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Le droit chemin
 
Natisha Bel-Ami
Paria
Kil'sin  
Le Dhiwara 26 Jayar 816 à 15h06
 

En plan large : la rue, la nuit.
Sur un coin de rue, des adolescents dégingandés se sont appuyés contre des murs. De temps à autres, des passants s'arrêtent à leur niveau. L'échange est rapide. Les guetteurs quadrillent le territoire et s'assurent qu'aucun rival ou vigilant ne vienne les surprendre. Les coursiers vont jusqu'aux caches, gardées par des types armés, pour retirer la marchandise. Le client s'en va, ravi, et délesté d'une certaine partie de son argent.

A la fin de la soirée, les bénéfices sont comptés, vérifiés, et transmis à un supérieur. Plus haut placé dans la hiérarchie de ce petit commerce, ce dernier est aussi plus dangereux et plus futé. Il est habilité à gérer les écarts de ses hommes lorsqu'il y en a, et il prend en charge la gestion du territoire. Il ramène toujours les bénéfices au lieutenant, qui est le seul à pouvoir discuter directement avec la tête pensante de ce circuit économique fort rentable.

Bref, c'est un trafic de drogue très organisé, vous l'aurez compris.
Des petits pions font sagement leur boulot sur un grand échiquier, incapables de se représenter ou d'imaginer ce qui les gouverne. Tout tourne toujours bien rond dans le Jeu.
Mais pour que ça tourne aussi joliment rond, il faut des gens malins. Des sortes de consultants économiques prêts à prendre des risques. Des fournisseurs et des planificateurs. Qui interviennent s'il y a un couac quelque part et garde toujours le circuit très fluide,de A jusqu'à Z. Et ça, ça tombe bien, c'est le job de Natisha – Tisha pour les amis, Titi à l'occasion, si on ne tient pas à sa langue.

Spécialiste autodidacte en transport et logistique, sa tâche, c'est de faire en sorte que la marchandise se balade sans soucis d'un Kil à l'autre et intra muros. Son employeuse, Merika Largent, a sans doute eu besoin à un moment ou l'autre d'une jeune louve ambitieuse capable d'écrire son nom sans froncer les sourcils et se mettre à baver. Quelqu'un qui a des projets et une vision, capable de brouiller les pistes. Ou en tout cas, c'est ce qu'aime se raconter l'inénarrable Natisha. Peut être Merika Largent l'a-t-elle prise à son service uniquement grâce à son look d'enfer et à son tour de poitrine. Ce qui n'est pas non plus pour lui déplaire : Merika est plutôt bien roulée aussi, pour son âge. Une fille a le droit de rêver, elle aussi...

Souriante comme à son habitude, notre petite Natisha est occupée pour le moment. Elle se trouve dans une cave abandonnée d'une vieille maison délabrée des Dessous, à superviser un assassinat. Ses deux co-équipiers, des jeunes gars d'une quinzaine d'années, viennent de tabasser à mort un possible indic' qui aurait chanté des jolis chansons à droite et à gauche sur leurs activités. Le petit oiseau ne chantera guère plus désormais, vu qu'il est tout raide au fond de la cave. Ce qui est tant mieux : on ne veut pas de problèmes avec les Vigilants, ou avec un énième Comité rival, ou avec des gens bien-pensants. Et il ne faudrait pas que ce genre d'attitude devienne une habitude ! L'organisation est encore jeune et donc, de facto, vulnérable. Elle doit faire ses preuves. Les mioches massent leurs poings ensanglantés. D'un ton pédagogue, Natisha dit, le doigt levé :

« Bien joué, les garçons, c'était très joli. Maintenant, on fait quoi ? »

Les ados se regardent de l'oeil bovin typique de leur condition.

«  Euh...on jette nos armes dans les égoûts et on lui balance la chaux dessus ? »
hasarde le plus costaud.

«  Oui ! Merveilleux ! Tu auras un bon point, mon chou ! Mais avant, petit malin, qu'est-ce-que tu dois faire pour que maman Merika te lorgne d'un bon œil ? »

Et qu'elle ne te décapite pas dans une saute d'humeur post-menstruelle, rajoute Natisha pour elle-même.

« Euh…. »

« On lui coupe la tête ? »

« Non, on lui coupe les mains, idiot. LES MAINS. Si le gars a un visage et des mains, c'est que c'est pas nous. Compris ? »


Les ados hochent la tête.

« Parfait ! Oh, une dernière chose : avant de l'enterrer sous la chaux, assurez-vous de le couvrir. Ça le fera se décomposer bien plus vite : et ça veut dire qu'il sera quasiment impossible à identifier.  Bon, allez, c'est pas tout ça mais j'ai des choses à faire. Je vous laisse terminer. »


Les meurtriers s'y mettent, attentifs à la promotion qui saura sûrement les trouver après de telles œuvres.

Natisha pour sa part émerge de la bâtisse délabrée discrètement, mais si satisfaite d'elle-même qu'il est presque impossible de ne pas la voir ronronner de narcissisme tandis qu'elle rabat sa capuche et marche vivement dans les Dessous avec confiance. Il est temps de faire le point nocturne avec le lieutenant aux Dés d'Argent, de revoir ses plans pour la nuit pour le trajet de demain, qui l'amènera à l'extérieur selon toute probabilité. Voire, peut être, de réussir à placer ses projets de blanchissement d'argent au chef. Ce sera aussi l'occasion de boire quelques coups et, avec de la chance, de finir la nuit avec quelqu'un de pas trop moche pour passer le temps. Qu'est-ce-qu'une fille peut demander de mieux ?

Ah, si seulement il n'y avait pas ce fichu mal de tête qui la gagne depuis le début de la soirée…

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