Le retour d’Adrien Dao d’entre les morts m’avait laissé dubitatif. D’autant plus qu’un autre lanyshta, Caï Versa, avait connu le même sort. Je me devais d’en savoir plus. L’aspect technique en lui-même m’intéressait peu. Je n’avais ni la formation, ni les éléments en mains pour produire une hypothèse farfelue à ce sujet. Pourtant, le processus en lui-même était digne d’attention.
Où allait se loger l’esprit après la dématérialisation ?
Où le corps se re-matérialisait ?
Sous quelles conditions ?
Avec quelles altérations ?
Peut-être aurais-je pu obtenir ces informations par le Doc’. Toutefois, cela me donnait une bonne occasion de revoir l’Enquêteur. Ah Adrien, premier lanyshta rencontré à peine éveillé, première perte également. Avec un peu de chance, il accepterait de venir renforcer les rangs du Consensus. Après tout, lui aussi était à l’origine du Bureau, lui aussi connaissait la dangerosité de Jade…

La pensée qui lui fut adressée était accompagnée d’une image floue du parc cet de son lac.

*Cher Dao, retrouvons-nous en fin de journée au parc, près de l’eau. Rien de mieux qu’une entrevue sur une barque au crépuscule pour échapper aux oreilles indiscrètes*

Ainsi, après une courte journée de jeux dans les puces de Koi, je filais vers les hauteurs. J’avais gardé mes habits de la journée, un épais costume deux pièces aux nuances chatoyantes. Rouge, orange, jaune, avec une pointe de marron par endroits. Debout sur le ponton, près des barques encore disponibles, j’attendais clochettes au vent mon Enquêteur préféré.

 
La pensée lui parvient alors qu'il est en route vers chez lui depuis la station de transport. Sans savoir pourquoi, il prend tous les détours que son esprit peut trouver pour allonger son chemin. Il traîne de la patte, flâne, procrastine... Il profite à la fois du contact nouveau avec son kil'sin chéri et redoute le retour au bureau. Les vieux dossiers, la poussière, ses absences aux comités dans lesquels il s'implique... La pensée de l'Arlequin lui donne donc un nouveau prétexte pour arpenter son kil sans toutefois s’approcher de chez lui.

Il passe donc mollement à la Place des heures vives régler quelques transactions bancaires puis se traîne les pieds à travers les puces à la recherche d'un tailleur qui pourrait bien lui réparer le veston qu'il portait lors de son regrettable accident. Il s'achète ensuite quelques fringues pour compléter celles que lui a laissées le Doc, question de ne pas garder un look trop étranger. Un regard à sa montre de poche et tout indique que le temps de manger un morceau et il sera temps de rejoindre Elyas.

Le soleil décline lorsqu'Adrien rejoint l'artiste de rue sur le ponton du lac du Parc aux oiseaux. Sa silhouette bariolée offre toutes ses couleurs et ses clochetes à la brise de fin de journée. Adrien est heureux de reprendre contact avec celui-là en premier. Il a pris soin de se tenir loin des grands débats ces derniers temps. La situation lanyshsta a dû bien évoluée, Du moins si on se fie à ces impressions mentales de ce nombre impressionnant d'esprits qui touchent le sien. Cette proximité forcée n'a rien de rassurant. Mais il a confiance au moins en Elyas, pour le moment.

Bonjour cher artiste ! Joli coucher de soleil pour un tour sur le lac n'est-ce pas ?

Une barque est disponible. Ici, personne pour empocher une somme quelconque pour la location de la barque. Nous sommes au kil'sin. Un comité s'occupe de l'entretien et les barques sont là, tout simplement. Se sert qui veut.

Arien saute sans plus de cérémonie dans la barque. Non du côté du rameur, mais bien du côté du passager.

Vous voulez bien me conter fleurette sur ces jolis flots ? Nous échangerons les rôles à mi-chemin, si vous le voulez bien.

Dao décoche un clin d'oeil à l'Arlequin puis sort de sa poche une boîte métallique de laquelle il tire une cigarette.

