***
Ce jour là, rien de particulier.
Du moins seule elle pourrait le dire.

Devant la boutique, le même monde qui circulait sans cesse.
Il y avait ce type, on avait jamais vu sa trogne dans les parages, assis juste en face.
Pas l'air trop sympathique, mais on voyait bien pire. Après quelques heures, il se leva et vogua vers d'autres flots.

Quelques instants après, une silhouette arriva.
Celle ci entra dans le Rat Liseur.


La cliente impromptue.

Aucun signe visible, une cliente lambda.
Excepté qu'elle était couverte d'un manteau et que son visage était caché par une capuche.
Elle se cala près d'un rayon un peu à l'écart, fit mine de chercher un livre.
On voyait assez bien ce qu'elle faisait, même si on la voyait pas elle.

Elle prit un livre.
Le geste qu'elle fit ensuite, laissait un doute.
Ouvrir un livre, y passer la main comme pour s'assurer que les pages étaient lisses. Puis le fermer.
Et ensuite, ranger le tout au même en droit, en laissant dépasser la reliure de l'étagère.

Sans demander son reste, elle quitta la boutique.
Ni bonjour, ni merde.
Dossier clôt?
***

*** Cet après midi là,
elle s'était calée sur le rebord d'une des fenêtres vers le fond de la boutique.
Celle donnant tout à loisirs de plonger son regard sur la cour intérieur qui était soigneusement fleurie.
Elle avait un bouquin sur les genoux et son regard dans le vide semblait poursuivre une idée foisonnante dans son esprit à moins que cela ne fut le manège incessant
d'un papillon qui la tenait à l'écart des lignes de son chapitre.



Quoi qu'il en fut,
elle revint dans le Réel de la boutique lorsque le carillon résonna à l'ouverture de la porte.
Elle pencha la tête discrètement pour voir qui venait d'entrer.
Elle n'était pas ce genre de vendeuse à mettre le grappin sur le premier client passant le pas de la porte.
Ici les livres avaient suffisamment de flaire et de pouvoir pour savoir alpaguer d'eux même l'âme curieuse qui franchissait le seuil. Les gens n'entraient jamais pas pur hasard au Rat Liseur.

Alors de son point d'observation, elle l'observa.
Silencieuse.
Fixant le trajet et les gestes que la silhouette encapuchonnée avait fait.

Elle avait la langue levée pour lui dire que l'oeuvre qu'elle s'apprêtait de choisir était une pure merveille de la littérature Kil 'sinite, tant son auteur avait fait preuve d'originalité dans son style et de fantaisie de sa vision de décrire les endroits secrets de la cité;
mais l'attitude étrange la stoppa dans son approche.

Lorsque l'inconnue repartit rapidement sans demander son reste, elle se leva, quittant la quiétude de l'endroit et s'approcha de l'étagère où siégeait le livre qui avait été bougé.
Elle connaissait ses livres par coeur, ou presque.
Et de surcroit ils savaient protéger les trésors qu'ils renfermaient.
Alors elle se saisit de l'ouvrage et s'empressa de tourner les pages jusqu'à trouver.....

Elle laissa un "oh" de surprise s'échapper de sa bouche. ***

***
Une simple note.



La Fontaine des Huiles.
C'était pas très loin des Puces, assez peuplé.
Les jeux en pierre, c'était un espace avec des blocs de pierre disposés de façon régulière, qui servait à des rencontres ludiques. Entre autre.

Et effectivement, il devait y avoir des bancs là bas, le lieu se prêtait volontiers à des activités plus calmes que les Koï.

Bref, certains mots trouvaient du sens dans ce bout de papier. Pas tous.
Tiens, c'était signé...?
***

*** Elle relut le mot trois fois, peut-être même quatre,
se demandant ce qu'il pouvait y avoir de particulier pour que
Sierra prenne contact avec elle de la sorte.
Il n'y avait pas d'horaire de précisé,
mais si l'inconnue était venue maintenant,
cela pouvait être pressant.

Elle partit dans l'arrière boutique,
renoua ses cheveux blancs en une grosse natte et attrapa sa cape,
elle la posa sur ses épaules et mit la capuche sur sa coiffure.
Arrivée à la porte elle tourna le petit écriteau où elle marqua :

*réouverture demain dans l'après midi*

Elle avait aussi des petits courses à faire pour sa potion aux puces et
cela risquait de lui prendre un peu de temps.

