Les Chroniques de Elyas
Chapitre 2 : [Invention] Le Crach'Feu
Ecrit le Le Matal 5 Manhur 815.
*** Nuit.
Jour d’expédition en Terres sauvages. ***


Après mon départ tardif du Bureau, j’avais erré dans les rues, encore blessé, l’esprit embrumé par le poison qui me montait au crâne. Fiévreux, j’avais gravis les marches menant à mes appartements. Mi-mains était là, fidèle au poste. Il ne posa aucune question quant à mon état et se contenta de faire chauffer un peu d’eau. Il avait également agité un message, un chiffon signé par Scipio Klodas… Scipio… Il n’avait pas attendu longtemps pour se rappeler à mon bon souvenir. Cette affaire-là attendrait le lendemain. Je me déshabillais et entamais une douche bien mérité. La crasse se mêlait au sang coagulé. J’ignore combien de temps je laissais couler l’eau, peut-être plus d’une demi-heure. Dans un ultime effort, je rassemblais mes effets près du lit puis murmurais quelques instructions au gamin.

êzkfïy…ïîï…Mbflfïe jçqb mçï…

L’orphelin resta quelques secondes immobile. Silencieux. Son regard était dur, celui d’un enfant des rues. Il aurait pu profiter de ma vulnérabilité, par seulement cette fois-ci mais à bien d’autres reprises. Il n’en fit rien. La fidélité n’avait pas de prix…Quoique. Mes yeux se fermèrent alors que la silhouette difforme de Mi-mains s’éloignait à pas feutrés.

*** Fin de matinée. ***


Il y a des jours comme ça où se lever est une calamité. Où on aspire qu’à rester blottis dans ses draps, s’enfumer la tronche et jouir de la transe psychédélique ainsi obtenue.
La pièce était emplie de fumée, de la bonne herbe de chez Bragg. Mon esprit était léger, coupé des Entrelacs. Par moments, cette quiétude avait quelque chose de rassurant, comme si malgré la transformation, il était encore possible de conserver une part d’intimité. Un rendez-vous avec soi-même.
Deux coups secs mirent fin à ma rêverie. Mi-mains. Il entra sans attendre mon commandement, une habitude. Péniblement, je me levais la gueule enfarinée, tout aussi livide qu’à mon habitude. Ma blessure avait commencé à cicatriser. Toujours aussi surprenant. Après une brève toilette, je m’habillais et maquillais mes traits. J’étais à nouveau moi-même. Lentement, mon esprit s’ouvrait à nouveau au reste des Eveillés.

öîbç.

Mi-mains était assis sur la table. Il grignotait un peu de pain. Sur l’établi, mon Crach’Feu attendait patiemment que je me charge de lui.
Il y avait des priorités.
J’étais redevable de Scipio. Plus vite j’en aurais fini avec lui, au mieux je dormirais. L’idée de me retrouver pieds et mains liés dans un bassin à crevette était tout sauf séduisante. Chapeau à clochettes sur le chef, je fixais finalement le gamin puis agitais soudaine les bras en l’air.

Zdjyöjd pllölkpôk Yö-ypöôl ! Pr dpzzqdk !

Ma voix le fit sursauter. Loin de le voir obtempérer, celui-ci me fixait d’un regard interrogatif.

Pàmnèï atö X fàbumè ö’èau ebè u’èa tbaal mùtöulf eb’bs èaötmêàu tb nùktmmtêè. Tb mthhàmu !

La nouvelle injonction le fit tressaillir au point d’en perdre son biscuit. Les jambes tremblotantes il se dressa droit comme un piquet face à moi.

ùëjeM vbj îyê ïjîs ajîbi ! Êêpî eî upîajîp lyyjyêlsê hb éplsh Lpeîvbjs, w’îyê vbîevbî wxëyî vblsh aôaî ! W’îyê vb’je sî âlbhpljê uly vbî êb îs ùjîssîy M êî pîuëyîp ybp êîy elbpjîpy ! Leeîp ùl, M hèâlbê hîy elbpjîpy, êb uîbi pîuëyîp êîy âîyyjîpy.

