vide fam
 
 
Bienvenue dans le forum de Kil'sin » Les puces Koï » Fourbir les armes de l'esprit

Page : 1

Fourbir les armes de l'esprit
Ne négliger aucune piste
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 14 Jayar 815 à 15h41
 
Pour la plupart des gens, c'était une librairie. Ou plutôt même un dépôt de livre, une sorte de brocante spécialisée et perpétuelle.
Le tenancier était ce genre de petit vieux à rouflaquettes qui ne semble pas avoir changé depuis vingt ans, et qui ne se sépare de ses livres qu'à regret, et jamais sans donner son avis.
A l'opposé, il était toujours prêt à en reprendre, à les réparer, ce qui faisait que son magasin-atelier avait cette odeur de cuir, de colle et de vieux papier qu'on pouvait adorer ou détester.
Il avait de tout, le plus souvent en exemplaire unique, jamais de série complète, et c'était sans doute ce qui expliquait sa clientèle : aucun "fidèle" qui viendrait toutes les semaines, mais pas mal de papillonnants qui se batissaient une culture personnelle hors des sentiers battus en achetant systématiquement "le dernier arrivage", et quelques collectionneurs acharnés qui venaient régulièrement passer au crible les rayonnages, sachant qu'ils perdraient presque surement leur temps, mais que si un ouvrage rare devait ressortir d'une collection privée, c'est ici qu'il atterirait, et il serait à bon prix.

Compte tenu des limites du chiffre d'affaire, pour survivre, le vieux s'était diversifié : dépôt de pain, de journaux, de vêtements...
Au final, c'était devenue une véritable petite épicerie atypique, qui occupait la moitié de son local, le fond étant réservé à ses livres.
Et une petite arrière-salle pour les opérations au calme sur les ouvrages les plus sensibles.
On croisait désormais tout le monde, dans sa boutique.

Il était connu comme étant atypique, mais fiable et sympathique.
Pour la plupart des gens.

Pour les Lanyshstas, c'était ce qu'on appelait une "cache". Difficile de savoir combien il y en avait, rien qu'au Kil'sin. Vraisemblablement peu -ce n'était pas une activité où les débouchés permettaient d'ouvrir une chaîne- mais suffisamment pour que personne ne les connaissent toutes -sécurité élémentaire.

Renseignements pris, la boutique servait aussi pour de la contrebande, de l'herboristerie de l'extérieur pas très très légale.
Ce qui posait une question : le vieux bonhomme affable s'était-il retrouvé embringué dans des activités dangereuses sans le vouloir, sans voir le potentiel de sa petite affaire ? Ou était-ce une image soigneusement travaillée pour ne pas éveiller les soupçons ?
Car l'adéquation était assez efficace, il fallait bien l'avouer. Jade n'avait percé à jour l'activité contrebande qu'en ayant sous les yeux certains éléments que le public ne voyait pas, le vendeur ayant sans doute baissé sa garde car estimant que les Lanyshstas avaient autre chose à faire que de s'occuper du trafic de plante -ce en quoi il n'avait pas tort.
N'aurait-elle pas été Lanyshsta qu'elle aurait pu venir plusieurs fois dans le magasin sans rien soupçonner.

Mais de toutes façons, ce n'était pas là le problème : elle n'avait pas assez d'éléments pour faire sauter la filière, ce n'était pas son secteur, et surtout, elle avait besoin de la cache en état de fonctionner.
En entrant, scène classique : la jeune vendeuse, indispensable depuis l'essor de la branche épicerie, qui servait quelqu'un, le vieux dans ses rayonnages un peu plus loin, surveillant du coin de l'oeil ce qui se passait. D'ailleurs il la repéra sitôt la porte passée.

Ah, Dame Verte. Que puis-je pour vous ? Pas un pot de sauce tomate, je présume ?

Effectivement, elle n'était pas là pour la sauce tomate, fut-elle en promotion. Jade continua sans s'arrêter, direction le fond du magasin. Les livres. Sauf que cette fois-ci, elle repasserait la petite porte, aussi.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 14 Jayar 815 à 16h37
 
Une fois au fond de la pièce, au milieu des rayonnages étranges, Jade sorti une petite liste.

Voyons voyons... Ah, oui, vous c'est la collection verte. Alors "le voleur de songes", "la récolte des reflets"... Oui oui oui, j'ai.

Après avoir hoché la tête durant sa lecture, il la secoue lentement.

J'ai mais je ne comprends toujours pas cet engouement pour ces gadgets Kil'dariens. Je veux dire, collectionner, d'accord, et je n'ai jamais vu une technologie comparable, mais... C'est quand même affreusement cher, non ? Même pour de l'art... Enfin je ne vais pas m'en plaindre, hein, un cinquième, ça se prend.

Avec toujours le même sourire. Il était dommage qu'elle ne l'ai pas connu avant. Qu'elle n'ait pu mettre en place un système de référence. Elle aurait peut-être pu le percer à jour. Mais là, avec ses sourires de grand-père un peu largué, il parvenait au même résultat que Jade avec une immobilité minérale : il était parfaitement impossible de lire ses pensées.

Du coup, oui, peut-être qu'il pensait réellement vendre de petites figurines de collections à une poignée d'originaux qui suivaient la dernière mode du Kil'dara. Un loisir cher, élitiste, basé sur la production d'étranges machines dont on lui avait à peine expliqué le fonctionnement.
Mais plus vraisemblablement, il savait qu'il travaillait pour des Lanyshstas, offrant des possibilités de survie à d'autres Lanyshtas contre rétribution, et il s'amusait simplement à voir si ceux-ci étaient assez bêtes pour vendre la mêche.
A moins qu'il ne soit lui-même le fournisseur, même si cela semblait improbable -mais pas impossible, l'absence de signature énergétique pouvant signifier son absence, ou son indétectabilité.
Quoiqu'il en soit, il n'aurait pas de réponse de la part de Jade. Il s'en rendit compte, ne se formalisa pas, et entreprit de se diriger vers le fond.
Elle lui emboita le pas, ce qui le fit se raidir.

Allons madame. Vous savez bien que notre politique de... confiance implique une vérification en amont. Mais pas après.

Oui. Mais il me faut parler des deux autres choses. Dans deux portes.

Il hésita, puis acquiesça sèchement.

Cela pouvait se comprendre : il existait un... Certain nombre de pièces en enfilades. La première, magasin public séparé en deux parties. Dans la seconde, l'atelier, et les discussions d'affaires légales. Dans la troisième, les livres rares et les discussions plus privées. Puis dans la quatrième, la contrebande, et dans la cinquième, les cubes à sorts. Et une porte au fond.
Chaque pièce était une couche de l'intimité du krolanne, et s'il était assez aisé d'entrer dans la seconde pièce, qu'il l'accepte dans la troisième la placerait au sens propre à quelques pas de ses activités secrètes. Avant de recevoir son premier cubicule, on l'avait prévenue qu'elle n'était sensée voir un tel spectacle qu'une fois.
La troisième pièce, l'équilibre, c'était... Un risque. Risque qu'elle se décide à se passer d'intermédiaire et aille s'emparer des cubes - ce qu'elle aurait peut-être tenté si elle était sûre de reproduire parfaitement la procédure d'extraction.
Difficile de savoir si de telles choses s'étaient déjà produites, vu qu'il n'y avait évidemment pas de statistiques dans ce domaine, mais la tension qu'elle ressentait prouvait que lui, au moins, y songeait.

Même si elle n'était pas là pour cela, qu'il la croit capable de l'éliminer dans son arrière-boutique était une juste rétribution à son petit jeu sur les collections du Kil'dara.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 14 Jayar 815 à 21h18
 
Bon, nous y sommes. Que voulez-vous ?