Elle quitta donc la boutique par un tour de clé et
partit jusqu'au lieu du rendez vous.

Elle arriva sur la placette et s'avança d'abord jusqu'à la fontaine,
glissa la main dans l'eau fraiche et regarda les habitants du fond.
Des carpes koï ondulaient non nonchalamment dans le bassin,
faisant briller leurs écailles aux rayons du soleil.



Puis elle promena son regard sur les alentours et
trouva un banc libre de tout occupant.
Elle s'y assit et pour patienter reprit la lecture en cours;
non sans jeter fréquemment des petits coups d'oeil aux mouvements de la place.
***

***
Un groupe de gamin jouait là.
Des grands avec des plus petits. L'amusement était partagé, homogène.

Il y avait aussi deux krolannes âgées autour d'une 'pierre', en train de s'échanger des plaisanteries.
Mais aussi des marchands trainant leurs caisses, des colporteurs, et de la petite foule.
L'atmosphère restait toutefois apaisante.



"Ne vous retournez pas, je vous prie" s'exclama une voix derrière Feya.
L'encapuchonnée de tout à l'heure se trouvait sur l'autre versant du banc. Du coin de l'oeil, elles pouvaient se voir.
Mais l'invitation était assez claire, d'ailleurs, elle-même ne fit pas mine de porter de l'attention à la libraire.
"Une belle journée, hum?" ajouta t-elle, histoire de parler.

Un enfant fila vers les puces Koï, un parchemin en main.
Sans doute un Rapporteur.
La vie continuait donc, c'était là une conversation tout à fait anodine au milieu de la même foule qui passait et repassait là tous les jours.

"Ca n'a pas été facile de venir vous voir...vous savez?"
La question portait en elle-même une sorte d'étrangeté, de non sens.
Mais le silence que Sierra marqua avant sa question, indiquait qu'elle en avait conscience.
Et qu'elle testait peut être la réaction de Freya.
***

*** Elle garda donc son visage plongé dans son livre.
Vu de loin, certains auraient pu croire qu'elle lisait à voix basse.
Après tout, chacun ses petites manies !

Mais les lèvres de Freya prononçaient des mots bien loin des vers écrits sur les pages blanches.

"Quel drôle de rendez vous Sierra !

Si vous vouliez me parler, nous aurions pu tout aussi bien le faire autour d'un thé dans mon arrière boutique, et j'aurai pu tourner l'écriteau en marquant que je faisais un inventaire !



Diable, venir jusqu'aux puces était-il si difficile ?
L'endroit n'est pas si éloigné que cela ....et ma boutique, toute modeste soit elle,
n'est pas si difficile à trouver ?

Non, mais je m'égare et puis cela vous regarde peut-être,
mais dites moi par contre,
vous êtes venue me voir ...pourquoi ?"

Elle remit une mèche de cheveux en place,
était ce un tic ? ou un toc ? ou un tic tac toc ?
ou juste une mèche passablement rebelle, allez savoir !

Elle posa son livre sur le banc, se retourna, sourit à la jeune femme à coté sans plus de cérémonie.
Elle se leva, s'étira un instant, courut jusqu'à la fontaine, porta les mains dedans, effrayant un peu les carpes et but une gorgée.
Elle revint se rassoir et reprit son livre en main. ***

***
Il y eut un silence.
Non pas gêné.
Mais comme si les propos de Freya avait un tout autre sens pour Sierra.
Tout juste libéra t-elle un soupir rieur.

"On aurait pu oui...mais je préfère discuter sans être épiée, si vous n'y voyez pas d'inconvénient." énonça t-elle avec un ton sérieux, "Vous devez bien connaître Valsandre, non? Et ne jouez pas l'innocente." paroles lâchés sans provocation, pourtant ils appelaient à nouveau une réaction. A contre-courant de la légereté de Freya, tout cela résonnait d'une gravité qui ne se dévoilait pas.
***

*** "Nul inconvénient, mais dans ce cas, l'arrière boutique aurait été parfaite.
Ce ne sont pas les livres qui y séjournent qui vous auraient dénoncé à votre bourreau !

