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La joie inaltérable des interactions sociales Fallait-il vraiment en passer par là ? |
Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Sukra 26 Astawir 814 à 16h21 |
Ca s'ra plus simple d'faire confiance en voyant ta tête.
Croyance populaire. Incohérente.
Prétentieuse, aussi.
Qui partait du principe qu'on était plus malin que l'interlocuteur, et que donc notre sagacité serait plus performante que la duplicité éventuelle de l'autre.
Il existait de nombreuses traditions sociales dans la même veine, des rites qui s'appuyaient, à son sens, sur des légendes urbaines, du genre "Quand on regarde un homme dans les yeux, on sait s'il va nous trahir".
En gardant ses mains à l'oeil, on aurait pu voir qu'il allait non seulement nous trahir, mais en plus qu'il allait le faire avec un couteau.
Et si vous vous rapprochiez d'instinct d'une personne brandissant un couteau, ou bondissiez hors d'atteinte d'une autre sortant un pistolet, vous réalisiez dans les deux cas une erreur de jugement du genre que vous n'aviez pas l'occasion de reproduire une deuxième fois.
Mais bon, les raisonnements logiques, la gestion statistique des risques et la vacuité des interactions sociales à but non informatifs étaient typiquement des discussions que Jade avait appris à ne pas aborder avec des personnes relativement inconnues.
Lhyn comprenait, même si elle avait encore du mal à pousser le raisonnement jusqu'à ses aboutissements ultimes, et avec Onyx, bien sûr, c'était jadis un plaisir d'élaborer à deux voix une stratégie unique.
Avec les autres... Mieux valait éviter. Se contenter du strict nécessaire, et enrober le tout avec des digressions inutiles.
En plus, il avait quel âge, déjà ?
14 cycles ?
14 cycles, c'était, c'était...
Adolescence. Comportement instable. Réactions émotives intenses. Esprit de contradiction développé.
Oh, génial...
Typiquement le genre de personnes avec lesquelles elle évitait de communiquer, sauf cas de nécessité.
Pourquoi avait-elle choisi de les aider au fait ?
Ah, oui. Extrapolation des bienfaits de l'intervention par rapport aux méfaits.
57% en faveur de l'implication, avec une marge d'erreur, compte tenu des incertitudes, de plus de 14 points.
Autrement dit elle aurait peut-être mieux fait de ne rien faire... Ce qui lui aurait évité ce stupide rendez-vous.
Jade hésita, à l'entrée de l'auberge. Elle pouvait encore faire demi-tour, non ?
Le gamin le prendrait peut-être comme un affront, ou une trahison, mais il rentrerait dans la sous-catégorie incompressible des pertes autorisées, et ce ne serait pas bien grave, pas vrai ?
Non. Voilà qu'elle se mettait à agir de façon émotionnelle.
La rationalité était la survie, l'abandonner, c'était mourir.
Elle entra.
Le fond. J'attends quelqu'un. Commandes à l'arrivée.
Coup d'oeil au fond, afin de voir les alcôves libres. Oh, et s'habituer, aussi. C'était comme les échauffement avant un exercice physique intense.
Et la famille, ça va ? Je prends la numéro trois. Beau temps pour la saison je trouve.
Jade laissa le tenancier modérement perturbé, mais celui-ci commençait à s'habituer aux pseudo-discussions étranges de l'immense vigilante.
Elle s'installa, laissant le rideau de l'alcôve grand ouvert afin de mieux voir arriver son interlocuteur.
Prenant une grande inspiration, Jade se prépara à une entrevue les yeux dans les yeux avec un adolescent.
Elle aurait préféré à la tranquille routine de l'heure précédente, quand on se contentait de lui tirer dessus...
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La perfection est amorale. |
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Le Dhiwara 27 Astawir 814 à 16h39 |
Si Nethald avait eu connaissance des suppositions de Jade, il aurait eu beaucoup de mal à ne pas rire. A vrai dire, il n'aurait pas pu s'en empêcher. Ou bien il se serait vexé qu'on l'ai supposé assez bête pour croire à ces aphorismes prétendant entre autre que "la poigne d'un krolanne révèle sa nature". Foutaises. Ca révélait surtout la crasse de sa paume et s'il vivait ou non de travaux manuels... Par contre, il fallait bien admettre que certains y croyaient et que d'autres, encore plus nombreux, étaient persuadés que le reste de la population suivaient bêtement ces maximes.