 
L'Enquêteur arriva pour le coucher de soleil. Timing défini ou simple hasard, je n'en savais rien. J'étais forcé de constater que l'effet de style était bel et bien présent. Il avait perdu de sa superbe. Son pardessus conservait les marques de lacération. Le spectacle avait du être sanglant.
Je l'observais silencieusement, lui emboîtais le pas sur la barque puis allumais à mon tour ma pipe, faisant écho à ses cigarettes. C'est qu'il me laissait ramer le coquin.

Je n'étais pas des plus doué dans cet exercice. Mon physique n'aidant pas, chaque coup de pagaie sonnait comme un coup de fouet pour mes muscles. Après quelques courtes minutes, je stoppais mon effort, laissant la barque filer d'elle même vers le centre du lac. Excepté deux autres embarcations, à plus d'une dizaine de mètres de là, nous étions seuls. J'essuyais le filet de sueur qui perlait le long de ma tempe puis tirais sur ma pipe. Un épais nuage de fumée vint mourir sous la brise crépusculaire.

Tant d'effort pour si peu de réconfort. Oh non, n'interprétez pas cela comme une demande. Les mâles, c'est une mode qui nous a passé depuis bien des années déjà. Je tirais une fiole de l'intérieur de mon veston. Ceci devrait faire l'affaire.

Tout sourire, je portais la liqueur à mes lèvres puis la tendis vers Adrien.

Il aura fallu longtemps avant que nous nous recroisions monsieur l'Enquêteur. Vous avez su vous faire discret après votre....disparition?

Le sujet était peut-être trop récent pour l'aborder avec légèreté. Qu'importe.

Comment vous portez-vous?
Qu'avez-vous fait durant tout ce temps?
Pardonnez notre curiosité mais, avouez que cela peut paraître étonnant. Vos voisins ne vous ont-ils rien dit? Parti comme ça du jour au lendemain pour ne revenir qu'après plusieurs lunes.

 
Léger sourire.

Je dois bien vous avouer que j'ai pour le moment évité de rentrer chez moi. Je ne suis rentré que ce matin et repousse le retour au bercail depuis. Je dois dire que cette partie de cité m'a bien manqué et qu'une journée à déambuler où bon me semble tient autant de la procrastination que du pur plaisir. Les gens du kil'dara, spécialement les gens de notre... trempe... sont des plus méfiants. Cela frise la paranoïa. Ils semblent considérer là-bas qu'il serait plus regrettable de se faire percer à jour qu'ici. Cele finit par porter sur les nerfs. Une simple promenade en barque ne serait jamais assez de précaution pour eux.

Une légère pause.
Adrien hume l'air et contemple les reflets du soleil déclinant sur l’eau.

Je m'en contente pour ma part avec joie. Je dois dire que je suis légèrement inquiet pour l'état de mon bureau et mon statut dans les différents comités de quartier dans lesquels je m'implique, mais ce sont des choses qui s'arrangent...

Ayant suffisament tourné autour du pot, il se résout à répondre aux questions qu'on lui pose.

J'ai mis un certain temps à prendre mes repères et comprendre ce qui m'était arrivé quand je me suis réveillé dans une ruelle d'un recoin industriel du kil'dara. Après un temps j'ai échoué chez le Doc et il a grandement aidé ma convalescence. Durant ce tmeps j'ai appri la présence d'une délégation du kil'sin là-bas pour discuter et étudier vous savez quoi.

Adrien ne précise pas ses propos par la pensée. Il n'ose pas aborder à voix haute, même ici, l'Oeil. Mais il réserve la conversation télépathique en face à face aux urgences.

J'ai bien eu un échange avec Rhôz mais nous avons jugé bon de continuer lorsque l'étude serait terminée. Elle devrait d'ailleurs rentrer sous peu.

Mais vous ? Dîtes-moi donc ce que j'ai manqué. Qu'est devenu l'Arlequin et son projet communautaire ? Comment se portent les autres ? Que s'est-il passé ici durant mon absence ?

