Salimân allait répondre lorsque trois coups massifs frappèrent à la porte.

Il joignit un geste -le doigt sur la bouche, à une pensée en direction des trois autres.

Silence !

Il alla ouvrit en se plaçant dans l'encadrement de la porte. Seul le gamin était visible de l'extérieur. De toutes façons, cela importait peu. Gil, le tenancier de l'auberge adjacente, tenait pantelant une grosse barrique, sur laquelle chancelaient cinq chopes et une pile de sandwiches. Les sourcils et la moustache broussailleux ponctuaient le visage bovin du krolanne marqué par l'effort.

Ah, tu tombes à pic mon amis. On commençait à avoir la gorge sèche !

- Je savais pas combien t'en mettre, Sal', j'me suis dit que pour deux ou trois ça irait.

Il y avait de quoi nourrir une cohorte. Les capacités d'abstraction de l'homme étonnaient toujours Salimân. La taverne aurait coulé depuis longtemps sans sa femme, la douce Calice.

Combien j'te dois, Gil ?

- Rien, mon ami, j't'en dois une sacré fière de sacré chandelle, vu le nombre de fois que tu aides ma femme dans les comptes à l'étage.

- Hum oui, c'est pas faux ! Allez, t'en fais pas s'il en manque je reviendrai en chercher.

Après une bonne tape sur l'épaule et un sourire plein de dents, il tira le tonneau à l'intérieur et referma la porte. La rue était déserte.

Voilà pour la pitance et la boisson !

Il se tourna vers Lamka.

Pour ce qui est de l'histoire des coquillages, j'raconterai tout ça en mangeant. Installons-nous, vous en dites quoi ?

 
Lorsque l'homme entra avec victuaille et boisson, elle se mit de côté et resta silencieuse, mais lorsque le tavernier fut parti, laissant sa cargaison au centre de la pièce, la nature même de l'endroit commença à changer dans l'esprit de la jeune femme. Voila qui commençait à ressembler à un début de quelque chose. Pour parfaire le tout, la promesse d'avoir des explications sur les coquillage lui suffit à lui donner le peu de courage qui lui manquait pour se décider à rester. Bien sûr elle resterait vigilente mais la situation devenait plus acceptable.

Et puis... si celui qui se faisait appeler le "compteur" lui paraissait réellement sympathique, le jeune garçon lui rappelait certaines de ses anciennes rencontres, lorsqu'elle avait son âge. Elle hésita un très court instant, puis sourit et en même temps qu'elle commençait à arranger, des sièges autour de la plus grande table ronde. enfin, elle dit :

... j'en dit que l'on va profiter de cette soirée pour faire connaissance, si tant est que vous ne me posiez pas trop de questions personnelles...

 
La réponse à mes questions arriva bien vite sous la forme du tavernier voisin. Je n'y accordait qu'une attention modérée. La porte s'était entre-ouverte. Salimân restait prudent quand à la divulgation des invités qu'il côtoyait au sein de ce Bureau. Il n'était pas aussi idiot qu'il en avait l'air.
Je n'avais pas spécialement faim, ni soif d'ailleurs. Mon herbe me suffisait. Je restais stoïque, jetant des coups d’œil de droite à gauche.

La jeune femme se décida finalement à rester. Celle-ci aimait se faire prier, presque désirer. Le genre de personnes qu'il faut marquer tôt, et durement, au fer rouge comme diraient les anciens. Pas de forge à l'horizon. Pour le marquage, il faudrait donc attendre un peu.

La journée tirait à sa fin lorsque Lamka prit place à la tablée. Ces mots furent révélateur. ne pas poser de questions personnelles... Quel meilleur moyen pour éveiller la curiosité des convives que de déclarer un truc pareil? Je toussotais suite à une bouffée trop ambitieuse.

Oh n'ayez crainte fine perle, nous n'avons que peu d'intérêt pour les données personnelles tant le monde est faux de nos jours. voyez cet enfant, ignare jusqu'à ignorer la multiplicité de ses êtres... Désolant.

