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Le monstre Lanyshta
 
Dassen Dorn
Comitaire actif
Kil'sin  
Le Julung 18 Jayar 815 à 23h10
 
« Tu crois qu'il va nous manger ? »

Les deux jumelles se regardent. Elles chuchotent. L'une d'elles a les jambes trempées.

« Quand est-ce qu'il va partir ? J'ai faim... »

Celle-ci se met à pleurnicher.

« Tais-toi ou il va nous trouver et nous découper en des tranches de saucisson ! »

Le jeune homme remue, affalé sur la table. Il grogne, il fait glisser une main hasardeuse sur la surface en bois et attrape une grosse pastèque. Les yeux fermés il la tapote, il essaye de l'attraper, de la faire bouger, mais la pastèque lui échappe des doigts. Elle est étrangement lourde. Elle est également un peu bosselée et parsemée de petites aiguilles laissant entendre qu'il ne s'agit pas tout à fait d'une pastèque.

Dassen délaisse le crâne du père de famille et continue son exploration de la table jusqu'à tomber sur un croûton de pain qu'il se met à sucer.

Lorsque minuit sonne sur l'horloge familiale, le jeune homme fini par se réveiller. Il fourre des réserves d'eau et de nourriture dans son sac, prend des médicaments, un ou deux livres, et vérifie que le couple de Krolanne est toujours bien attaché. Il prend ensuite un couteau sur la table et va vers le placard dans lequel les fillettes sont cachées. Sa main noire se plaque sur la poignée du refuge et ouvre d'un coup sec les deux battants. Les jumelles se mettent à hurler, la vaisselle tombe et se brise autour d'elles, mais Dassen avance son couteau et crie encore plus fort :


« SILENCE ! »

Elles se taisent, pétrifiées d'horreur. L'autre jumelle mouille à son tour sa robe.

Dassen Dorn pose le couteau devant elles.


« Quand vous me verrez franchir la porte et sortir de votre maison, vous aurez le droit de libérer vos parents. Si vous faites ça pendant je suis encore ici, je vous mange. »

Il essaye de les regarder droit dans les yeux mais elles ne voient sûrement rien, elles pleurent ou semblent en état de choc.

« Regardez, pour les libérer il faut prendre le couteau à deux mains et couper la corde qui leur serre les poignets. C'est le même geste que pour du saucisson. Si vous n'y arrivez pas ou si vous blessez involontairement l'un de vos parents, allez chercher vos voisins. »

Il caresse.. ou frotte le crâne de l'une des jumelles.

« Allez, j'avais juste besoin de manger. Des gens méchants essaient peut-être de me faire mourir, mais c'est pas grave tout ça. »

Il se retourne, jette son masque dans le feu et sort de la maison.




alias Djet Tamère
 
Dassen Dorn
Comitaire actif
Kil'sin  
Le Julung 18 Jayar 815 à 23h13
 
Ailleurs. Plus tard. C'est une sorte de cave assez obscure et pas très sombre. Il y fait assez froid, plutôt humide. Les murs ont une odeur, même si rien ne semble réel.

La fenêtre elle, n'éclaire pas beaucoup. Elle est blanche.
Dehors, le brouillard avale les rayons du soleil ; une légère pluie fait glisser quelques gouttes le long d'un mur et une poterie maladroite recueille le filet d'eau.

Par terre, allongé sur un lit de paille, quelqu'un rêve. Ça doit être un rêve abstrait dans lequel il ne se passe pas grand chose car tout est mort. Peut-être qu'elle ne rêve pas et qu'elle est morte.

Mais si elle rêve, le rêve se perturbe; soudain il y a quelqu'un d'autre ici.


« J'ai apporté des choses mais il va falloir que tu partes. Ils me prennent pour un autre. Je pense pas que je m'en sortirais. »

Est-ce qu'ils se regardent ? Est-ce qu'ils se parlent ? Je ne sais pas. Je me suis peut-être trompé. Peut-être est-il tout seul. On entend des mots, ça sonne étrangement dans les murs. Peut-être est-il tout seul, ou nous rêvons d'un autre lieu, d'un autre temps, ou d'un autre moi.

Elle se redresse et le prend dans ses bras.

C'est mieux ainsi. C'est mieux s'il y a quelqu'un. Même si pour nous ce n'est qu'un rêve, peut-être est-elle réelle.

