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Quand on est jeune, on a des matins triomphants
Ou pas.
 
Lohan Chesmyr
Comitaire actif,
Assistant

Kil'sin  
Le Matal 11 Nohanur 814 à 11h51
 
Citation :
Des mouches pour des enfants espiègles, tels sommes-nous pour les Dieux.
Ils arrachent nos ailes pour s'amuser.


Mon existence entière plaide en faveur de cet aphorisme cruel, dont je pressens néanmoins l'épilogue proche :

Il fait nuit. A ma droite, un greffier me regarde, goguenard.
A ma gauche, un réverbère à gaz lutte faiblement contre les ombres.
Rampant lentement, laborieusement, le long d'une rigole malsaine où serpente un filet d'urine, la mienne, je m'éloigne de ces deux sources d'ennuis potentiels : elles pourraient me faire repérer. J'ai du sang dans la bouche, je respire avec peine, je vois trouble et mon dos, bourré de coups de pieds, est raidi comme une poutre maitresse.

J'entends les cris de mes poursuivants.

Ne vous méprenez pas. En temps normal, je suis un type sans histoire. Vous le savez, car vous me connaissez : vous m'avez déjà croisé, toisé, parlé même. Je suis votre voisin, votre collègue, votre postier, votre complice-d'un-soir à la taverne... des quidams comme moi, quelconques et sans relief, vous en avez soupé : ce kil les produit à la chaine. Je suis tout-un-chacun et je ne suis personne. Oui, vous me connaissez bien... mais nous n'avons jamais sympathisé.

Vous n'étiez pas intéressé : des amis, vous en aviez déjà.
Quant à moi, je n'en voulais pas.

Les amis trahissent, par définition. Ils attirent les ennuis. En la matière, croyez-moi, je n'ai besoin de rien. Les ennemis, en revanche, ne déçoivent jamais. Je n'en ai pas non plus, en fait. Ne vous fiez pas aux apparences : ceux qui présentement me cherchent... s'abusent. Ils me croient riches, peut-être ? Ils me confondent avec autrui ? S'ils savaient qui je suis, qui je suis vraiment, ils laisseraient tomber. Je n'en vaux pas la peine.

Tout a commencé la veille : je me suis couché normal, mais levé bizarre. Pour faire court, un cauchemar sans nom m'a brisé l'esprit et déchiré l'âme ; alors, j'ai erré sans but, ivre sans l'être, jusqu'à ce que mes pas d'andouille me portent, le soir venu, au seuil de l'Auberge Aux Loups. Comprenez que d'ordinaire, j'évite ce bouge et ses clients douteux comme l'eau sale. Mais là...

A peine en foulai-je le paillasson qu'en sortaient « Requiem » Slathy - le lutteur de foire - et ses deux cousins. Il était de mauvais poil, Slathy : je tombais bien ! Me voyant, il fit un bref écart, suffisant pour me bousculer. 100 kilos de viande fraiche, 68 d'avariée... que croyez-vous qu'il arriva ? L'avariée chuta. La brute s'emporta, sciemment sans doute et, à l'aide de ses bons compères, entreprit de me refaire le portrait.

L'histoire aurait pu – aurait du – en rester là. Mais de braves gens, citoyens d'un kil qui n'aime guère l'iniquité, en décidèrent autrement : au cinquième coup de pied, tandis que j'avalais un bout de ma langue, le passage à tabac vira à l'embrouille. Trois passants s'en mêlèrent et très vite, plus d'une dizaine de personnes se cognait en pleine rue ! Non sans mal, je m'extirpai de l'empoigne et m'enfuyai – ou me trainai, plutôt – au petit bonheur la chance...

Maintenant, le nez dans la rigole, je m'écrase. Littéralement. Slathy et Cie sont sur mes talons, bien décidés à finir ce qu'ils ont commencé. Ils me traquent depuis deux heures et pour l'instant, je n'ai croisé qu'un chat, deux putes et un ivrogne. Ce dernier m'a demandé l'heure, puis – par commodité - m'a pris ma montre.
Malin.

J'entends des voix. Ils s'approchent. Merde, ils s'approchent !!
Ah... attends... non ? Ah non...