 
Paranoïa.
Quartier différents codes différents. Le Kil'dara n'était pas des plus cléments avec ses mutants. La réaction de ces Cendrés était compréhensible bien que l'étudiante, tout comme Adrien, s'en étaient étonnés. J'écoutais en silence, alternant la liqueur avec la pipe. L'Enquêteur avait pu rencontrer différents protagonistes avec qui j'avais été en contact. Il venait confirmer leur dires.
Je ne le quittais pas des yeux, observant sous couvert d'un sourire amusé le moindre détail de son visage, le moindre muscle.

Vous dites vrai monsieur Dao, la Rose est sur le chemin du retour.

Le ton employé, l'aisance déployée, tout ceci sous-entendant que j'étais en parfaite maîtrise de la situation. C'était d'ailleurs un peu le cas. Depuis quelques semaines, dés lors que j'avais initié le projet du Consensus-Institut, une bonne partie des lanyshtas s'étaient greffés en moi, me conférant une confiance insoupçonnée. Fallait-il dévoiler mon jeu pour autant?
Certainement pas.

Ce que vous avez manqué? Tant et si peu de choses à la fois. Tout dépend ce à quoi vous comptiez participer. Concernant l'expédition, nous avons eut la chance de n'être pas considéré par la Grande Verte comme une menace. Sans quoi, nous vous aurions rejoint on ne sait où. Les règles du jeu des Éveillés sont apparues clairement à présent : une guerre sanglantes, une lutte d'influence nocive pour la cause. Nous nous en sommes éloignés autant que possible.

Silence.

L'idée du Consensus, en complément du Bureau, vient de là. Se regrouper autour d'un objectif de recherche et non de domination. L'influence sur le monde krolanne et lanyshta nous intéresse peu. A quoi bon savoir qui fait quoi, à quoi bon contrôler si nous ne savons même pas pourquoi et de quoi nous sommes à présent constitués?
Par ailleurs, l'union renforce les uns et les autres, nous rend moins vulnérables. Dissuasif. En somme, le potentiel de survie individuel est augmenté par la présence du groupe. Un groupe basé sur le modèle d'une université, d'un élément flou, mouvant qui évolue au gré des envies de ses membres.

Pour le reste, Adrien n'avait pas besoin d'en savoir plus.
Je ne tenais pas à dévoiler les pseudonymes - sécurité que j'avais proposé à mes comparses - à ceux qui avaient décider de m'entourer.

 
Le bariolé fait de la rétention d'information, cela se sent bien.
En même temps, l'Arlequin ne lui doit rien...
Il plonge son regard dans celui du rameur et prend une bonne bouffée de sa cigarette, comme pour prendre un élan.

J'ai mis du temps à guérir de mes successives… mort et résurection disons. Je dois dire que je ne sais toujours pas comment mettre des mots sur l’expérience. Et ce traumatisme est survenu peu de temps après le Rêve qui a fait de moi un lanyshsta. C'était trop à digérer en même temps et je me suis isolé. J'en avais besoin. En un sens, le fait de me retrouver au kil'dara, coupé de mes ressources et repères, m'a peut-être sauvé.

Il a dit "lanyshsta" à voix haute. C'est paradoxal si on considère qu'il se refusait tout-à-l ‘heure à aborder l'Oeil, mais bon. Il n'a pas de grandes réserves de patience pour faire des détours. Et puis ils sont bel et bien au milieu d'un étang après tout (appeler ça un lac est un peu charrier tout de même). Il est resté trop longtemps chez les paranos...
Adrien tire une fois de plus sur sa cigarette en prenant le temps d'admirer la fumée qu'il expire danser dans le soleil couchant avant de se dissiper.