Leurs lèvres tremblent, elle ne dit rien, elle a déjà trop dit autrefois, elle est épuisée. Ça va finir tout ça. Ce rêve. Ils font l'amour et ne se murmurent rien. C'est comme s'ils étaient à la fin des choses avant de commencer. Ils sont perdus dans le temps, et le rêve ne s'arrête pas. Il tourne en boucle sur lui-même et elle ne lui murmure rien. Mais à la fin, quand par hasard nous imaginons une alternative, il lui dit quelque chose qui n'a pas d'importance pour elle. Il lui dit qu'il s'est transformé en monstre Lanyshta et que pour lui le monde est fait de calques qui se superposent et créent des images très fines dans lesquels les choses existent, même s'il ne se sent qu'à moitié étiré au milieu de tous ces mondes dans lesquels il n'arrive plus à s'appartenir.


Maintenant, je suis un fantôme de moi-même. Et pourtant, cela ne change rien.




Brutalement plus rien n'avance dans cette histoire.








Nous attendons longtemps avant que la suite nous apparaisse dans un morceau maladroit :
Elle s'endort contre lui. Elle ne respire presque plus. Elle est malade, et bientôt elle sera morte.



alias Djet Tamère
 
Dassen Dorn
Comitaire actif
Kil'sin  
Le Julung 18 Jayar 815 à 23h21
 
Ailleurs. Un autre jour. Cela reprend. Son corps se balance, il ne voit rien, ses yeux sont fermés il est inconscient. Ils ont noués une corde autour de ses pieds et l'ont accroché au plafond. Ce n'est pas la nuit, la lumière est forte et floue comme si nous n'arrivions pas à revenir dans la réalité. Pourtant tout cela s'est certainement passé et se passe certainement au moment où nous le décrivons.

Son corps nu est couvert de bleus et de coupures. Il y a du sang sur le sol.

Des gens marchent autour, c'est brouillon, ils se disent des choses tranchées. Ça crie, ça panique. Puis quelqu'un entre. Ils relâchent la corde et le prisonnier tombe sur le sol. Mais ils ne le touchent pas. Ils le laissent ainsi et ils parlent.


« Il avoue pas, et il y a pas de preuves. »

« ... »

« Oui, et puis les gens disent que c'est un Lanyshta qui les as butés donc c'est peut-être pas lui. »
« Pourtant Dassen a bien une gueule de monstre, on y croirait. »
« Non mais c'est trop fort, pile quand il se casse le proprio de l'arène crève. Il vous faut quoi d'autre comme preuve ? Le gamin en avait marre, le maître tirait trop fort sur le laisse, il a fini par mordre, c'est sûr. »


L'un d'eux, ceux qu'ils regardent et n'a pas encore parlé, avance vers Dassen et lui éponge le front. Il est doux et très calme.
« Mouais... mouais... mes petits gars, ça pue tout ça. C'est une cible trop facile... il avait pas l'air si malheureux dans son enclos. »


Soudain quelqu'un d'autre entre dans la pièce, essoufflé.

« On a trouvé un autre corps, tout frais ! Et sans sa tête évidemment. Il était bien caché celui-là, caché du genre... caché comme si celui-ci on voulait pas qu'il soit retrouvé. Pas comme le premier, vous voyez ? »

Celui qui est tout près prend un bol rempli d'eau et force le blessé à boire.
« Ha ha ha ! Et pendant qu'un truc lui découpait la tête notre ami la bouse était pendue là, par les pieds, à se faire gratuitement cuisiner.. »

« Et vous savez quoi les gars, quand ils ont retrouvés le type... si vous aviez vu l'état du corps... Une œuvre d'art ! Vous auriez gerbés ! C'est pas un Krolanne qui lui a fait ça, croyez moi. Ces rumeurs débiles sur un Lanyshta délirant, ça me semble pas si débile que ça. À vrai dire... mouais, c'est peut-être une belle connerie, mais c'est peut-être aussi une vraie bestiole qui erre dans les rues de Kil'sin. Et si c'est le cas, on est tous dans la merde. Tous les comités des Dessous seront dans la merde. Tout le monde aura les boules, vous voyez ? »


Brouhaha inquiété. Dassen Dorn reprend doucement ses esprits.