C'est dans ma tête.


 
Lohan Chesmyr
Comitaire actif,
Assistant

Kil'sin  
Le Matal 11 Nohanur 814 à 17h36
 
Note : qui le souhaite peut intervenir, ce rp n'est pas privé :)

Hein ?
Quoi ?
J'entends des voix ?

Sidéré, j'en oublie jusqu'au prénom du gros con. Râlant faiblement, je roule sur le coté et me cale contre un moellon, sourd aux nœuds douloureux de mon dos martyr. Toute une chiée de mauvais drôles hurle sous mon crâne, ça fuse de partout ! Submergé par leur logghorée, je me noie dans un océan de mots. Ma tête tangue comme un bateau ivre, ma raison prend l'eau...

La providence, brave fille, m'accorde enfin une pause et je tourne de l'oeil.
Rideau.

J'émerge un peu plus tard, beaucoup plus tard... Qui sait ? Je n'ai plus de montre. Une vague pâleur annonce l'aurore, je dois me bouger. Dégager. Dans mon état, pauvre de moi, c'est impossible. Je me redresse pourtant et m'adosse, posé sur mon séant. A cette heure, je suis seul. Personne ne m'importune, je n'importune personne. Tout va bien. Tout va bien.

Engourdi, courbatu, j'attends que la vie reprenne ses droits. Pour l'instant, mon corps n'est qu'un grand terrain vague mais sous peu, je... me lèverai. J'irai saigner dans ma chambre, sous les combles de l'hôtel Iris. Rester sur le pavé, c'est une fausse bonne idée.

Puisqu'il faut bien passer le temps, j'en reviens à mes voix. Leur tumulte s'organise : désormais, j'accroche quelques mots. Je perçois même des phrases, mais leur sens global m'échappe. Leurs auteurs, eux, braillent dans le brouillard : sans visages et sans noms, ils ne sont que couleurs, saveurs, odeurs...

Cacophonie, synesthésie, frénésie, zizanie ! De nouveau, le vertige menace et je m'isole, je me replie dans ma coquille comme un pagure timide ; les voix s'estompent, s'étouffent et disparaissent.
Ouf.

Allez.
Maintenant.
Les mains sur les genoux, le front contre le mur, je me lève.


 
Lohan Chesmyr
Comitaire actif,
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Kil'sin  
Le Merakih 12 Nohanur 814 à 04h04
 
Vers... très tôt, je rejoins mon taudis.

Monter les soixante-deux marches de l'escalier tournicotant qui mène à mon étage, en façade, n'a rien d'une promenade : je glisse sur des plaques métalliques qu'un voile de givre blanc rend traitresses. L'hôtel Iris est construit sur un escarpement "plus raide qu'un chibre matinal" – c'est de ma mère, une philosophe du cru - et par endroits, l'escalier est en surplomb. Je n'ai pas le vertige, mais le vide me fait peur (comme le plein, tiens).

Sur la fin, l'escalier vire à l'échafaudage branlant. J'atteins son faîte, titube jusqu'à la porte du dernier niveau , crochète plus que je n'ouvre le cadenas chaîné qui le bloque et pénètre enfin dans mon couloir. La porte refermée, je n'y vois goutte. J'avance un peu, le parquet craque...

Un léger malaise me fait asseoir mais dans le noir, je souris bêtement : Ah, l'enivrant bonheur du retour au foyer ! Gloria, ma tendre aimée, me saute au cou et tout autour de nous, les enfants émus dansent la farandole ! La cheminée crépite et sur la table dressée, un banquet roboratif n'attend que mon b...




Tu vas pas pisser le sang sur mon perron, dis ?

Dans des chambres de bonnes, on trouve des bonnes. A mon étage, elles sont trois : Elythre, Polyane et Leth, celle qui s'inquiète pour son paillasson ; d'un coup de pied léger dans mon mollet, elle vient briser mon joli rêve et poursuis :

Bouge tes miches jusqu'à ta piaule, Lohan. Tu peux pas dormir ici. Si tonton te vois dans cet état...