Nous avons fait nos premiers pas ensembles. Il s'est passé beaucoup depuis. Vous avez probablement de bonnes raisons de faire plus confiance à d'autres qu'à moi et nous ne nous devons rien. Mais je crois que votre projet est le bon. Je crois que ce que Rhôz a fait là-bas est la bonne chose. Je crois qu'en ayant le plus d'yeux possibles là où les événements nous touchent, nous et notre petite communauté, nous finirons par comprendre ce que nous sommes devenus et notre place dans ce monde.

Je crois que l'information est ce qui prime et que vous avez une bonne petite niche. Vous êtes devenu le centre d'une jolie toile. Je me trompe ?

Sourire.

Je suis avec vous.
Faites seulement gaffe à ne pas devenir ce que vous méprisez.

Il laisse planer un silence.

Et parlant de cela, qu'est donc devenu la Grande Verte ? Cela a pris du temps mais elle a cessé d'envahir mes pensées suite à ma sourde oreille soutenue.

 
Vous vous méprenez monsieur l'Enquêteur.

Je laissais filer mon épaisse fumée dans la sienne. Il y avait quelque chose d'érotique là dedans. Au moins une trentaine de nuances de gris qui dansaient au crépuscule.

Nous ne sommes pas au centre de quoique ce soit. Nous alimentons la pensée de ce quoique ce soit, peut-être plus que les autres à ce moment précis, mais l'équilibre viendra rétablir les choses. Nous n'avons pas la prétention de maîtriser l'information. Le chaos est notre credo.
Nous n'obéissons qu'à la loi de l'improbabilité, à supposer qu'il s'agisse d'une loi qui se doive d'être respectée.

Mon regard le transperça.

L'information n'est pas ce qui prime. Ce qui prime, c'est notre survie. C'est là aussi la raison d'être de cette graine que nous avons déposé au Kil'sin et qui germe petit à petit.
Vous n'avez pas à être avec nous. Soyez simplement avec vous-même, soyez avec ceux dont les objectifs vous ressemblent. Comprenez cher Dao, que notre Consensus, ou quel que soit son nom, s'empreigne de liberté. Il ne se satisfait pas d'un engagement contractuel stupide. Des discussions, du Passage : c'est de là que naîtront les solutions liés à notre état. A supposer que celui-ci soit la réelle problématique, cela s'entend.
Liqueur?

Je lui tendit une petite fiole au contenu jaunâtre. Après quoi, j'en avalais une lampée.
Jade était un sujet délicat. Je m'essuyais gracieusement les lèvres du bout de mes doigts gantés.

La Verte mécanique...Elle ne nous a pas contacté depuis des lustres. Par contre, elle a su faire courir le bruit, sans grand succès, que nous avions été celui qui avait provoqué votre mort ainsi que celle des deux kil'dariens. Que nous étions foncièrement dangereux.
Depuis, nous n'avons plus entendu parler d'elle au Kil'sin. La Rose nous a dit qu'elle la savait aux alentours du Kil'dara. Rien de plus.

Je haussais les épaules.

 
Adrien empoigne nonchalamment la bouteille qu'on lui tend et la porte à ses lèvres. Aussitôt une sensation de chaleur réconfortante envahit son torse.

Je n'ai pas dit que vous aviez cherché à devenir le centre d'une toile. Mais vous l'êtes bien devenu, n'est-ce pas? Les neo-lanyshstas vous prêtent l'autorité d'un professeur ou d'un connaisseur. Ils vous accordent facilement confiance et se confient. Vous organisez des projets et les mettez en lien entre eux.

Rien de mal à cela, je ne vous traites pas de tyran ou de manipulateur.
Les circonstances et vos actions vous ont amené là, voilà tout.
Mais les responsabilités que cela implique sont, elles, bien réelles et j'espère seulement que vous en êtes bien conscient.

Rebouchonne la bouteille et la renvoie à l'Arlequin.

La survie de notre espèce au kil'sin est facile. Nous n'avons qu'à surveiller et encadrer ceux qui sont dans le processus d'accomplir leur transformation. Je crois personnellement que la simple survie est un objectif à court terme. Nous devons nous comprendre.