Ridicule...
Pour l’heure, le lanyshsta hésitait. Il voyait bien l’entrée de la Lune morte mais y pénétrer serait signer pour sa nouvelle condition. Bien sûr, il avait répondu à l’appel mental, songeant que donner son nom était un prix relativement faible à payer pour les informations et les contacts que cela lui offrirait. Mais un nom et un âge c’était peu. Pas assez en tout cas pour permettre de le retrouver. Ce que Jade avait donné, par contre c’était un peu plus que ça. La possibilité de l’identifier elle. Tssss… Sans doute qu’elle espérait qu’en donnant l’exemple, les autres l’imiteraient. Pas complètement idiot. Mais dangereux.
Et lui dans tout ça… Il avait besoin de la voir. De voir sa tête. Sinon c’allait être coton pour la reconnaitre si le besoin s’en faisait sentir. Il était peut être capable de parler dans la tête des autres Lanyshstas mais aux dernières nouvelles le nom de quelqu’un ne lui flottait pas sur le front. Donc l’identifier elle. Y en avait bien une autre qui s’était revendiquée du même quartier mais qu’est ce qu’elle avait l’air gourdasse !
Bon… le tout était de rentrer en même temps que d’autres. C’est qu’elle n’avait pas choisi la plus miteuse des tavernes et qu’ils avaient parfois des exigences. Ca dépendait de l’humeur du tenancier. Il avait rapidement remis de l’ordre dans sa tignasse et s’était débarrassé du gros de la crasse à une fontaine quelques rues plus loin. Un coup d’œil rapide à la bourse qu’il avait emprunté à son propriétaire. Ouep, il s’y trouvait assez de piécettes pour qu’il se permette d’entrer et de consommer.
Il profita de trois hommes qui s’engouffraient dans la taverne pour se glisser à leur suite. Aujourd’hui devait être un jour faste : on ne lui fit aucune remarque même si le regard du tavernier glissa vers ses mains avant de revenir sur le visage de Nethald.
He, calme. J’cherche juste une copine qui d’vait m’attendre ici…
Dans un autre endroit, fréquenté plus assidument, il aurait assuré qu’il avait d’quoi payer et qu’il n’était pas là pour travailler…L’adolescent se tourna alors vers la salle et les alcôves. Si elle lui avait posé un lapin, tant pis pour elle. Il allait se sentir aussi bête qu’un Gambol mais au moins, il saurait à quoi s’en t’nir…
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Dhiwara 27 Astawir 814 à 17h09 |
Femme. Éliminée.
Homme seul. La trentaine. Éliminé.
Enfant. Accompagné de ses parents. Éliminé.
Couple âgé. Éliminés.
Enfant seul. Adolescent. Sale. Porte un paquet. Le donne au tenancier. Coursier. Éliminé.
Quatuor, trio d'hommes et gamin. Hommes ouvriers du bâtiment. Éliminés. Enfant douzaine de cycles. Sale. Se sépare du trio. En phase d'observation.
Probabilités qu'il s'agisse de son rendez-vous : élevées.
Pour être sûr, habituellement, c'était du "comité de vigilance, identifiez-vous !", idéalement sussurré au creux de l'oreille et avec le canon d'une arme au creux des reins, histoire de ne pas attirer l'attention.
Mais si Jade avait bien son fusil rangé dans son étui à portée de main, le cadre ne se prêtait à l'évidence pas à la méthode habituelle.
Solution de rechange socialement acceptable : approche conjointe par identification mutuelle après avoir attiré l'attention.
Bon, quand faut y aller...
Jade agita la main vers le garçon.
Petit ?
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La perfection est amorale. |
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Le Vayang 2 Manhur 814 à 13h22 |
Bon... Elle ressemblait à quoi... ? Une donzelle. Vu comment elle causait, pas une gamine mais plutôt du genre mûre. Donneuse de leçon mais ça, ça serait pas écrit sur son front.
