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Echecs et mate
Problèmes aux comités de vigilance
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Sukra 24 Manhur 814 à 14h57
 
Un foutu Lanyshsta, je vous dis ! Des cornes, une peau rouge, et vif comme une anguille !

Et voilà, c'était arrivé. C'était le risque, avec des gens comme le Barbeux, d'anciens membres des forces expéditionnaires qui se décidaient à entrer dans les comités de vigilance. Un jour, ils se mettaient à traquer les Lanyshtas, et ils ramenaient quelque chose.

C'est pas normal, hein ? Pouvait pas laisser ça comme ça, hein ? Faut réagir !

Et il avait réagit. C'était pour cela qu'elle n'aimait pas l'indépendance des Comités, et qu'elle se battait pour accroitre, petit à petit, son pouvoir réel de coordinatrice -le pouvoir théorique devant lui rester strictement contrôlé.
Savoir qui va agir avant qu'il agisse, permettait d'éviter... Ceci.

Puis j'avais ma pétoire. Et tout le monde autour qui criait. Alors j'ai tiré, quoi. Normal.
Hein ?


Oh oui, normal... Normal quand on est bourré du soir au matin, et armé de surcroît, de tirer d'abord et de réfléchir ensuite. D'éliminer les "monstres" qu'on voyait. Le Barbeux était parti à la chasse au Lanyshsta et avait ramenait du gibier...

Peut pas dire que j'ai mal agit, c'pas ? Je veux dire, avec tout ce qui se passe, ça aurait pu arriver à n'importe qui !

Oui, mais voilà, ce n'était pas arrivé à n'importe qui.
Ce n'était pas n'importe quel abruti qui avait tiré en pleine rue, c'était un membre du comité de vigilance.
Et ce n'était pas n'importe quelle victime non plus.

Quelle idée, aussi ! Il cherchait, là, forcément ! De la provocation, voilà ! C'était de la provocation ! Vient du père, ça !

Le père de la victime, oui. Le porte-parole local du comité du maintien des conditions de vie. Le genre de personne qui aimait avoir un petit monde bien réglé, mais pouvait vous dérégler le votre s'il vous avait dans le nez.
Déjà qu'il n'aimait pas l'agitation que les vigilants provoquaient... Le gros trou dans le torse de son fils n'allait pas arranger les choses.

C'pas bon les Lanyshstas. On voit on tire. Principe de précaution. Tout simplement. Rien à me reprocher.

Non, rien. Rien que de tirer instinctivement sur une menace. C'est un point de vue.
Un autre point de vue -et ça risque d'être celui de la majorité du voisinage- c'est qu'à être suffisamment bourré pour prendre un gamin déguisé à l'occasion du carnaval pour un monstre mythique, on en arrive à du meurtre. Sans circonstances atténuantes.


Et voilà. Il commençait déjà à bafouiller, il allait bientôt se mettre en colère, environ six chances sur dix, où à pleurnicher, trois chances sur dix. La dernière possibilité, le mutisme choqué, s'éloignait de seconde en seconde, dommage, c'était le plus reposant.
Jade leva la main.


Non, silence.

Puis elle ajouta quelque chose à la saveur douce-amère. Quelque chose qu'elle répétait de plus en plus souvent, ces derniers temps, et qui était à la fois la preuve de l’expansion de ses prérogatives, et celle de la fragilité de l'ensemble où elle devait évoluer.

Je prends l'affaire en main.


La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Luang 26 Manhur 814 à 10h43
 
Bien sûr que nous allons vous le livrer. C'était bien là notre intention, sitôt l'investigation terminée.

Le krolanne fulminait, persuadé d'être en train de se faire rouler dans la farine. Ce en quoi il avait parfaitement raison. Mais les soupirs de soulagements qu'il entendait derrière lui lui signalait que ceux qui l'accompagnaient étaient satisfaits de cette conclusion.
Il faut dire que ceux derrière Jade ne donnaient pas envie d'aboutir à une conclusion différente : lorsqu'elle avait appris que la délégation menée par le père de la victime arrivait, elle avait pris soin de ne garder sur place que les membres du comité physiquement les plus impressionnants. Et surtout les plus stupides, ceux qui n'étaient au courant de rien, et qui risquaient le moins de faire capoter ses petits mensonges.