« Et c'est pas comme si c'était fini. Imaginez les conséquences pour notre business ! On perd des clients, on perd de la stabilité, la rumeur va se répandre et tout le monde va fuir nos rues. Il faut qu'on abatte ce truc. »

« J'ai entendu dire que pour que nos armes traversent la peau de ceux qui ont muté il faut les enduire de poix de vraie morue, laisser sécher, les bénir trois fois, et toujours prendre garde à attaquer en plein jour. »

« Hum... il va falloir l'attirer sur notre propre terrain. »

« On peut rassembler assez d'hommes pour se le faire avant les autres, mais pour augmenter nos chances faudrait arriver à le démasquer, faudrait le prendre par surprise avant qu'il se transforme. »

« Je suis sûr que le chef peut faire quelque chose pour ça, il a toujours eu du flair, mais faudra aussi... »

« MESSIEURS ! »

La main repose le bol et repose l'éponge.
« Ça ira, sortez d'ici s'il vous plaît. »


alias Djet Tamère
 
Dassen Dorn
Comitaire actif
Kil'sin  
Le Sukra 20 Jayar 815 à 23h43
 
Ils s'échangent des regards agacés. Ils ne comprennent pas trop, mais respectueusement leur discussion s'interrompt, ils sortent, ils laissent l'étrange homme seul avec le prisonnier.


« Dassen Dorn ! Mon petit Dassen Dorn... »

Il chuchote : « Réveilles-toi ! »

Il s'est éloigné de quelques pas et tourne en rond, excité. Ou nerveux.

« Je peux t'appeler Dass ? »

Dassen se recroqueville lentement sur lui-même, il est très faible. Son visage fini par sortir d'entre ses genoux pour se tendre vers le bourreau. L'une de ses joues est gonflée, un œil au beurre-noir lui gêne la vue, il a du mal à parler.

« N...on... P. Pour toi ce sera.. Monsieur Dorn. »

« Oh ? Très bien Monsieur Dorn. »
Petite révérence. Sa voix est posée et séduisante. « Gaspariol Moultain, enquêteur affilié au Comité de Vigilance des fervents puritains du Kil'sin. C'est moi. »

« Ta... gu... »

« Sérieusement, il faut qu'on discute Dassen. Je sais qui tu es, et je sais que tu t'es gravement et stupidement mis en danger. Plusieurs comités de vigilance vont te tomber sur le dos en t'accusant d'être le Lanyshta fou qui a tué ces deux Kil'sinites des Dessous. Je n'ai pas le temps de compléter mon enquête. Je sers d'avant garde à l'un de ces comités impulsif à qui il ne faudra pas beaucoup de temps pour se persuader eux-même que Lanyshta ou pas tu es un Lanyshta psychopathe qui doit être éliminé pour le bien du Kil'sin. Tu vois ce que je veux dire ? »


Gaspariol est habillé comme un gentleman fauché et trop grand.

« Et ce n'est pas comme si on avais rien à te reprocher. Malgré tout tu étais assez calme dans ton arène, mais dernièrement il paraît que tu as fais du grabuge aux puces. Une vieille folle un peu folle a même parlée de sorcellerie.

Je suis également persuadé que c'est toi qui as agressé et pillé ce paisible couple dans les Rigoles. Je ne sais pas ce que tu as fais aux jumelles, mais sais-tu qu'elles ne dorment plus depuis trois jours ? Les pauvres enfants risquent de devenir folles. Heureusement que tu t'es retenus de tuer leurs parents. Elles devraient se remettre avec le temps, mais quelles séquelles devront-elles traîner derrière elles tout le reste de leur vie ? Est-ce qu'au moins ça te touche, Dassen Dorn ? »


Dassen a laissé sa tête reposer contre le sol. Il ne peut rien faire.


Écouter.


Écouter ces insanités.

Il finira par s'arrêter...


Gaspariol devient un peu plus sec. Il arrête de tourner en rond, il s'y force. Il échoue courageusement à rendre son stress imperceptible.


« On a aussi découvert où tu habites. C'est bien caché... On a été faire un tour chez toi, et on y a trouvé quelque chose... de grave. Je ne pense pas que c'est toi qui a fait ça, du moins pas volontairement. Mais il faudra expliquer ça aux comités. Avec aussi peu d'éléments ce sera ta parole contre leur peur. Tu penses gagner ? Tu crois être un grand orateur ? Si je laisse les choses se faire Dassen, tu es fichu. »


alias Djet Tamère
 
Dassen Dorn
Comitaire actif
Kil'sin  
Le Sukra 20 Jayar 815 à 23h48
 
« Mais je ne suis pas obligé de leur dire tout ça, Monsieur Dorn. Encore une fois je n'ai ni assez d'éléments fiables pour vous inculper ni pour vous défendre.

