Les jours passaient et toujours rien. Il fallait bien chercher à s’occuper pour ne pas rouiller sur place. Les recherches ne débutaient pas pour d’incompréhensibles tracasseries administratives. Ce n’était pas au Kil’dé que de telles choses seraient arrivées. Mais c’était peut-être dû à la jeunesse du Kil. Ils n’avaient pas encore l’habitude. Pourtant, le Lecteur s’était laissé dire que le Kil’dara était le kil de la recherche. Si cela prenait autant de temps, il ne devait pas en ressortir grand-chose, de la recherche, laquelle se perdait dans une attente et un mutisme non feints mais bien réels.
Donc pour s’occuper, tromper son ennui, suspendre le cafard, il s’était inventé une mission de sécurisation des abords du Kil’dara. Les créatures qu’il rencontrait n’étant pas des foudres de guerre mais des Frobekhs à la science guerrière incertaine, il décida de s’employer à exercer son talent au contact, ne voulant pas gâcher des balles dans l’aventure. Il s’extirpa donc du kil à la nuit tombée comme il l’avait déjà si souvent fait au Kil’dé pour se rendre dans le no man’s land qui séparait les deux Sharr’s. Il se déplaçait furtivement. Les ombres contribuaient à renforcer encore, si cela était possible, son aspect éthéré, translucide, immatériel, invisible. Il se faufilait ainsi tranquillement entre les buissons, jusqu’à ce qu’il aperçoive ce qu’il pouvait considérer comme une cible désignée.
Il s’en approchait alors à pas mesurés, de manière à surprendre sa future victime. Au moment de l’action, il cherchait à imiter les mouvements aussi souples que tranchants qu’il avait vu effectuer sur la personne d’un kilsinite dans une ruelle du Kil’dé par l’éminence grise de l’Hermine de cristal. Cela avait été saisissant. Cela était le cas de le dire. L’étranger en était sorti lardé de coups qui l’indisposait pour continuer la rixe, mais qui ne le tuaient pas. Nul n’avait été dupe cependant et le Kilsinite le premier : l’autre aurait pu le tuer s’il avait frappé un peu plus à gauche, ou à droite, ou plus haut, ou plus bas. Mais il avait touché là où il le voulait. Le Lecteur devait s’en inspirer. Il savait le faire avec son arme à distance. Il s’agissait désormais de l’apprendre avec une arme de contact.
Et le Frobekh de ne pas avoir le temps d’appeler qui que ce soit, fût-ce par télépathie, ni de prendre réellement conscience de ce qu’il lui arrivait avant de gésir, délicatement couché sur le flanc par l’ombre qui venait de fondre sur lui, un filet rouge s’échappant et rejoignant un petit champignon qui finit tout taché par le liquide suintant du corps meurtri.
Il ne restait ensuite plus qu’à essuyer consciencieusement son arme. Ce n’était pas parce qu’il s’en servait pour tuer qu’il ne fallait pas la maintenir propre. Tuer oui, mais proprement et avec élégance. En ceci, il respectait sans doute le code de comportement de l’Hermine de cristal, du moins une partie, à défaut d’en respecter complètement le dress code. Le reste était accessoire.
Le retour dans le Kil se passait dans le silence le plus total. Il n’était pas coutumier des retours en fanfare et cela était bien. De la sorte, il revenait prendre sa place sans que son absence ne fût remarquée le moins du monde.
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