Nethald posa son regard sur les tables. Presque propres. Un groupe d'artisans qui jouaient aux cartes. Probable qu'il y en avait au moins un ou deux qui trichaient dans l'tas.
Un mastard, genre dépressif, qui regardait son verre l'oeil vide. Cui là s'était pt'etre fait jacter de chez lui ou bien l'avait des problèmes avec son comité. Ou alors c'est juste qu'il avait naturellement la cervelle d'un placide cacochyme. Ca arrivait aussi.
Dans les alcôves... rideau fermé, rideau ouvert mais vide, deux marchands en grandes discussion, une donzelle qui le regardait et qui lui faisait signe de la main....
Ouais... bon... à priori c'était elle....
Petit ?
L'adolescent soupira. Ca allait être lourd si elle l'appelait comme ça. Il . n'était . pas . petit. Juste à la bonne taille. Srh'agg quoi ! D'un pas volontairement traînant, il se dirigea vers la Vigilante. Elle était grande. Sacrement grande. Bien foutue aussi mais... pas les bonnes proportions. La comparaison n'était pas vraiment à l'avantage de Nethald.
C'toi Jade?
Méfiance. Pourquoi il était là déjà? Ah oui, parce que ça risquait d'être tout benef' pour lui...
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Sukra 3 Manhur 814 à 11h26 |
Il y avait un côté vexant. Comme un refus de verser une contrepartie.
La couleur de sa peau, de ses cheveux... Lui avaient valu à son arrivée au Kil'sin la pleine attention du Comité d'étude des contagions, celui de l'étude des maladies cutanées, sans compter l'étrange attraction du non moins étrange comité d'esthétisme chromatique. Malgré cela, elle n'avait jamais cessé de choisir des vêtements de toutes les sortes de vert possible, mais toujours, sans exception, verts. Que son nom ne soit pas une simple appellation, mais quelque chose de plus grand, une incarnation.
Alors s'entendre demander "c'toi Jade ?" avec peut-être une entrée en matière en douceur, mais comme un soupçon de question, c'était vexant.
Ah, tant pis, elle n'était là ni pour être vexée, ni pour vexer non plus, d'ailleurs.
Alors...
Mais non péquenot, c'est ma fille, moi c'est Ambre.
Voilà. Accentuer à l'excès une erreur pour lui donner un aspect grotesque. Catégorie humour, sous catégorie exagération.
L'humour était l'approche qui donnait les meilleurs résultats lors d'un premier contact.
De plus, l'utilisation d'un vocabulaire familier, ici péquenot, était sensé favoriser un lien émotionnel avec une personne issu d'un milieu social traditionnellement moins éduqué.
A la réflexion, le choix de "ambre" était peut-être trop audacieux, il y avait un risque pour qu'il ne connaisse pas.
Ne manquait-il rien ?
Ah, si. S'enquérir des besoins en adéquation avec l'endroit. Ici, on était une auberge, donc...
Tu prends quelque chose ?
Ce faisant, Jade sorti une grosse bourse et la déposa sur la table, prête à y piocher quelque monnaie si son interlocuteur désirait se restaurer.
Quel temps on pouvait perdre avec ces simagrées ! C'en était presque rageant.
En fait, ce serait tout à fait rageant si la rage elle-même n'était pas un vecteur de perte d'énergie.
Si c'est non, tu peux refermer le rideau qu'on commence.
Ne restait plus qu'à espérer que ce serait "non", afin de ne pas perdre plus de temps.
Vu l'état famélique du garçon, la probabilité était faible. Quasi nulle, en fait, à moins d'être : blessé, stressé, vexé.
Il n'avait pas l'air blessé, et pour les deux cas suivants, Jade avait expressement fait des efforts pour que ce ne soit pas le cas, et qu'il prenne les choses avec le sourire.
Oh, mince, elle avait failli oublier le sourire...
*** Sourire ! *** |
La perfection est amorale. |
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Le Julung 8 Manhur 814 à 15h15 |
Les dents se dévoilent en un large sourire. La femme a raison, à cet age là, ce genre d'humour était particulièrement efficace pour un premier contact. Et puis, c'est pas comme si pour le coup, les caillasses, il ne les connaissait pas bien. Elles finissaient assez souvent dans ses poches pour qu'il se vante de commencer à s'y retrouver.