Le ton n'était pas condescendant, simplement, désespéré. Un vrai faux désespoir, bien joué, bien enveloppé. On y croyait dur comme fer.
Je fixais à présent Salimân.

Et vous graine de tombeur, quelles sont les nouvelles depuis notre partie? Nous voyons que vos engagements ont été respecté, c'est fort plaisant. J'étais sincère. Quelle sera la prochaine étape? D'ailleurs, comment comptez-vous appeler cet endroit? Il lui faudra bien un nom non?

Les deux autres ne savaient probablement pas de quoi il était questions.
Les guerres entre lanyshtas commençaient à faire rage, si tôt, à moins qu'elle n'aient commencés bien auparavant. Quoiqu'il en soit, il fallait trouver une troisième option, la neutralité. mais pas seul. Le groupe soudé par le passage comme élément fort, unifiant les lanyshtas autour d'un même objectif : la survie et la connaissance.

 
A l'écoute des propos d'Elyas, il semblait qu'il en connaissait un rayon sur certaines notions qui échappaient à la krolanne. tout au moins à sa conscience directe et immédiate. Se pouvait-il qu'il existe d'autres niveaux de conscience ? Cela semblait lui évoquer certains sentiments ou souvenirs mais elle n'était désespérément pas assez imbibée de ces choses là pour pouvoir les observer depuis sa propre conscience.

Je... pardonnez ma naïveté mais je ne comprend pas ce que vous dites sur le... articule pour être certaine de bien se faire comprendre multiplicité des êtres ? reprend son ton habituel, doux, presque discret Pourquoi dites-vous que le monde est faux ? Je me sens tout comme cet enfant...

En même temps qu'elle parlait, elle continuait de préparer la table et lorsque les couverts furent mis, les chaises arrangées, les chopines pleines et victuailles distribuées, elle leva son verre et d'une voix douce et presque gênée, elle dit :

A la santé de cet endroit qui... cherche son nom...

 
Les yeux du compteur se mirent à pétiller.

Depuis la réunion, j'suis retourné au Travail. Mes expériences des choses sont plus plus vives, et j'écoute .... tout.

Son regard se refroidit.

J'aime pas tout c'que j'entends, d'ailleurs. Mais ma connaissance de la langue commune s'est carrément affinée. C'qui est d'ailleurs le premier conseil que nous devrions donner aux néos, tu crois pas ?

Il haussa les épaules.

Mais allons, c'est surtout toi qu'j'veux entendre, tu dois tout m'raconter sur le dehors. Si t'as pas changé de discours sur sa dangerosité, c'est qu't'as du passer toute l'expédition roulé en boule dans l'sac à dos d'la grande, non ?

Un regard vers les deux autres.

Mais ça, on va p't'être pas leur imposer maint'nant.

Il leva une chope.

A cet endroit sans nom, donc, et not' rencontre qui lui en déterminera un. J'imaginais un truc qui permettrait de déposer un nom de Comité bien simplet et sans ambages, mais qui s'rait bien lourd de second sens. Du genre, Comité sur la Perliculture -ça j'ai d'quoi développer sur cette idée. Et qu'on appell'rait bien sur entre nous quequ'chose du genre Bureau d’Accueil des Néos.

 
J'accompagnais le mouvement et sirotais une petite gorgée de la choppe qui m'avait été tendue. Je ne terminerais pas tout, c'était une évidence. Il fallait garder les idées claires, du moins pour le moment. La jeune femme restait discrète, intimidée par cet amas de nouveauté.
Pourquoi?
J'étais suspicieux. Les grandes gueules sont, par expérience, ceux qui en font le moins. Mais les timides eux, étaient capables des pires sournoiseries. Ça ne m'aurais pas étonné pas qu'il s'agisse d'une des espionnes de Jade. Enfin, il fallait lui laisser le bénéfice du doute tout en restant flou, sur mes projets par exemple.
Tout vient à qui sait attendre.