Aj-aljsy : Aljy…îbx…a’yjîbp…eî pluuëpê.. ?

Eî pluuëpê ? Vbîe pluuëpê ? Pluuëpê hî vbj, hî vbëj ? Lùîw vbj, lùîw vbëj ? îê ybpêëbê wëaaîsê ! ëx sës uîêjê, eljyyî eîy pluuëpêy uëbp ueby êlph. êb lbply eî êîauy uëbp Nl !
Plêêpluî êës ïjywbjê îê êîshy e’ëpîjeeî. îx ëx…W’îyê bsî îiupîyyjës xîjs, sëby s’lêêîshësy uly vbî êb êî el êîshîy, êës ëpîjeeî.


Il s’exécuta, toujours aussi perturbé par ma soudaine humeur taquine du matin. Je fis les cents pas autour de la table.

âfjwh èjqfM, ê’âawëh ft ithhâvt xdt çd njdh âh ajwçù zqtw, qf htikftwâqç xdt ôt kjn Hôqaqj, zjiit ôzâwiânç âd êtitdwânç, hjdzâqçt afânçtw hth vwâqnth êânh fth Thçâiqntçh. ôjiawtnêwt aâw fM xd’qf âqitwâqç, tç njdh ft ôjiawtnjnh, xdt ôth hâdèâvth êt ôzqâwêh êth êthhjdh èqtnntnç awtnêwt dn atd ft hjftqf. Qf n’thç aâh qôq xdthçqjn ê’dn kwjnîâvt ajdw awâçqxdtw ft ndêqhit M f’âdkt êt ftdw adktwçù, xdjq xd’M êqwt èwâq njdh n’tn hâèjnh wqtn, udhçt dnt jôôâhqjn ajdw tdg, tç ajdw fth âdçwth, êt êqètwhqoqtw fth ôâiâwâêth êt utd.

Subitement, je m’arrêtais, l’index levé, grimaçant.

F’eëc bK iue cu thceldtehë.

Grand yeux, sourire malicieux.

Cïe qvgeâ ôz-ôïzqm âmg uq mïceù ôïçzq ! Vê vuz-vuz-vuz ! Qvum g’ïàvqm àu ôâqâe L çï wïxuâggâ çâm xvmmâm ëu cvzq ! âg àï y buâ hâ gâ eâjzçâ ç’ùgïxâ vF Euwy mâ jïzg ôvqgâe oïe gevzm ôzqâuem âqcveâ qvzeczm oïe çâ cêïewvq. Vu âqcveâ çâm oeùçNàâôâqgm ïu oâgzg hvue mue çâm xïzççïeëm jzNeâôâqg gvôwùm ëïqm çâ cïqzàâïu. Qvum ïëôzevqm ! ëu xeïqë ïeg ! ï gvq Txâ, qvum q’ïàzvqm oïm câggâ cêïqcâ çL. G’âm mïceùôâqg oeùcvcâ ëïqm gvq xâqeâ…Vê…âqjzq, qâ çâ mvzm oïm gevo qvq oçum…

Flatter l’animal, le jeu en vaudrait la chandelle plus tard.

öëtn ùëayL y’aöOd : cx cmëxùdp ndp fxvcmd zviatp, ydxm öOzëccd xt nëat ëç öëmiam, Oùdtcxdyydidtc ödxw cmëap nëtpdayp öd pxmùad dc ùëa-yL ! Madt öd eyxp, madt öd iëatp. Edxc-Hcmd iHid fxd p’ayp pëtc L cët zëûc, ayp eëxmmvadtc cd pdmùam öd nëxmpadmp, öd zxdccdxmp ëx öd cvryd rvppd. Nvm ëxa Emdiadm Vppapcvtc Ia-ivatp, ët j edtpd evp vppdô pëxùdtc ivap yd iërayadm àmëyvttd, n’dpc iërayd, nëtùdmcaryd, nqvxïïvtc dc vxcëtdccëjvtc. Je levais les yeux vers le plafond. ôxjo êrbsîxôo ànîsr vsrbrïrs zrïïr îôbrôïîxô…
Nâââ kr ïrmpo ôxjo mnôéjr !