Ambre? C'te blague. Tu t'la pète trop pour ça ou s'non tes vioques se sont sacrement gourrés.
Le gosse s'affala alors sur la banquette, se redressant brusquement lorsque Jade parla de grailler puis sortie une bourse. Une baffe mentale sur ses doigts pour qu'ils restent sage.
Heu ouais. Y ont bien un truc à grailler ici ?
Nethald n'allait pas refuser un repas offert. Pareille proposition était bien trop rare pour qu'il crache dessus. Bon, c'était pas pour sa belle tronche qu'elle casquait pour sa bouffe -où sinon il allait baliser- mais c'était quand même sympa.
Il ajouta mentalement.
Et s'non... toi... donc... c'fait combien d'temps ? T'a pas l'air d'avoir trop d'cornes...
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Julung 8 Manhur 814 à 18h52 |
Des cornes ?
Ah, oui, tiens, c'est vrai que c'est le genre de rumeurs qui courraient sur les Lanyshstas.
Des cornes, des ailes, des écailles... Il y en avait pour tout les goûts.
Quoiqu'il en soit, elle apprécia le passage fluide de la parole à la télépathie.
Pas qu'elle ai pensé que son interlocuteur soit assez stupide pour clamer haut et fort son évolution, mais ça faisait toujours du bien. Sans compter que cela prouvait que la faculté était bien maîtrisée, ce qui était des plus prometteurs pour l'ensemble du groupe qu'elle venait de trouver.
De la même façon, elle répondit.
Ca fait trois mois...
... Sept jours, seize heures et une vingtaine de minutes, si on faisait coïncider transformation et réveil brutal. Trois heures de marge si on s'arrêtait à la phase d'endormissement précédent le tout. Mais à la réflexion, un tel degré de précision n'était pas utile.
... environ.
Bon, ceci dit, si la télépathie était parfaite pour ne pas être entendus, les gens risquaient de plus vite remarquer des gens se regardant dans le blanc des yeux que des paroles échangées à voix basse. Plus vite ils seraient isolés, mieux ce serait. Elle appella :
Un plat du jour ! Et un pichet de vin.
Puis, tout en préparant de quoi payer les consommations, elle se penchant afin de continuer à voix basse.
Et donc, histoire d'avoir une "planque" adaptée... Tu cherches à te planquer de qui ? Ou de quoi ?
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La perfection est amorale. |
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Le Merakih 14 Manhur 814 à 23h25 |
Tant que ça?
Le gamin se retint de siffler d'un air appréciateur mais n'en pensa pas moins. Trois mois qu'elle les blouzait tous. Ça devait pouvoir se jouer. Pas d'raison que lui n'y arrive pas... sachant qu'il se sentait particulièrement motivé pour..
Il redressa par contre la tête, agréablement surpris de la commande de Jade. Un plat du jour? Foutraille ! Il s'attendait à de la soupe fadasse ou un bout d'pain mais visiblement elle avait décidé de se montrer généreuse. Elle voulait l'ach'ter ou quoi ! Nethald se demanda si c'était vrai les remarques sur les couilles en or des comités de sécurité... Visiblement, ouais. Enfin, c'était tout benef ! Et puis leur coffre devaient être plein ! Faudrait qu'il aille zieuter une de ces nuits.
Un homme pris leur commande et se retourna pour lancer quelques consignes en cuisine.
La voyant se pencher, le jeune voleur ressentit la mesquine satisfaction des personnes de petite tailles lorsque les grandes se mettent à leur niveau. Et ce, même si, de son coté, il ne lui manquait que la patience d'attendre la croissance qui ne tarderait plus vraiment.
Heu.. en fait c't'un peu spécial. Fin, t'pouvais l'd'viner. Ah !
Cette dernière exclamation laissa transparaître sa faim alors que le plat arrivait, se révélant être du gruau accompagné, d'une tranche de viande un peu trop cuite. Pas d'embrouilles de ce coté là. Pour avoir droit à ça à tous les repas, il était prêt à beaucoup. Laissant Jade régler les détails insignifiants (comme payer par exemple), il commença à manger (dévorer serait un terme plus adapté), ne relevant la tête que pour répondre par à coup .