Le monde est faux, bien évidement petite chute d'ébène ! Certains se prétendre être ce qu'ils ne sont pas. D'autres n'ont pas conscience de ce qu'ils sont. Tout ceci se confond, aboutissement à la reproduction faussée d'une réalité que nous nions. En quelque sorte, nous vivons dans un chef d'oeuvre artistique, une semi création issu de l'esprit collectif. L'assentiment de tous sur un sujet donné, n'est-ce pas effrayant?

Je riais.
Salimân était fidèle à lui même. Franc, de bonne mine.
J’acquiesçai d'un geste de tête quand à la remarque sur le krolanne. la communication était une clé dont nul ne pouvait se dispenser. Très vite, j'avais moi même entreprit l'exercice de déchiffrer chacune des pensées des Entrelacs. Un exercice qui s'était avéré payant. On ne me donnait pratiquement plus d'accent.
Le médecin m'avait d'ailleurs prit pour un Kil'darien. Le fou.

Ah l'expédition du Fortin, nous y venions.

Oh, nous ne leur imposons rien, libre à eux de tendre l'oreille ou non. Sourire. N'avez-vous donc pas éprouvé nos pensées sur les Entrelacs? Nos récits combinés sont plutôt complets quand aux faits. Mais, si c'est l'Extérieur qui vous intéresse...Oh, nous pouvons aisément vous conter notre expérience.
Car oui, ce fut une expérience. Ni belle ni laide. Partis à cinq, nous n'étions plus que deux après la première nuit. Notre précipitation a coûté le corps du Dao, puis l'intégrité des deux autres. C'est qu'un loup affamé, ça ne veut pas forcément vous faire des papouilles. Alors pensez donc, deux loups et des escargots baveux... Un savoureux cocktail !

Je me remémorais l'attaque.
J'avais faillit y passer. Evidemment, en vue de glisser ma propre expédition entre deux boutades, j'éludais le fait d'être passé à deux doigts du trépas. Mauvaise publicité.

La grande Verte est restée solitaire. Nous n'avons pas eut la chance de profiter de son sac à dos. Ni même du reste. Ah... Elle est frigide l’Émeraude, même dans le froid des terres sauvages.
Pour notre position sur l'Extérieur, nous pensons qu'il est toujours dangereux d'y mettre les pieds...pour des krolannes non préparés. Pour des lanyshtas, c'est bien différent.

J'agitais ma pipe du bout des doigts.

Nos capacités nous rendent plus résistants, plus endurants mais également plus polyvalents. Adaptabilité, c'est le maître mot lorsque vous vous pointez en terre sauvages. C'est comme si nous autres Cendrés étions faits pour vivre là bas. Oh, peut-être pas les premiers temps, car la découverte de nos nouveaux pouvoirs est lente, progressive. Après quelques semaines cependant, c'est envisageable. Reste la question logistique.
Bien s'entourer, rester groupés, sortir armés.

Je laissais échapper un nouveau rire saccadé.

D'ailleurs, cela vous surprendra, ou peut-être pas, mais nous comptons repartir bientôt en quête de matériaux. Nos expériences en matière d'armement exigent du bois de qualité et de l'ambre, trop rare et trop chère dans les puces du Sin.

 
C'était une mission. Oui oui, une mission. Il fallait un nom à l'endroit, et les bras croisés sur son frêle torse, le menton pris entre le pouce et l'index, le jeune homme cogite. Plus les secondes passent, et plus il plisse les yeux. Comme si le fait de diminuer le champ de vision permettait d'affuter sa vue, et donc la teneur de ses pensées.

Au point qu'il pourrait avoir la tête d'un prédateur au crédit douteux.. Mais ce n'est pas pour autant que quoi que ce soit d'utile lui vienne.

 
Le Compteur écoutait avidement, la main caressant le menton. Il brûlait d'envie de quémander plus de détails, mais ce n'était ni le temps ni le lieu. Une idée l'asticotait. Muter, et être plus résistant. Pour pouvoir sortir. Quel pied de nez à l'univers !

Il se pourrait que j'en sois, alors, dépendant de combien de temps qu'ça prendrait, et de si qu'je me sens assez ... résistant, comme tu dis.