Le ton est nettement plus cassant, d'autant plus que lorsqu'il a tenté un arrêt dans la seconde pièce, elle n'a pas hésité à lui passer devant pour aller actionner la poignée de la troisième.
Sur ce point, au moins, il théâtralise.


Des livres.

Il commence à ouvrir la bouche, comme pour se plaindre, ou au moins râler, quand elle poursuit.

Des livres spéciaux. Du genre qu'on ne trouve pas en rayonnage à la vue de tous.
Hum... Quels genres de livres ?
Médecine. mécanique. Les deux. Description des effets des prothèses sur le corps, procédure, inflammation des tissus.
Hum... Comme "la gloire du Camé" ?


Elle manque de l'interrompre, de lui demander de rester sérieux, mais un souvenir lui revient. Ancien, avant l'émergence des Comités de Vigilance. Le Comité pour l’Avènement de la Machine et de l’Énergie. Une bande de fanatiques du progrès qui voyaient dans le métal l'avenir du krolanne. Ils avaient été dissous suite à une mort. Pas qu'une unique mort bouleverse systématiquement les choses, mais là, ils avaient drogué un de leurs volontaires -visiblement pas assez volontaire à leur goût- afin de lui remplacer un membre "défectueux" -il était affublé d'un pied-bot - par une prothèse sensée être plus performante. Sauf que l'amputation s'était mal passée, que le volontaire avait commencé à pourrir, qu'ils avaient tranché en remplaçant à la va-vite par une autre prothèse, que le pourrissement avait continué, qu'ils avaient recoupé -ils avaient même remplacé les membres supérieurs, ceux de chair tremblant trop sous la fièvre : dépense d'énergie inutile- et ainsi de suite jusqu'à la mort du patient, par pertes de sang. Ce qui ne les avait pas empêché de trancher la tête pour essayer de la greffer à un corps métallique, des fois que la mort puisse se guérir ainsi.
C'était les voisins, alertés par l'odeur, qui avaient découvert le pot au rose, et même s'il n'y avait effectivement qu'un seul mort, le fait de l'avoir retrouvé en une dizaine de morceaux, découpage pratiqué par un nombre effrayant de manchots à crochet ou à pince, sur jambe de bois à roulette ou autre "innovation" peu concluante, avait provoqué une sanction Kil'sinienne majeure.
Dissolution immédiate, interdiction, la totale.
Et ainsi donc ils avaient écrit un livre ? Elle l'ignorait.
Bon, ce n'était sans doute pas ce qui se faisait de mieux en terme de rigueur scientifique, mais d'un autre côté, elle doutait que des ouvrages sérieux et rigoureux aient été écrits sur le sujet du potentiel des créatures bio-mécaniques.
Donc quitte à se procurer par ailleurs des ouvrages de mécanique et de biologie plus conventionnels, elle ne perdrait rien à taper aussi dans les frappadingues.


Comme ça, oui.
Hum. L'ouvrage a été... Rejeté. Mais c'est peut-être possible.
Ne négligez pas aussi d'autres sources annexes plus fiables.


"Rejeté". Bien sûr, au Kil'sin, la censure, l'interdiction n'existaient pas. Mais que quelque chose soit rejeté comme étant contraire au Passage, et il agissait à l'instar d'un virus. Qu'on le porte, et on risquait d'être infecté, d'être à son tour rejeté. Une sanction commune hypocrite dans son rejet d'être vue comme un instrument de justice.

Ce sera long, quelques jours. Si c'est tout, nous...
Non, ce n'est pas tout. Une langue. Je veux des cours.
Oh, hé bien, j'ai quelques livres de méthodes. Et l'adresse d'excellents professeurs qui...
La langue dont je parle n'est dans aucun livre. Et la seule adresse crédible pour les professeurs est ici.


Pause. Sourire. Non pas de ce sourire sympathique de vieillard serviable, mais le sourire complice de celui qui comprend, que l'on comprend, et qui comprend que l'on comprend, sans que personne ne dise rien. Le sourire de quelqu'un qui veut bien oublier qu'on vient de lui couper deux fois la parole pour le bien du profit.

Bien sûr. Je pense avoir suffisamment de bases pour procurer un enseignement tout à fait...
Non. A la source. Je veux le meilleur.


Une bourse pansue fut déposée sur la taille, assez sèchement pour que quelques graines s'en échappent. Des sauvages, issues de l'extérieur. Inexistantes légalement, intraçables.

Et je paye pour le meilleur.

Un éclair de colère dans les yeux, tant pour le dénigrement de ses qualités d'enseignant que pour la troisième interruption.
Mais la bourse atteint un stade où la fierté s'efface devant le bénéfice -on parle là en centaines de graines, après tout.
Il va pour dire quelque chose, énoncer des conditions, mais clairement, sa cliente ne se laissera pas infléchir. Lent acquiescement, la main se tend vers la bourse.

Demain soir, après la fermeture.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 17 Jayar 815 à 22h39
 
Même endroit, environ trente heures plus tard.

C'était devenu si simple, désormais. Il suffisait de changer d'état d'esprit, et tout le reste s'adaptait. Mélange de magie, de garde-robe et d'attitude, en pleine lumière n'importe qui l'aurait reconnue comme étant Jade.
Que quiconque connaisse les Pierres la croise à cet instant précis, et mis à part son jumeau et elle-même, nul ne saurait la distinguer de Onyx. Si tant est qu'on parvienne à la distinguer.

Bref, elle est à l'heure et à l'endroit convenu, et personne, elle en est sûre, ne pourrait la distinguer, quand bien même l'endroit serait surveillé.
Reste à faire part de sa présence, néanmoins, et toquer à la porte risque de faire du bruit. A moins que...
Oui, une faible pression la renseigne, la porte a été laissée déverrouillée.

Elle se faufile dans l’entrebâillement, distingue à peine que les volets internes ont été tirés, et elle referme, se retrouvant dans le noir complet.


Entre, Jade. Troisième pièce.

Ce n'est pas le tenancier. La voix est calme, assurée, avec une pointe d'accent impossible à identifier. Quelque chose de riche, comme un second discours qui se superposerait au premier.


Pensée :
Vous connaissez mon nom. Mais j'ignore le votre.


Une projection simple. Pas que les noms importent vraiment. Si elle ne s'est pas fait suivre pour cette nuit, c'était faisable hier, et elle ne cache pas son identité, qu'il tente donc de la déstabiliser ainsi et il en sera pour ses frais. Qu'elle ignore son nom n'est pas un handicap non plus : un nom, ça s'invente, et cela ne représente pas grand chose. C'est comme avec Klem : même si c'était un vrai nom, trouver des infos sur Klem le Kil'déen n'apprendra rien sur Klem le Lanyshsta.
Non, la question n'a pas d'importance, la teneur de la réponse non plus. Ce qui importe c'est l'existence de la réponse.
...
...
Ou son absence, en l’occurrence. Elle est restée attentive. Face à pas mal de Lanyshsta, elle aurait, sans doute, pu percevoir au moins un silence mental, une volonté d'absence de réponse, en y étant ainsi préparée. Mais ici, rien.
Soit c'est un krolanne dépourvu de toute aptitude télépathique, soit c'est un Lanyshsta autrement plus doué qu'elle dans les arts télépathiques, à tel point qu'elle est incapable de le distinguer d'un simple krolanne.
Bon, au moins, inutile de retenter le coup, s'il se maitrise à ce point.
Autre piste.

Vous parlez le patois local ?
Oui. Mais je n'aime pas me restreindre. D'ailleurs, pour ce que vous cherchez, mieux vaudrait éviter ce type de restriction.

