*** La silhouette s'avance dans les rues, le pas déterminé et l'allure rythmée.
Zigzagant avec l'habilité d'une abeille se faufilant dans la ruche dont elle connaît les moindres détails, c'est machinalement qu'il évite les échoppes et leurs foules, coupe à travers les petites rues craintes par les plus aisées des habitants, longe les murs avec rapidité, et fend la populace sans difficulté.

Tel un artiste récitant une mélodie connut sur le bout de ses doigts, c'est naturellement que, à l'image d'un point d'orgue finale, après une longue mélodie rythmée du bruit de ses bottes sur le sol encrassé du Kil'sin, il arrive en face d'une sorte de maison plutôt récente. Et comme caque musicien, il acheva sa composition d'un point d'orgue final : un lourd et unique martèlement faisant vibrer les gonds de la porte.

Peu de temps après, une silhouette familière aux traits vaguement similaires -si ce n'est plus vieilli- ouvrit la porte. Semblant afficher un air exaspéré et s'apprêtant visiblement à manifester, le nouvel arrivant le coup net dans son élan
***

*** Et comme si son interlocuteur fut habitué à ce genre de récits, à son exaspération s'ajouta un air lassé ***

*** Le vieux krolanne toisa le regard de son neveu.
Ses yeux scintillant, son air illuminé et l’amour de la tâche animant son visage négligé ; voilà longtemps qu’il n’avait pu voir tel spectacle.
Tournant le dos à son interlocuteur, il arpenta la maigre salle faisant office de bureau. Les murs ornaient avec une fierté palpable la grande et longue histoire liste du comité. De sa fondation en l’an 517 par Ragnar l’intrépide, en passant par l’exploitation de son 10ème filon, la plus longue expédition effectuée par une brigade sans le moindre mort (259 lieux !), jusqu’à la dernière date en lieu, la notoriété croissante reconnue par les différents comité Kil’Sin.

Regardant l’historique accompli avec fierté par ses successeurs, l’actuel dirigeant du comité se retourna vers Danthos avant de capituler : ***

*** Rempaquetant ses affaires le plus promptement qu’il fut donné pour un Krolanne, tout comme il arriva en une fraction de seconde, il disparut.
Mais derrière lui restait l’écho d’une noblesse passée à reconquérir.
***

*** Le Krolanne avait passé toute la soirée dans sa petite mais agréable bicoque, travaillant sur ses dossiers.
Sa tâche était simple : convaincre les différents dignitaires de l’intérêt qu'ils avaient tous à approuver la mission de Prospection d'un soi disant filon -dont une source de Danthos avait obtenu des informations de plutôt bonnes augures.

Simple... A condition que sa plaidoirie et son projet tiennent la route.
Pour ce faire, il fallait d'abord évaluer les informations qu'on lui avait fourni.
Un krolanne membre des "Veilleurs Noirs", lors d'une expédition à environ 200 lieux à l'est d'ici pour une mission de surveillance de la matière noire, avait observé une sorte de légère excavation naturelle laissant place à une roche renfermant des géodes dont certaines laissaient entrevoir des gisement s'apparentant à de l'argent ou du moins du fer.
Le problème majeur était que cette source d'information n'était qu'indirecte.
C'était le contact du Lanyshta qui avait eu l'occasion de parler à ce veilleur -heureusement, sans prise d'alcool associée, ce détail risquant de décrédibiliser son renseignement.

Avec ces informations il lui restait à monter ce qui serait la seconde étape -sa spécialité : la mission de Prospection.
La règle était simple : une fois qu'un projet avait passée la phase primaire, il fallait envoyer une expédition dont le but était d'amasser les informations nécessaires pour monter le dossier d'exploitation final.
Pour cela il fallait analyser différents points...
-relatif à l'exploitation : les capacités en terme production du site, les méthodes de forage compatibles avec le terrain, les méthodes d'extraction et purification du minerai employables...
-relatif à la sécurité : l'aménagement du site d'excavation et l'élaboration de palissades, d'abris, le nombre de gardiens à affecter...
-relatif à la logistique : présence de nourritures, combustibles, matériau de construction à proximité; acheminement possible d'eau depuis les Sharss...