Ça coïncidait peu ou prou avec ce qu'il entendait dans les cercles de Voix.

Mais à long terme, que ce soit parce qu'on fait ce genre de p'tites réunions, ou bien parce qu'on peut s'balader dehors et rev'nir vivants, c'est autant d'façons de se discriminer des autres ... krolannes. Va falloir la jouer fine dans les deux cas.

Ça vaut pour tout l'monde, hein ?

Dit-il en toisant les deux mutants plus récents.

J'ai choisi un lieu qu'a deux entrées, c't'à dire aussi deux sorties, et à dessein.

 
J'affichais un sourire ravi.

Le Chapeauté qui se joindrait à nous? En voilà une sacré bonne nouvelle. Chaque talent a son utilité.

Restait à monter l'expédition.
Je savais que plusieurs lanyshtas seraient intéressés. Augmenter notre nombre diminuerait les risques, consoliderait les liens, apporterait des brides de confiances. Face aux dangers, le tri est vite fait.

Nous vous tiendrons au courant lorsque le moment sera venu. Pour l'heure, d'autres négociations exigent notre attention. Notre projet demande beaucoup d'éléments, rares, complexes à obtenir. Nous ne souhaitons pas nous précipiter.

La précipitation fut ce qui me fit frôler la mort. Merci Jade. Hors de question de réitérer.
Salimân semblait inquiet. A sa façon. Ses mots étaient censés et je compris un peu tard qu'ils étaient essentiellement destinés aux néo-cendrés.

Il est malin le Compteur, un lieu idéal voilà ce que nous en disons. Mais outre le lieu, reste à définir le concept qui lui correspond. Silence. Saviez-vous que nous avions rencontré la Rhôz il y a peu? Dés notre retour pour ainsi dire. Elle a paru séduite par notre idée. Sourire. Un consensus. Un groupe réuni autour d'un même but : la survie.

Je toisais du regard mes différents interlocuteurs.

Nous ne parlons pas de survie par le contrôle de nos pairs. Non. ici, chacun reste libre, indépendant d'une certaine manière. Le consensus régule, régit. Il est le seul principe immuable.
Pour que le groupe subsiste, il lui faut un cap solide. Nous visions la découverte et le Passage
L’expédition du Fortin mêlé à notre transformation nous a ouvert sur un monde dont nous ignorons tout. Un monde dangereux. Pour écarter ces périls, il nous faut apprendre. Uns à uns, nous souhaitons lever les mystères, expliquer pour mieux se prémunir. Il n'y a aucun intérêt économique, aucune ambition dirigiste. Survivre par la connaissance, ensemble, voilà tout.

Mon discours commençait à être bien rodés. Les soutiens potentiels émergeaient de tout parts, séduits par un concept essentiellement kil'sinite. Avec un peu de chance, nous parviendrions à faire évoluer le Bureau en une véritable université d'accueil et de partage pour Lanyshta.

 
La conversation était des plus intéressante, surtout lorsqu'il s'agit de partir à l'aventure, de monter une expédition. Elle en rêvait depuis tant de temps qu'à l'évocation de cette seule idée, son esprit était déjà parti vagabonder. Elle se laissa donc aller à certaines confidences tout en prenant soin de ne pas trop en dire :

Une expédition hors du Kil ? Cela pourrait également m'intéresser mais... l'extérieur est effectivement très dangereux si c'est bien cela que vous évoquiez. Dangereusement mortel même... Et pour le coup le danger est bien réel.

 
Passage, c'est chouette comme mot. Parce que dedans, on peut en mettre plein. Le pas sage de celui qui avance avec prudence, le pas sage de ceux qui n'en font qu'à leurs tête, le passe âge de celui qui traverse le temps, sans oublier le passage qui fait que l'on va d'une entrée à la sortie. Voilà qui fait un chouette nom en fait.

A force de cherche, on trouve. Ce n'est peut-être pas le truc le plus flambant du monde, mais c'est un truc. Et sans étaler plus ses motivations, il lâche un improbable, mais quelque peu tremblant : Je viens aussi.

