Le Compteur détendit ses muscles et ses nerfs. Subrepticement. Avant de partir d'un rire franc et rond comme un bon vin, dont la musicalité résonna jusque dans les verres et les bouteilles sur la table.

HA HA HA HA ! Un chef ? Et moi en plus ?

Il tapa du plat de la main sur la table.

Mais tu es au Kil'sin, mon gars ! Pas de chef, encore moins au Bureau !

Vraiment, l'idée était saugrenue. Surtout que Salimân lui-même était dans l'ombre de l'Arlequin depuis leurs débuts.

Nan, si j'suis que'qu'chose ici, c'est intendant tout au plus ! C'est moi qui vais rincer ton verre, en somme !

Le passage au tutoiement était un indicateur crucial sur le tournant de la rencontre.

Bon, le gamin que t'as croisé, il était blond, avec les mains très sales, et un p'tit cheveu sur la langue non ? C'est le Moineau, à coup sûr. Toujours fourré dehors çui-là.

Plus sérieux.

Bon, ça n'empêche qu'on va changer de local, on avait prévu ça avec le Clown de toutes façons...

Juste, pour te présenter un peu les choses. C'est pas un groupe, ici. C'est plutôt qu'on tente de se serrer les coudes entre mutants, de guider un peu les nouveaux venus de la dernière vague de néos. Par ailleurs, la Vigilante est au courant. Si on l'crie pas sur tous les toits, c'est justement qu'on a a pas envie que la Vindicte nous roule dessus. Tu l'comprends bien.

En revanche, ce nom de c'collègue qui t'a recommandé, il va nous l'falloir, de ta part ou d'la sienne, ou alors on va bien l'découvrir nous-mêmes. Mais comme j'l'ai dit plus tôt, ça va plutôt être nécessaire.

En attendant, si t'as des questions, t'es au bon endroit. J'vais pas faire de vieux os pasque j'dois aller aux Heures Vives tôt dans pas longtemps, mais j't'écoute.

Mensonge évident, mais bien placé. Celui qui l'était moins, c'était celui placé peu avant...

 


-Le cheveu sur la langue et blond, oui, c'est bien lui.



-J'espère ne pas être celui qui vous fait changer d'endroit. Pour ce qui est du lanyshsta m'aillant mit sur la piste, il semblerait que vous ne devriez chercher par vous-même. Je lui en parlerai à l'occasion, mais je comprendrais tout à fait que la personne en question veuille garder cela secret.



-Combien êtes-vous donc entre "mutants" et qui est cette vigilante? La dame en vert?



-Je me nomme Nogarde, je suis marchand lanyshsta. Vous me trouverez à la taverne de la lune morte si vous voulez faire affaire. J'ai encore nombre de questions, mais je ne voudrais vous faire perdre votre temps...

 
Le Compteur haussa les épaules.

J'crois bien que tu vas nous faire changer d'endroit, mais c'est pas bien grave, c'était tout d'même au programme !

Il trouva les négations du petit nouveau assez curieusement placées. Qu'à cela ne tienne.

Très bien, très bien, gardons donc ce secret. Pour c'qui est de combien on est, la réponse est que j'en sais rien. Y a qu'à compter les Voix. Ici, on fait qu'répondre aux questions auxquelles on est cap' de répondre. Ensuite, une fois qu'c'est répondu, petit lanyshta est devenu moins petit ; ou du moins aussi moins petits que nous. Et alors on rince les verres.

Pour la vigilante, j'en dirai pas plus, à part qu'c'est une voix grave dans nos têtes. J'suis pas du genre à orienter les avis des gens sur d'autres gens. A moi, en tous cas, elle a jamais rien fait.

Le Compteur, qui s'était assis, se leva en même temps que le jeune.

Le temps à Passer n'est jamais perdu. Mon nom, tu l'connaissais. Maint'nant, en tous cas, tu connais ma Voix. Un Marchand, ça pourra nous être utile, 'faut qu'on se serre les coudes. Et les questions, on est là pour tenter d'y répondre, tant qu'on peut l'faire quoi...

Le ton et le faciès sympathiques, Salimân entreprit d'empiler les verres.

 


-J'espère que vous me mettrez au courant de votre prochaine cache.



-J'espère tout de même vous revoir, peut-être en lieu où je ne serai pas celui à vous interrompre.