Donc j'disait - Que comme j'ai pas vraiment - d'lieu où creucher. -D'lieux fixe- hein. Bah s'y m'arrive- une bouse ce s'rait bonnard d'pouvoir -avoir- quand même un coin- où m'poser.
Il déglutit...
Ce serait quand même plus simple s'il pensait. Au moins il pourrait éviter d'entrecouper son repas. Pis avec le rideau tiré...
Mieux comme ça. Donc s't'est pas cruche, tu peux d'viner que j'bosse dans l'milieu et qu'donc chui pas vraiment à la fête tout l'temps. J'peux pas tourner l'dos aux autre branques, y s'rait trop jouasse de m'faire la peau si j'avais pas s'planque de replis et qu'j'me met à briller.
J'ai un deal à t'proposer.
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Julung 15 Manhur 814 à 15h58 |
Oui, elle pouvait deviner. Ce n'était pas si difficile que cela : pour des enfants de cet âge, il n'y avait que trois possibilités.
La première était qu'ils étaient encadrés, soit par des parents, soit par un orphelinat. Son interlocuteur était bien trop autonome, et en même temps trop en demande d'un endroit sûr, pour être dans ce cas.
Il était donc livré à lui-même, et les deux possibilités restantes... Se composaient d'une part d'une existence parfois honnête mais des plus courtes, ou une survie par la rapine.
Vu son aspect, il subvenait à ses propres moyens depuis quelques temps, étant donc trop malin pour faire partie de ceux mourant vite.
Qu'il fasse partie d'un gang ou qu'il soit indépendant, cela ne faisait que peu de différence, de même qu'il pouvait préférer le vol à la tire au cambriolage, à moins qu'il n'ai des talents d'escrocs...
Il faisait partie de la masse de petits malfrats contre lesquels les Comités de Vigilance passaient leur temps à lutter.
Mais c'était désormais avant tout un Lanyshsta.
C'est pour cela que, après avoir payé le serveur, Jade avait laissé la bourse sur la table, jouant négligemment à faire rouler une pierre autour de ses doigts. Certains auraient qualifiés cela de harcèlement moral, d'autres de mise à l'épreuve, elle se contentait de voir cela comme une étude approfondie du caractère.
Elle avait une idée pour un tel profil, une idée précise et intéressante, mais elle fut devancée par le gamin.
Visiblement, lui aussi avait une idée précise sur la situation.
Il était toujours bon de laisser l'autre, adversaire ou partenaire, dévoiler ses cartes en premier, aussi, d'un simple hochement de tête, elle l'incita à continuer.
Je t'écoute...
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La perfection est amorale. |
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Le Vayang 16 Manhur 814 à 00h26 |
Qui donc retire le plus de satisfaction à certains actes? Celle qui joue avec des pierres sous le nez de Nethald (qui n'en perdit miette, question d'éthique professionnelle) ou celui qui annonce faire partit des petites frappes contre qui tentent, sans cesse, de lutter les collègues de Jade. C'est certes petit mais ça permet de jauger dans quelle mesure ils pourront travailler ensemble. Sa réaction est instructrice.
Mais par contre c'est quand même perturbant cette pierre... Pas qu'il veille se servir chez elle -elle lui a déjà payé un repas - mais... question de principe. C'était mesquin. Comme de souffler sur des braises. Remuer le couteau dans la plaie. Toussa...
Elle n'est pas gentille. C'est un bon point. Si elle avait paru niaise, il n'aurais pas pu se fier à elle. C'aurait juste signifié qu'elle n'allait pas tarder à se faire bouffer.
Sluuuurrrpppp..
C'est simple.
Rien de la sauce n'est perdu par l'adolescent qui fini par reposer l'assiette creuse et la dévisagea de nouveau.
T'a b'soin d'moi. J'veux dire, t'est fortiche, okay, mais t'peux pas tout faire. Moi par contre, j'suis plutôt du genre passe-partout. Et j'ai des guibolles et des châsses qui fonctionnent plutôt bien. Quand y s'passe quequ'chose, suffit d'tendre les esgourdes pour être mis au jus. Alors j'veux bien croire qu'tu sais aussi l'faire ça mais chui aussi sur qu'un coup d'patte ça pourrait t'soulager.