Et si je laisse... les choses se faire, un Lanyshta fou continuera de courir les rues et le comité me tombera encore dessus en me reprochant de mal avoir fait mon travail. Les hypocrites ! »


Gaspariol Moultain s'interrompt. Il revient vers Dassen et lui donne un coup de pied dans les côtes. Un coup de pied pointu.

« Oh ! Réveilles-toi ! Je sais que tu es un Lanyshta toi-aussi, alors écoutes-moi bien parce que sans moi tu risques vraiment d'y passer ! »

« J'suis pas un... »

« Tu ne dors plus, tu es malade, tu te caches. Tu as fuis l'arène parce que tu n'as plus la force de t'y battre. Tu passes des heures les yeux ouverts à murmurer des choses incompréhensibles, y compris dans d'autres patois... Tu entends des voix ! Une vieille t'accuses de sorcellerie ! Et tes actes, ta manière même de penser n'est pas celle d'un Kil'sinite !

Je le sens. J'en suis sûr. Je suis un spécialiste de la question : tu es forcément un Lanyshta. Je pense même que tu es dans la première phase. Tu viens de t'éveiller, non ? Ce n'est pas comme ça que vous le dites ? »



Il essaye de s'asseoir. Il reste à quatre pattes.

« Tu veux.. que je le trouve... ? »


« Quoi ? … Le fou ? Oui, c'est ça. Je veux que tu traques cette bête sauvage. Je suis sûr que vous avez un moyen de vous reconnaître entre vous, une odeur, des voix, quelque chose comme ça. Je ne pense pas que vous soyez par essence quelque chose de mauvais pour la société. Certains d'entre vous, grâce à vos capacités, pourriez nous permettre de faire d'importantes découvertes. Vous pourriez même incarner un espoir pour tous les Krolannes, un espoir de s'ouvrir au monde extérieur et de mieux le comprendre. Mais vous êtes comme des enfants abandonnés. Sans parents, sans éducation, vous ne comprenez pas ce qui vous arrive. Je fais partis de ceux qui croient que vous pouvez nous apporter à tous quelque chose de bon. Et je crois aussi que vous êtes tous au fond de vous des Krolannes tout à fait banal ne méritant pas, pour la plupart, ces mutations. Votre transformation révèle simplement votre véritable nature. Es-tu un héros Dassen ? Ou un être médiocre ? Nous Krolannes, sommes là pour le juger. Et faire le tri. »

« Hey, approches... »

« Quoi ? »


Dassen s'étouffe, il retombe sur le sol et se contracte pour essayer de dire quelque chose. Gaspariol est inquiet, il s'approche en courant.

« Ne me lâches pas maintenant ! On va avoir besoin de... ! »

Gaspariol Moultain est rouge, plié en deux, son souffle est coupé. Soudain en forme, les poings de Dassen Dorn sont coincés entre ses jambes...



Passons les détails.
Nous pensons que suite à cela Dassen Dorn est dans de meilleures dispositions pour parvenir à trouver un arrangement.



alias Djet Tamère
 
Dassen Dorn
Comitaire actif
Kil'sin  
Le Merakih 2 Saptawarar 815 à 16h27
 
Les gouttes d'eau tombent sur son visage et glissent sur sa joue. Il se réveille, les yeux collés par des larmes de fatigue. On ne sait plus très bien où il est.
Ça ressemble à une ruelle abandonnée lors d'une nuit de brouillard et de fantômes. Il relève son visage de la flaque noire dans laquelle il a dormi. Ses cheveux sont collés par la crasse.

Cette nuit abandonnée ne se ressemble pas. Est-il sorti des égouts en entier ? Il y a laissé des bouts, c'est certain. Des morceaux, et beaucoup de tâches. Et des idées.