L'Oeil, nos pouvoirs, les anciens... Les origines et ce qui nous suivra.
La Verte avait parlé d'une Éclipse... cela existe-t-il vraiment ?

Une courte pause.

Dites-moi... que vous a dit la Voix, lors du Rêve ? Vous en souvenez-vous ?

 
J'agitais l'index de gauche à droite.

La responsabilité mhh? Chacun est responsable de soi-même. C'est là le revers de la liberté. Nous ne veillons pas sur ceux qui veulent suivre notre sillage, il s'agit de leur propre devoir. Comment peut-on défendre sa liberté, son individualité tout en abandonnant toute responsabilité?
C'est impossible. Il y a un prix à payer.
Nous ne souhaitons pas voir fleurir un groupe d'esclaves à l'esprit drogué de rêveries. Nous aspirons à réunir des lanyshtas aux visions communes, à faire en sorte que d'eux même, inconsciemment pour certains, ils se protègent tout en alimentant les recherches liés aux mystères de Syfaria.

Le concept de Liberté n'était pas clair pour tout le monde. On était au Kil'sin pourtant ! Peut-être était-ce du à mon enfance dans les Dessous, où se prendre seul en main était rapidement devenu une obligation.

Lorsque nous parlons de survie, nous ne prenons pas pour ennemi ces espèces d'entités bio-mécaniques. Nous pensons d'abord aux dangers que sont certains de nos pairs, dans leur soif de contrôle et d'influence.
Aujourd'hui, pour autant que nous en sachions, les lanyshtas de notre générations se sont causés plus d'ennuis entre eux que ce que les autorités des Kil ont pu les apporter.

Ah ça...
Pourtant Dao était bien placé pour en parler.
Le sujet de Jade revint sur le tapis. Rictus.

L'Eclipse...Oh nous n'en savons pas grand chose si ce n'est qu'au départ, la Grande Verte a essayé de recruter à tord et à travers sans se renseigner sur les potentiels intéressés.
Un type qui devait faire parti de notre expédition, un genre de blondinet roublard, a du la rejoindre. Lors du voyage au Fortin, il était censé être l'éclaireur. Au final, il n'a pas éclairé grand chose. Nous suspectons un nouvel artifice de Jade auquel celui-là aurait été mêlé. Pour le reste, un autre blond, décidément, du Kil'dara a pu la rejoindre. Une sorte de cinglé de la gâchette qui n'a pas débité un mot au Fortin puis s'est évaporé loin du groupe dés qu'il en eut l'occasion.

Je laissais l'herbe à pipe faire son effet, reposante. L'eau étai calme, quasi inerte.

Ah, la Voix des Cendres. Pour tout vous dire monsieur l'Enquêteur, nous ne nous souvenons que d'une sorte d'histoire et de brèves images, floues. Peut-être y aurait-il matière à décrypter le Rêve. Toutefois, qui en serait capable? Un travail de longue haleine, fait d'hypothèses rocambolesques, oh oui-oui-oui.

 
La Liberté.
Rien n'est plus discuté que la liberté au kil'sin.
On pourrait presque dire que chaque discussion tourne autour de cette notion.
Que ce soit de façon assumée ou détournée.

La liberté.
Comme tout kil'sinite qui se respecte, Adrien y croit.
Il en mange au petit déjeuner. Il la respire à plein poumon.

Et il l'exerce avec précaution.
Parce qu'à l'exercer sans penser, on finit par marcher dans les plates-bandes du voisin.
S'en suit ensuite une discussion où tous ceux qu'on a lésés sont présents.
Et on se fait remettre à notre place fissa.

Une expérience désagréable pour l'orgueil mais inoffensive en soi.
Mais mieux vaut alors commencer à penser à comment exercer notre liberté en harmonie avec les autres.
Car l'insouciance de l'un devient vite la vindicte des autres.

Lorsqu'on se soude à un groupe, nous cessons de n'être responsables que de nous-même.