J'passe inaperçue. Toi non. Alors pour r'mettre des trucs à des gus ou leur servir d'guide...
Il ne termina pas sa phrase, laissant à Jade le soin de compléter. Le sourire ne passa pas inaperçue lui. Ni la dent cassée.
Il n'avait par contre pas précisé la contrepartie... Après tout, lui et Jade savaient pertinemment que le premier à fixer un prix était toujours perdant. Et ici les enjeux n'étaient pas vraiment les mêmes que d'habitude.
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Vayang 16 Manhur 814 à 08h56 |
Parfait. Il avait globalement eu la même idée qu'elle. Autrement dit, on allait pouvoir passer aux détails.
Et il disait vrai : un coup de patte pouvait être utile pour "remettre des trucs à des gus", surtout dans la catégorie "remettre dans les mains des Comités de Vigilance ce qui se trouve dans les poches ou le coffre de tel truand notoire".
Certains auraient trouvé cela des plus immoral, mais Jade avait l'habitude de voir les chose de façon globale, et sur le long terme. Autrement dit, voler ou falsifier des preuves n'était qu'un moyen d'arriver à une fin digne d'intérêt.
Et même si les preuves n'étaient pas là et qu'on ne trouvait que de l'or... Entre mesure de pouvoir d'un malfrat minable et potentiel d'investissement, il n'y avait pas à hésiter.
Hum...
Bon, au delà de cela, le gamin n'allait certainement pas se décider à l'aider juste pour ses beaux yeux. Après tout il voulait un endroit pour se cacher. Se cacher des Vigilants tout comme des autres voleurs en cas de coup dur. Un réseau de planques prêtes à l'emploi où on ne s'étonnerait pas de voir un nouveau visage arriver, et repartir quelques jours plus tard.
Il y avait une méthode simple, et... Élégante.
Rentre aux Comités de Vigilance.
La petite pause qui suivit pouvait être qualifiée de "pause théâtrale", ce qui fait toujours bien, dans la conversation. Ou agace. En fait ça ne sert à rien. Pourquoi donc les gens aimaient-ils les pauses théâtrales ?
Et travaille pour moi.
Tu passes de "délinquant" à "agent aux méthodes spéciales", et à moins de faire vraiment l'âne, tu peux alors utiliser la plupart des bureaux des comités les moins regardants comme planque temporaire. Sachant que la concurrence n'aime pas venir dénicher quelqu'un chez nous... Un loup n'est pas capable de se voir le fond de la gueule, et les renards ne viennent pas disputer son repas au loup.
Alors ça ne te rendra -directement du moins- ni riche ni populaire, mais ça te sauvera les miches de la plupart des embrouilles.
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La perfection est amorale. |
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Le Matal 20 Manhur 814 à 18h38 |
Erf... il n'avait pas vraiment envisagé la chose de manière aussi.. formelle. En fait, il ne l'avait même pas envisagé autrement que comme un accord entre la Vigilante et lui mais qui n'impliquerait rien de trop rigide pour sa personne. Il grimaça.
Heu... t'veux dire...rentrer d'façon officielle toussa? Et m'balader en m'melant d'tout ? Ou qu'j'fasse le baveux à propos d'la clique où que j'traine avec?
C'était qu'faire la donneuse ne lui disait rien qui vaille. Sauf que c'était lui qui se ferait cafarder à coup sur si un mauvais coup arrivait. Ça se trouvait, elle ne pouvait pas vraiment faire autrement pour lui r'filler une cache mais...
Ou bien c'que tu propose c'est rentrer chez les blattes mais discretos, d'manière à c'que j'joue les mouchards pour toi...?
Il la dévisageât, méfiant...
Bosser pour toi, en direct, c'faire quoi?
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Matal 20 Manhur 814 à 19h56 |
Il se méfiait, renâclait.
Ce n'était pas une mauvaise chose. L'enthousiasme avait tendance à empêcher une analyse fine de la situation, et le fait qu'il demande des précisions prouvait qu'il n'était pas juste un stupide gamin parmi d'autres.
C'est faire quoi ? Comprendre la théorie, appliquer la pratique, et subir le réel.