Ah ? Ah. Soit.
Mode d'apprentissage. Ouvrir les yeux, les oreilles, fermer la bouche. Les deux portes successives s'ouvrent sans peine, dans la pénombre issue d'un vieux globe dans la seconde pièce, en mode "économie d'énergie". Ou simplement à bout de course.
Troisième pièce. Une noirceur tenace. On voit où on met les pieds au niveau de la porte, mais dans le fond, au niveau de cette respiration ample, calme, on ne distingue rien. Tellement rien que c'en serait presque louche.


Il fait très noir.
Cela ne me gêne pas. Vous non plus, d'ailleurs.
Sauf pour la lecture...
Ni à lire, ni à écrire. C'est la Voix qui ouvre la voie.


Non pas qu'elle rechigne particulièrement à entrer dans une piège où se trouve un inconnu potentiellement armé, mais maintenant qu'elle l'a localisé, autant tester une autre méthode de détection.

Vous venez pour des cours de sorcellerie ? Je pensais que c'était les langues qui vous intéressaient.

Damned. Soit il était très fort aux devinettes, soit il venait de la repérer en train de faire son repérage magique.
Et vu qu'elle n'avait rien vu, soit c'était un simple krolanne, soit il était capable de masquer sa nature. On en revenait au même problème : impossible à trancher.

Elle s'avança, s'installa sur une chaise dont elle avait distingué le dossier.
Face à elle : des ombres. Et une voix. D'ailleurs, elle avait du mal à saisir autre chose que les sens des mots. Habituellement, rien qu'au son de la voix, elle pouvait deviner l'âge, le sexe, la corpulence d'une personne.
Ici, la voix qui semblait à l'origine masculine parvenait même à brouiller cette caractéristique. Agaçant.


Par quoi commençons-nous ?
Par le commencement. L'acceptation de ce que tu es.


Puis... Un mot.
LE mot.
Il ne pouvait, après une telle introduction, y en avoir qu'un.
Lanyshsta.
Sauf qu'il n'était dans aucun patois des Sharss qu'elle connaissait. Et pourtant, elle l'avait compris, sans aucun doute possible.
Après tout, à la réflexion, plusieurs mots auraient pu être employée : "krolanne", "Jade", "Myrhissal', "Vigilante", "Pierre".
Mais c'était la réflexion qui venait, maintenant, lui dire que les possibilités étaient multiples.
Lorsqu'elle avait entendu le mot, elle n'avait eu aucun doute, la compréhension l'avait frappée comme si l'intégralité de ses sens avait été affectée simultanément.
Rien. Il attendait une réaction. Soit.


C'est assez... Déstabilisant.

Le simple fait de l'admettre ouvertement signifiant qu'elle avait fini de surmonter sa surprise. Même si elle n'en comprenait pas les sources. Ceci dit, c'est pour cela qu'elle payait.

Alors qu'en fait c'est tout l'inverse : une stabilité absolue du langage. Mais nous avons toute la nuit pour en parler.
Ceci dit, si cela prendra du temps, je serais d'avis de tenter une méthode assez... rapide. Que tout le monde, loin s'en faut, n'est pas capable de suivre.


Il tentait de jouer sur son orgueil, sa vanité supposée. Raté mon, ou ma, joli(e). Elle savait à quel point les limites de son esprit était supérieures à la normale sur certains domaines, mais elle n'avait que trop conscience de leur existence.

Il faut voir cela comme une épreuve bien innocente. Une sorte de devinette. Vous savez ce qu'est une rose ?
Oui.


Ce n'était à l'évidence pas la devinette, même si l'épreuve avait commencé. Peut-être cherchait-il à la déstabiliser, comme à passer sans cesse du vouvoiement au tutoiement. A moins que cela ne fasse parti de la leçon. A retenir.

Décris moi une rose, alors.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Vayang 19 Jayar 815 à 17h06
 
Une rose ? Ah. Original. Bon, autant s'y mettre.

Végétal d'ornement. Catégorie fleur. Vivace, tige à piquants, pétales en corolles, tige pourvue de piquants, teintes variables avec forte proportion de variantes de rouge, feuilles dentelées et..
Bien, bien. Nous n'écrivons pas une encyclopédie, et c'est plus que ce dont j'ai besoin. Nous avons une description. Mais qu'est-ce qui fait l'essence d'une rose ?
A part un bon parfumeur ?


On sentait de l'amusement dans le silence qui suivit, mais, effectivement, on ne parlait pas ici d'extraction des senteurs essentielles. L'essence d'une rose ? Quelle était la caractéristique la plus remarquable chez une rose ?

Sa couleur. Son nom désigne une couleur, la couleur désigne une fleur. Il y a association.
Bien argumenté. Pour l'association. Mais pas pour l'essence : les pivoines aussi sont roses.


Hum. C'était effectivement trop simple. Qu'est-ce qui différenciait le mieux une rose d'autre chose ?

Fleur à épines. La fleur est sensée représenter une douceur certaine, tandis que l'épine crée un contraste qui...
Non non non. Il vous suffit de me répondre, pas de me convaincre. Les cactus aussi ont des fleurs et des épines.


Pas le convaincre ? Il fallait donc quelque chose qui frappe, dont le seul énoncé suffirait.
L'ésotérisme ? Oui, possible, on ne parlait pas de mots, mais de représentations.


Beauté.
Oh, du symbolisme ? Bien essayé. Mais vous êtes belle aussi. Et n'êtes pas une rose. Même si vous avez assurément quelques épines.


Il était en attente, en défense. Chacun de ses arguments était contré. Cela pouvait continuer longtemps comme ça, sans qu'on avance. Fin du jeu.

Nous pourrions continuer ainsi longtemps. Que je dise "domestiquée" et vous me répondrez "géraniums". Ou "vache". Quel que soit l'élément choisi, il y aura un contre-exemple.
Bien !


"Bien !" ? Pas un "bien..." fataliste de l'enfant qu'on vient de priver de son jouet, mais un "bien !" d'un professeur satisfait par les progrès de son élève. Elle pensait démonter une technique et on validait sa démarche. Creuser le dernier élément. Il y aura un contre-exemple quel que soit l'élément choisi...

... car une rose n'a pas une caractéristique unique, mais est une somme de caractéristiques partagée avec d'autres éléments du monde.
Bravo, bravo. Et alors, qu'est-ce qui fait l'essence d'une rose ?
Ce n'est pas une de ses caractéristique. C'est la répartition des différentes caractéristiques. Une forme de dosage.
Donc l'essence d'une chose ne serait...
Qu'une liste. Un schéma de répartition. Une recette.
Une recette ?
Une bonne longueur de tige. Une dose d'épine. Un soupçon d'écorce. Une pincée de rose. Une brassée de senteur. C'est comme les couleurs.
Développe.
Un bon peintre n'a pas besoin d'un tas de couleurs sur sa palette. Avec de bons mélanges, il peut parvenir à n'importe quoi. Il suffit de savoir les éléments de base, les proportions, et les conditions d'assemblage.
Impressionnant. Quasi parfait. Et donc, en un mot, un seul mot, qu'est-ce qui est l'essence d'une rose ?


En un seul mot ? Il n'y avait qu'un seul mot qui pouvait décrire parfaitement l'assemblage de caractéristiques d'une rose.

Rose.
... C'est une couleur.


Tout ça pour... Non. Il n'aurait pas joué ainsi juste pour tenter de la faire tourner bourrique.
D'ailleurs il -ou elle, encore. Quels éléments avait-elle pour masculiniser son interlocuteur ? Aucun de décisif - en rit bientôt.