Le premier coup - le plus important- avait également été le plus facile. Il avait suffit de présenter les documents très officiels - quoique antidatés, afin de prendre effet dès l'avant-veille - de radiation du Barbeux de la liste des membres des comités de vigilance. Motif : ivresse répétée et violence latente, "susceptibles de donner une mauvaise image du Comité".
Si les radiations des comités étaient rares -surtout au sein de ceux de vigilance, et surtout pour un tel motif- elles existaient, et il n'était pas rare que le chaos pseudo-administratif connaisse des ratés et des lenteurs.
De fait, le Barbeux n'était plus membre du Comité lorsqu'il était devenu un meurtrier.

La seconde partie, qui consistait à s'arroger la capture d'un meurtrier, était le genre de plaisanterie à ne pas trop pousser. Surtout que, aussi crétins et peu au courant qu'ils soient, les membres présents avaient bien vu que le Barbeux était de lui-même rentré dans les locaux. Donc mieux valait parler de quelqu'un s'étant "livré spontanément" qu'autre chose.


En attendant, si vous voulez bien reprendre le corps de votre fils, il ne nous est plus utile.

Le hoquet indigné laissa entrevoir à Jade que le simple énoncé des faits était une fois encore trop dur à supporter pour le commun des mortels. Le temps qu'on perdait à enrober les choses dans un emballage agréable.

Pour l'enquête. Plus utile pour l'enquête. Il est temps désormais de faire votre deuil. Toutes mes condoléances.

Des formules creuses, mais qui faisaient leur effet. C'est aussi pour cela que, malgré le risque qu'elle prenait à garder des molosses avec elle, Jade n'avait pas souhaité recevoir la délégation seule : la moindre erreur, et la foule aurait pris le parti de la violence, serait allait chercher le Barbeux dans sa cellule, et aurait jeté son joli plan à l'eau. Mieux valait laisser envisager le risque de se prendre des coups pour gagner quelques secondes de discussion.

Car le troisième et dernier point était devenu impossible à mettre en oeuvre. Elle aurait voulu organiser une entrevue avec le Barbeux pour qu'il corrobore son mensonge, mais un de ces imbéciles lui avait fourni une bouteille "pour le consoler". Du coup, le laisser parler était devenu hors de question.


Mais non, nous ne pouvons pas vous le laisser voir pour le moment. Nous viendrons vous le livrer, demain à l'aube. Pour l'instant, il reste trop de zones d'ombres.

Ce qui était vrai. Pas qu'il reste des zones d'ombres dans l'enquête, ça non, ça avait été monstrueusement, désespéramment limpide dès le début : à vouloir agir, plutôt qu'à se concentrer sur "la mate", les Comités avaient merdé sur toute la ligne.
Mais il restait des zones d'ombre dans les suites à donner...
Jade avait en gros deux possibilités : s'arranger pour livrer un cadavre. Les comités passaient pour des barbares incapables et implacables, mais justice était faîte. Mauvaise réputation générale, mais tranquillité locale.
Elle pouvait sinon organiser "l'évasion" du Barbeux et le relocaliser ailleurs. Les comités passaient alors pour des incapables et/ou des pourritures, et ils risquaient d'être virés du pâté de maison par une rébellion locale. Elle y gagnait en réputation au sein des Comités, et s'assurait un agent fidèle, quoique instable.

Pour elle ou pour les Comités ? Il semblait impossible de gagner sur les deux tableaux.
La nuit promettait encore d'être longue...



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Vayang 30 Manhur 814 à 10h40
 
Entrez.

Elle le sentait, la journée se promettait encore de commencer sous les pires auspices.
Trois jours auparavant, pourtant, tout semblait aller pour le mieux, lorsqu'elle venait de "régler" le cas Barbeux.

Il avait suffit de livrer officiellement le Barbeux au père de la victime, dans une petite charrette à bras, une sorte de ridicule cellule ambulante.
Puis, alors que la responsabilité des Comités de Vigilance ne pouvaient plus être engagés, qu'ils s'étaient montré irréprochables (enfin... A l'exception du Barbeux qui avait éliminé un gamin innocent, bien sûr), la foule en colère, habilement aiguillée par quelques agitateurs spécialement dépêchés pour l'occasion, avait entamé ce qu'elle savait faire de mieux, à savoir un mouvement de foule, anarchique et puissant, qui avait arraché la charrette des mains de ses responsables, l'avait agitée avec tant de force qu'elle l'avait disloquée, en extirpant de force un Barbeux terrorisé.
Puis un simple trébuchage - qui avait quand même causé quatre blessés légers et un grave- avait permis au Barbeux de s'enfuir.