Un vague rayon de lumière passe et on voit mieux Dassen l'affamé, dont le ventre gargouille incroyablement. Enfin éveillé, il marche. Quelques heures. Puis il trouve la sortie et le soleil se lève. Arrivé dans les rues du marché aux puces il se rend compte du sang qui goutte de ses manches : une balle dans l'épaule, une autre dans le dos et tout un tas de coupures. Et puis, il traîne toujours la lance rouge de Truandeur. Il la traîne mollement derrière lui et le bois de la hampe claque contre les pavés.

Les gens se retournent vers ce zombie épuisé.





La noyade des Puritains est finie. Dassen Dorn s'est réfugié dans les Dessous. Une vieille cave enfoncée dans la montagne, une cabane de pierre rudimentaire, profonde, invisible.

Il est assit sur une chaise en bois. Sa tête est blanche, couverte de bandages. On ne le reconnaît pas mais il à l'air propre. Ses vêtements sont neufs, il porte une armure de cuir et la lance rouge de Truandeur est accrochée dans son dos.

Il tient un verre entre ses mains tremblantes, un verre lourdement rempli d'une gnôle sans qualités. Il boit, il boit, puis on entend le tic tac d'une montre. Au début nous ne savons pas qui la détient. Il est invisible. Il s'approche. On entend à peine ses pas. Mais soudain la flamme de la bougie nous dévoile un homme trop grand, un homme qui se courbe pour éviter les stalactites et qui enlève son vieux chapeau en s'asseyant près de Dassen Dorn.

9h09

Sur la table, il pose sa montre et allume une seconde bougie. On découvre alors son visage, une vieille gueule d'ange au nez cassé, à la peau grasse et aux cheveux presque peignés. Il sourit.


G : « Bonjour Dassen Dorn. »

Dassen Dorn ne lui répond pas.

G : « J'ai eu le message. Je te remercie. »

Le sourire se précise. C'est un sourire contrarié.

D : « Conséquences ? »

G : « Je n'en ai aucune idée. Vous avez tout fait qui puisse justifier les discours qu'on tiendra contre vous. C'était le pire moyen pour essayer de les affaiblir. »

D : « Mais tu te tairas. »

G : « Je ne sais pas. Et nous n'avons toujours pas trouvé le monstre. »

D : « Il va se calmer quelques temps. »

G : « Pour recommencer. Il va recommencer, c'est certain. Lui ou un autre... »

Il se tient si droit sur sa chaise, ce grand homme sans chapeau. Ses longs doigts cherchent et enserrent le second verre sur la table. Mais le verre est vide. Ses petits yeux cherchent un refuge, cherchent quelque chose. Il est nerveux. Affreusement nerveux.

G : « Mais après ce que j'ai vu et avec ce que j'ai compris... je ne suis plus certain d'avoir envie de le démasquer. »


Un temps de silence avant que Dassen Dorn ne réponde.


D : « D'autres s'en chargeront. »

G : « Qui ? Tes amis ? »

D : « J'appelle personne comme ça. »


Un temps de silence, à nouveau. La montre fait son bruit.


G : « Choisis ton camp, Dassen. La neutralité ne mène pas à la pérennité du Kil'sin. Agis pour un avenir, ou regardes-les arracher nos parasites. »

Le jeune homme écrase l'une des bougies entre ses doigts. Son visage disparaît.

D : « Je t'emmerdes, Gaspariol. »

G : « Vous êtes tous responsables de les avoir laissés faire. »

Son verre est vide, il reprend sa lance et se lève de sa chaise.

G : « Vous êtes incontrôlables. Par nous et par vous-mêmes. Vous pouvez vous cacher aussi longtemps que vous le voudrez. Ça ne fera qu'empirer. Il faut amener le débat sur la place publique. Élisez un représentant et assumez votre existence ! Tant que vous vous obstinerez à rester une bande anarchique de parasites et de brigands des Dessous, je ne cohabiterai pas»

Dassen s'en va. Il ne discute pas. L'obscurité l'a déjà soustrait à notre regard. On entend plus que son pas ferme résonner sur la roche.

Gaspariol reste seul et sans voix. La sortie est encore loin.

Au bout d'un moment, il pleure.



alias Djet Tamère
 
Dassen Dorn
Comitaire actif
Kil'sin  
Le Sukra 31 Otalir 815 à 15h15
 
Il y a eut cette nuit, là-bas, où beaucoup de monde s'est mis à crever. À coups de griffes, à coup de lance, à coup de poings, à coup d'armes à feu, et aussi à coups de magie et d'alchimie, de soif de sang et de justice. C'était la nuit des Lanyshtas, la nuit des chassés, des prédateurs, de la soif de sang et des images qui glacent. On l'appelle aussi la Noyade des Puritains, ou La petite noyade, ou La grande noyade ou rien du tout.