Ou c'est juste qu'il est mal prononcé. Mais effectivement, c'est le bon choix. Ce qui décrit le mieux une chose, c'est la description de la chose. Ainsi, si je ne veux pas la moindre ambiguïté sur le terme de rose, je n'ai qu'à dire ainsi :

Et encore, un mot. Un unique mot. Mais aussi fortement que précédemment, lorsqu'il avait parlé de Lanyshsta, Jade sait, au plus profond d'elle-même, qu'il a parlé d'une rose. La sensation est semblable à celle d'ume ombre chinoise sur l'ensemble des sens : un instant, elle sent presque l'odeur, ressent presque les piquants, voit presque les pétales qui... Et déjà c'est fini, le reste de son esprit reprend le contrôle, élimine tout ces "presque" non-avenus, ne laissant qu'un son imcompréhensible. Ceci dit, les bébés aussi savent répéter ce qu'ils ne comprennent pas.
Jade ouvre la bouche, préparant ses lèvres à reformer le son, et...


Hum. Dans la mesure où tu ne me vois pas, je vous le dis : j'en ai grimacé.
C'est bien trop tôt.

Trop tôt ? A l'ouïe, j'aurais pourtant tendance à dire que c'était presque parfait.


Léger soupir.

A l'ouïe, oui. Mais il n'y avait pas que cela. Il y a aussi l'intention, la projection, l'équilibre, le flux d'air... Pour vous c'était pareil. Pour moi, c'était assez... Différent.
En quoi ?
En... ? Ah ! Soit. Disons que chaque mot, s'il est bien prononcé, est un tableau créé dans toutes les sensations. J'essaye de rendre mes tableaux assez fins, l'oeuvre d'un maître. Ce que j'ai perçu là était du... Gribouillage de bambin ayant renversé le pot de peinture.


Gribouillage de bambin ? Il y avait un côté vexant. Mais cela expliquait qu'à part à l'oreille, son propre mot n'avait rien provoqué.

Jusqu'à quel point peut-on décrire une chose d'un mot ?
Jusqu'à sa propre connaissance de l'objet désigné. On peut placer énormément de choses dans un mot. Avec quelqu'un maîtrisant l'Ouïe -en faisant une analogie maladroite avec une langue classique- aussi bien que je maîtrise la Voix, il n'est pas seulement possible de lui décrire ce qu'est une rose en un seul mot : on peut lui désigner précisément de quelle rose on parle dans un jardin -à condition, bien sûr, de connaître parfaitement cette rose.
Et pour les personnes...
Pour les personnes, c'est pareil. Si j'avais prononcé un "Jade" à votre arrivée, on aurait senti des éléments communs à krolanne et Lanyshsta. Désormais, le même mot serait plus riche d'une description et de quelques commentaires.


Oh. Cela, au moins, était réellement déstabilisant. Mais aussi très prometteur.

Quand est-ce que je pourrais le parler ?
Oh ! Pas tout de suite. De l'intelligence, et de la motivation, c'est l'essentiel. Mais pour l'instant, vous n'avez ressenti les deux mots que j'ai dit que parce que je t'ai préparé à le faire, en t'amenant dans la tournure d'esprit adéquate. Mais si je te dis...
suivirent plusieurs sons. Quatre, ou cinq syllabes. Impossible de dire s'il s'agissait de plusieurs mots ou d'un seul. vous êtes incapable d'avoir l'état d'esprit nécessaire.

C'était vrai. Outre le fait qu'à l'oreille c'était aussi incompréhensible que d'habitude, elle n'avait rien ressenti qui puisse la mettre sur la voie. Ce n'était pas du patois des Sharss, mais à part ça... Il aurait bien pu lui parler en Dath'oghal.

D'abord, il va falloir apprendre à reconnaitre les sons pour ce qu'ils sont, ce qu'ils charrient. Comme un enfant qui parviendrait à différencier des lettres d'un dessin.
Ensuite, parvenir à comprendre leur sens. L'équivalent des syllabes, même si ici la comparaison est bien plus maladroite. Être capable d'interpréter les différentes couches.
Puis viendra la compréhension de l’assemblage, saisir les dominances, les interactions. Chaque mot est comme un oignon doté de multiples pelures : s'il est mal décrypté, qu'on déchire tout, il sera incompris.
Et seulement alors, une fois que vous saurez comment faire pour comprendre un mot, nous pourrons tenter l'assimilation de la prononciation.
Pour l'écriture... C'est encore une autre histoire.


Effectivement.
Jade était riche, d'une certaine manière. Pas de celle du marchand qui réalise de gros profits, mais de celle qui ne perd pas une opportunité d'accroitre son patrimoine personnel, et qui, surtout, ne dépense jamais la moindre graine en un "petit plaisir" fugace et couteux. Mais au prix des séances, elle n'allait pas pouvoir poursuivre le cursus actuel très longtemps.
Il allait falloir lancer une contribution généralisée, obligatoire, et surtout à l'insu des généreux donateurs...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Vayang 26 Jayar 815 à 14h24
 
Quelques jours plus tard.

Le problème du financement s'était posé plus vite que prévu. Les cours n'étaient pas simplement captivants, comme auraient pu les rendre un professeur talentueux, ils étaient presque... Drainant.
Leur enchainement aspirait les forces et les réflexions, au point de laisser un vide derrière eux, un vide que ne pouvait combler que d'autres cours.

Ce n'était pas là un enseignement classique, car dans l'absolu, elle n'apprenait rien, il n'y avait pas de nouveaux mots, de nouvelles constructions grammaticales. Non, c'était avant tout une réorganisation profonde de son mode de pensée. Une forme particulière de pliage de celui-ci, repositionnant certains domaines au dessus d'autres, les interpénétrant tout en les laissant sur place. Si on avait voulu faire un schéma clair de ce qui se passait dans le cerveau, il aurait fallu bâtir un modèle en quatre dimensions.
C'était unique. Indescriptible.

Et cher.

C'est pourquoi Jade avait rapidement du passer à un mode de financement alternatif.
Sous-entendu, alternatif par rapport à ce que ses activités officielles au sein des Comités de Vigilance lui rapportaient.
Au Kil'sin, on qualifiait ce financement d'alternatif. Ailleurs, on aurait dit illégal.
Il y aurait bien sûr eu la possibilité de détourner des fonds. Saisies diverses, offres de "protection" lucratives, ou autres magouilles dont les Racheteurs des Comités de Vigilance usaient et abusaient. Mais pour aussi efficace qu'elle fut, une telle méthode laissait invariablement des traces, et Jade souhaitait un maximum de discrétion sur ce sujet.
Ce qu'elle désirait n'était pas tant d'éviter qu'on remarque un enrichissement personnel que d'esquiver des questions du type "mais pourquoi a-t-elle besoin de cet argent ?".
Surtout si on constatait que par ailleurs, son train de vie ne semblait aucunement s'accroitre.

Bref, Jade venait de repasser au rythme le plus élevé de ses activités de voleuse.

A son arrivée au Sin, c'était l'un de ses rares -pour ne pas dire le seul, si on exceptait ses quelques aptitudes de tireuse d'élite- talents qui ne fut pas exclusivement lié à l'analyse.
De par son lien avec son jumeau, Jade avait appris quelques petits "trucs" -et en avait enseigné d'autres-sur l'art d'approcher quelqu'un et de pouvoir accéder à certaines parties de son anatomie -ou à des lieux clés de son existence- sans se faire repérer.
Et si à l'origine le but était de glisser une lame jusqu'au coeur, ou de déposer quelques gouttes de poison dans un cruchon, il était très facile d'adapter ces connaissances afin de plutôt trancher les cordons de la bourse, ou de partir avec le cruchon.
Certes, on avait alors quelque chose à transporter de plus. mais ne pas avoir de cadavre à gérer retirait une bonne dose des soucis prévisibles.

