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La misère
 
Leyhraj
Travailleur de Cellule
Kil'dara  
Le Vayang 16 Dasawar 816 à 10h16
 
*** Cette vie est misérable.

C'est pire depuis qu'elle a été battue à mort, un soir, sur le chemin du retour. D'habitude elle était vigilante. Le travail était éreintant, pourtant ses jambes conservaient toujours une parcelle d'énergie. La fuite: c'est la seule option valable quand on est seul. Malheureusement, peu avant, sa volonté s'était déjà tarie. Déjà le vide de l'existence, la malchance, l'infortune, quel que soit son nom, l'avait dépossédée de sa force.

Elle a mérité ce sort, se dit-elle: la faiblesse n'est pas acceptable.

La pièce est froide ce matin. Il n'y pas encore de lumière, sauf un réverbère dans la ruelle. Les copeaux du bois scié, quelques semaines avant, pour fabriquer un meuble, et les éclats du pot de terre cuite renversé la veille, salissent le sol. C'est misérable, s'avoue-t-elle tout bas. Elle est en vie, elle porte le flambeau de sa jeunesse, progressant à l'aveugle entre les bouleaux d'une forêt endormie. Elle foule le tapis de feuilles mortes, en silence. Elle est en vie, se répète-t-elle, dans une misère crasse, personne ne l'aidera.

Les médecins l'ont examinée après son agression. Ils n'ont décelé aucun signe. Elle est Lanyshsta, maudite maladie. Elle est sortie de l'hôpital lavée de tout soupçon, purifiée. Puis elle a fait profil bas durant deux ans, pour se faire oublier.

Ce matin, les maux l'étreignent à nouveau. Il lui pousse des cornes dans le dos, si elle juge bien son reflet dans le miroir. La peau de son ventre devient écailleuse.

Elle a peur,
mais il faut se taire.

Elle a mal,
mais il faut endurer.

Elle est malade,
mais il faut vivre.

La misère.
***


 
Leyhraj
Travailleur de Cellule
Kil'dara  
Le Vayang 16 Dasawar 816 à 13h27
 
***
C'est un de ces instants précieux où tout bascule.

Sur le chemin de l'usine, elle reste interdite. Elle n'est qu'une goutte d'eau portée par le torrent. Elle bondit de pierre en pierre jusqu'à l'océan. Sa vie est tracée, de l'émergence à la dilution. A cet instant, elle est un rocher qui fend le flot au risque de l'usure. S'arrêter ici ne mène à rien. Alors, il faut se remettre en marche.

Le premier pas, avant de geler sur place. Elle se frotte les mains froides, souffle, part dans une autre direction. Elle s'écorche les mains sur les barbes des tubes en métal qu'elle scie. Elle se les brûle à la vapeur des tours d'usinage. Ces mains, qui ouvragent pour la grandeur du Kil.

Pour l'Outre-Science.

Elle franchit le portique de sécurité de la fabrique de vromballes. Elle passe devant l'atelier des valves latérales sans y entrer. Elle emprunte un escalier de service jusqu'à la loge du contremaître.

Il est en discussion avec un des ingénieurs. Elle ne souhaite pas les interrompre, mais l'ingénieur, moustache impeccable et costume taillé sur mesure, l'invite à s'exprimer. Il a un parfum d'eau de toilette, de rasage à la vapeur. Son sourire est désarmant.

« - Contremaître Reeds, Sir, je vous remets ma démission.

- Entendu. Vous pouvez disposer. Reeds, faites comme d'habitude. »


Son sentiment de solitude s'accroit.

« - Vunkisht, le ticket de sortie. Prends tes affaires et ta solde, et tire-toi. »


Personne ne la regrettera ici.

***


 
Leyhraj
Travailleur de Cellule
Kil'dara  
Le Vayang 16 Dasawar 816 à 14h25
 
***

-.<|. girasols.

Elle se désaltère à la fontaine de la place Rogan, et en profite pour remplir un bidon ramené de la fabrique. Une fois plein, elle s'éloigne du blondinet qui lui joue un tour de séduction véritablement assommant. L'idiot est vêtu d'une cape de tissu synthétique, rouge et zébrée de noir, d'un pantalon beige froissé, lâche et ample. Il a un sourire canaille, qui trahit sa condition de plouc du Kil'sin.

Pour peu, elle lui collerait son poing dans la gueule.