Et pour répondre à votre question, je ne connais pas plus Valsandre que vous Sierra !
Juste que l'un m'a hébergée et l'autre m'a veillée, sous la demande de Monsieur Montclaire.
Nos chemins se sont croisés, nos destins entremêlés....comme une tisseuse qui prendrait différents fils pour faire sa tapisserie, je suis venue l'agrémenter, comme vous ou eux..."

Elle désigna du menton le groupe d'enfants qui sans vraiment se connaitre s'étaient joins les uns aux autres pour jouer.



Après tout, ce qui liait les gens les uns aux autres étaient multiples et variés,
une cause commune, un goût commun, une volonté, des idéaux, des envies, des passions, des problèmes, des solutions, c'était tout un monde foisonnant qui unissait les individus.
Certains avec d'autres et d'autres avec des personnes qu'ils n'auraient jamais pensé.
Mais bon, là n'était semble t-il pas la question ni le débat, alors Freya fixa cette fois ci Sierra et lui dit :

"que se passe -t-il exactement ?" ***

***
"Dans un lieu public, on peut toujours s'éclipser.
Dans une boutique, on est pris au piège." dit elle songeuse
"Vous n'y êtes vraiment pas...Je connais très bien ces deux là. Depuis quelques années maintenant. Et je dois sans doute être la seule à ne pas m'être lassée de leur petits jeux.
Surtout ceux de Valsandre." après un bref silence "
J'en conclus que vous n'avez rien remarqué?"

Nouveau silence.
Réponse attendue ou question rhétorique, elle renchérit.
"...que vous étiez sous 'surveillance'?".
A cela, elle ajouta un soupir rieur, encore un.
Il était étrange comme à chaque phrase qu'elle énonçait, Sierra laissait chaque fois un temps de réaction, sans nécessairement attendre une réplique. Comme si, la façon dont son interlocutrice encaissait les informations était elle-même une source d'information. Comme si, elle était à l'affût d'une anomalie.
Bien que son ton soit enjoué, cette manie renforçait l'impression qu'elle était sur ses gardes.
"Laissez...
vous n'avez pas le profil d'une de ses acrobates de toutes façons.
Pourtant c'est ce que j'ai pensé sur le coup.
Mais Montclaire -comme vous l'appelez- n'aurait pas fait tant zèle avec son cousin si ça avait été le cas. Vous êtes liée à lui davantage qu'à Valsandre, ça j'en suis sûre. Bien que je ne sache pas par quoi.
J'avais jamais entendu parler de vous avant ce soir là..."

Nouvelle pause.
Tant de mystères, de discordances, d'incongruité.
Si tout cela résonnait fortement la paranoïa, la jeune femme dégageait pourtant un certain calme.
Et toujours une pointe d'amusement. Comme si cette vie bien animée lui allait comme un gant.
Vu de l'extérieur ce ne serait sans doute pas perçu ainsi.
Peu importe : cela faisait toutefois de Sierra, un Mystère dans le Mystère.

Une gamine hurla de joie à l'autre bout. Une vraie cours de récréation ici. Deux silhouettes s'étaient rapprochées des 'pierres'. Et derrière il y eut une accalmie dans le flot des piétons.
***

*** Le livre lui échappa des mains, il glissa sous la surprise
et elle s'empressa de le récupérer au sol.
Cette fois ci elle fixa Sierra directement.
Un instant de silence.
Que dire ?
Elle était surveillée ?
Par qui ?
Par Lui ?
Alors qu'il avait la possibilité de le faire indirectement.
Par Valsandre ?
Pour quelle raison ? quel motif ?
Sa pierre ?
Cela n'avait pas de sens...en soi...

Alors toujours à scruter la jeune femme en silence comme si elle cherchait une réponse tombant du ciel,
le vent se leva sur la place, faisant danser les feuilles des arbres.

Les yeux de Freya se posèrent dessus, puis revinrent à son inconnue, plus tout à fait mystérieuse.
Et, elle éclata de rire :

"Me surveiller ?
En voici une bien drôle d'idée !
Me surveiller pour quoi ?
J'ai une petite vie bien tranquille,
travaillant entre ma boutique et le C.U.L pour de l'archivage.
Alors je me demande bien qui voudrait connaitre
la vie trépidante d'une jeune libraire arkéolite !!"