Dans un premier temps, elle s'y était exercé comme on procédait à un rituel, une sorte de travail de mémoire afin de garder un lien intangible avec Onyx.
A l'époque de son arrivée au Kil'sin, elle avait réalisé qu'elle était douée dans ce domaine.
Au bout de dix-sept ans de pratique régulière, elle avait pu financer sans peine la lente expansion de son réseau personnel, sans éveiller de soupçon.

Il faut dire que Jade avait durant tout ce temps privilégié la sécurité aux gains. Aller dans une zone du Kil où elle n'était pas connue, même si cela devait lui prendre deux heures de trajet, et cibler majoritairement les petits gains. C'était plus du chapardage que du brigandage de haut-vol : ceux qui n'avaient presque rien partaient généralement du principe qu'il était inutile de protéger cela, n'étant pas des cibles rentables.
Ce qui était vrai, sur un unique coup, mais en multipliant les victimes...
De plus, les plus misérables étaient généralement les moins influents : une grande gueule s'élevait aisément, un tas de muscle se faisait respecter. Qu'un minable réalise qu'il était en train de se faire détrousser, et il y avait peu de chances qu'il ait l'autorité naturelle pour attirer la foule d'un cri, ou qu'il tente de coller un coup à quelqu'un de plus grand que lui.
Ce n'était pas une absolue certitude, bien sûr, mais en diluant le tout dans le nombre, les incidents étaient inaperçus.

Choix de la cible. Position géographique. Restait le troisième élément à surveiller, afin de garantir sa sérénité : la zone où écouler ses marchandises.
Car oui, le plus simple pouvait sembler être de dérober la bourse d'un passant, afin de s'approprier ses quelques graines. Une fois la bourse jetée et les graines mélangées aux siennes, on avait effectivement plus aucun problème de traçabilité ou d'intermédiaire. Mais s'il y avait bien une chose que les gens surveillaient, c'était leur bourse. Un bruit étrange, un aboiement plus fort, une meute de gamins, et la main glissait instinctivement vers l'enveloppe de cuir. Si on était en train d’œuvrer, et même si la perturbation n'avait rien à voir avec nous, on risquait de se faire prendre. Trop d'aléatoire.

C'est pourquoi Jade avait plutôt tendance à s'emparer d'autres choses : gâteau laissé à refroidir sur le bord d'une fenêtre, manteau accroché à un parterre, mallette déposée sous le banc, chemise en train de sécher...
Il y avait de quoi faire quand on connaissait les bonnes adresses : friperies, Comités d'aide aux démunis, bazar... Selon les types d'objets volés, les enseignes étaient différentes, mais le fonctionnement était le même : on achetait de tout au kilo, pour le revendre à peine plus cher.
Les flux étaient constants, importants, de ceux qui entrainent des prix bas et une absence totale de questions. Et l'un dans l'autre, mieux valait revendre trois chemises pour une graine que une graine par chemise à quelqu'un qui les vérifieraient en détail et ne pourrait s'empêcher de lancer un "à votre mari ? Il a sacrément grossi entre les deux, non ?" ou autre preuve que quelque chose clochait, au point d'en être visible.

C'était une méthode éprouvée, sûre. Et chronophage.
Et entre la reprise en main de ses Comités et les cours nocturnes, elle ne pouvait pas se permettre de perdre plusieurs heures en trajets divers, pour un gain minimum.
Il allait lui falloir beaucoup, et rapidement.

Bref, il était temps de changer de cible.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 1 Julantir 815 à 15h12
 
Romuald Octave Logan Estergeron.
Les noms ne signifiaient rien au Kil'sin, puisque tout le monde était sur un pied d'égalité.
En théorie.
Mais voilà, si la plupart des personnes étaient de simples comitaires, il y avait besoin de représentants, car la moindre décision ne pouvait systématiquement se prendre avec tout les concernés. Les représentants n'étaient pas tant élus par les autres que les dépositaires de leurs délégations, ce qui en principe ne leur offrait que plus de responsabilités, sans aucun pouvoir spécifique.
Mais dans les faits, certains représentants avaient une influence non négligeable, à tel point qu'on les qualifiait de Pontes, ou de Sommités. Et parmi eux, étrangement, la proportion de personnes aux noms et à l'histoire familiale longue comme le bras avait tendance à être plus importante qu'aux niveaux les plus bas de l'échelle sociale, quand bien même celle-ci était-elle sensée être à plat.

Romuald Octave Logan Estergeron. Ou Role. Un nom prédestiné pour devenir l'un des plus emblématiques représentants des Comités des Amuseurs, spécialisé en représentations théâtrales en pleine rue.
Rôle était adepte de grandes manifestations ludiques -les jeux de Role comme on disait- et particulièrement rentables.
Son spectacle actuel se nommait "jeu de couleurs", et rameutait du monde. Comme toujours, afin de satisfaire les attentes de la populace, il y avait outre le spectacle de nombreux rebondissements de prévus, aucune représentation n'étant identique à une précédente.
Parmi ses cibles potentielles, Jade avait du faire un choix. Ce n'était pas là le meilleur gain potentiel, mais ce n'était pas non plus le plus inaccessible, l'adéquation risque/gain potentiel atteignant, selon les projections théoriques, son maximum ici.
Par contre elle n'avait pu se contenter que d'une journée d'observation avant de se retrouver prête à intervenir : il était inutile de ramener dix fois la mise s'il fallait passer vingt fois plus de temps.

Le spectacle était basé sur un char. Une grande structure, roulant au pas, et flanquée de deux roues à aubes dans lesquelles courraient, sensément pour le faire avancer, quelques bouffons bariolés.
Dans les faits, c'était surtout un puissant moteur à vapeur qui fournissait le travail, son évacuation étant par contre astucieusement récupérée : plutôt que de s'évacuer en continu, la vapeur s'accumuler, avant de jaillir régulièrement. Derrière le trône dantesque sur lequel se pavanait Role, telle une expression de sa colère.
A l'avant, un petit promontoire sur lequel s'égosillait en permanence un nain doté d'une voix puissante, l'animateur/présentateur, qui expliquait aux badauds la teneur du spectacle.
Autour de lui, sur une estrade branlante, les danseurs, vêtus de couleurs vivent. La petite scène mouvante était trop étroite pour les contenir tous, aussi la plupart d'entre eux étaient-ils généralement en bas, se mêlant à la foule, remontant à la vue de tous lorsqu'on les appelait.
Et partout parmi cela, intégralement vêtus de blanc afin qu'on les voit bien, sans les confondre avec les danseurs, se pressaient les quêteurs, un chapeau à la main, à recueillir une graine par ci, une autre par là, dans leurs grandes conques. Ils venaient régulièrement la vider avec force inclinaisons dans un coffret aux pieds de Role, telles des cornes d'abondance se déversant au pied de leur maître.

Elle avait étudié, elle avait décidé, mais les obstacles, cela restait les hommes en gris, insipides, invisibles en flanquant leur maître bariolé, mais qui passaient leur temps à tout observer.

Pour l'instant, elle restait les genoux un peu ployés, tête nue, dans un coin, dépassant à peine des autres dans sa grande capeline verte d'où s'échappaient des morceaux sombres.
Réutilisant la même technique qu'au Kil'dara, sa peau était d'un noir de charbon, quand bien même ses cheveux étaient inchangés.