-Et bien entendu, s'il vous faut quoique se soit, comme vous l'avez si bien dit, je serais ravis d'aider les miens. Je pars cependant très bientôt à l'extérieur de la cité, donc, dépêchez-vous?!

 
Parmi le flot de pensées qu'elle survolait parfois du bout de l'esprit, sans jamais s'y attarder par peur que cela pourrait la mettre en pleine lumière, Onä avait pourtant fini par s'arrêter sur l'une d'entre elles. Une annonce qui avait éveillé son attention et son intérêt, et qu'elle avait pour une fois "écoutée" jusqu'au bout.
Un lieu d'accueil... Pourquoi pas ?
Depuis son Eveil, la taxidermiste restait en retrait, ne sachant pas vraiment grand chose de sa nouvelle condition de Lanyshta. Ce qui ne changeait pas franchement son quotidien, en vérité, puisqu'elle avait toujours plus ou moins vécu ainsi, dans sa bulle.
Mais à la réflexion, si. A présent, elle avait cette curieuse envie de sortir un peu de sa bulle... Elle qui ne s'était jamais investie dans un comité, avait maintenant ce sentiment nouveau d'appartenir à un groupe... Bon, un groupe de parias, certes... ou justement. Avant, être solitaire et asociale, c'était son choix.
Plus maintenant...

Alors, suivant les indications de l'annonce mentale, elle était arrivée devant le local jouxtant le Tambour battant, hésitante. Elle ne savait pas encore si elle allait oser frapper à cette porte.
Après tout, peut-être que c'était un piège ?! Pas un piège à Lanyshta, mais tout bêtement un attrape nigaud, un endroit où elle se ferait dépouiller, tabasser, ou pire... La taxidermiste avait toujours un couteau pliant dans sa poche, mais elle doutait que dans ce genre de cas ça lui serait d'une réelle utilité.
Alors depuis dix minutes, elle tournait en rond en claudiquant devant la porte du "Bureau", n'arrivant pas à se décider.

Oh allez... marmonna-t-elle soudain.

Et elle frappa à la porte.

 
...Et la porte s'ouvrit.
Nulle magie là dedans, seulement mes petits bras serviables. La pièce principale comportait une table de modeste facture, une dizaines de chaines éparpillées puis quelques meubles que Salimân avait pu dégoter ici et là. Néanmoins, aucun signe de vie jusqu'au moment où...

Tadam !

J'apparu en un éclair de derrière la porte, exécutant une drôle de danse rythmée par les grelots de mon chapeau.

Bienvenue-bienvenue ! Le grand Compteur est absent pour le moment mais son laquais, le très respecté Arlequin, est là pour vous accueillir !

Nous n'avions pas encore pensé à embaucher des krolannes pour nous remplacer. Faut dire que Salimân, en dehors de son boulot aux Heures Vives, passait le plus clair de son temps fourré ici. Sauf que là, c'était compliqué. Le bougre n'avait trouvé que moi pour le remplacer durant ce qu'il avait appelé "son moment de retraite spirituelle". Comme si le Compteur avait quoique ce soit de spirituel. Spiritueux ça oui !

Je me dirigeais vers la table et tirais une chaise à l'adresse de la dame esquintée.

Bien-bien-bien, que pouvons-nous faire pour vous? Oh, fermez la porte nous vous prions. Voouuualà ! Pause grimace. Mmh. Nous ne nous serions pas déjà croisé par hasard?

Sa tête...Non. Sa démarche nous disait quelque chose. Une Estropiée de plus ça oui. Mais où et quand? Était-ce avec Rhôz? Celle là avait la fâcheuse tendance à collectionner les choses déglinguées. Peut-être bien... Juste après que le gosse se soit barré de la librairie... Ah oui ! Effectivement.
Ça faisait quoi? Une semaine ou deux peut-être?

 
La porte s'ouvrit, et après un instant de flottement -et de solitude- où Onä se retrouva devant une pièce apparemment déserte, apparut sous ses yeux ébahis un... clown ??
Elle se demanda si elle ne s'était pas trompée d'endroit, d'autant qu'elle ne comprit rien à ce que l'individu lui débita tout en cabriolant. Le grand Compteur ? Un laquais ?
Pourtant, sans pouvoir dire comment, elle eut le sentiment que cet étrange personnage était bien l'auteur même de l'annonce mentale qui l'avait menée jusqu'ici...
Aussi, et comme il lui présentait un chaise sur laquelle s'asseoir, elle finit par s’exécuter et le suivre docilement, un peu abasourdie par tant d'exubérance au mètre carré.