Je sursaute, j'émerge, je vacille. "Tonton" n'a pas besoin de me voir, son évocation seule me terrifie. Un dernier coup de rein et j'y suis : voilà, c'est ma garçonnière. C'est petit, c'est pourri, c'est glacial mais surtout : c'est chez moi !

Grelottant sur la grille lattée qui me sert de lit, je cherche un sommeil réparateur qui bien sûr, ne vient plus. Les sens aux aguets, j'ois le doux staccato des rats qui courent dans la charpente et même, un peu plus loin, un peu partout, celui des vers qui rongent le bois. Dehors s'activent les falotiers (ceux qui s'occupent des becs de gaz) : j'entends leurs premiers rires, leurs tristes blagues et leurs bougonnements rauques monter de la rue basse et sourdre à travers mes persiennes.

En ce matin brumeux, douloureux, je suis bien, enfin ! Les coups de Slathy ne m'ont pas tué ; pas encore. J'ai juste de curieux picotements dans les avant-bras. Je ne puis fermer l'oeil - l'autre est poché - alors, comme l'on module le son d'un gramophone, je laisse revenir les voix. Il y a un coup à prendre et je le prends, progressivement...

Dans le cirque qui me tient lieu de crâne, les artistes entrent en piste. J'ai beau connaître cette sensation, c'est carrément flippant ! Pourtant, en prenant mon temps, j'arrive désormais à isoler des gens. Pas des gens, d'ailleurs... des empreintes, plutôt. Des traces, qui recouvrent plusieurs sensations uniques : des signatures, en fait. L'une d'entre elles domine : elle se compose de vert, d'un son grave et rythmé, d'une odeur de silex et d'un goût de vieux Marc. S'ajoutent à cet ensemble une texture dure et râpeuse, un parfum de danger, une pointe de cruauté et un fond... de bonté. Si je devais nommer cet ensemble hétéroclite et cohérent d'impressions, de ressentis et d'influence, j'userais de "musique", faute de mieux. Mais quel genre d'entité pourrait donc la créer et surtout, tonitruer dans ma tête ?

La surprise l'emportant sur la terreur, je persiste et j'explore ce qui ressemble, pour l'instant, à un délire aimable. Je l'attribue aux coups reçus, évidemment : Slathy n'a pas jonglé qu'avec mes côtes flottantes, il m'a également boxé la face. Pour sûr, j'ai la cervelle façon puzzle et le temps qu'elle s'en remette, je dois faire avec et donc, j'insiste...

Je saute d'une signature à l'autre, fasciné par l'imagination fertile de mon esprit blessé. L'idée que tout ceci puisse relever d'une quelconque réalité, extérieure à ma personne, ne m'effleure pas. La plupart des fantômes qui m'habitent s'expriment mal ; ils mâchent leurs mots et font des fautes, comme des enfants malhabiles. Leur patois laisse à désirer, quant au krolane... c'est encore pire. Ils usent de néologismes abscons, certains s'énervent, d'autres soliloquent. Un mot revient : l'annista. La nista. Lanista. Lanysta...

Lanystha ?

La surprise implose, balayée par un formidable effroi :

Lanystha !!


 
Lohan Chesmyr
Comitaire actif,
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Kil'sin  
Le Merakih 12 Nohanur 814 à 08h17
 
Seuls les grands maître de la Poisse, les apôtres de la Guigne peuvent jouir d'un tel moment : lorsque l'infortune qui les accable au quotidien tourne au sublime, à l'oeuvre d'art, lorsque les mots sont impuissants à l'englober, ils se sentent élus. Le Mal lui-même, quelque part, les interprète. Et l'enfoiré se fait plaisir !

Je le devine, ou crois le deviner : je vis un tel moment. Sans savoir comment ni pourquoi, du bout de l'âme, je touche à tâtons toute une communauté de monstres. Ils existent donc, ces "lanysthas". Ils existent et, en un lieu fait d'Ether, dansent leur sabbat de sorcières sans être inquiétés ! S'ils n'y sont que fantômes, qui pourrait les en chasser ?

Désormais, l'horreur le dispute à l'effroi. Tétanisé, momifié sur mon lit de misère, je m'enferre dans le déni, zappant l'étape logique pour en conclure trop vite :
pourquoi les entendai-je ?