 
Il y avait de l'agitation dans les esprits des uns et des autres, des ambitions certainement aussi, peut être même des rêves. Lamka n'en manquait pas de rêve mais cette soudaine association de personnes aussi disparate que le petit groupe qui était en train de se former la laissait positivement songeuse. Elle s'imaginait que tous pouvait saisir ce qu'elle ressentait.

La pensée de passer quelques jours en groupe à l'aventure ne la laissait certainement pas indifférentes. Découvrir les pensées de l'homme au chapeau et du jeune garçon lui était également des plus agréables perspectives

... et nous irions où précisément ?

Lorsque Çaï Varsa fit sa proposition, la krolanne hocha la tête

Le Pas Sage, c'est très bien... surtout pour un endroit comme celui-ci où les gens justement de passage se rencontre au gré des pensées, qu'elles soient sages ou pas d'ailleurs... Oui, c'est même parfait...

 
Salimân mordit dans un sandwich qu'il mâcha sans conviction. Pourtant, il était bon. Il déglutit.

La Rose ? J'la connais pas. Je connais que la Verte, et encore, elle me laisse quasi perplexe...

Devant tant d'entrain pour sortir au massacre, il se sentit presque obligé de jouer les rabats-fête.

Eh, les cocos, heureusement que j'vous sens un peu fébriles, parce que j'dois pas être le seul à tenir à mes roupettes. On suivra le Clown dans son ombre, et il nous fera d'ailleurs le plaisir de nous promettre de prendre notre petite randonnée bien au sérieux... Je sais bien que t'es sage dans ton fond même si ta forme est un peu boueuse -et j'parle bien de tes pensées pas de tes atours, mais tu m'fais parfois penser à un enfant qu'a envie d'essayer un nouveau jouet.

Sourire plein de dents.

Si tu veux m'essayer, Clown, ça prendra plus qu'un coup à boire et quelques fleurs. J'suis pas un garçon facile, moi.

 
Je... je viens de recevoir une pensée assez noire... d'ordinaire je n'aurais pas ce genre de démarche mais au vu de la situation, il me semble normal voir obligé d'en faire cas ici... Le fait est que l'extérieur est dangereux mais si nous nous soutenons tous, sans doute que nous pourrons vaincre nos ennemis et poursuivre notre chemin mais il se trouve que cette pensée sombre vient m'avertir que l'Arlequin nous abandonnera à la première difficulté, pire, qu'il se servira de nous comme appât afin de pouvoir arriver à ses fins... Vu que tous les autres membres de l'expédition sont totalement inexpérimentés... Sauf sans doute l'homme au chapeau...

La krolanne se tourne désespérément vers l'homme au chapeau :

Je ne sais pas si vous le connaissez bien mais j'en ai la certitude que vous le connaissez suffisamment... Qu'en est-il de ces rumeurs ? L'arlequin aurait-il abandonné ses compagnons lors d'une précédente expédition ? Quelle assurance avons nous que nous nous soutiendrons devant l'adversité ?

 
Le Pas Sage...Rire. Amusant !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, voilà que le petit, qui s'était montré jusqu'alors très prévenant vis à vis de l'Extérieur, souhaitait partir en balade. J'ignorais ce à quoi un enfant de douze ans à peine pourrait servir dans une opération de ce genre mais soit, c'était un lanyshta après tout, et je ne le forçais à rien.
Puis une paire de petites mains, ça peut toujours être utile...

La Discrète avait agit de la même manière. Consciente du danger mais curieusement attirée par le projet. Ah les Terres Sauvages, on avait du leur en raconter des choses là dessus, ça vous pousse au rêve ce genre d'histoires ! Il y avait quelque chose d'inconscient dans leur démarche. Pour tout avouer, je me retrouvais en eux, quelques semaines plus tôt, lors de l'expédition pour le fortin. Toutefois cette fois-ci, ce serait différent, cette timbrée de Jade ne serais pas dans les parages. Enfin, encore fallait-il l'espérer.