Quel étrange danse que celle des krolannes, qui ne fonctionnent pas tel Mère Nature, car sitôt que l'on est vert de rage... On peut s'attendre à voir... Rouge !

La synchronisme était imparfait, un décalage existant entre les paroles et le moment où le danseur en vert sautait en bas, aidant de ses mains la propulsion de son collègue tout de rouge vêtu afin qu'un salto avant le propulse sur la scène. Pourtant, les applaudissements inondèrent l'avenue. Il faut dire que la plupart des spectateurs savaient la difficulté de l'exercice : mis à part quelques figures spécifiques travaillées, c'était un énorme travail d'improvisation, les danseurs devant parfois anticiper les actions désirées par le conteur, celui-ci devant parfois s'adapter à ce qui se jouait sous ses yeux. Mais cela laissait des ouvertures pour la voleuse.
Alors que le char passait à sa portée, Jade laissa glisser la capeline verte, remontant la longue capuche de son second vêtement au point de lui masquer le visage.




Lorsqu'elle émergea de la foule, heureusement peu compacte, l'amuseur la repéra rapidement, et pris très professionnellement cela comme un test de ses capacités d'adaptation.

Mais il semblerait que vous soyez d'humeur joyeuse, car personne ne veut broyer du noir !

Quelques maigres applaudissements pour un jeu de mot que n'accompagnait aucune prestation intéressante, mais qui en fit rire certains.

Et comment doit-on se prémunir de la matière Noire ? En l'envoyant valser avec sa matière grise !

Les applaudissements furent plus soutenus, tandis que l'un des danseurs couvert d'anthracite s'approchait d'elle en tourbillonnant, visiblement décidé à l'emmener dans un pas de danse effréné.

Malheureusement, ce n'était absolument pas au programme, Jade souhaitait rester en place le plus court laps de temps possible. Sans compter que si elle était souple, elle ne pouvait espérer rivaliser avec un professionnel, surtout pas avec les semelles qu'elle avait sous ses longs vêtements.
C'est pourquoi alors que le danseur approchait d'elle, elle se contenta d'un brusque pas de côté, en faisant battre le tissu d'une de ses manches longues, l'esquivant sous un "Ole" généralisé, avant de monter sur l'estrade.
Le nain lui lança un regard assassin pour avoir refusé ainsi de lui accorder un répit, mais voyant bientôt une nouvelle ouverture.

Mais ce n'est pas si facile avec la mort, la mort qui nous domine tous...

Il accentuait le fait en se recroquevillant, tandis que Jade se dressait sur la pointe des pieds. Semelles, pointes, taille, plus l'armature interne à la capuche qui reposait sur l'arrière du crâne, du sol à l'extrémité la plus haute, elle culminait à près de 2m40 tandis que le nain se tassait sous le mètre, tout en se rapprochant d'elle.
Vue en contre-plongée, la différence de taille était éclatante, et la plupart des personnes pensaient sans doute qu'elle disposait d'échasses.
Elle prit quelques secondes pour entretenir l'illusion du spectacle, faisant d'un pas lent le tour de l'animateur qui accentuait à l'excès un tremblement de peur supposée. Visiblement la scène plaisait, aux rires qu'on entendait.

Puis, aussi rapidement qu'elle venait de se montrer lente, Jade remonta la longueur du char, jusqu'au trône de Role, et s'inclina profondément.
Derrière elle, le nain avait déjà repris son discours, plein d'assurance.

Tous... Ou presque, car même les plus noirs présages s'effacent devant l'esprit de la fête !

Les yeux de Role pétillaient. Il devait prendre autant de plaisir aux acclamations de la foule qu'au titre pompeux que venait de lui décerner son boute-en-train, et, ce qui ne gâchait rien, il pensait sans doute avoir sous les yeux une nouvelle recrue prometteuse, qui avait eu le culot de s'inviter dans un de ses spectacles.
Jade, présentement étalée en une vaste flaque de tissus noirs, s'appliquait surtout à refermer sans que cela s'entende le coffret bourré de graines qu'elle venait de recouvrir.
Il fallait continuer à attirer l'attention sur elle, et avec un peu de chance, on ne remarquerait pas l'absence de...

Maudits rires.

Ni Role ni les deux gardes n'avaient du remarquer la subtilisation, mais dans la foule, quelqu'un avait vu le manège, et cela se répandait vite. Flûte. Trop tôt pour espérer les devancer à la course.

Jade laissa glisser un pan de tissu, afin qu'un angle du coffret lourdement chargé de dorures soit visible sur le fond noir de sa tenue. Ce faisant, elle tournait la tête à droite, puis à gauche, en une exagération de "celui qui vérifie bien que personne ne peut le voir.

Role lui-même se mit à rire, retenant ainsi les deux gardes qui eux ne riaient pas du tout, se demandant ce qui se passait tandis que Jade sautait souplement au bas du char.

Et voilà ce qu'on appelle un chèque en blanc jeté dans un trou noir !

Jade surjouait la montée de genoux de "celui qui se déplace silencieusement", tandis que le coffret était de plus en plus visible. Les badauds riaient, les récupérateurs en blanc se répandant en vociférations et en poings levés, tandis que leur large sourire contredisaient le sérieux de la situation.
L'un des membres de la sécurité finit par se dire que la situation était vraiment trop étrange, criant un puissant "au voleur !" qui fit redoubler les rires.

En voilà un qui doit rire jaune, tandis que notre voleur s'apprête à voir la vie en rose, oui !

Les deux danseurs concernés attiraient l'attention sur eux, mais la situation dégénérait rapidement, le voile de comédie ne tenant plus.
Pas grave, Jade était déjà en train d'accélérer.

Mais... Mais ouais, c'est un vrai vol en fait !

L'ambiance de la foule changeait, mais entre fascination, hésitation et délectation, elle n'intervenait pas, Jade s'éloignant vers la zone déjà traversée, où la population était déjà dispersée.
Derrière, les deux gardes étaient descendus, et Role commençait à rugir, à mobiliser la foule. Il lui faudrait un peu de temps, tandis que pour Jade, il suffisait d'une seule ouverture, une ruelle...
... comme celle-ci...
... suivie dès l'engouffrement dans celle-ci de la mise en oeuvre de son sort préféré, et elle n'eut qu'à se tapir dans l'ombre.


*** ***


De retour chez elle, quelques heures plus tard. Il avait fallu procéder à quelques ajustements de tenue, faire quelques détours, abandonner temporairement le fruit de son larcin pour le récupérer plus tard, mais elle était là, à compter ce qu'elle venait de dérober au nez et à la barbe d'un puissant de ce monde.

C'était difficile.
C'était dangereux.
C'était rentable.

Puis surtout, et Onyx n'aurait pas dit le contraire...
Bon sang, c'était amusant.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Vayang 3 Julantir 815 à 10h18
 
Les jours suivants avaient heureusement été nettement plus calmes.
Vol de bourse, subtilisation de bague, recette de la journée dérobée, elle s'était contentée de "préparation succincte d'un plan d'attaque après repérage d'une opportunité", et avait généralement passé moins d'un quart d'heure par cible.
Plutôt que de devoir multiplier les receleurs, elle avait emmagasiné ses menues trouvailles de la semaine, avant d'aller en trouver un.
Revente au profit des caisses des Comités de Vigilance d'un stock de biens dérobés dont les propriétaires légitimes n'ont pas étés retrouvés. C'est ainsi qu'elle avait présenté les choses au marchand, lequel lui avait retourné un regard goguenard sous entendant qu'elle n'avait sans doute pas cherché des masses à retrouver les dits propriétaires.
Ce qui était toujours mieux que de se douter qu'elle avait tout fait pour que les dits propriétaires ne la retrouve pas, elle.