Pour la partie théorique, bosser pour moi signifie m'aider à me rapprocher d'une situation utopique. En l’occurrence la recherche du bien global à long terme. Etre prêt à passer un mauvais demain si cela permet d'accéder à un meilleur après-demain. Optimiser la collecte et l'utilisation des ressources.
Dans la pratique... Le nerf de la guerre est l'information. Pas tant la masse que son accessibilité et la gestion de ses flux. S'arranger d'une part pour qu'une information donnée arrive le plus vite possible à la personne la plus apte à la traiter, et d'autre part s'assurer que la personne la plus apte le reste.
Elle se laissait aller. La vision était claire, mais la retranscription était par nature imparfaite. Et quelqu'un n'étant pas habitué à penser en diagrammes risquait de se retrouver aussi démunie qu'elle face à une discussion sur le beau temps.
La partie réelle... C'est de monter un réseau. Une équipe. Des personnes aptes à répondre à toute situation.
Des champions, en quelque sorte... Des spécialistes.
Quelque soit le domaine d'activité, on a toujours besoin, tôt ou tard, de quelqu'un, s'il est le meilleur dans son domaine.
Au final, bosser pour moi, ça se résume à deux choses... D'une part, un partage de ressources. Essentiellement des informations, mais ça peut aussi être autre chose. Dans un groupe, le fusil va au meilleur tireur, et le marchand est pour le plus habile. Parce que si le tireur essaye de faire les poches du marchand pendant que le pickpocket va chasser le dîner, le groupe en est affaibli.
Et d'autre part... Entraine toi. Perfectionne toi. Exerce toi. Renforce tes capacités en usant des synergies. Bref, devient le meilleur possible dans ton domaine, quel qu'il soit, car on aura toujours besoin des meilleurs.
Les médiocres me font vomir.
Hum, bon, ce n'était pas forcément la bonne méthode de mettre la pression à un interlocuteur aussi jeune. Et pas forcément la plus claire non plus.
Parfois, les travaux pratiques étaient la meilleure des façons de faire.
Jade avait arrêté depuis quelques temps de jouer avec le fruit de la bourse posée sur la table. Elle la désigna du doigt.
A ton avis, d'où est-ce que ça vient ? Et à quel titre est-ce que j'ai ça ? Et dans quel but ?
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La perfection est amorale. |
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Le Julung 29 Manhur 814 à 13h17 |
Comprendre la théorie, appliquer la pratique, et subir le réel.
Hein ? Nethald en était encore a réfléchir à la signification de cette maxime quand elle enchaîna. Il eu alors l'impression inhabituelle d'assister de très loin à la scène, sans n'y biter un traître mot.
Mais qu'est ce qu'elle jacte?... Ça a l'air très beau et presque tous les mots ont leur propre signification mais le sens global lui échappe totalement. Ça veut vraiment dire quelque chose? Visiblement oui mais en ce cas, ledit sens passe largement au dessus de la tête de l'adolescent.
Il était complément largé.
La suite lui paru un peu plus compréhensible et il se raccrocha à cette planche de salut. Une équipe avec des gens étant les meilleurs dans leurs domaines. Oui, oui, ça c'était raccro. Et heu... renforcer ses capacités en usant de synergies... Mais heu... ça voulait dire quoi? Se servir de son bulbe pour s’améliorer? Se défoncer ? Heu....
Le plus simple était peut être d'ignorer ce qui venait de se passer. Si il évitait de se casser l’esgourde à comprendre ce qu'elle lui sortait, au moins pourrait il être toujours fonctionnel pour la suite.
Ta caillaise là?
Bah...
Il se gratta la nuque machinalement.
C'quand même un poil mastoc comme truc donc soit tu t'trimballe c'genre de truc pour l'plaisir tout l'temps mais ce s'rait juste un peu débile... Soit c'pour l'taf. Et vu l'tien, j's'rais bien partant pour c'te soluce. Ca peut t'jours t'aider à faire causer des pigeons ou des balances. Ça motive toujours c'genre d'arguments. Ca attire l'chaland. J'doute qu'tous vos indics l'fassent juste pour vos beaux yeux. Et pis pour les p'tits frais comme m'payer une bouffe...