Notre destination? Les Terres Sauvages mes jolis. Ne pensez pas que ce nom là n'est fait que pour éloigner les moins membrés, cet endroit ci est vraiment Sauvage. Nous ne vous cachons pas que nous avons faillit y perdre une vie, et que notre expédition, grâce aux odieux stratagèmes de la Verte, s'est retrouvé amputée dés les premières heures. Ah celle là...

Si je l'avais mauvaise? Evidemment !
Cette machine là ne valait pas mieux qu'un type des Dessous, au détail près qu'eux, ils tenaient généralement parole. Non mais franchement, aller nous foutre dans une situation telle que notre vie ne dépende que d'elle. D'ailleurs, elle l'avait bien montré en plombant la Bleue et son allumé de dandy. Rien que d'y penser...
Non, cette fois-ci ce serait différent, rien qu'un petit tour rapide et hop, on serait rentré pour profiter de nos lits douillets.
A la remarque du Chapeauté, je riais. Décidément, je l'aimais bien celui-là.

Sal'perlipopette ! C'est que vous devenez excellent ! Facile ou pas, nous vous prendrions c'est certain !

Je lui adressais mon verre à moitié plein puis déglutit quelques gorges.
Quand soudain, la Discrète se confessa.
Une pensée noire... J'imaginais sans mal la nature des mots qui avaient pu toucher la demoiselle. Les voilà qui se mettaient en marche.
Ma mine se figea. Mon visage s'assombrit. Étais-je devenu une cible à mon tour? La Vigilante me réservait-elle le même sort qu'à Yloyse? Je fixais la Lamka, silencieux.
Peut-être m'étais-je trompé à son sujet, peut-être était-elle déjà à la botte de Jade. L'un de ses espions, membre de son Eclipse. Je ne pouvais en avoir l'assurance. Les apparences sont toujours trompeuses.

Je saisis ma pipe et la rallumais.
Tirant une profonde bouffée, je croisais lentement mes doigts. Qui?

Parler face à nous prouve votre honnêteté, dame la Discrète. Nous apprécions.Ou votre naïveté, ce qui déplairait à Jade. Nous nous ne pensions pas que la réaction à notre annonce sur les Entrelacs concernant notre expédition aurait sitôt éveillé son attention. J'approchais légèrement la tête de Lamka. Car nous parlons bien de la même personne n'est-ce pas? Jade la Vigilante, celle qui se complaît à créer des difficultés et à envenimer chaque situation à laquelle elle se retrouve mêlée. Ou non d'ailleurs.

Pause.
Je dévisageais chacun des membres de la tablée.

Pensée sombre. Qui croire?
Un être qui se cache derrière sa télépathie, un être qui aspire à tirer des ficelles au sein d'un kil qui ne souhaite ni marionnettiste ni maître à penser.
Nous évoquions le danger tout à l'heure. En voilà une illustration.
Oh nous pourrions vous raconter toute l'histoire en détails, le meurtre organisé de ce qui fut appelé l'expérience Dao, les mensonges ayant mit en péril les vies de trois expéditionnaires, dont la notre. Mais à quoi bon.

Sourire.

Vous êtes libres de choisir. Nous ne vous forçons pas à nous suivre, ni à penser que nous sommes irréprochables.
Qui peut se prétendre l'être aujourd'hui?

Je portais à nouveau le verre à mes lèvres.

Si nous partons ensemble, soyez sûre d'une chose : nous ne souhaiterons pas votre mort. Pourquoi cela? Car la perte d'un lanyshta, quel qu'il soit, diminue indirectement nos chances de survies à tous, nous compris. Les menaces sont nombreuses. C'est d'ailleurs la raison de cette expédition.
Oh nous ne le faisons pas de gaieté de cœur. Nous nous serions bien passé de retourner câliner les loups affamés de bon matin. Cependant, des choses se trament dans l'ombre, armé d'une technologie qui nous dépasse. Face à cela, l'une des seules réponses qui nous semble adéquat à court terme s'appelle Crach'Feu.

Je piochais un petit sandwitch dans le panier au centre de la table.
Pas mauvais pour de la bouffe de taverne.