Jusque là, c'était parfait, le Barbeux ayant bien retenu sa leçon et ayant filé droit au nord. Théoriquement, la réputation des Comités était sauve, et elle y avait gagné un agent reconnaissant.
Il y avait bien eu des fuites sur le caractère "fortuit" du mouvement de foule, mais à s'appuyer sur trop de personnes, il y avait forcément des vantards tenant mal l'alcool dans le lot. C'était la loi du Kil'sin, où la parole était maîtresse absolue, un démenti outré de façon classique, mieux tourné que les accusations, suffisait en principe à faire naître un doute raisonnable.
Le plus gros problème, c'était que durant trois jours, on avait pas reçu la moindre nouvelle de l'arrivée du Barbeux à son point de chute. Et que la veille au soir, on l'avait enfin retrouvé, mais dans un... État vital inapproprié à la poursuite d'activités.

Le Barbeux s'était fait tabasser à un point tel qu'il en était mort, ce qui dans le meilleur des cas signifiait qu'une simple altercation de sortie de bar lui avait coûté la majorité des bénéfices de l'opération.
Dans le pire, quelqu'un l'avait suivit et l'avait "interrogé" de façon musclée, parvenant à apprendre un tas de petites choses des plus désagréables. Et il serait sans doute difficile de savoir à quoi s'en tenir avant que d'éventuelles répercussions ne lui dégringolent sur le dos.


Madame... Il y a un problème à l'entrepôt.
- Spécifiez l'entrepôt.
- L'entrepôt de céréales. Celui que vous aviez demandé de surveiller.
- Spécifiez un problème.
- Y... Y'a que les guetteurs se sont un peu endormis.
- Spécifiez un peu.
- Ben... Un peu beaucoup ?
- Spécifiez un peu beaucoup.
- Y... Y z'y étaient pas, en fait.


Le gamin tremblait. Pourtant il n'avait rien à craindre, aussi humble soit sa fonction de messager -et aussi humbles soient ses émoluments, à savoir un bol de soupe midi et soir plus un banc où dormir- il s'en acquittait avec zèle.
Le problème ne venait généralement pas des "permanents" des Comités, mais plutôt des "auxiliaires". Ceux qui ne dépendaient pas des Comités de Vigilance pour vivre, mais qui donnaient de loin en loin un coup de main, pour leur bonne conscience ou par amour du sport. Eux, on avait pas de réel moyen de pression dessus, et il arrivait donc trop souvent qu'une tâche importante soit reléguée à une priorité inférieure que la fièvre du petit dernier ou le débat avec le voisin.
En plus, il ne servait à rien de le leur signaler, à part une démission, on y gagnait rien. Il fallait se contenter de les reléguer à des missions d'importance moindre.

La "mate" était la tâche la plus aisée au sein des Comités de Vigilance. Des guetteurs. Pour tout. Sur tout. Ne pas prendre position, ne pas agir, se contenter d'observer, et de rapporter.
Mais si un réseau théorique de guetteurs pouvait tout savoir, les besoins en personnel étaient loin, bien loin de ce que la réputation des Comités pouvait attirer.
Sans compter que si les gens ne rechignaient pas à observer, ils n'avaient pas l'intention de faire leur compte-rendu quotidien. Il fallait donc, au dessus des guetteurs, des rapporteurs, des personnes pour aller discuter régulièrement avec tout les guetteurs de leur secteur et rassembler tout cela.
Ce qui demandait une certaine gouaille et un certain temps. Donc soit du personnel qualifié et à temps plein -une utopie- soit des volontaires de la catégorie des grande-gueules, lesquels étaient généralement dépourvus de tout sens correct de l'analyse et de la synthèse. Donc soit ils déballaient tout sans faire le tri, soit ils faisaient un mauvais tri.

Jade avait fait des projections, pour estimer la proportion de choses vues par les guetteurs, puis celle de choses transmises dans un temps les rendant exploitables aux rapporteurs, avant enfin de s’atteler à celle parvenant par le biais des rapporteurs jusqu'aux premiers membres véritables des Comités de Vigilance.
Elle avait alors expérimenté un bouquet d'émotions se rapprochant de ce qui était visiblement qualifié de déprime.

Enfin...
Il y avait eu une fois encore une grave défaillance, mais l'avantage, c'était qu'elle était rapidement mise au courant de la dite défaillance.
Les défauts de surveillance n'étaient généralement repérés que deux jours plus tard, et, dans la moitié des cas estimait-elle, jamais repérés. On estimait parfaitement hermétique des secteurs ouverts à tout les vents.