Elle rigola bien davantage,
le vent portant dans les airs le sons cristallin de son rire.

"oui décidément je serai curieuse de savoir qui s'intéresse à ce point à ma petite vie ?
Monsieur Valsandre ?
Il souhaite refaire un duo de piano ? de clavecin peut-être même ?
Mais vous pourrez lui dire que je préfère les petits plats simples
si l'envie de manger lui prenait à nouveau !"




Là dessus elle observa le vent et son visage se crispa un instant.

"hum... ne préféreriez-vous pas rentrer ?
si vous êtes suivie, je vous ferai sortir par la cour de derrière, ce n'est pas un problème...
et j'occuperai votre pisteur...
Le temps va tourner et un orage risque d'arriver sous peu...
croyez moi."

Et à ses mots, des nuages s'amoncelèrent dans le ciel, masquant le soleil, s'entassant les uns aux autres dans un grondement sourd.

***

***
A cette invitation, Sierra répondit sans lever les yeux vers le ciel :
"Non."

Un peu sèche, mais apparemment déterminé à ne pas transformer cet échange en discussion amicale autour d'un thé et de biscuits. D'une manière où d'une autre, elle avait une intention bien précise. Et ce n'était pas de faire connaissance avec Freya. L'hôtesse du Rigsor jouait un jeu étrange qui échappait à la libraire pour le moment.
"Vous ne connaissez vraiment rien de cet homme..." fit elle, puis elle ajouta, amusée "...ou alors vous êtes une excellente actrice."

Sierra essayait de décrypter Freya. Comme si finalement, c'était elle le Mystère. Ou la Clé. A travers ses mots, il était perceptible qu'elle essayait de jauger son interlocutrice et les quelques répliques soulevaient en elle davantage d'inconnue. Elle n'en paraissait pas pour autant décontenancé. Au contraire, il y avait chez elle ce même petit amusement qu'ont visiblement nombre des résidents du Rigsor. Danser avec les mystères, jongler avec les aléas, embrasser le jeu corps et âme. Malsain ou pas.

Après ce énième silence, elle eut un mouvement nonchalant. Comme un geste inconscient exprimant qu'elle prenait la décision d'engager la suite de la conversation. De tenter sa chance.
"...Valsandre aime contrôler son monde.
C'est maladif chez lui. Surtout avec son cousin.
Vous, vous êtes juste sur la route sauf que personne vous avez vu venir.
Libre à vous de me croire."
Les nuages grondèrent.
Cela n'empêchait pas les gamins de continuer de jouer. Les deux femmes par contre s'éloignèrent de leur pierre pour disparaître dans l'allée des Cimenteurs du Voran. Mais derrière, la foule ne circulait pas plus vite.
"Trêve de détour.
J'ai les mains liées. Et la conscience lourde.
Vis à vis de Montclaire et toute cette histoire des Funambules.
Ca fait trois ans, mais c'est comme si c'était hier. Je compte pas réouvrir la plaie.
En parler à Montclaire, encore moins, il a eu sa dose. Je veux juste me libérer d'un poids.
Peut être que ça ne servira à rien..."
Encore des propos qui n'avaient point de sens pour Freya. Décidément, la vérité était voilé par de forts ressentiments, comme le ciel par les gros nuages grisâtres là haut.
"...au fond, vous n'êtes pas concernée. Je sais.
Mais je sens que vous êtes quelqu'un de bien.
Vous êtes étrangère à toutes nos manigances, aussi m'en remettre à vous, c'est comme laisser décider le Hasard.
Je ne sais pas ce que vous savez de Montclaire. En fait, tout ce qui importe, c'est que vous le connaissiez.
On va dire que je compte sur le fait que vous êtes aussi bien intentionnée que lui.
Au pire, ce sera un coup dans l'eau."
Un jugement, le Hasard, des manigances, tout cela aurait-il un sens pour Freya? La libraire pouvait mesurer toutefois que le Voile cachait bel et bien un historique très difficile à porter. Une pelote de laine. Elle qui avait perdu le fil de sa vie, la voilà devant une fournée de fils épars et entremêlés dont elle n'avait pas la moindre idée par quel bout les prendre.