Quoiqu'il en soit, cela payait les cours, et ceux-ci avançaient vite. Elle n'avait plus besoin de tellement de discrétion depuis qu'on lui avait fourni une clé permettant de passer par la porte arrière sur laquelle arrivait une série de coursives étroites.
Une échelle à monter au bout du couloir, et elle se retrouvait directement, via une trappe, dans le seconde pièce, à un mur de son professeur. Ou de sa professeur, ce n'était toujours pas clair, même après une centaine d'heures de mise en présence.

Comptine.

Le mot l'avait accueilli dès l'entrée, et ce n'était pas la première fois. Il fallait en décrypter tout les éléments, comme une interprétation d'un tableau qu'on avait vu que dans un flash.
Il y avait un goût de rythme, une odeur de parole, un aspect d'harmonie. Et comme une texture de... Sucré ? Non, ça n'avait pas vraiment de sens, cette dernière partie devait être fausse. Bon, ça ne laissait pas énormément de choix.


Chanson.
Correct. De loin. Mais pas dans les détails. C'était "Comptine", ce à quoi je m'attendais. Et même précisément "le cochon du Dath'ogal", mais il est normal que tu n'aies pas atteins encore un tel niveau de compréhension. Par contre vous auriez pu ressentir la note enfantine.


La note enfantine. Ce qui lui avait paru sucré. Mince. Il faut dire que Jade n'avait pas vraiment de souvenirs de l'enfance.
Ou même, elle n'avait vraiment pas de souvenirs de l'enfance, ce qui la bloquait pour certaines interprétations.
Elle avait entendu le rire de son interlocuteur la fois où la notion de plaisir intense, mêlé à cette indéfinissable sensation d'enfance, lui avait fait traduire "perversion" ce qui à l'origine était "jeu".

Néanmoins les choses avançaient bien. Suffisamment pour qu'elle ne fut pas déstabilisée par l'étape suivante.

A vous. Décris moi ceci.

Ne pas se précipiter. Il fallait compiler les informations, les laisser infuser, trouver leur place sous la langue, et projeter le tout d'un coup.


Table.

Un silence.
Puis un léger mouvement dans les ombres, comme un lent hochement de tête.

Incorrect. Mais bien au dela des espérances classiques.

Espérances classiques ? A combien de personnes avait-il enseigné cet art ?

Mais là, j'aurais tendance à dire "guéridon".
J'ai bien entendu le "poser-utilité". Et le "bois" se sentait, même s'il était trop vivace, on aurait pu y interpréter "arbre". Ce qui avec le premier, basculait plus vers "souche".
Et dans l'intonation de forme, je n'ai eu que "simple", sans notion de coin. En l'ayant sous les yeux, oui, je comprend que la forme soit simple. Mais dans mon esprit, ce qui s'est visualisé était rond. La simplicité dépend des personnes. Encore une fois, avec la senteur trop prononcée du bois, on passe facilement à la souche.
Pour le dernier point, méfiance. "Petit". Au sens de "bas". Trop imprégné de subjectivité. Vous êtes très grande, les choses sont comparativement petites. Mais adressez-vous à un nain et il ne comprendra rien, cherchant un meuble de poupée. Il va falloir sortir des rapports à soi.


C'était nettement plus complexe que le langage courant. Même dans un patois étranger, on pouvait bien confondre table et guéridon, la personne rectifiait d'elle-même. Et jamais elle ne confondait table et souche.
Au pire, on pouvait même dire "pose ça là" en accompagnant d'un vague geste pour que quiconque comprenne "sur la table".
Dans le cas présent, le corps devait se mettre au service de la voix pour la moduler parfaitement, ou à minima rester parfaitement immobile, afin d'éviter toute perturbation. Et même avec quelqu'un sachant ce qu'on voulait dire, les mots frappaient l'esprit avec une telle force qu'ils imprimaient leur propre interprétation, qu'ils la forçait.

Chaque mot était un empilement de descriptifs, chacun influant sur l'autre. Qu'un seul fut erroné, et l'erreur se poursuivait en cascade sur l'ensemble des autres termes.
Pour les phrases, c'était pire, leur construction ressemblant à un unique mot très long.
La première fois qu'elle avait entendu "la table est plate", elle avait compris "grand-mère tue des cochons". Une erreur d'interprétation sur la stabilité du meuble, devenu stabilité d'une lignée, puis le caractère absolu du verbe être déviant vers l'interprétation de la mort, pour finir par un contre-sens complet sur la platitude/les rondeurs. Elle s'était juste reprise pour dire "non, des sangliers, la couleur correspond mieux" avant qu'on lui explique à quel point elle s'était trompée.

Il restait du boulot, mais... Au moins, ça avançait.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Matal 14 Julantir 815 à 18h44
 
C'était encore loin, bien loin d'être parfait.
Mais au moins avait-elle désormais l'oreille suffisamment affutée pour repérer ses propres erreurs, ou du moins la plupart d'entre elles.
Ce n'était pas en soit un langue psychique, télépathique. Plutôt une langue totale, qui ne s'accomplissait pleinement qu'avec plus d'aisance grâce à la télépathie. Rien d'aussi simple que la projection de pensées. Et du coup, sans cette faculté de communiquer d'esprit à esprit, il fallait prendre en compte les erreurs.
Erreur de choix des éléments à transmettre.
Erreur de prononciation de ces éléments.
Erreur de compréhension des éléments entendus.
Erreur d'interprétation de l'assemblage.

Ce qui rendait la pratique utilisable par soi-même, c'était la faculté des mots de marquer profondément l'auditeur, au point de s'imprimer dans son esprit sans processus conscient.
Du coup, elle était effectivement capable de prononcer table et de comprendre guéridon. Mais tout en sachant qu'elle voulait dire table.
Décortiquer à posteriori chacun de ses actes lui permettait de repérer là où la méthode avait eut des ratés, et de la corriger.

Bien sûr, elle restait soumise aux erreurs de "subjectivités liées au rapport à soi", mais à en croire son tuteur, ce serait l'étape la plus difficile, la plus longue, celle dont on gardait toujours une trace.
Une forme d'accent.
Mais, toujours à l'en croire, ce n'était pas bien grave tant qu'il s'agissait de l'unique source d'erreurs, on pouvait toujours, surtout en connaissant son interlocuteur, comprendre ce qu'il voulait.
Par contre, en attendant que le reste soit parfait, c'était une source de plus d'incompréhension...

Une source plus difficile à tarir que prévue, en plus. Oui, elle pouvait corriger les éléments qu'elle envoyait. Mais il ne suffisait pas de remplacer "petit" par "cinq pieds", car pour elle, intrinsèquement, quelqu'un de cinq pieds de hauts était petit.
De même qu'elle ne pouvait décrire un ensemble bariolé sans une forte impression de chaos et de mépris.
Il fallait effectivement se détacher de soi. De son éducation. De tout ce qui faisait qu'on était celle qu'on était.

Mais pour ce soir, elle s'intéressait à autre chose.


Les noms.
Les noms ?
Oui, les noms.
Non non non. Je ne comprends pas cette demande.
Je veux en savoir plus sur les noms. La façon de les prononcer, de les comprendre de...
Inutile de noyer la compréhension. Formule ta question clairement si vous voulez que je la comprenne.


Ne pas noyer mais... Oh, oui. Forcément.

Noms.

Du mouvement en face. Un micro-rire.