 
Curieux retour, et curieux détour. Les bonheurs de la télépathie. Salimân laissa l'Arlequin parler, puis fixa Lamka.

Oui, dis-nous donc, ma belle, d'où nous vient ta pensée. Si ça vient d'la Grande Verte, je la connais peu, mais c'que je connais me plait pas du tout. C'que j'aime pas chez elle, c'est qu'elle répond pas à mes questions. Le Clown, lui au moins, le pire qu'il peut répondre c'est une autre question. Ça m'plait plus, tu vois ? Pis c'est quand même elle qui s'fait accuser de meurtre sur d'autres mutants, à c'qu'on peut tous entendre, non ?

Clin d’œil vers l'Arlequin.

M'est avis, elle est juste jalouse qu'on parte sans elle, elle peut plus êt' le centre de l'attention. C'qui est dommage, c'est que quand on est au centre il vaut mieux ouvrir les bras, l'esprit et/ou le reste. Mais elle, elle ouvre rien.

Il haussa les épaules.

Mais j'vais te rassurer bien fort et bien dur sur mon expérience. J'me suis éveillé pas si longtemps avant toi, et depuis j'ai pas mal bu alors j'me souviens pas de tout.

Et mon expérience du dehors, elle est très simple. J'avais pas plus de trois ans, on m'a retrouvé devant les portes du Kil maculé de sang et de larmes dans les décombres d'une caravane.

Un silence, à peine pesant.

J'suis pas ressorti depuis.

Mais je suivrai le Clown, pac'que j'laime bien, et aussi pac'que j'suis un gars qui accorde confiance facilement, tant qu'j'ai pas de raisons sous les yeux de plus l'accorder. Ça fait p't'être de moi un niais, mais au moins j'dors bien la nuit, et jusque là j'ai pas eu à m'en plaindre. En plus, j'crois qu'on tombe dans un temps où on a plus trop l'choix : va bien falloir se détendre le fion et suivre un peu ses intuitions si on veut pas se faire vindicter la face...

 
Elle cherchait au fond d'elle l'assurance qui lui manquait cruellement. Bien sur, l'extérieur était dangereux, elle l'avait déjà dit, le savait et le craignait. Mais ce qu'elle redoutait par dessus tout, c'était des compagnons de route douteux. Elle répondit aussitôt à l'Arlequin d'un ton plutôt fort avec une voix tremblante, celle qui annonce des sanglots.

Je sais bien que c'est dangereux !
Je n'ai aucune valeurs sur moi alors je ne craint pas d'être dépouillée...
Mais par contre, j'aimerais savoir si vous nous aiderez lorsque nous serons en difficulté au lieu de nous laisser en pâture aux bêtes féroces ?

Elle se ressaisit puis se tourna vers Saliman et parla doucement

... oui, il s'agit bien de Jade...
Je suppose que c'est elle que vous appelez la "verte" ?
Elle m'a fait savoir les pire choses sur l'Arlequin
Alors vu qu'on est parti pour braver des dangers horribles, il me semblait nécessaire d'en faire cas...
Maintenant, j'ignore de quoi elle est accusée
J'avoue qu'il y a trop de pensées qui se bousculent dans ma tête pour que je puisse y prêter attention à toutes

Elle se retourne encore vers l'Arlequin, mais cette fois, c'est d'une voix douce, les yeux dans les yeux, cherchant à percer la part d’honnêteté ou de malice dans ses propos

Je ne suis peut être pas irréprochable mais je n'ai jamais abandonné un compagnon à une mort certaine. Ce que je souhaite savoir ici, c'est si vous le ferez ou pas ? Oh, bien sur, si cela vous mets vous même en danger de mort, je comprendrais mais si ce n'est pas nécessairement le cas ? Ferez vous votre possible pour nous aider lors de cette aventure ?

 
J'éclatais de rire. L'un de ceux qui vous sortent du fond du cœur. J'en pleurais même.
La situation avait tout d'une mauvaise comédie.
Reprenant petit à petit mes esprit, j'adressais un sourire à Salimân. Rien de plus. Parfois, les mots sont inutiles.