Bon... Pour que l'information lui soit venue si vite, c'est que quelqu'un avait remarqué un changement. Donc l'entrepôt de grain contre lequel on lui avait signalé un projet de vol avait sans doute était bel et bien cambriolé.
Étrange de voir que les "balances" des bas-fond étaient autrement plus performantes que ses propres indicateurs.


Qui est le porte-parole du Comité de Vigilance du secteur de l'entrepôt de grain ?
- C'est... Y sont deux, madame. Malkor et Renée.


Oh, joie. Encore un comité bicéphale. C'était sensé apporter des avantages, mais du point de vue de Jade, ça ne faisait que dédoubler les démarches.
S'il était facile de piocher dans les guetteurs les uns des autres, elle n'avait pas l'autorité pour piétiner les plate-bande d'un porte-parole local.
Ou alors elle l'avait. Cela dépendait de la façon de présenter les choses. Comme souvent au Kil'sin, les paroles étaient plus efficaces que le papier.
En tout cas, si elle voulait un coup de main, elle devrait en passer par le débat, une fois encore.

Mais pour l'instant, elle avait un entrepôt à aller évaluer.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Luang 11 Agur 814 à 18h32
 
Oui.

Un simple mot, qui déstabilisa pourtant son interlocuteur. Pourquoi ? Parce qu'elle l'avait prononcé d'une voix forte ? Peu probable. Parce qu'elle avait analysé rapidement la situation ? La plupart des gens étaient plus rapides qu'elle, par le simple fait de donner une réponse instinctive.
Ce qui la faisait tiquer, en plus, c'est qu'elle avait justement fourni cette réponse pour éviter toute vague, afin de passer au plus vite aux choses sérieuses.
"Y fait froid, hein ?" lui avait-on demandé. En une petite minute, elle avait recherché le souvenir des données météorologiques locales, partant du principe que le commerçant ne faisait pas référence aux températures de l'extérieur du Kil.
De même, elle avait immédiatement classé comme non pertinentes les informations des anciens récits datant d'avant la naissance de l'homme.
Elle avait resitué la température ambiante dans ce qu'elle connaissait de celles de la semaine, de la saison, des années précédentes.
La conclusion était mitigée, et il aurait sans doute mieux valu demander de définir les marges d'application du terme "froid" pour le commerçant, mais elle lui avait attribué des valeurs par défaut qu'elle évaluait comme étant standard.
La conclusion aurait mérité d'avoir plusieurs sous-conclusions temporelles, mais elle avait opté pour la synthèse.
Oui.
L'homme était-il trop stupide pour avoir oublié la question ?


Oui, il fait froid.

Un hochement de tête géné, des mains calleuses s'essuyant sur un chiffon sale.

Et, heu... Vous voulez quoi ?

Il passait à autre chose.
C'était désespérant.
Il lui avait demandé une analyse thermique, elle avait consacré une pleine minute d'utilisation de ses facultés cognitives à y répondre, et au final, il s'en fichait.
Jade réalisait avec agacement que c'était du temps gâché, que la question était visiblement à ranger dans les "questions automatiques qu'on pose pour établir un lien avec l'interlocuteur même si on accorde aucun intérêt à la réponse".
Une désastreuse habitude.


Des balles. Calibre 3. Douille longue. Tête plate. Cinquante.

L'armurier releva les yeux de son décolleté, penchant la tête en arrière pour chercher les yeux dans le capuchon plongé dans l'ombre.

C'pas très commun, ça, comme munitions, ma p'tite dame.

Si, c'était courant. Dans les armureries dignes de ce nom. Celles qui vendaient des fusils de précision n'ayant pas besoin de réglages personnels interminables avant de les utiliser.
Et elle n'était pas petit. Au vue de ses estimations, elle faisait partie des 0,07% des femmes les plus grandes. Des demoiselles les plus grandes, d'ailleurs. On réservait généralement "dame" aux femmes mariées, et l'absence d'anneau sur ses doigts visibles aurait pu éviter la méprise au marchand.
Mais c'était sans doute une de ces remarques sans fondement, il fallait y répondre de façon rapide, et si possible comique, sans s'opposer à l'interlocuteur.


C'est que je ne suis pas une petite dame très commune...

Un gloussement qui tenait presque du goret.
Touché.
Cela se confirmait, la réponse "ingénue et espiègle" fonctionnait bien sur les mâles entre 40 et 60 cycles. Au dela, certains se montraient choqués, en deçà, une trop grande proportion y voyait une invitation qu'il était chronophage de démentir.


Et voilà !