C'est peu. Oh, oui, la question est complète, mais l'objectif est mal, si mal défini... Un nom. Un nom est bien plus que ça ! Qu'un assemblage de sons, qu'une façon de nommer ! Rappelle toi ce que je vous ai dit sur la comptine. Un nom est riche !
Justement. C'est cette richesse qui m'intéresse.
Alors reprenons. Qu'est-ce qui t'intéresse ?
Les
noms.
Et c'est riche, ça ? Je demande un son et lumière sur un coucher de soleil, et j'ai un monochrome de gris !
Justement. Que manque-t-il ?
Ce qu'il manque ? Ce qu'il manque, mais c'est simple, voyons. C'est de savoir ce que tu veux.
Je sais ce que je veux.
Comme l'oiseau veut le ver dont il ne voit que le trou, oui. Ce qui t'intéresse, c'est le pouvoir d'un...


Nom.

Ah.
Ouais.
Forcément.

Ça changeait pas mal de choses, vu comme ça...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 19 Julantir 815 à 22h31
 
Alors ?

Alors c'était riche, bien plus riche que tout ce qu'elle pouvait encore créer. Mais ce qu'on attendait d'elle, pour l'instant, c'était un dépiautage en règle.

Il y a le nom. L'aspect verbal, l'assemblage de sons. Celui qui permet d'identifier rapidement une personne. Du moins...
Ah, oui, comme Roger. Tu connais Roger ?
J'y venais. Du moins tant que le nom est unique. Sinon, verbalement, on rajoutera un second mot. Roger Orkodoff, Gros Roger, etc.
Et si Gros Roger fait un régime...
Justement, un nom n'est pas qu'un descriptif. Au sens large le nom défini la personne. C'est une suite d'articulations qui est liée à une personne. Que Gros Roger maigrisse, il restera Gros Roger. Pareil pour les surnoms : le nom profond d'une personne n'est pas le nom officiel, mais le nom par lequel elle est définie.
Et les espions sont impossibles à repérer.
Dans ce cas, le nom par lequel elle-même estime qu'elle est le mieux défini. Qu'elle y réagisse ou nom lorsqu'on le lui crie dans la rue, son nom est ce qui provoque la plus grande sensation de "c'est moi qu'on appelle".
Un mot, donc... Les sourds n'ont pas de nom ?


On en revenait aux démarches initiales, les contre-exemples en boucle permettant d'affiner une définition.

Si. Car si le son et l'appel sont majoritairement confondus, la réaction à son nom n'est pas la réaction à un son, mais à l'intention du son.
Hum... Vous n'avez pas l'impression que tu brodes ?
Exemple : Roger est sourd. Il est au milieu d'autres sourds. Si c'est son attention que je veux attirer, j'agiterais le bras, attirant l'attention des sourds, et le regarderait lui. L'équivalent muet d'un "Roger !", en somme.
Plus clair. Bien. Une intention de communication donc.
Non. Car on peut chercher un nom sans vouloir communiquer.
Un nom sans contact établi. Quel intérêt...
Une cible, par exemple. Un nom est aussi une référence commune. Si je veux savoir où dors Gros Roger, et qu'il est connu comme Gros Roger, je peux demander à autrui des informations sur Gros Roger.
Communication avec autrui, donc, on en revient à une communication.
Pas forcément. Si je connais bien Gros Roger, je pourrais le repérer au milieu d'une foule. Le traquer.
Et comment "bien" le connaître ?
Son nom. Son nom est une description, s'il est complet.


Pause. La voix reprend, plus lentement.

Cela vient, il semblerait. Pourquoi ?
Parce qu'un nom, au sens de ce en quoi on se reconnait, c'est... Nous. Un résumé de nous.
Poids, taille, âge...
Non. Pas directement du moins. Mais toutes ces choses font partie de nous, et influent donc sur le nom. Notre histoire. Notre mentalité. Ce que nous sommes, profondément. Le nom est un reflet de notre moi profond.
Et mes espions alors ?
Ils gardent leur nom. Le mot sera teinté d'ombre, mais ces ombres seront un indice aussi visible qu'une lumière pour celui se mettant sur le devant de la scène. Le nom de quelqu'un, son nom "complet"... Porte sa trace, son empreinte, en toute transparence.
Assez vrai. Réessaye.
Réessayer ? Hum. Un
nom.

Lent acquiessement.

Bien mieux. Très moyen, très brouillon, mais... Bien mieux. On sent au moins les esquisses de tout ce qui y manquait. Et donc, pourquoi les noms ? Cela ne suffit pas qu'un inconnu te dise "appelez-moi Roger" ?
Pas quand il y a plus de possible. Lors d'un contact succinct, on ne pourra aller plus loin. Mais dans l'éventualité d'un contact...


Il-elle ne saisirait pas la perche, cela, Jade le savait. Sa propre nature de Lanyshsta était connue, mais elle-même ne savait toujours pas si son interlocuteur-ice faisait partie de la petite coterie. Mais voir les esquives proposées était toujours intéressant.

D'un contact total, oui ?
D'un contact total, dirons-nous, on ressent chez notre interlocuteur quelque chose de plus riche que les simples échanges.
Comme si tes oreilles percevaient autre chose.
Voilà. Comme si mes oreilles entendent Pêche, mais qu'elles devinent un embryon de saveur, un soupçon de texture, une pointe de goût.
C'est exactement cela ! Des sens atrophiés, en sommeil, qu'il faut dérouiller.


Bien. C'est exactement ce qu'elle espérait trouver en abordant le chapitre des noms : une confirmation.
Les échanges télépathiques laissaient l'équivalent mental d'un arrière-goût, qui se retrouvait d'autant plus concentré dans les appels, la sensation de démangeaison dans la nuque que provoquait l'arrivée d'un nouveau message.
La plupart avait des pensées évoquant une voix, sans doute très proche de la leur, mais même sans cette reconnaissance usuelle, chaque message était imprégné d'une saveur particulière.
Une trace de la personnalité même de la personne qui laissait errer son esprit.
Une trace qu'il était possible de remonter, mais en sachant à peine la différencier des autres, comme un citadin à qui on demande de trouver du houx dans une forêt : si on lui tend une branche de houx, il a une référence, mais ne sait pas qu'il cherche du houx. Même s'il en trouvera.


Et une fois dérouillés, on peut analyser les traces laissés dans les contacts totaux. C'est comme un accent, qui face à quelqu'un de doué lui permet de savoir dans quel quartier du Kil nous habitons, et si nous venons d'ailleurs.
En plus riche.
En bien plus riche.Elles contiennent, qu'on le veuille ou non, une portion de nous, notre nom. Notre nom véritable, celui qui, selon nous, nous définit.
Belle conclusion ! Malheureusement inutile.
Non.
Non ?


Lente inspiration. Le vif du sujet.

Non. On peut aller plus loin.
Comment ?
Un nom, c'est un aboutissement. C'est ce qu'on est, au moment où on l'est. Avec tout ce qu'on a vécu. C'est une balle influencée dans sa trajectoire par une multitude de perturbations.
Et ?
Et si vous connaissez la puissance de l'arme, la forme de la balle et le sens du vent, vous pouvez savoir où la balle tombera.
... Et ?
Et connaître un nom, c'est pouvoir retrouver la personne qui y est attaché. Où qu'elle soit.


Un silence.
Un long silence.


C'est la conclusion ?
C'est l'objectif.


Claquement de langue.

Soit ! Mais pour cela, il va falloir retrouver toutes les plus infimes variations, les plus subtils détails. Et ça...
On en est encore loin.
Certes.
Au boulot.

Au boulot. Oui. Cela venait, lentement, mais surement...


La perfection est amorale.

Page : 1

Vous pouvez juste lire ce sujet...
Nombre de joueurs actifs :0(Inscrits : 191)
Infos légales Mot de passe perdu ?