Le projet de Prospection nécessitait donc d'inclure différents mandataires, qui à eux devaient pouvoir analyser tout les moindre détails et être en mesure de remplir le cahier des charges. Il devait également préciser le trajet à emprunter par le groupe, prévoir les haltes, les vivres nécessaires pour la durée du voyage -s'il n'était pas possible de s'alimenter en chemin...
Et évaluer la dangerosité de la mission.
Ce critère était, hélas, souvent rédhibitoire et provoquait l'avortement de nombreux projets... Pour ce faire il fallait recenser bon nombre de témoignages des récentes expéditions, vérifier leurs compatibilité avec les dernières missions, et demander aux divers voyageurs l'état des routes.
Et en fonction de ces informations on définissait la taille de l'escouade devant accompagné le groupe à travers sa mission -ce qui souvent montait à une petite dizaine le nombre d'aventuriers.



Posant sa plume sur son bureau, tel un soldat enfonçant victorieusement sa hache à travers le crâne d'un ennemi, Danthos se laissa tomber au fond de son fauteuil.
Se sentant tel un conquérant victorieux après des journées de bataille, il venait de finir l'ordre du jour.
Il regarda sa montre : 2H17
Il était temps pour lui d'aller se reposer, demain une tout autre chevauchée l'attendrait face au Comité restreint... ***

*** Il poussa la porte d'une main tentant de cacher sa nervosité. A défaut de trembler, il n'avait pas été capable d'engloutir quoi que ce soit au matin.
Et pourtant, il n'en avait aucune raison...
Il lui fallait juste exposer un plan d'investigation, chose qu'il avait déjà faite un bon nombre de fois; à des membres qu'il connaissait très bien -pour avoir même échangé quelques grivoiseries autour de bons rafraîchissements; avec un dossier qu'il avait fignolé avec toute la préciosité qu'un orfèvre accorderait à son œuvre finale.

Enfin, c'est ce qu'il s'efforçait de se répéter. Mais il semblait que son esprit voulait ignorait la Raison en ce jour.

Et c'est donc démuni de sa confiance en lui qui l'accompagnait d'ordinaire, qu'il devrait affronter une horde de notaires et experts pointilleux sur la disposition des fourchettes pour un repas comportant entrée-poisson-fromage. Pas de la tarte, hélàs!

Arrivant donc dans la pièce faisant office de centre névralgique au comité, il fallait que le conseil restreint soit déjà calmement installé, prêt à dévorer leur proie. La mise en scène était parfaite pour une tragédie -à défaut d'avoir une prestation de qualité. ***

*** Tel le Victorieux rangeant l'épée dans son fourreau, c'est ses notes diverses et variées sous le bras qu'il ouvrit la porte de la salle.
De celle-ci, un flot de survivant rescapé d'une longue audition (l'histoire du Comité s'en souviendra, du moins l'espérait-il) fuyait.

C'est ainsi que les différents membres quittaient la salle.
La chaleur étouffante était comparable au brasier des cadavres. Si ce n'est qu'en ce jour, seul la sueur et les propos avaient fusé dans la salle.

Épatant! ou encore Travail bien mené, vous irez loin si vous continuez avec cette méticulosité! était les lauriers de sa gloire, que chaque collaborateur déposait en partant dans ses esgourdes toutes ouïes.
Chaque fois qu'il saluait, il tendait sa main ornée de craie et souillée d'encre.
A défaut de pouvoir prétendre connaître le prix du sang, il savait la valeur d'un encrier et d'un parchemin mieux que quiconque en cette fin de matinée.
Et derrière un sourire remémorant celui d'un humble vainqueur dont l'épée bien aiguisée s'est émoussée après une longue campagne, il ferma le lourd battant.

Tomber du rideau.

Seul son oncle était resté.
A cause de sa fonction de Directeur du Comité ou du lien parenté, peu lui importait.
Danthos exaltait au plus profond de lui-même.
La jubilation se trahissait dorénavant sur son visage prônant fièrement un sourire (à côté duquel sa moustache ne se remarquait plus, pour dire).

Le corps usé, engourdie par la prestation qu'il avait du mené des heures durant sans s'asseoir, c'est seulement maintenant qu'il s'autorisa ce privilège.
Tout autour de lui avait un air différent.
Ou plutôt, il était seul en cet instant précis.
La fatigue, l'adrénaline, l'excitation, l’anxiété et maintenant l'exaltation avaient eus raisons de ses sens.
Comme vidangé après une trop grosse dose d'hydromel. ***