Jade n'utilisait que rarement des têtes plates.
Les têtes pointues avaient un pouvoir perforant plus important, étaient plus stables sur les longues distances, et étaient moins bruyantes, moins susceptibles d'être instinctivement évitées par quelqu'un qui entendrait le sifflement.
Mais les têtes plates avaient un plus grand pouvoir stoppant, et un coup non mortel pouvait quand même envoyer voler une créature de poids faible, la déstabilisant assez pour lui en mettre une deuxième en pleine tête.
C'était exactement ce qu'il lui fallait.

Car un des Pontes avait passé une motion comme quoi il fallait que chacun agisse au mieux de ses capacités afin de perpétuer la tranquillité des allers et venues en bordure du Kil.
Comprendre : renvoyer les indésirables à un endroit où ils pourraient apprendre à se faire désirer.
Il y avait de l’électrification de clôture dans l'air, de la construction de guets, des campagnes d'affichage, de l'érection de mur... Et de l'élimination directe des bestioles.
Étrangement, alors qu'ils étaient généralement décriés, lorsqu'il avait fallu déterminer qui était le mieux à même de s'occuper de la dangereuse et délicate tâche de se salir les mains, la quasi unanimité des citoyens avait loué le professionnalisme, la pugnacité et l'adaptabilité des Comités de Vigilance.
En fait, les seuls à ne pas sembler parfaitement convaincus de leur capacité à remplir cette tâche semblait être les membres des Comités eux-mêmes.

Il y avait des idées grandioses. Des idées qui marquaient les gens. Des idées utiles. Des idées drôles. De drôles d'idées. Des idées ambitieuses.

Celle-ci, selon la classification de Jade, c'était vraiment une idée à la con.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Merakih 13 Agur 814 à 12h23
 
... Et c'est pourquoi on a pensé à nous.

Ils n'étaient pas convaincus. Cela se voyait. Peut-être parce qu'ils ne voyaient aucune conviction en elle quand elle leur avait parlé.
Bon, certes, entre sa maîtrise et leurs limitations, il était rare que quiconque puisse voir grand chose d'autre que les faits purs dans les discours de Jade.
Mais pour une fois, cela lui aurait été bien utile de provoquer une décharge émotionnelle non cohérente à base de... D'enthousiasme, d'héroïsme, d'esprit de sacrifice et autres étrangetés.
Un rire, en fond de sale, fit se retourner la demi-douzaine de factionnaires des Comités de Vigilance.
Pas un rire pour se moquer, non, un rire doux et chaleureux à la fois, destiné à attirer l'attention sur lui, tout en dédramatisant la situation. Un rire qui disait "vous n'avez pas encore compris, mais en fait tout va bien". Un rire rassurant qui s'accordait bien au reste du personnage.
Michal se laissa souplement tomber de l'appui de fenêtre, tout en passant négligemment une main dans ses épaisses boucles brunes. Toute sa personne respirait l'assurance, la décontraction, tandis qu'il remontait la salle, distribuant un hochement de tête ici, un clin d'oeil là-bas, afin de conserver l'attention tandis qu'il gagnait l'avant-scène.

Quand on regarde bien, c'est assez bon pour nous, en fait. Et pas surprenant. Presque évident.

"Presque évident" signifiant à coup sûr "vous êtes trop cons pour le réaliser, alors je vais vous l'expliquer, mais sans que vous ayez l'impression que je vous fasse la leçon".

Notre travail des derniers mois commence à payer. Nous sortons de l'anonymat génant. Désormais, lorsque les gens entendent "comités de vigilance", ils pensent "sécurité". Ils ont confiance en nous. En nos capacités. En notre... Complémentarité.


Sur ces derniers mots, il s'était assis sur un coin de table, cornant sans vergogne une carte des environs avec son fessier musclé, pour enlacer la taille de l'organisatrice de la réunion.
Sourire un peu plus éclatant, pause, rires.
Tout était parfaitement calibré. Il avait déjà parlé de "complémentarité" entre mâles et femelles au sein de diverses plaisanteries, et l'enlacement de taille coïncidant avec le mot, en plus de la pause volontaire, laisser ces dires revenir à l'esprit de tout un chacun. Appel du pied grivois, cela ne pouvait que les amuser.
Même le fait de s'assoir était bien pensé, non pas que la perte de hauteur l'amène à la bonne hauteur pour justifier que la main effleure les fesses au passage -même si ça ne devait pas lui déplaire- mais parce que debout, la tête à hauteur d'aisselles de sa conquête potentielle, il aurait eu l'air ridicule.
Là, il les tenait.