Et soudain, lorsqu'il lui demanda s'ils ne s'étaient pas déjà croisés, elle reconnu effectivement le troubadour aperçu le jour de sa première sortie en tant que Lanyshta...

Oui en effet, je vous ai déjà croisé une fois en train d'animer une table de jeu en pleine rue...répondit-elle, un peu étonnée de réaliser que lui l'avait remarquée et se rappelait d'elle...
La canne, probablement.

Puis, répondant à sa précédente question par une autre question :

Vous êtes Lanyshta, n'est-ce pas ?

Onä n'avait pas l'habitude de tourner autour du pot.

 
Une fois seulement?! Mine déconfite. Voyons-voyons, nul est censé ne pas connaitre le Sublime Arlequin ! Vous ne sortez donc jamais?

D'un enchaînement de pas croisés, je me retrouvais face à la dame désormais assise. J'approchais mon visage du sien, près, très près.

Oh... Vous n'y allez pas par quatre chemins vous... Sans préliminaire, à sec... Je me redressais subitement, prenant un ton éloquent. Être ou ne point être, telle est la question !

Regard à gauche, puis à droite.

Peut-être voudriez-vous un café, du vin, un verre de gnôle ou du thé qui fait rigoler mmh? Plus de bière vous nous en voyez navré, le Compteur a pour habitude de tout siffler en une soirée. A lui seul, on dit qu'il pourrait faire tourner une brasserie de trente personnes. Imaginez l'engin !

Mes yeux se plantèrent sur le visage gris bleuté de l’éclopée.
La pensée amusée, si caractéristique de ma personne, fusa dans sa direction.

*Et puis...pourquoi poser une question dont vous aviez déjà la réponse? Nous est avis qu'il vous aurait fallu demande "alors, est-ce vrai que je suis une lanyshta?".*

Sourire malicieux.

 
Onä se recula légèrement lorsque l’hurluberlu approcha son visage si près du sien qu'elle se demanda un instant quelles étaient ses intentions.
Lorsqu'il s’arrêta enfin de gesticuler et de jaboter, elle ouvrit la bouche pour essayer d'en placer une, mais c'est dans son esprit que se mit cette fois à retentir la voix de l'excité.
Elle fronça les sourcils.
C'était la première fois qu'elle était ainsi la cible d'une pensée qui lui était directement adressée. La sensation était nouvelle, surprenante, mais au final pas vraiment plus déroutante que le bourdonnement du consensus.

Elle rendit un sourire un peu pincé à Elyas, tout en répondant avec cependant une pointe d'amusement dans la voix :

Non, je ne sors jamais, ou presque. Les relations sociales ne sont pas mon fort.
Et vous non plus manifestement.
Et puis qui est donc ce Compteur dont vous n’arrêtez pas de parler ? Le maître des lieux, si j'ai bien compris, doublé d'un alcoolique notoire, manifestement, est-ce que vous mentionnez ce fait pour me faire comprendre qu'il faut se méfier de lui ?

Concernant ma condition de Lanyshta, je sais déjà que j'en suis devenue une. C'est même bien une des seules certitudes que j'ai à ce sujet...
Peut-être en auriez vous d'autres à me prodiguer ?

Et sortant sa pipe de la poche intérieure de son veston, elle ajouta :

Je boirais volontiers un café, merci.

 
Rire saccadé.
Elle avait du répondant la Boiteuse. Un sifflement mélodieux s''échappa d'entre mes lèvres.

Oula-la-la-la-la... Ça en fait des questions ! Puis de telles affirmations ! Bien-bien-bien ! Reprenons.

Raclements de gorge.
A mesure que la liste s'étendait, les doigts de ma main gantée se levaient.

Primo ! Détrompez-vous, nous sommes extrêmement doué pour les choses sociales. Savez-vous qu'un Arlequin sociabilise même en dormant? Si-si-si ! Il flirte avec les nuages et roucoule avec les catins chimériques. Oh les chimères...
Deuxio ! Le Compteur est le maître, effectivement. De là à faire de lui un poivrot...Voyons-voyons, vous exagérez, jamais nous n'oserions ! Vos interprétations sont douteuses. Très-très douteuses. Vous sniffez n'est-ce pas?