Sierra avait réajusté son manteau et son capuchon. Comme prête à partir.
"Que vous ayez la curiosité ou pas de vous intéresser à toute cette affaire, au final, je m'en remets à votre jugement.
Pourquoi vous? Je vous l'ai dis : parce que vous êtes sur la route.
On entre au Rigsor, mais on en sort jamais vraiment."
Comme un pot de mélasse. Impossible de s'en dépéguer.
***

*** Elle était vraiment étrange cette Sierra, avec tous ses mystères,
tout ce monde qui semblait empli de manigances et d'obscurité.

Quel sens à ce petit manège intriguant devait elle comprendre ?

Elle regardait le ciel qui noircissait à vue d'oeil
tout en conservant une oreille attentive aux paroles de la jeune femme.
Elle craignait le pire.
La ribambelle de gamins allaient finir par courir vers leur logis
mais y arriveraient certainement trempés de la tête aux pieds.

Elle ajusta sa capuche sur sa tête,
le vent était plus cinglant et lorsque les deux femmes se dirigèrent
dans l'allée des Cimenteurs du Voran
un tourbillon vint faire gicler l'eau de la fontaine
qui inonda les pavés de la place cette fois ci délaissée.
Elles se retrouvaient étrangement seules assises sur le banc.
La pluie n'allait pas tarder à tomber et à son tour humidifier le sol.

Les iris lagon-citrine de Freya se posèrent sur le minois de Sierra,
elle fronça un sourcil et lui répondit :

"Non je ne connais pas Valsandre, je ne lui avais jamais parlé
avant de me retrouver au sein de sa demeure.
Je ne connais hélas pas plus Montclaire...."

Elle soupira et poursuivit :

"notre relation est...compliquée, enfin elle est un peu spéciale...irréelle et réelle à la fois...enfin vous ne pourriez pas vraiment comprendre je crois, mais finalement,
ce n'est pas votre question ?
ni la réponse que vous attendiez de moi."

Le vent souffla sur la place, faisant voler les pans de leur cape
et fouettant leur visage. Dans le ciel des lueurs zébrèrent la voute nuageuse.



"il faut se hâter Sierra, en quoi je puis vous être utile au juste ?"

Elle se cala derrière un pot de fleur contenant un immense olivier qui malgré son branchage touffu n'appréciait pas plus de se faire souffler dans les branches.



"cette histoire des Funambules...." reprit elle songeuse,

"Ca fait trois ans, dites vous, mais après tout ce temps, si vous ne voulez pas réouvrir la plaie en en parlant à Montclaire,
pourquoi moi ?
Vous voulez juste vous libérer d'un poids, soit, mais de quel poids parlez vous ?
Que c'était il donc tant passé entre vous trois ?
et..."

Elle secoua la tête...
"mais pourquoi moi ?
Parce que je suis sur votre route, cela n'a pas de sens...."

La tempête s'approchait à grand pas.
Freya se leva du banc et dit à Sierra :

"il va falloir s'abriter, mais je suppose que vous allez encore refuser mon invitation, à croire que c'est de moi que vous vous méfiez.
Alors lorsque vous serez prête à parler sans prendre de tours et de détours,
peut-être pourrai-je,
enfin je ne le sais encore,
mais apporter une réponse à ce qui semble vous préoccuper !"

Le tonnerre gronda furieusement. ***

***
L'esprit de Freya acceptait le Voile qu'on lui tendait. Et d'une certaine manière, parvenait à le percer.
A en percer les vanités.

Sierra restait assise.
"Les Funambules...vous trouverez ce qu'il y a à savoir chez les Rapporteurs ou quelques groupes d'Archivistes. Pour les Vigilants, c'est plus nébuleux, je préfère ne pas vous les conseiller.", elle inspira, puis reprit sur un ton plus grave "...vous savez, ce n'est pas que nous trois. Nous sommes juste parmi les rescapés. Mais on a y a perdu beaucoup. Des amis. Voilà pourquoi ce n'est pas cicatrisé. Et pourquoi, j'ai besoin de m'en libérer."