Alors qu'est-ce qu'on nous demande, hein ? Une petite expédition. Faire du bruit, se montrer. Je suis sûr que chacun d'entre vous pourrait botter les fesses à une demi-douzaine de ces saletés une main dans le dos !
En fait, c'est presque un pique-nique...


Une infime pause, un claquement de doigts.

D'ailleurs, quand ce sera fini, ça vous dirait un petit gueuleton chez moi, depuis le temps ? Tu es invitée, ma Jade.


Bon, très bon...
Lui était capable de se battre une main dans le dos. Eux, non. Même à deux mains, il risquait d'y avoir des pertes.
Mais en passant négligemment à "l'après", il faisait comme si les difficultés n'existaient pas.

Près d'une demi-heure à exposer le plan d'action, le secteur concerné, l'opposition à prévoir, les circonstances d'envoi, les méthodes de déploiement, et la salle était restée indécise, distante, en train d'essayer de trouver un moyen de se carapater.
En moins d'une minute, Michal venait de les motiver à bloc, de s'assurer de leur présence, et de s'arroger la direction de l'opération. On allait s'amuser avec Michal, même si on suivrait les indications de "ma Jade" pour lui faire plaisir. Cela ne devait pas être si mauvais que ça, vu qu'elle avait reçu en récompense de son exposé une invitation à une petite sauterie, comme on aurait jeté un sucre à un chien ayant réussi un tour.


Rendez-vous ici demain à l'aube.

Quelques hochements de tête polis, pour montrer qu'ils avaient compris, mais déjà ils se dispersaient, se vantant de leurs futurs exploits, à l'exception de Joëlle, qui préféra jeter un regard glacial à la seule autre femme de la salle avant de partir s'agripper au bras de Michal.
Comme s'il y avait le moindre risque que Jade le lui vole...

Michal était beau, intelligent, drôle, doué, ambitieux, et doté d'une langue de velours.
Un pur produit du Kil'sin qui pourrait monter haut, très haut.

Si elle avait eu du temps à perdre avec cela, Jade aurait sans doute pu le...
Détester. Vraisemblablement.
Mais étant de nature pragmatique, elle allait se contenter de le brider.
Les Comités de Vigilance n'étaient pas encore un réseau assez solide pour qu'elle y tolère des ascensions incontrôlées.



La perfection est amorale.
 
Jade Srhaggelle
Représentant,
la Vigilance

Kil'sin  
Le Dhiwara 17 Agur 814 à 12h22
 
Ils étaient tous venus au rendez-vous, à l'heure.
Non pas parce que Jade avait dit "à l'aube", et que c'était important, mais simplement parce que Michal était arrivé avec une demi-heure d'avance, avec l'air de celui qui a passé la nuit ailleurs que dans un lit, et avait fait la tournée des habitations pour aller tirer tout les Vigilants de leur sommeil.
Et vu que c'était Michal, vu que c'était important pour lui, ou du moins que EUX se sentaient importants pour lui, ils étaient tous venus.

Un dernier briefing sur ce qu'on attendait d'eux était inutile.
Certains avaient écouté la veille, et s'en rappelait suffisamment.
Pour les autres... Un dicton du Kil'sin disait, avec une incroyable certitude que c'était un compliment, que "chaque Kil a la direction qu'il mérite". C'était exactement cela ici, alors qu'ils s’esclaffaient autour d'un petit déjeuner communautaire tandis que Jade tournait d'un quart de pas de vis la lunette de son arme, afin de compenser la diffraction accrue due à l'humidité ambiante.
Ils mériteraient la fin de journée qu'ils auraient.

Puis ils étaient partis, vers les frontières du Kil, vers cette fameuse zone d'exclusion.
Les rebelles des Portes avaient trop tendance à devenir des rebelles des Banlieues, si on leur en laissait l'occasion. Et les Frobekhs avaient le chic pour aller là où ils n'étaient pas sensés aller.
Ils fonctionnaient en trois groupes distincts, théoriquement.
Le groupe Canalisation devait repérer et attirer les forces adverses, le groupe Obturation devait l’empêcher de progresser, et le bloquer dos au groupe de Neutralisation, perché sur les hauteurs, qui se chargeait de faire le sale boulot.
Sauf que la technique des C.O.N. avait de façon incompréhensible suscité un enthousiasme des plus restreints, surtout face à la proposition de Michal qui faisait d'eux des A.S. Comprendre groupe d'Action au Sol et d'Attaque de Saturation, deux accronymes identiques, qui ne pouvaient accroitre que la confusion.
La principale différence entre les AS et les CON était que dans le nouveau cas, les deux groupes au sol fusionnaient en un seul chargé d'attirer les renégats dans la mêlée, tandis qu'en l'air... On se démerdait.