Pif paf, rictus moqueur.

Pas d'inquiétude, nous ne jugeons pas...
Tertio ! N'allez pas essayer de comprendre là où il n'y a rien à comprendre. Le Compteur est un jeune homme charmeur, serviable, un maître d'hôte idéal et un amant réputé fiable. Tendre et dur à la fois si vous voyez ce qu'on veut dire.

Oh que oui elle voyait.

Quatro ! Oui-oui-oui, des certitudes à votre sujet, nous en avons. Une au hasard... Mmh... Vous êtes une femelle pas vrai?

Clin d’œil complice.
J'étais si perspicace aujourd'hui.

Oh et le café, c'est par là, près de l'évier, dis-je en indiquant la direction de la cuisine.

Comme si j'allais la servir. Non mais !

 
Onä écouta les réponses de l'arlequin avec attention, un sourcil vaguement levé devant tant de choses qui restaient pour elle assez vides de sens... Mais il le disait lui-même : ne pas chercher à comprendre là où il n'y avait rien à comprendre. Ce qui semblait s'appliquer à une grande partie de son blabla.

Oui, je suis du sexe féminin. Répondit-elle finalement d'un air parfaitement sérieux.

Elle suivit du regard la direction qu'il lui indiquait pour le café, émit comme un bref hochement de tête, mais ne fit pas mine de se lever.
Elle se contenta d'allumer sa pipe, qu'elle avait fini de bourrer pendant qu'Elyas parlait, et posa de nouveau son regard sur lui, s'attendant visiblement à ce qu'il continue.

 
Je finis par choir sur l'une des chaise libre autour de la table, faisant face à cette invitée moins bavarde que je ne l'aurais pensé.
Le silence s'installa dans la pièce. Alors que l'inconnue allumait sa pipe, je pris sa suite en bourrant la mienne. D'un cliquetis de briquet, le foyer s'enflamma. Les volutes de fumées se confondirent au dessus de la table.

Je ne la fixais pas.
Mon regard balayait la salle et passait à travers elle comme si elle n'existait pas. Mon visage restait souriant, mais marqué de l'un de ces sourires troublants.
Le changement dans mon attitude avait de quoi décontenancer la lanyshta. Grandiloquent puis tout à coup muet, qu'allais-je à présent réserver à cette invitée cabossée?

 
Finalement, l'arlequin ne pipait plus un mot lui non plus, et ne semblait même plus remarquer sa présence.
Onä ne savait effectivement pas quoi en penser...
D'abord il lui propose du café avant de lui dire de se le faire lui-même, l'étouffait de paroles avant de se mettre à l'ignorer royalement... Est-ce qu'il prenait un malin plaisir à se moquer d'elle, ou bien était-il juste aussi dérangé que ce qu'indiquaient les apparences ?
La taxidermiste commençait à se demander si elle avait bien fait de venir. Et surtout si elle ne ferait pas mieux de partir plutôt que de perdre un peu plus son temps.

Aussi, avant de mettre cette idée à execution, elle demanda :

Je suis toujours là, et vous ?

Et d'ajouter :

Dans votre "annonce", vous dites que cet endroit est un "lieu d'instruction pluraliste sur le nouvel état de lanyshta", que vous pouvez préparer les nouveaux lanyshtas au changement qui les attend...
Y a-t-il des conditions pour bénéficier de vos divines lumières, un prix, un mot de passe, ou que sais-je encore ?
Ou bien celles-ci se limitent-elles à m'apprendre que je suis une femme ?

Car si vous n'avez rien d'autre à m'apprendre ou me conseiller concernant ma nouvelle condition de lanyshta, je pense que je vais prendre congé sans tarder.

 
D'un claquement de langue, je rompis mon mutisme.
Mon sourire s'élargit, dévoilant une dentition soignée.

La dame semble fort occupée...Oh...Peut-être pense t'elle que son Eveil ne nécessite pas une grande attention? Peut-être croit-elle qu'il lui vaudrait mieux ignorer tout ceci et s'en retourner à ses activités? dis-je d'un ton léger. ...Ah... Elle a besoin d'aide, voilà tout.

