pas pour autant les capacités. Le poulet était un être frustré qui devenait ATI par défaut et par dépit. En général il compensait son échec en cherchant à se faire passer pour plus important qu'il ne l'était en réalité et aimait affirmer sa supposée supériorité sur ses collègues.
A noter qu'il existait une variante du poulet qu'on appelait le " faucon déplumé" ou plus simplement "déplumé". Le déplumé était un esprit brillant à sa manière mais complètement enfermé dans son propre monde. Sans doute aurait-il pu voler si ses rivaux ne lui avaient pas dérobé ses plumes... Le déplumé était souvent quelqu'un d'à la fois très intelligent et très naïf. Ne sachant pas se méfier et se protéger des autres, il laissait -qu'il en ait conscience ou non- les autres profiter de son talent, de ses idées et ne récoltait au final jamais la reconnaissance qu'aurait pu lui apporter son labeur.

Enfin, Idarelle était un embryon. Personne ne restait embryon très longtemps. C'était le terme que l'on donnait aux nouveaux venus dont on avait pas encore réussi à cerner le caractère. Et en effet Idarelle n'avait rejoint leur équipe qu'il y a trois jours à peine. Perle estimait que la nouvelle se révèlerait probablement être une fourmi. Mais l'accident de Neston couplé à quelques autres incidents en apparence insignifiants ne lui faisait pas exclure la possibilité qu'elle soit en réalité un dangereux cobra royal. Le régime alimentaire des cobras royaux étaient quasi-exclusivement composé de serpents. C'est donc l'étiquette que l'on collait aux individus véritablement dangereux pour leur pairs et dont la conception personnelle de l'ascension sociale consistait à commencer par faire le vide pour occuper la niche libérée. A n'importe quel prix et quel que soient les moyens. Ce type d'individu finissait soit au sommet, soit enfermé après avoir été démasqué, soit mort.

Bien sûr, même si l'on catégorisait les ATI, les frontières étaient parfois un peu floues. Il n'était pas incompatible d'être un peu fouine et un peu chaton à la fois par exemple.
Elle même en l'occurence était à la fois héron et chrysalide.
Son côté chrysalide exprimait le fait que son poste d'ATI n'était qu'une étape dans son plan de carrière. Les chrysalides étaient là pour maturer, profiter de ce poste pour acquérir certains savoirs grâce à leurs accès privilégié à l'information et à l'actualité scientifique ou autre. Une fois qu'elles avaient obtenues ce qu'il leur fallait et qu'elles étaient prêtes, la chrysalide s'ouvrait pour les laisser s'envoler vers d'autres fonctions.
Quant au héron, il était à la fois dans et au dessus de l'eau. Cela signifiait que le travail d'ATI n'était qu'une facette de son activité et il faisait souvent partie des équipes de recherche dont il était chargé de transcrire et synthétiser les résultats. C'était le lien privilégié entre celui qui produisait les résultats et celui qui aurait à les utiliser ou les analyser car il avait lui-même contribué à leur production et était donc parfaitement en mesure de les comprendre. Toutes les équipes d'importance dans les conseils avaient au moins un héron dans leurs rangs et on considérait généralement que l'ATI idéal était la fourmi-héron : le mélange entre sa prise directe avec la réalité des conseils et sa rigueur méthodique garantissait une transmission d'informations optimale et fidèle.

On a des nouvelles de Neston ?

C'était Marlanne qui avait posé la question d'une voix inquiète. Elle lui répondit en affichant un sourire de sympathie compréhensive et en usant d'une voix rassurante.

Je lui ai rendu visite. Il souffre réellement le martyr mais il a eu de la chance. On m'a dit qu'il guérirait très vite.

C'était vrai. On lui avait bel et bien dit qu'il guérirait très vite. Ce qu'elle ne précisa pas, c'était que celui qui le lui avait affirmé avec conviction n'était pas un médecin mais le fils de sept ans du blessé... Il suffisait de laisser des blancs dans l'exposé des faits pour laisser ses interlocuteurs les remplir par eux même souvent sans même y penser et en tirer les mauvaises conclusions. Ce qui l'intéressait c'était de voir la réaction de ses collègues à cette information et sans en avoir l'air elle ne loupa aucune de leurs mimiques ou expressions.
Hubril était égal à lui-même, visiblement peu affecté par la nouvelle. Peut-être pouvait-on déceler une trace de contrariété sur son visage mais elle était là depuis son arrivée. Le connaissant bien, Perle pensait qu'il anticipait surtout le léger surcroît de travail qui lui tomberait dessus étant donné que l'équipe devrait se partager la part de Neston. A moins qu'il s'agisse du fait que l'on ne lui ait pas confié l'intérim. Voir un mélange des deux. Restait aussi la possibilité que cela n'ait rien à voir et qu'il repensait juste à une mésaventure sans rapport avec le travail. A part cela l'état de son supérieur ne semblait lui faire ni chaud ni froid.
La fouine était visiblement très intéressée. Rien d'étonnant à cela : c'était un sujet de plus sur lequel Anton pourrait frimer en montrant à ses amis qu'il était au courant de tout. Mais outre cette réaction typiquement "fouinesque", il semblait avoir l'air réellement content à l'idée que Neston se remette sur pied.
Marlanne était très tendue en arrivant et c'est le soulagement qui se peignit sur son visage. Cette femme était la compassion incarnée et le malheur d'autrui lui était insupportable. Elle avait même émis des réserves sur le traitement réservé au lanyshstas une fois, (quoique pas bien fort et sans grande conviction).
La nouvelle par contre... La nouvelle eut la réaction la plus intéressante : aucune. Absolument aucune. Elle était l'incarnation même de la neutralité. N'affichait pas la moindre petite émotion. Elle ne paraissait ni nerveuse d'occuper un poste encore tout nouveau pour elle, ni pressée de se mettre au travail, ni enthousiaste à l'idée de faire ses preuve, ni désireuse de nouer des liens, ni anxieuse, ni excitée... Rien. Un livre blanc. Et ça, c'était hautement anormal.