Il dort mal en ce moment. Il en a gardé des images dans la tête qui le hantent. Premier meurtre, abattoir, traqué mais aussi, le sens de tout ça qu'il n'oubliera pas :

cette Image

Le Lanyshta s'est donné à voir. Il s'est peint un portrait dans la tête de Dassen Dorn. Le Lanyshta n'est plus un jouet ou une maladie, c'est une ombre qui a faim et qui s'est dévorée la tête. C'est une grille pleine de petits trous.

Il est angoissé. Il y a toujours eu ce sens chez lui, cette responsabilité du chemin à prendre, de la ville et des autres. Il veut influencer, agir, transformer. Ça tournait dans le vide, sa vie ratée le dispersait sur lui-même et alentour. Maintenant c'est un poids dans son ventre qui le raccroche au sol. Une peur, un désir, un choix.

Dassen aime casser les choses qu'il voit.

C'est ce choix maintenant. Casser. Ancré au fond de son ventre. Il ne peut plus le vomir, il ne peut même plus casser ce choix, c'est un choix fusionné par son corps dans son corps. C'est une révolution qu'il sortira. Un visage qu'il n'oubliera pas. Il n'oublie rien. Pas ces choses là. Pas ces têtes de Lanyshtas. Pas ces chasseurs de Lanyshtas. Pas ces images de la réalité qu'il faut substituer à n'importe quel prix.

Il en oublie qu'il a muté lui aussi. Mais ce n'est pas grave, ça arrive. C'est ce qui donnera du piment à son histoire. Il le sait. Il sait qu'il va oublier. Il sens qu'il n'est qu'un réseau de directions, de mouvements et de mots. Une histoire, rien du tout. Il n'est que les images qu'il créé de lui-même. Des petites surfaces de mots sans dimension. Son seul espoir c'est de pénétrer les autres. De leur tirer des mots dans le crâne pour essayer de trouver d'autres dimensions. C'est stupide. Ça ne marchera pas. Ça restera toujours à plat, comme des images, avec juste un peu plus de profondeur. Une sorte d'effet de perspective aléatoire.


Basta !



Il traîne, la nuit, cette fois-ci, il traîne des pieds. D'habitude il ne va pas aux Estaminets. À contrecœur, ses pas l'y mènent. Il est invité. C'est exceptionnel. Il a gagné leur respect. Trois semaines. Quatre semaines. Le premier jour ils ont essayés de le bizuter. C'était amical. Il n'a pas aimé, ça a fini avec sa tête bloquée cinq minutes au fond d'un bac d'eau. Il s'est évanoui, ils ont cru le mâter. Mais on ne mâte pas Dassen Dorn, on ne le domestique pas. Soit on cohabite, soit il nous bouffe.

Quatre semaines plus tard. Rires, lumières, ça boit, ça chante et ça discute. Il entre avec sa sale tête, un œil au beurre noir.


« DADAAAAAAA... !!! »

Ils frappent leurs chopes sur les tables.

« DA-DA ! DA-DA ! DA-DA ! DA-DA ! ... »

Ils ont les yeux vitreux, les joues rouges, ça pue l'alcool… Quand on l'appelle Dada il a des réminiscences de son enfance qui ne lui plaisent pas. Alors il lève un bras vers les trois ivrognes, bien à l'horizontale. Son poing est fermé, la paume vers le plafond. Et il déplie son majeur. Bien droit lui aussi.

« OUUUUUH…. ! DADA FAIT LA GUEULE ! »

Ça rit gras, ça gêne les autres. Dassen se plante devant la table, il fait semblant de faire un peu plus la gueule que d'habitude. Car il est content. Vraiment très content.

« J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. »

« Ha ha ha ! »

« J'AI UNE MAUVAISE NOUVELLE À VOUS ANNONCER ! »

« Ohhh... »

« Le mécano, là. Lorthy. »

« PUTAIN IL EST SORTI DE L'HOSTO ?! »

« Nan. J'ai dis que la nouvelle est mauvaise. »

Le trio commence à se calmer. Ils écoutent le Lanyshta.