Lentement, je tournais à nouveau la tête en direction de la femme.

Nous y voilà. L'annonce.

J'expirais un épais nuage de fumée.

Si vous avez franchi le pas de cette porte, c'est que vous avez des questions n'est-ce pas?
Alors pourquoi ne pas commencer par là.
En effet, bien qu'étant extra-lucide, et accessoirement génial, nous n'avons pas encore développé de don pour lire à travers vos pensées ou vos inquiétudes. C'est bien dommage, nous vous l'accordons.

Les clochettes s'animèrent.

La transformation est propre à chacun. Bien qu'il y ait des phénomènes communs, tels que...*la télépathie*...ou l'accès à ce que nous appelons l'énergie psychique, d'autres traits pourraient vous atteindre sans qu'il en soi de même pour nous.
D'où l'importance de vos questions.

Accessoirement, c'était aussi un moyen pour moi d'en savoir plus sur cette nouvelle créature. Les questions sont souvent plus révélatrices que les réponses elles mêmes.

 
Onä avait décidément du mal à tout suivre. Ce Fou portait plutôt bien son costume, ses paroles lui semblaient à peine plus sensées que ses silences, parfois.
Et son sarcasme était quelque peu agaçant.
Elle n'était pas de base quelqu'un de très sociable, et se déplacer en ce lieu pour y être reçue avec aussi peu d'égards puis maintenant se faire carrément prendre de haut commençait un peu à lui sembler être une perte de temps.

Laissant de côté ce qui la laissait perplexe ou l'agaçait, elle répondit d'un air un peu morne :

Le sujet dont il est question m'est totalement inconnu, aussi je n'ai justement pas de question précise, hormis celle de savoir si vous aviez des conseils -généraux- à prodiguer aux nouveaux éveillés tels que moi...

En avez-vous ?

Si oui, je les écouterai avec attention.
Si non, je ne vous embêterai pas plus longtemps.

Et si, ma foi, il me viens plus tard une interrogation plus spécifique, je ne manquerai pas de revenir vous la soumettre.

 
Ta-ta-ta-ta-ta ! fis-je en agitant mon index, Vous réduisez notre échange en deux possibilités saupoudrés d'une troisième, hypothétique. Que c'est mal avisé !

J'affichais à présent une mine boudeuse.
Néanmoins au coin des lèvres le sourire, lui, persistait.

Soit, l'Arle-quais se doit toutefois de jouer son rôle pas vrai?
Le Compteur nous en voudrait si nous ne vous passions pas quelques précautions quand à votre nouvel état.

J'expulsais un fin filet de fumée.

Tout d'abord, sachez conserver votre nom à l'abri des oreilles indiscrètes. Le nom véritable d'un Lanyshta a de puissantes propriétés. Oh oui-oui-oui.
Certains seront capables de vous décrypter à votre seule intervention dans les Entrelacs.
D'autres pourront user de ce nom véritable pour vous pister. Effrayant n'est-ce pas?

Claquement de langue.

Là où le krolanne peut jouir d'une totale liberté et demeurer caché, l'éveillé est sous la menace d'être détecté.
Oh bien entendu, il existe des parades à ce genre de tours. De longs exercices qui ne portent pas toujours leurs fruits.

La femme pu lire dans mon regard une étincelle malicieuse.
Je n'étais pas ce que je prétendais être. Elle avait pu récolter suffisamment d'indices pour pouvoir l'affirmer. Toutefois, savait-elle réellement à qui elle avait affaire?

Ensuite...mhmm...
Ah oui, il se peut que vous soyez victimes de changements d'ordre physique. Parfois, cela peut être aisément camouflé. D'autres fois, pas vraiment. Dans le cas de l'apparition d'un troisième téton, un bon pardessus suffira. Si c'est un bras supplémentaire qui vous pousse dans le dos par contre...Ah eh bien...C'est carrément plus compliqué vous en conviendrez !

Éclat de rire.

Ahem !
Autre chose, les manifestations lumineuses. Elles peuvent apparaître quelques semaines seulement après votre Eveil partiel ou quelques mois, tout dépend de votre degré d'évolution. Au départ évidemment, vous paniquerez. C'est tout naturel. Lorsque ceci se produira, tâchez de trouver un lieu suffisamment sécurisé, ici par exemple, pour vous exercer à les maîtriser.
N'ayez pas la prétention de pouvoir les réprimer. Tout en étant contre productif, ce serait là gâcher l'uns de vos nombreux talents latents.