Que les rebelles n'aient pas été largement débordés en nombre et en armement, et une telle méthode aurait risqué de causer des pertes inacceptables.

Tiens, v'la un autre groupe.

Hans était de ces personnes qui ne se trompent pour ainsi dire jamais dans ce qu'elles disent. Parce qu'il se contentait généralement de ne dire que l'évidence. Du genre "il pleut", une fois qu'il était trempé, ou "attention à la marche" une fois qu'on était tombé. Et donc, effectivement, un autre groupe était visible. En train de foncer depuis 13 secondes, ayant repéré les AS du bas depuis 27, et ayant émis des signes de présence permettant de prévoir un affrontement à court terme depuis plus d'une minute trente. Une quinzaine de Frobekh, des petits agressifs.
La situation en haut était problématique. Non pas qu'elle soit dangereuse, mais l'angle était mauvais.
L'idéal aurait été une rue unique, avec un petit pont sur lequel ils se seraient placé et caché, avant de tirer dans le dos des assaillants.
Là, situés quasiment au même niveau que les troupes au sol, il fallait tirer avant que la mêlée ne commence -sinon les risques de tirer sur ses compagnons devenait trop grand- mais pas trop tôt, sinon ils risquaient de saisir le danger et de se carapater dans les rues latérales.
Autrement dit, ils auraient droit à une unique salve, sur l'arrière de la vague d'assaut, 5 mètres avant le contact, histoire de dégrossir sans la briser la masse des assaillants.
Jade aurait sans doute pu éliminer deux ou trois d'entre eux le temps de la ruée, en ciblant toujours le dernier, histoire que sa chute ne soit pas notée par les autres, mais visiblement un "attendez, ne tirez pas" était un ordre délicat à comprendre pour certains.
Visiblement, un gars comme Hans voyait là un sport, où elle essayait de s'arroger toute la gloire, en sous-entendant qu'eux étaient incapables de toucher une cible mouvante à grande distance.
Alors il avait tenté aussi. Et avait loupé sa cible, tout en faisant suffisamment de bruit pour que le groupe en bas se disperse.
Il avait fallu deux heures pour retrouver les rassemblements épars...

Alors Jade attendit. Et, quand elle estima que plus de la moitié devraient toucher leur cible, elle ne prononça qu'un unique mot, en appuyant sur sa gâchette.


Feu.

Une pétarade des plus bruyante, mais relativement peu efficace en terme de dégâts directs. Par contre, le choc fit ralentir les Frobekhs, les yeux levés au ciel, les déstabilisant juste assez pour que Michal puisse lancer un glorieux CHAAAARGEEEEEZ !.
C'était encore et toujours de l'épate.
Un simple signe de la main aurait largement suffit, et l'effet de surprise aurait pu permettre d'éliminer une créature ou deux de plus.
Mais il fallait qu'on le voit, qu'on l'entende.
Même son style de combat était tape-à-l'oeil. Une chemise de soie ouverte, un sabre dans chaque main, de grands mouvements, et surtout, de grands éclats de rire.
Il avait la puissance et la technique pour être un redoutable bretteur, mais il gâchait son potentiel dans une représentation inutile.


Éliminez les fuyards.

Il n'y avait que cela à faire.
Le plan initial comportait une rangée visible de boucliers, et l'attaque latérale, une salve de tromblons abandonnés pour manier des lances, afin de tenir les assaillants hors de portée, bien contre les boucliers. Là, il devenait possible de viser dans le combat.
Mais l’exubérance et le modèle imposé par Michal avait vu une nette préférence pour des armes de duellistes, si bien qu'au lieu d'une bataille, c'était une quinzaine d'escarmouches imbriquées les unes aux autres qui se livraient là en dessous.
Qu'un Frobekh essaye de fuir la mêlée confuse, et une demi-douzaine de tirs volaient vers lui sitôt assez éloigné des Vigilants.
Parfois, un des tirs touchait.

Michal, lui, affrontait deux créatures en même temps. Non pas qu'ils se soient rué sur le chef présumé, mais Michal avait tout fait pour se mettre dans cette situation, qu'il savait pouvoir gérer.
Du spectacle.
Et là, sur sa gauche, en catimini, un des minuscules rôdeurs se faufilait, prêt à prendre la poudre d'escampette.
Un angle trop serré pour la plupart des tireurs sur le toit, mais parfaitement à la portée de Jade.