Pour la première fois, elle tourna la tête vers Freya et la fixa du regard.
"J'ai été suspectée à l'époque. Comme tous ceux du Rigsor. Donc j'peux pas me permettre d'y remettre les mains. Et Valsandre verrait d'un mauvais oeil que j'aille fricoter avec ceux du Comité Côtoyeurs, ou un type comme Jamal. Même en y prenant garde, il finirait par l'apprendre."

Elle se leva à son tour, accompagnant ainsi la conclusion inévitable de cet échange unilatéral.
"...vous à l'inverse, vous n'êtes pas liée à tout ça. Valsandre vous fait surveiller, mais c'est pour d'autres raisons. Et vous êtes avertie maintenant."
De pleines gouttes tombaient désormais. Ce n'était que l'introduction avant un déluge annoncé.
"Sous mon banc, j'ai laissé une boite pour vous. C'est tout ce qui me reste de ce passé. Cosm l'avait donné à son frère, Eki. Qui lui même que l'a donné. Ils ne sont plus là pour la réclamer. Je sais qu'ils ont tenté de faire tomber le commanditaire. L'employeur. Ils ont rassemblé ces informations quelque part. Je ne sais pas où. Mais peut être que là dedans, il y a de quoi remonter jusqu'à ce lieu."


La boite sous le banc, assez grande pour contenir des documents.
Assez petite pour tenir sous le manteau.


Un pas l'éloigna du banc.
"Faîtes en ce que vous voulez. Brûlez le si il faut. Mais choisissez vite, elle va prendre l'eau."

Un autre pas plus loin.
"Je serais vous, je ne viendrais plus trainer au Rigsor. Et j'éviterais de parler de tout cela à Montclaire. Lui poser quelques questions ne le tuera pas, mais il a fait le choix d'oublier, alors autant ne pas le blesser inutilement avec de faux espoirs. A la revoyure!".

Sans demander son reste, elle fila de l'autre côté de la place, par la ruelle Albin le Sabotier.
Et la pluie s'intensifiait petit à petit.
Le banc retenait déjà un peu d'eau.
Tout serait noyé d'ici quelques minutes.

Des circonstances parfaites pour une prise de décision.
***

*** Elle regarda Sierra puis le banc.
Les gouttes d'eau allaient bon train et lorsque la jeune femme pris le large, elle se hâta de se pencher sous le banc pour sauver la petite bois qu'elle glissa spontanément sous sa cape.

Était-ce de la curiosité ?
Était-ce son goût pour le mystère ?
Était-ce sa volonté conservatrice ?

Quoi qu'il en soit elle resta planté sur la place encore un instant, puis levant les yeux vers le ciel elle grommela :

"Faut toujours que tu ramènes ton grain de sel toi !
Tu ne veux pas me laisser cinq minutes tranquille ? non ?"

Et à peine eut elle fini ses mots que l'orage tonna férocement.
Alors elle se dépêcha de rentrer au Rat Liseur.
Seul le son de ses pieds bottés résonnait sur les pavés mouillés. Les ruelles étaient terriblement désertes et étrangement les volets et les rideaux des maisons avaient été tiré.

Alors elle en profita pour lancer une petite boule d'énergie dans le ciel, arrivant devant chez elle, et étonnamment, la pluie diminua un instant.
Elle put sortir sa clé et entrer dans le repère des livres...

Une fois à l'intérieur, elle se débarrassa de sa cape trempée et sortit avec délicatesse la petite boite qu'elle posa sur la table.
Elle observa le bois qui avait un peu gonflé par endroit à cause de la pluie.
Elle déplia soigneusement des feuilles absorbantes en prévention si le contenu avait besoin d'être épongé.

Alors elle ouvrit lentement le couvercle...
***

***
Le choix de la curiosité.
Alors, sans transition, assouvissons la.

D'abord la boite.
C'était une boite en bois. Solide et légère, du travail simple d'artisan. Pas de fioritures, pourtant elle avait été proprement vernie. Bref, une boite pour cacher des choses, somme toute très classique. Pour cacher des secrets peut être?