Je sais que cela va être difficile de tenir nos délais sans Neston, mais si nous prenons trop de retard notre équipe va se voir retirer le traitement de données de certains projets pour alléger notre charge de travail.

Anton tiqua. C'était le but recherché. Moins de projets c'était moins de prétextes d'aller vadrouiller à droite à gauche pour aller aux dernières nouvelles et papoter avec les autres fouines. Maintenant elle était sûre qu'il mettrait les bouchées doubles pour tenir la cadence en attendant qu'ils retrouvent un plein effectif. Marlanne aussi semblait ennuyée mais elle était trop ébranlée par les malheurs de leur pauvre supérieur pour vraiment s'en soucier.

Mais j'ai confiance en nous tous. Nous ne le laisserons pas tomber et nous y parviendrons. Je sais que Neston compte sur nous et que nous pouvons tous compter les uns sur les autres. Nous formons une bonne équipe.

Ils opinèrent tous du chef mais c'était à l'adresse de Marlanne la compatissante émotive qu'elle avait dit cela. Faire vibrer sa corde émotionnelle et en appeler à sa loyauté était le meilleur moyen de la garder concentrée et de canaliser ses émotions en quelque chose de constructif. Elle ferait tout pour se montrer à la hauteur et ne pas décevoir. Et en effet le chaton au grand coeur affichait désormais une mine un peu plus déterminée et un peu moins bouleversée.
Au tour d'Hubril à présent.

C'est aussi une occasion de montrer ce que nous valons. Nous avons des esprits brillants ici. Et en haut on verra comment nous nous en sortons pendant que nous sommes face aux difficultés.

Elle avait fixé son regard sur le poulet en disant cela. Il s'agissait de souffler sur les braises de sa vanité, jouer de son complexe de supériorité et réveiller ses ambitions frustrées. Il fallait laisser entendre sans se mouiller que les résultats des jours à venir pourrait avoir un impact sur leurs carrières. Son statut de héron avait l'avantage de laisser supposer qu'elle en savait plus sur ce qui se passait dans les hautes sphères des conseils que la moyenne puisqu'elle passait plus de temps à cotoyer les compagnons. Sans parler du fait que son père lui-même était un compagnon d'Archaos.
De là à supposer qu'elle avait pu entendre des bruits de couloirs... Il n'y avait qu'un pas qu'elle laissait à Hubril le loisir de faire.
En réponse le regard du concerné s'illumina et il eut un sourire de connivence comme pour dire à Perle "Toi et moi savons bien que nous seuls ici avons l'étoffe de grimper les échelons". Elle ne fit évidemment rien ni pour démentir, ni pour confirmer ceci. L'important était qu'il soit motivé. Le poulet rêvait de nouveau de voler et allait battre de ses petites ailes à toute vitesse.

Elle se tourna enfin vers l'embryonne Idarelle en esquissant un sourire.

Je sais que ce n'est pas facile d'arriver dans de telle circonstances. Il faut essayer de voir cela d'un point de vue positif. C'est une occasion unique de t'intégrer au sein de l'équipe et de te voir tout de suite assignée de réelles responsabilités. En cas de problème n'hésite pas à venir me voir, moi ou Marlanne si je suis absente. D'accord ?

Rien. Toujours rien. Néant. Pas le moindre soupçon de trace de la moindre émotion.
Idarelle se contenta simplement de hocher la tête lentement, sans un mot. Un mouvement vertical parfait tandis que le reste de son corps était immobile. On aurait dit un pantin.

Perle lui jeta un regard interloqué car le contraire eut été suspect : même les trois autres devaient avoir senti qu'il y avait quelque chose de bizarre avec l'embryonne. Puis elle haussa les épaules comme si elle chassait la question de son esprit avant de passer à autre chose. Il n'en était bien sûr rien mais il était inutile de laisser la nouvelle lire en elle.
Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond avec cette Idarelle et il semblait à Perle de plus en plus impératif de découvrir quoi.


La réunion d'attribution des tâches continua normalement. Tandis que Perle remplissait sa fonction avec diligence, intérieurement elle échafaudait des dizaines d'hypothèses, de théories et suppositions. Elle en écartait certaines comme trop improbables tandis que les autres se voyaient attribuer un plan d'action pour les vérifier ou les infirmer.
Se pouvait-il qu'Idarelle soit un cobra royal lié à l'accident de Neston ? Possible. Mais pourquoi cette absence totale et non naturelle de langage corporel ? Ce n'était pas le meilleur moyen de passer inaperçue. Au contraire même. Peut-être était-ce un leurre pour distraire son attention de quelque chose ou quelqu'un de plus important ? C'était possible mais improbable car très peu de gens avaient connaissance de cette façon qu'elle avait d'observer et analyser tout le monde autour d'elle et elle leur faisait tous entièrement confiance. Peut être n'était-elle pas mentalement stable ? Il faudrait qu'elle aille directement interroger les anciens camarades et formateurs d'Idarelle à son centre formateur pour en avoir le coeur net.
Se pouvait-il que l'embryonne soit sous l'emprise de quelqu'un ou quelque chose ?
Et ainsi de suite.

Une chose en tout cas lui paraissait plutôt clair : soit elle découvrait le fin mot de l'histoire, soit elle prenait le risque de se retrouver dans une nouvelle catégorie d'ATI, celle des dindons de la farce...



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