Sourire narquois aux lèvres, l'enquêteur désigne la cigarette qu'il tient toujours à la main.

Si j'écrasais cette cigarette sur votre peau et vous causais une vilaine brûlure, je serais responsable du coup de poing au visage que je recevrais ensuite. Nous sommes libres de poser nos actes bien qu'ils aient des conséquences sur les autres et ils sont libres d'y réagir comme il leur semble bon. Évidemment, ce cas de figure grossier n'implique que vous et moi. La réalité est plus complexe et plus... peuplée. Les conséquences et réactions s'étalent sur plus de gens. L'acte que je pose envers une personne peut nuire à une troisième par une réaction prévisible ou non. Les papillons qui battent des ailes et leurs conséquences...

Je ne parle pas d'un groupe de collaborateur qui suit. Je parle d'un réseau de collaborateur dont vous êtes le centre. Ils passent par vous pour s'unir, ne se connaissent pas tous, ne se contactent pas tous. Le point en commun de leur réseau c'est vous, simplement. Et cela est en soi une responsabilité.

Adrien tire sur sa cigarette. Le soleil a sombré derrière l'horizon mais persiste à déverser sa lueur orangée dans le ciel.

Notre survie ici est facile si on compare aux autres sharrs où nos semblables sont pourchassés et lynchés sur la place publique. Ici on nous recherche à peine et on nous gronde, si on compare. Cela peut nous donner la voie plus libre pour nous organiser ou nous pousser à une complaisance confortable. Car la crainte et la paranoïa au kil'dara peut être une distraction, mais elle peut surtout s'avérer une puissante motivation à s'organiser efficacement et secrètement.

Oui, notre survie est primordiale. Mais ici elle n'est pas menacée. Ou si peu. Il suffit d'être un minimum prudent. Nous n'avons pas à nous contenter de survivre. Et ces entités bio-mécaniques ne sont pas à court terme un danger. Elles peuvent par contre apporter des réponses à nos questions sur nous-même.

Il laisse derrière lui le souvenir de Jade.
Il a appris ce qu'il voulait apprendre.
Comme il l'avait prédit, elle a fini par s'esseuler à force de trop insister.
Il suffit parfois d'être patient.
Dao se félicite seulement de ne pas avoir confronté la Grande Verte sur le consensus.
Elle aurait bien pu l'enterrer sous une tonne de pensées rationnelles et formulées comme des encyclopédies.

Léger frisson.

Je ne me souviens pas précisément de tout le Rêve. Quelques bribes et une impression fuyante mais persistante à travers le temps. L'impression vague que notre nouvel état est le résultat d'une longue histoire passée, et la clé d'un Avenir proche.

Je ne n'ai pas l'habitude de suivre les piste peu rationnelles. Mais j'ai décidé de suivre celle-là. Mon indice n'est qu'une pure intuition et je ne peux enquêter sur l'avenir. Alors je me tournerai pour le moment vers le passé.

 
Je déposais les rames vers Adrien.

Votre conception de liberté - donc de fait de responsabilité - diffère de la notre.
Il serait intéressant d'en discuter autour d'un thé ou d'un verre de liqueur plus relevé. Vous conviendrez qu'une barque convient peu à un débat de ce type.

Rire étouffé.
Je secouais la tête, faisant de fait légèrement tanguer l'embarcation de gauche à droite.

Une discussion passionnée, c'est le coup à se retrouver à l'eau ! Souhaitez vous finir trempé monsieur Dao? Non-non-non ! Pas question !
Puis, imaginez un Arlequin dégoulinant, peu ragoûtant...

J'arrêtais de gesticuler. La barque s'immobilisa.

Il n'y aura pas de soudure cher Enquêteur. Une soudure sous entend des contraintes, des obligations. Nous n'en voulons pas. D'où nous venons, les gens apprennent à vivre sans avoir à se référer à une quelconque et absurde législation.
Ils se font confiance. Cela suffit.
Apprenez à faire confiance et vous n'aurez besoin d'aucune soudure.