Reste la questions d'la prov'nance... Bah.. Soit l'comité t'l'a r'filé.. Soit t'l'a récupéré auprès d'un bavard. D'gré ou d'force d'ailleurs. J'en connait certains qu'iraient pas vraiment s'la ram'ner si y s'faisaient carot' leur flouze par plus gros qu'eux. Surtout si y s'sont fait chopper au passage.
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Julung 29 Manhur 814 à 16h16 |
Mauvaise réponse.
Dans un sens.
Elle aurait aussi bien pu être considérée comme bonne. Certaines parties n'étaient pas assez développées à son goût, d'autres se perdaient dans les détails, mais qui doit-on blamer, quand une réponse ne correspond pas à une question ?
Celui qui répond, ou celui qui n'a pas réussi à poser sa question en y mettant les jalons suffisants ?
Il fallait rendre justice au gamin, si sa réponse n'était pas celle attendue, elle était cohérente, privilégiant la pratique à la théorie.
C'est pourquoi Jade l'accepta d'un léger hochement de tête.
Bonnes remarques.
Mais ce n'est pas le comité qui me l'a donné. Un toit, et de quoi se payer à manger, c'est ce qu'on peut espérer de sa part.
Rarement plus.
Cela vient de... D'ailleurs. C'est l'argent du Kil'sin. Pour partie d'imprudents qui ne s'en vanteront pas, certes, mais pour la majorité, cela vient d'anonymes. Boulangers, orateurs, mendiants. Peu importe.
Je n'ai, légalement, pas le moindre droit à avoir cette monnaie. Je la leur ai prise, sans leur demander leur avis. Si je l'avais fait, la plupart, pour ne pas dire tous, auraient refusé.
Pourtant je l'ai fait.
Pourquoi ? Parce que tout cet argent, dispersé entre des mains multiples et non coordonnées, ne servirait qu'à acheter qui un plus grand four, qui une plus belle toge, qui un peu plus de viande pour manger. Des broutilles.
Alors que, concentré dans un seul endroit, il peut servir, comme tu le dis, à faire parler des gens. S'allouer leur services. Equiper une poignée d'individus. Surtout si l'argent est ensuite partiellement récupéré auprès de ces mêmes personnes avant qu'il ne soit stupidement dépensé.
Une petite pause, histoire de laisser infuser les informations sous leur forme brute.
Ce n'est pas du vol.
Pas seulement.
Plus une gestion externalisée des ressources sans consentement préalable.
On utilise leurs ressources pour leur propre bien, et mieux qu'eux, même s'ils ne s'en rendent pas compte.
C'est plus que du vol. C'est...
C'est la poursuite d'un idéal. D'une société utopique. Mais pour arriver à une utopie, il faudrait casser quelques oeufs en route. Peut-être même quelques crânes. En toute chose, il y avait la solution de facilité, et celle de difficulté. La seconde avait une chance de marcher.
Mais plus qu'un idéal, c'était surtout quelque chose qui, au Kil'sin, pouvait s'avérer des plus dangereux.
Foutrement plus dangereux que de crier "je suis un Lanyshsta !" en faisant de la lumière.
C'était peut-être là le plus grand avantage que les Lanyshstas pouvaient tirer de leur état. Pas la fabuleuse discrétion de la télépathie, non, même si elle était des plus utiles. Pas plus que leurs pouvoirs.
Ce qui leur arrivait de mieux, c'était le désespoir. Le sentiment d'être condamné, de n'avoir plus rien à perdre.
La fin de l'espérance de suivre une petite vie douillette.
Il allait enfin peut-être être possible de suivre des projets un tant soit peu ambitieux.
C'est une guerre. Une guerre pour le contrôle du Kil'sin.
Pas avec des grandes idées, non, avec ce qui compte réellement. De l'argent et des informations.
Savoir qui on peut acheter, comment. Savoir qui on ne peut pas, et combien ça coutera pour l'éliminer.
Une guerre que j'ai l'intention de gagner.
Et pour ça, il me faut des soldats...
Bon, voilà. Cela, c'était à classer dans la catégorie "envolée lyrique", en même temps que dans la catégorie "prise de risques".
Calculés, certes, mais risques quand même.
Restait à voir comment le garçon allait réagir.
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La perfection est amorale. |
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