Picoti, picota. Mes bras, toujours, me démangent. C'est un détail, mais il m'agace. Alors, entre deux frissons, je relève mes manches et laisse aller mon regard, des poignets aux coudes, des coudes aux poignets...

Quelque chose cloche. Non : tout cloche.

Sous les croutes de sang prune, les bleus violacés de la veille virent au ciel d'été. La fêlure suspecte, à moins qu'il ne s'agit d'une brisure, n'est plus. La saignée dégueulasse, contractée lors de la première chute, s'est refermée, ne laissant qu'un sillon perlé de pourpre sur une peau de nouveau saine. Quant aux picotements, ils... cessent d'un coup, scellant un processus de guérison qui n'a rien - mais vraiment rien - de naturel.

Une symétrie se brise, je m'adresse la parole :


L'es-tu ?
Non, non, non.
Je n'en suis pas.

Et si ?
Et si ?
Et merde...
Je n'ai pas les épaules.

En effet.
Saute. Saute par la fenêtre !
Je ne peux pas.
Pourquoi ?


Eclat de rire

Elle est bloquée...

 
Lohan Chesmyr
Comitaire actif,
Assistant

Kil'sin  
Le Sukra 15 Nohanur 814 à 18h07
 
*** Quelques temps plus tard ***

Je suis lanystha.

Le front appuyé contre la vitre froide, je compte les flocons de neige qui fondent et meurent en silence en venant s'écraser sur ma fenêtre...
Depuis quarante-huit heures.
Et quelques.

Avez-vous déjà observé un flocon de neige à la loupe d'horloger ? Je l'ai fait, une fois, étant gosse : pour mes dix ans, le médecin attitré du bordel maternel m'en a offert une. Avant qu'un jaloux ne l'écrase sous son talon, j'ai pu m'en servir deux fois et découvrir que :

Un poil de cul, c'est vraiment moche,
Un flocon de neige, c'est vraiment beau.

C'est beau comme un premier soupir, comme un premier baiser, comme...
Bah, laissez tomber. Il faut le voir pour le croire.

Donc, à raison d'une dizaine de flocons à la seconde - oui, je procède par paquets, de peur d'en manquer – j'ai été le témoin privilégié de la destruction cataclysmique d'un million neuf cent vingt-huit mille quatre cent dix-sept œuvres d'art.

Ca vous parle ? Non ?

D'accord. Alors réfléchissez : sur ces deux jours, sachant qu'il neige environs trois mois l'an sur tout le kil'sin et que ma fenêtre n'est guère plus grande qu'un soupirail, quelle proportion de ce massacre ai-je vraiment vu ?

Réponse :
A peine un poil de cul...

Voilà. J'ai le cafard. Il ne faut pas traduire par « je déprime » ; il faut traduire par « tout ce que je vis est épouvantable », au sens strict du terme : Qui épouvante. Qui horrifie. Qui tétanise d'effroi. Qui broie le cœur et siphonne l'âme.

Je suis pétochard, un rien m'angoisse, c'est entendu. Je vois la vie en noir et elle me le rend bien. Mais là, Lanystha... on atteint un degré de noirceur inédit ! Et comme je suis plutôt moins malin qu'un autre, je me pose la question niaise par excellence : pourquoi moi ?
Pourquoi vous, je m'en fous, mais bordel : pourquoi moi ?

Une petite voix me dit : c'est pour te sortir de ta misère.
Une autre affirme : c'est pour enfoncer le clou.

A votre avis, laquelle je crois ?

Je me recule. La peau gelée de mon front résiste, puis se déchire. Je ne sens rien, le froid m'anesthésie... puis je vois ma couenne, collée sur le verre, et je tourne de l'oeil.

Alors même que je sombre et que mes yeux se ferment, j'ébauche un premier rêve : je chute au fond d'un puits et très haut, très loin de moi, j'observe un minuscule rond de lumière qui s'éloigne. Mais curieusement, je n'ai pas peur. Je sens le vent, je sens la mort, je sens la fin...

Je me sens bien.


*** Fin ***


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