J'avançais subitement la tête vers la cigarette, me plantant à une dizaine de centimètre de la main d'Adrien.

Oh-oh-oh... Si vous écrasiez votre petite chose sur mon corps, vous ne seriez responsable de la perte que de votre cigarette et de la brûlure qui me serait causé. Les conséquences seraient de mon fait, de ma propre responsabilité. Vous tentez de complexifier des choses qui ne le sont pas.
Jetez un coup d’œil aux gosses des Estaminets, ceux qui vivent sans foyers. Ceux là ont parfaitement intégré ces principes de liberté. Ils en connaissent les risques mais savent également en exploiter les avantages.
Voilà pourquoi nous ne sommes au centre d'aucun devoir envers ceux qui souhaiteraient nous suivre. Par ailleurs, pardonnez de vous décevoir, mais ceux que vous désignez à tord comme nos brebis n'ont pas attendu notre autorisation pour échanger entre eux, fort heureusement.

Un immense sourire illumina mon visage. J'ouvris grand les yeux.

Le Berger Bariolé...
Ah ah ah ! Quel drôle de rôle tentez-vous de nous donner monsieur l'Enquêteur ! Vous voyez bien que nous n'en avons ni la Trempe-ouille, ni l'envie ! Ceci étant, vous ne cesserez jamais de nous amuser avec vos fictions burlesques.


hrp : Petite dédicace si le joueur concerné passe par ici..

 
Dao prend un inspiration pour donne de l'élan à sa réponse mais s'arrête net.

Très bien. Une autre fois, donc. Mais, simplement afin de mettre la table pour ce débat, soyons clairs. Je ne vous ai jamais qualifié de berger, ni les autres de brebis.

Incapable d'en rester là, il ne peut s'empêcher de rajouter:

Et puis tout ce qui nous entoure n'a pas été construit par de simples volontés individualistes. Il y a une force qui les a rassemblées sans les contraindre.

Tout sourire, Adrien s'empare des rames et ils échangent de place dans la barque qui lentement prend la direction du quai. Plus loin, un jeune couple s'enlasse sous les étoiles à bord de la seule autre barque qui arpente toujours le "lac". L'enquêteur prend grand soin de se tenir éloigné.

Après un court moment il cesse de ramer et une pensée fuse vers l'Arlequin. C'est que les notrions qu'il désire aborder est loin de le concerner seul.

Pensée :

 
Adrien ne souhaitait pas en rester là.
Dommage pour lui, je ne lui en laissais pas vraiment le choix. Dés lors qu'il s'était remit à parler, je repris mes mouvements de tête, faisant dangereusement tanguer la barque.
Tout sourire, je le regardais.

Finalement, il reprit les rames.
Une pensée m'atteignit, la sienne. L'herbe de ma pipe était pratiquement consumée. Flûte.

*Prenons dans le désordre.
Les Éveillés, ce sont des êtres comme vous et nous, appelés par la Voix. Nous nous nommons également Cendrés ou Lanyshtas. Mais ça, vous le savez déjà.
Le Bureau s'agit d'un lieu dans les Estaminets où le Chapeauté Compteur et tout ceux qui le souhaitent peuvent accueillir les neo-lanyshtas quelques heures ou jours après leur éveil. Oh ce n'est pas bien luxueux pour le moment, les chopes y sont sales et le mobilier vieillissant. Cependant, le Bureau a pour voisin le Tambour Battant, pratique pour se fournir en grignotage.
Enfin, le Consensus. Il ne s'agit pas d'un nom arrêté, juste d'une idée générale... N'avez-vous point écouté ce que nous avons raconté? Le Consensus rassemble tout ceci. Un groupe lié par un but commun. Actuellement, celui d'étudier le rapport entre les Portes, les Rebelles et nous. Il sera amener à évoluer à n'en pas douter !*

D'un geste méticuleux, je jetais le contenu de ma pipe par dessus bord.