Allons y pour les secrets justement.
Sous le couvercle, c'était bien rempli.
En premier, des gants de cuir de bonne facture, mais froissés d'être trop longtemps restés dans cette boite sans doute.



Juste en dessous, une pile de feuillets, de notes et de lettres.
Au premier coup d'oeil, cela ressemblait assez aux documents que l'on voyait partout circuler dans le Quartier, dans les mains des Rapporteurs, des Répéteurs, et autres colporteurs. Du courrier, des messages, des articles, des renseignements. Au Sin, on était sans cesse inondé par cette paperasse de 'l'information en continue'. Généralement, cela finissait dans une poubelle. Ou dans les cabinets d'archives qui les retraitaient après que les Comités de diffusion eussent écrit leurs compte rendus publics.
Rien empêchait de les collectionner...



Juste après, il y avait une lettre, seule.
Signé par un certain "C." -disons que c'était ce qui sautait aux yeux.



Enfin, il y avait un article plié.

C'était tout.
***

*** Fébrilement elle ouvrit donc la boite de Sierra,
heureusement qu'elle ne se prénommait pas Pandore ...
Elle sortit méticuleusement le contenu,
les gants,
la pile de feuillets attachés,
la lettre et l'article plié qu'elle laissa intact.

Elle porta tout d'abord son attention sur les gants.
Quelle histoire pouvait bien entourer ces cuirs ?
Ils étaient d'une très belle facture, elle apprécia les arabesques dessinées,
la minutie du détail.
Les lacets ne semblaient avoir souffert même si le cuir était un peu froissé.

Elle les retourna, dans un sens puis dans l'autre et finalement poussée par l'envie,
elle les enfila.
Et le moins que l'on puisse constater c'est qu'il lui allaient comme un gant !
Elle eut un long frisson qui lui parcourut l'échine et une pensée s'échappa.

Pensée :


Elle fixa les mitaines à ses mains, elles étaient vraiment merveilleuses
et quel passé pouvaient elles avoir ?
Ce mystère était encore plus excitant.
Elle laissa ses pensées divaguer un instant.

Pensée :

Elle frissonna à nouveau tout en les regardant avec une certaine fascination. ***

***
Qui?
Quelqu'un qui ne pourrait jamais plus les porter.
A priori, ils avaient été fait pour une femme. Par quelqu'un qui savait excessivement bien s'y prendre.
Et Freya pouvait s'en rendre compte, tant la "prise en main" fut agréable.
La même personne avait fait trous, coutures, lacets et le reste.
Un travail soigné, fait dans un atelier avec les meilleurs outils.
Un gantier donc.
Quoique...
Il y avait peu de fioritures. Hormis ces arabesques, la composition était assez classique.
Peut être un artisan du prêt à porter -façon de parler-.

Une histoire, c'était certain, les avait conduit là. Fripés dans une vieille boite.
Sierra aurait tout à fait pu les porter. Mais elle ne l'avait pas fait. Étonnant.
Il est vrai qu'elle avait précisé ne pas avoir toujours possédé la boite. Et son contenu.
Les gants étaient donc un bout d'une autre vie, d'un autre récit. Un morceau de puzzle dont rien indiquait qu'il s'assemblait avec le reste des secrets de Pandore.

Quant à savoir si le propriétaire était aussi l'artisan...

L'esprit de Freya se tourna vers d'autres fils entrelacés.
Elle cherchait un écho.
Tisser.
Lier.

Un frémissement.
Un noeud...


...


Chtomb!
Un truc venait de glisser depuis l'article plié et de finir par terre.
Interrompant ainsi les pensées de la jeune femme.



Un médaillon.
Et là encore, quel ouvrage!
Mais c'était même d'un tout autre acabit.
Il s'agissait d'une pièce de luxe. Un véritable bijoux d'artiste.
De quoi permettre à Freya de rénover sa boutique et faire quelques autres petits investissements.

Que fichait ce machin là?!
***

*** "Oh" fit elle de surprise.

Elle se baissa et récupéra le médaillon.
Il était vraiment magnifique, en dehors du sien, elle n'avait jamais porté ni vu de bijou de cette qualité.
Elle le fit tourner entre ses doigts pour qu'il prenne la lumière.