Elle croise la route des écoliers, qui seront les futurs ingénieurs dont elle croise également la route. Ils n'embauchent pas aux aurores, se pavanent et rient bruyamment. Elle reconnaît Sir Edwards, dont la maîtrise des valves microscopiques assure les beaux jours. Elle met un nom sur chacun d'eux, sur leurs domaines d'expertise, sur la marque de leurs chapeaux.

Pour peu, elle les démolirait.

Il lui faut toujours une heure pour atteindre son taudis creusé dans les bas-fonds. Libre, elle passe le balais. Elle jette des objets dont elle n'a que faire. Elle se sent fébrile quand elle met la main sur Langui, la peluche mouette bleu pâle de son enfance.

Elle la jette aux ordures.

***


 
Leyhraj
Travailleur de Cellule
Kil'dara  
Le Vayang 16 Dasawar 816 à 15h43
 
***

Elle rencontre Neah, une adolescente dépenaillée aux longs cheveux charbon et raides, qui traîne dans le quartier. Ce n'est pas une amie, plutôt une fille qu'elle apprécie plus que les autres.

« - C'est quoi dans ta poche? D'la maille? »


-.<|. girasols.

Assez pour payer plusieurs véhicules. Le solde tout compte de deux années de labeur sans répit, sans avenir. La seule contrepartie pour ses mains détruites.


« - Fais pas chier, Neah... »


La camarade lui donne des petites tapes pour l'intimider. Elle lorgne son pécule, donne de légers coups de pieds dans son sac. Vunkisht réplique avec ses poings, elle esquive ceux qu'elle reçoit. Les filles s'insultent, se renversent l'une l'autre, se débattent au sol, se frappent à s'en tuméfier le visage. La brève bagarre s'achève avec le premier sang.

« - Un jour, j'te ferai la peau, Vunkisht. »


Ce n'est pas une brimade habituelle. Elle déclenche une réaction plus violente encore. Vunkisht assène un formidable coup de pied à Neah, assez puissant pour la faire trébucher plusieurs mètres plus loin.

Il faudrait remonter à la surface, trouver un nouveau travail, avancer, évoluer. Ce sont des principes simples, elle s'y accroche, elle veut se battre. Elle a de l'argent.

« Bonne chance, Neah. »


Pourtant, la misère l'étreint encore.

***


 
Leyhraj
Travailleur de Cellule
Kil'dara  
Le Matal 27 Dasawar 816 à 19h08
 
***
Une pierre jetée sur son visage.

Elle se protège, seul son bras est égratigné. "Anormale".

Une autre la manque. Une autre lui frappe encore le bras. Elle ne peut parer la suivante. Elle recule mais elle rencontre le mur en béton de l'impasse. Ils sont quinze. "Anormale".

Elle n'aurait pas dû frapper Neah, pas aussi fort. Même la plupart des adultes n'ont pas cette force. "Anormale". Le récit de l'incident a éveillé les soupçons. Les gamins et gamines du quartier vont la lapider, personne ne viendra la secourir. "Anormale". Elle va mourir ici. Vunkisht est terrorisée.

D'un coup, la cruelle injustice la pousse à hurler de toutes ses forces. Elle n'a jamais eu le choix. Le seul qui lui reste est de survivre. De quel droit peut-elle mourir sous les pierres de morveux, alors qu'elle est plus forte qu'eux tous réunis?

Pas anormale! Lanyshsta! Forte!

Sans qu'elle sache d'où lui vient la force, elle arrache un bout de conduite en fonte. Elle la balance sur les gamins, dont certains n'ont pas dix cycles. Déjà essoufflée par le gigantesque effort qu'elle vient de fournir, elle déclenche un sprint désespéré dans le tas. Elle place toute sa rage dans un effroyable coup de poing qui vient détruire la mâchoire du chef de la bande. Une ouverture...

Un autre assaillant condamne sa fuite en lui agrippant fermement le bras. Au moins trois autres la mettent à terre, la bourrent de coups de pieds. Mais la rage l'anime toujours! Elle rampe au sol, remet la main sur la conduite, la balance cette fois dans les jambes de ses adversaires. Puis elle rampe encore quelques mètres, se relève quand la voie est libre, enfin elle détale à toutes jambes!

Ce n'est pas elle qui est anormale. Ce sont eux, qui l'ont rejetée. C'est une injustice, c'est elle qui mérite de vivre. La haine l'anime. Elle fera de ce monde un paradis pour sa véritable famille, les Lanyshstas, et un enfer pour les autres.

***


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