 
Si le discours du Chamarré l'éclaire sur certaines nuances qu'il a raté quant à la tangeante qu'a pris l'organisation des lanyshstas au sein du kil, le pointes paternalistes ne l'enchantent guère. Et c'est un point sur lequel Dao est habituellement tatillon. Malgré tout, il tourne sa langue un bon nombre de fois dans sa bouche afin de se calmer et suite à un bref soupir renaît son sourire naturel.

Il peut maintenant séparer le Bureau et le Consensus qui pour lui était sensiblement la même chose. Il se souvient maintenant du local dont parlait monsieur Chapeau...

Bref le saltimbanque a eu a patience et l'amabilité de répondre à ses questions, il lui doit bien de ne pas s'énerver pour une question de sémantique ou de ton de la voix qui porte à interprétation.

Toujours ramant vers le quai, clope au bec:

Je vous remercie de vos précisions. Mon absence a créé des trous que je m'efforce de remplir avec les bribes que j'attrappe. Sulement je préfère poser les bases sur de l'information solide plutôt que de l'interprétation.

N'ayant plus de question sur les sujets lanyshstas et ne s'en faisant pas poser, il enchaîne sur du léger.

Sinon, les ruelles des Estaminets vous traitent bien ?

 
Peut-être que le jeune enquêteur, car c'est ce qu'il était à mes yeux, n'avait pas apprécié les railleries. La vie en était toutefois truffée. Nous approchions des quais. Astucieusement, Adrien détournait le sujet pour revenir à quelque chose de plus commun. L'alibi.
On était jamais trop prudent.
Méticuleusement je rangeais ma pipe.

Les Estaminets ne nous ont jamais mal traités, ce sont nous qui les avons malmenés. Que pensiez-vous? Que nous étions ce genre de personnage à se soumettre à la rudesse d'un quartier? Voyons monsieur Dao, soyez clairvoyants. Comment pensez-vous vous que nous avons survécu jusqu'alors?
L'univers du jeu et du spectacle n'est pas aussi clément qu'il n'y parait. L'intelligence seule ne suffit pas. Il vous faut de l'audace et de la créativité !

...Ça et un brin de folie, voir même plus qu'un brin.

Il va être temps pour vous de retourner à votre bureau n'est-ce pas?

Je lui tendis le reste de la fiole partagée un peu plus tôt.

Ceci pourrait vous être utile.

Sourire.
Je mis pied à terre. J'époussetais ma tenue, ajustais mon chapeau puis gratifiais Adrien d'une révérence.

Vous nous excuserez mais il est temps pour nous de prendre congé. Ce fut un plaisir de vous rejoindre monsieur l'Enquêteur.
Peut-être vous ferez nous l'honneur de vous joindre à nous lors de notre prochaine sauterie.

Le ton était malicieux, l’œil pétillant.
Je pivotais d'un mouvement théâtral puis me dirigeais vers les quartiers inférieurs. Estaminets, maison, préparation.

 
Adrien empoche la bouteille que lui tend l'Arlequin. Ils échangent quelques mots pour marquer leur séparation puis il le regarde filer dans la pénombre de cette jeune nuit. Comme il l'a dit, il va bien falloir passer au bureau un jour ou l'autre. Un bref instant il se demande si l'offre de la bouteille n'est pas annonciatrice d'un désagrément imminent. Peut-être le clown sait-il quelque chose mais préfère se taire...

Secouant la tête, il se met en marche, mollement, vers es Puces de Koï. Mieux vaut ne pas trop y penser en fait.

Au moins il a repris contact avec le Bariolé. Il a beau s'en défendre et s'en moquer, il est le centre d'un réseau. Et reprendre contact avec lui, c'est réintégrer ce réseau. Quelque chose se prépare et il a fait sa réapparition juste au bon moment. C'est du moins l'impression qu'il a en ce moment.

Il n'aura selon tout vraisemblance pas beaucoup de temps pour mettre de l'ordre dans ses affaire avant de disparaître une fois de plus... Soupirant, Adrien Dao se résout à presser le pas.