« L'antidote a pas marché. Il est mort. »


Silence.






Ils se regardent bêtement. Ils comprennent peu à peu.


La tristesse leur monte à la gorge.

Ils sont ivres. La joie les quitte. Brutalement. Les arrache. Ils chutent.

Affligés.


« Alors on l'a sauvé pour rien… ha ha… t'as joué les héros pour rien, Dassen. »

Un gros barbu claque sa main sur la table.

« PUTAIN ! On a perdu un frère ce soir ! À cause de ce putain de remède de fiotte ! Pourquoi ça a pas marché ? DASSEN ! Pourquoi ça a pas marché ?! »

« J'ai pas tout compris. Un problème avec ses veines. Ça a mal circulé. »

Ils ont l'air gêné. Ils savent de quoi parle Dassen. Ils en prennent de temps en temps eux aussi. Moins que Lorthy.

« JE VAIS ALLER VOIR CE PUTAIN DE MEDECIN ET JE VAIS LUI ENFONCER MON FLINGUE AU FOND DE LA GUEULE ! »

Le barbu s'est levé et pique une crise. Il renverse son verre, renverse les chaises. Il insulte les clients qui le regardent de travers.

À la table, un peu de morve coule dans l'épaisse moustache d'un gars maigre qui se met à se parler tout seul. En reniflant d'une voix aiguë.


« Ça arrive rarement que quelqu'un y passe. Une ou deux flèches de Krynnan, ça pique un peu, mais il aurait dû se relever. Ici on a tous déjà vécu ça. De temps en temps dans les égouts il y a des bestioles qui s'infiltrent, des Krynnans qui se promènent. Parfois ils essayent de saboter le système d'évacuation des eaux alors il faut s'occuper d'eux. D'habitude on a juste le temps de voir une ombre qui s'enfuit en nous entendant approcher. Alors on répare, on désabote, et les gangs ou les vigilants s'occuperont peut-être de les traquer. On signe des papiers, on passe la main. Mais là… mais là… ! »

« Ils avaient envie de saigner du Krolanne. »

Ils se tournent vers Dassen, un peu choqués.

« Quoi ? On les as fait morfler. Même Lorthy avec sa blessure. Même à la fin, il aura pas eu de quoi rougir. »

Le barbu s'approche de Dassen et lui donne une claque dans le dos.

« Bien parlé ! Ouais ! Il s'est battu comme un putain de démon de Lanyshta ! »

Ils hochent tous la tête . Ça fait de l'effet. Ça les rassure. Une petite flamme de rage et de fierté brille dans leurs yeux. Ils sont soudés. Ils se relèveront. Soudain Dassen prend une bouteille à moitié pleine et la brandit au dessus de sa tête.

« À Lorthy ! »

Sten le barbu, avachit sur Dassen prend une puissante inspiration et beugle avec les autres :


« À LOOOORTHYYYYYY !!! »


Les murs de la taverne tremblent. Ils avalent tous une rasade. Sten se rassoit avec Dassen. Dassen, c'est leur assistant mécano. C'est le gamin, le petit nouveau. Un teigneux qui apprend vite et qui s'adapte. Il connaît un peu les Dessous et a l'expérience du combat. Le job est fait pour lui. Mais ils ne savent pas que ça ne suffit pas à Dassen. Il veut aller vite. Il veut qu'on s'adresse à lui quand ça négocie. Il ne veut pas être un simple assistant. Il veut être indispensable. C'est probablement pour ça qu'il a menti.

Le moustachu se penche ironiquement vers lui.

« Et à notre très prochainement nouveau mécano ! Le p'tit nouveau ! »


Les membres de l'équipe C-3 du comité des agents d'entretien du Kil'sin finissent la soirée ivre mort et ne parviennent pas à rentrer chez eux. À l'exception de Dassen Dorn.

Il fait nuit, le reste de l'équipe est affalé sur l'une des tables de la taverne. Dans quelques instants on les mettra dehors. Il n'a plus rien à faire avec eux. Il sort. Il déambule. Discrètement. À quelques pas de lui apparaît une bouche d'égout. Personne autour. Il s'y penche. Il sort un objet de l'une de ses poches. Il le laisse tomber entre les barreaux. Le couteau Krynnan chute et tombe dans l'eau.

Emporté par le courant, personne ne le retrouvera.



alias Djet Tamère

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