À coup sûr la dame qui avait dû en être la propriétaire devait se faire un sang d'encre de l'avoir perdu.
À moins que cette dernière ne soit plus de ce monde ci et que le médaillon soit devenu un objet de famille.
Mais justement à qui donc pouvait il appartenir ?
aujourd'hui encore ?

Et il était certain que Sierra n'avait pas ouvert la boite,
sinon elle lui en aurait parlé.

Que faire ?
Retourner voir la jeune femme au Rigsor ?
Et la questionner ?
Peut-être ne savait elle rien d'ailleurs.
Sortir avec le bijou ?
Et risquer de se faire alpaguer et soupçonner de vol ?

Elle pourrait se rendre au C.U.L après tout, quelqu'un là-bas saurait examiner et trouver l'origine du bijou,
ou passer voir un joailler....

Elle sembla plonger dans une grande réflexion lorsque le carillon de la porte d'entrée tintilla.


***

***
Beaucoup de questions.
Si peu de réponses.
Pourtant certaines se trouvaient peut être sous les yeux de Freya.

Ces objets, ces gens, ces histoires. Tous étrangers.
Ils n'étaient rien pour la libraire. Juste un maigre lien avec Montclaire.
Le médaillon avait toutefois un peu animé sa curiosité.
Ou sa conscience.

Quant à creuser davantage, ce n'était peut être pas le moment.
Le Vent semblait l'appeler ailleurs.
Et qu'apportait-il?
Un client?
Ou des ennuis?
***

*** La porte s'ouvrit donc sur une petite vieille
avec un parapluie en tissus vert.


Des comme on en fait plus !
Vêtue avec une longue robe de petite vieille,
à la teinte de la terre profonde, le sienne vivant;
avec les épaules recouvertes d'un châle soigneusement tricoté à la main,
et très certainement avec une laine mohair d'une rare qualité.

Les mailles étaient toutes de la même taille,
pas une erreur de proportion.
Le châle était d'un ocre blanc assez étonnant,
comme si la chèvre qui avait donné sa toison s'était appliqué
à ne pas trop la salir dans les pâturages.
Et pour parfaire le tableau cette petite vieille avait noué
ses cheveux blancs en un chignon savamment travaillé.
Le tout tenait avec une épingle en argent qui
représentait une hirondelle à sa pointe.

Donc notre petite vieille s'avança à petits pas dans la boutique.
Ayant pris soin de refermer son parapluie et de le déposer dans le bac de l'entrée prévu à cet effet.

Elle remit sur son nez ses petites lunettes et d'une toute petite voix appela :

"Mademoiselle !
Mademoiselle ! vous êtes là ?"

Freya, s'empressa alors de remettre les lettres
et le contenu dans la boite qu'elle referma
et se dirigea vers sa nouvelle cliente.
Elle avait conservé les mitaines à ses mains, un oubli ?
Il faut dire qu'elles lui étaient fort agréable à porter.

Elle s'avança donc vers la porte et s'arrêta à hauteur de la Dame :

"Que puis-je pour vous Madame ?"
demanda t-elle d'une voix très polie.

Alors notre petite vieille posa son regard azuré sur Freya.
Elle ne dit rien en premier lieu, mais la détailla de pied en cape,
même si elle n'avait plus sa cape d'ailleurs.

Elle tendit la main vers elle est tout en la pointant du doigt dit :

"Méfiez vous des potions qui font boum !
quand elles vous explosent au nez, il y a toujours des particules qui flottent et que vous inspirez !"

Et là dessus, comme si elle n'avait pas,
plus vraiment toute sa tête elle enchaina :

"vos gants sont ravissant !
un héritage familial peut-être ?"

Puis elle tortilla son nez et continua :
"Vous devez faire cette potion...c'est important pour vous !
Pour tourner la page...faire votre deuil.....
La larme de Scylla....coûte chère...mais elle est essentielle."

Puis elle eut un petit soubresaut et regarda Freya :

"le temps est plus froid...gardez bien les gants à vos mains...je vais me rentrer."

Et là dessus, elle se retourna,
reprit son parapluie ainsi que la direction de la porte.

Laissant une Freya complétement abasourdie par cette visiteuse
qui ressortit sans plus de cérémonie. ***