Je levais les yeux au plafond.
Il y avait bien sûr des tas de choses à expliquer concernant les lanyshtas. Jade, le duo d'Artisanes, les expéditions... Néanmoins tout ceci tendait à abrutir l'esprit encore ouvert, du moins l'espérais-je, de mon interlocutrice.
Je frappais subitement dans mes mains.

Alors, souhaitez-vous nous quitter ou bien prendrez-vous la peine de faire chauffer un peu d'eau pour notre thé?

 
Enfin. On en venait au fait. Qu'il avait fallu autant de bla bla pour y arriver décontenançait toujours autant Onä.

Si vous voulez du thé, faites-vous le vous-même, répondit-elle à cette dernière question tout en balayant l'idée d'un geste de la main.

Concernant mon nom, il est écrit bien visible sur la vitrine de mon atelier, pourquoi donc le cacherais-je, alors même que c'est désormais ma renommée qui fait venir mes clients ?
Vis à vis de la menace d'être détectée, ne serait-ce pas ma condition de Lanyshta que je devrais tâcher de garder discrète, plutôt que mon nom ?

 
Ni l'un ni l'autre...Ah...

Soupir.

Comme c'est décevant, nous nous passerons donc de thé.
Pour ce qui est du reste, vous soulevez là un point important. Effectivement, vous êtes connue des krolannes, du moins nous vous le souhaitons. Cependant, vous ne l'êtes peut-être pas des lanyshtas. Laissez le loisir à ceux dotés de mauvaises attentions de faire le lien entre votre boutique et votre état et.... bref, vous aurez compris.

Je tirais longuement sur ma pipe.

Autrement, il est évident que crier sur tout les toits que vous êtes désormais une mutante est une sacrément peu lumineuse idée. Pour ce qui est de cacher aux autres éveillées votre condition similaire...
...Mhmm...
Vous pouvez toujours tenter de vous fermer à tout contact télépathique. Nous ne jugerons pas l'intérêt relatif de la chose. Sachez que vous vous couperez également des potentialités liés à votre état. La télépathie est tout aussi dangereuse que remplie d'intérêt. Son utilisation dépend du choix que vous ferez concernant votre nouvelle forme d’existence.

 
Onä resta un long moment silencieuse, à tirer sur sa pipe sans un mot. Pensive.
Un long silence qui ne semblait pas la gêner, et duquel elle sortit soudain, comme si de rien n'était.

D'accord.
Je dois de méfier des méchants Lanyshtas.
Entendu.

Elle sourit du coin de la bouche.

Je m'aperçois que j'ai de la chance, finalement, d'être tombée sur vous, n'est-ce pas ?
Vous auriez pu commencer par me demander mon nom, et naïvement je vous l'aurais donné très probablement !

Difficile de dire si cette remarque était ironique ou parfaitement sérieuse.

La télépathie est dangereuse, dites-vous, pouvez-vous m'expliquer en quoi ?

 
J'émis un rire saccadé.

"Méchant".
Ah-ah-ah ! Jolie boutade !

La méchanceté était un concept subjectif. Les méchants des uns n'étaient pas forcément ceux des autres. Au final, j'en étais parvenu à la conclusion qu'on était tous le méchant de quelqu'un d'autre et que partant de ce principe là, à quoi bon tenter d'y échapper?
Une volute de fumée s'échappa de ma bouche.
Je levais l'index.

Rectification. Vous n'êtes pas tombée sur nous, vous êtes venue à nous.

Clin d’œil.

Pour la télépathie, elle n'est pas directement un danger. Ce sont les conséquences des rapports que vous entretenez avec ceux qui la pratiquent qui le sont.
Avec les Entrelacs, tout est instantané. L'information navigue rapidement, elle vous atteint de plein fouet, provoque des sentiments, des sensations. Il est aisé de se faire berner. Tout parait si réel...

Et bien souvent, ça l'était.

Au final, la télépathie doit s'employer avec précautions.
Laisser des traces certes, mais pas n'importe lesquelles.
De plus, nous ne connaissons pas encore toutes les lois régissant le Tourbillon, d'où cette prudence.