D'autres fois par contre, il convient d'en user, voir d'en abuser.
Je plantais mes yeux dans ceux de Lamka, l’œil pétillant.

L'Emeraude est si prévisible. Quelle tristesse.

J'avalais une bouchée mêlant audacieusement viande marinée et pain beurré.

N'avons-nous pas été suffisamment clairs?
Nous sommes au Sin, l'un des seuls Kil où la liberté est acquise dés la naissance. Toutefois, cette liberté comporte également des contraintes, à savoir être responsable d'un tas de choses...à commencer par soi-même.

Silence.

Que croyez-vous? Avons-nous l'air d'un chevalier servant prêt à se sacrifier pour rattraper les bourdes des uns et des autres? Rire saccadé. Certainement pas.
Ce genre de chose n'existe que dans les contes des Douces Chaumières. La réalité est bien différente.
Comme vient de vous le prouver Jade, par son acte une fois de plus irraisonné, c'est que notre monde est par bien des aspects sombre et puant. Il n'y a ni prince ni princesse ici. Et quand bien même, ils ne chieraient pas des tulipes.

Je comprenais tout à coup pourquoi le Compteur semblait partager plus qu'un goût pour les Chapeaux avec moi. Lui aussi avait été confronté à la dureté de la vie, là où d'autres en sont épargnés. La Discrète ne saisissait pas la portée de ses mots. A l'entendre, j'étais certain d'une chose : jamais elle n'avait eut à affronter la mort. Car dans ces cas là, l'instinct de survie prévaut sur les nobles prouesses chevaleresques.
J'inspirais profondément.

Depuis notre retour du Fortin, nous avons prit conscience du danger que représentait certains Lanyshta, Jade et ses sbires en tête. De fait, nous nous employons à apporter une alternative, un avenir moins sordide, moins toxique. Un espoir de survie dans un groupe égalitaire, consensuel. Dans la plus grande tradition du Kil'Sin.

Je levais l'index, comme pour amplifier le poids des mots qui suivraient.

N'espérez pas obtenir de nous la promesse de vous ramener tous sains et sauf. Cette promesse là, c'est à vous même qu'il vous faut la faire.
Cependant, au contraire de Jade, jamais nous échafauderions un plan destiné à mettre votre existence en péril.

 
La krolanne écouta patiemment l'Arlequin jusqu'au terme de sa longue tirade. Certaines choses s’éclaircissaient dans sa tête et l'Arlequin se livrait. Sans doute tout ce qui lui avait été confié n'était-il pas forcément faux puisque justement, comme il le disait si bien, tout était faux et rien n'était vraiment ce qu'il paraissait être. Était-ce d'ailleurs une certaine forme de mise en garde. Une sorte de boussole qui indiquerait le sud ? Une invitation à justement ne pas les suivre ? Elle savait à quoi s'en tenir, avait pris ses précautions et attendait donc maintenant la suite

Son regard se referme, redevenant celle qu'elle a été en entrant dans la boutique, impassible et discret

Voila qui est donc parfaitement clair...
et... même si je crois que nous ne nous sommes pas bien compris...
Votre réponse me convient

Elle laisse un court silence, prends à son tour un sandwich et ajoute :

quand partons nous ?

 
A la bonne heure !

Dit le Compteur en posant sa chope vide sur la table. Il plissa les yeux. C'était parfait ! Si la belle était déjà rangée du côté de Jade, elle verrait bien, à les côtoyer quelques jours, où la sincérité se lovait vraiment.

Eh bien, il me semble que notre ami ait établi la date du départ à Merakih, à l'aube. C' qui nous laisse le temps de nous préparer. En ce qui m' concerne, ça signifie aussi cumuler mes heures sur la Place. Va falloir Passer deux fois plus si j'veux m'absenter un moment. Ça sera sans doute aussi pareil pour toi, l'coursier.

Il observa le gamin plutôt silencieux. Il avait quand même l'air très fin. Et puis, si ça tournait au vinaigre Dehors, ce serait sans doute lui qui s'en tirerait le mieux, à courir....