Elle épaula son fusil, aligna la mire sur la tête de la créature.
Pas de casque, mauvais choix.
Elle avança, mais du reculer précipitamment, histoire de ne pas se faire piétiner par le métamorphe que Michal forçait à reculer.
Hésitation, mauvais choix.

Bien qu'inhumain, le visage de la créature se lisait aussi facilement qu'un livre ouvert.
Rage, désespoir, peur... Elle était à un carrefour des émotions, totalement submergée par elles.
Il y avait un coup à jouer.
La mire ne quittait pas la tête de la créature.
Un pas en avant, un en arrière, et toujours, la menace du troisième oeil qui planait.

Aux bruits qu'elle percevait, Jade savait que le combat s'achevait. Le créneau allait se refermer. S'il ne bougeait pas...
MAINTENANT !
La créature s'élança, sans que la mire ne se laisse tromper. Un infime mouvement du poignet, et Jade décala la visée.
Le tir parti, la tête creuse frappant le mur de plâtre dans une projection de matière blanchâtre, à trente centimètres de la tête de la créature.
Elle freina net, roula sur elle-même, alors qu'un autre tir faisait jaillir des étincelles d'un pavé juste devant elle.
Elle céda à la panique. La rue, devant elle, était hors d'atteinte. Les tirs lui bloquaient le passage.
Elle se retourna, face au formidable guerrier qui était en train de maltraiter les deux plus puissants membres de son groupe. Elle était fichue.
De désespoir, elle lui sauta sur le dos...

Michal fut percuté par une boule de fourrure hurlante, alors même qu'il s'appretait à achever son -triple-moulinet dans le ventre de la créature à sa droite.
Destabilisé, il heurta un mur de sa lame, manquant de la lâcher.
Son arme gauche était encore dans la gorge de la seconde créature, il fallait...
Son rire se changea en cri de douleur lorsque la peste dans son dos lui mordit l'oreille.
D'un geste rageur, il l'agrippa et la lança loin de lui, où elle reçu plusieurs tirs directement.
Mais il avait quitté des yeux son principal adversaire trop longtemps, et une lourde griffe lui déchira la poitrine...


Dix-sept pertes contre une.

C'était le bilan de l'attaque. Sauf que, elle le voyait dans tout les regards, la perte de Michal les affectait plus durement que la simple idée de louper le petit gueuleton de la victoire.
Il allait leur manquer.

Groupe principal éliminé. Début de la procédure d'extraction. Dans les règles.

Elle avait très légèrement insisté sur ces derniers mots. Inutile d'en faire plus. Ils avaient tous été témoins quand, deux fois auparavant dans la journée, elle avait rappelé à Michal que sa méthode était non-optimisée dans le contrôle des pertes. Autrement dit trop dangereuse.
Ils en avaient tous été témoin, et ils l'avaient tous regardé avec un sourire goguenard aux lèvres.
Et maintenant, Michal était mort, sans que aucun d'eux ne l'ai vu venir.
Surtout pas Michal.
Il ne servait à rien d'insister sur du "je vous l'avais bien dit" ou "alors, qui avait raison ?", si elle retournait le couteau dans la plaie, ils lui en voudrait.
Alors qu'ils allaient très bien se le remuer dans la plaie eux-même, dans les semaines à venir. Elle avait juste à rester sobre, sereine, précise, comme à son habitude.
Et ils lui mangeraient tous dans la main.


Dis...

Hans. L'air troublé. Comme s'il avait envie d'accuser, et de se planquer en même temps. Alors il s'adonnait à ce qui passait chez lui pour de la subtilité.
Jade l'accueilli avec un sourcil haussé, l'invitant à poursuivre.


La bestiole, là... Celle qui l'a... Enfin, celle qui a fait que... Celle qui a tout foutu par terre. Je croyais que tu loupais pas tes tirs. Jamais.

C'était faux, bien sûr. Elle loupait. Parfois. Et apprenait de ses erreurs, contrairement à Hans. Et en l'occurrence, elle avait parfaitement réussi. Mais il aurait été malvenu de le dire.
Au lieu de quoi, elle haussa légèrement les épaules.
Humour, humilité et faiblesse. Le trio gagnant de la faible femme.
Avec en prime le sourire triste.
Il n'avait aucune chance.


Comme quoi... Je ne suis peut-être pas parfaite, hein ?


La perfection est amorale.

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