J’enfilais mes gants, finalisant mes préparatifs.
Le gamin se levait, la bouche encore pleine, prêt à partir.

Pz-pz-pz-pz-pz ! Czv vö éöpè ! ZcoIv Kz, oèéöèsv öjö èp sèppmöè ù’çpztùö.Je lui tendais une clé de l’appart-telier. Gîx ëàîogx bàgjîPx îàgï fssxîn ! îàsjx çjfçr’Hxg ïxjf àg îx ïxjf ùfï ! Xî jàgsx !

Avec un entrain décuplé par l’excitation, je filais en direction des puces en quête de tertre et d’ambre, derniers ingrédients nécessaires à mon projet.

*** Après midi. ***


Je revins des Puces de Koi chargé comme une mule. Un rondin de tertre sous le bras, prêt à être taillé, un sac d’ambre sur l’épaule, un peu de combustible et divers outils flambants neufs. En débarquant dans l’appart-telier, je retrouvais Mi-mains qui s’attelait consciencieusement à sa tâche. Tout était en place : mon prototype, mes plans, un peu d’herbe et de liqueur sur la table. En me voyant arriver, le gamin se précipita vers moi pour me décharger.

ùa-ùîaic : ù’caçsè, e’îa jèrstW trc êsîjèç irùc. Fîc àaçi yWqrsèyac çj fMbç ârùùç yçc âsbc. ùîac e’yçtèîac frstraè çi ôîaèç êsçbêsç âzrcç. Fçsj-Kjèç O bî ôrsabbç yçc frsàçbbçc rs àaçi îs ârùajW yçc içjjrpçsèc yç fîtWc.

Je lui lançais un sourire éclatant.

ëKKKKç-LKöN ! Nf zufw ôz euöw çkeö ëçôpöôç-Kwwöwnkzn Pö-pközw. Sfkzb nf eôfy, nf wköw nô puznçôç bödzô bô nuz çkzd. àuz krrôç, ôynçkön puö sfôrsfôw buwôw bô lôf rösföbô, ëufç zuw ôwwköw. Fnöröwô rk ëöëônnô bkzw rô nöçuöç. Kfnçôpôzn, gô pkgqöz ëufççkön nô çôzbçô gqkfeô ôz puözw bô nôpëw sf’ör zô lkfn ëufç rô böçô. ôwwköô bô rô böçô ëufç euöç…Gqkfeô ! Gq-kf-eôffq ! Nf euöw, êk zô nçközô ëkw. Kruçw lköw ëkw rô pkçöurô.

Avec une précaution exagérée, l’orphelin s’empara des charges de feu liquide et entame ses manipulations. Mieux valait-il que ce soit lui qui se charge de ça. J’aurais eu l’air malin, moi, en devenant le fou chauve et au teint immaculé.
De mon côté, je me remis à l’étude méticuleuse de mes premiers dessins. Peut-être fallait-il raccourcir la crosse, de sorte à rendre l’arme plus malléable, moins visible. Au-dessus, au niveau de la jonction du propulseur, j’augmentais le volume pour venir y loger plus facilement les charges standard de feu liquide. C’était les seules modifications à apporter, le reste semblait plutôt cohérent.
Premièrement, je passais plusieurs heures à tailler le bois en différents modules. La nuit tombais lorsque j’en arrivais à adapter le squelette d’acier, censé unifier les éléments, à la nouvelle forme obtenue. Les soudures s’enchainaient avec plus ou moins de succès. Derrière moi, Mi-mains découpait l’ambre en petit morceaux. Placés dans un creuset, la poudre d’ambre fut mélangée à l’huile de Scipio de sorte à obtenir une sorte de liquide épais. Nous fîmes plusieurs essais préalables sur des petits bols en bois recouvert du stabilisateur. Les premières fois, le bol se consuma au contact d’une simple goutte de feu liquide, dévoré par les flammes. Par la suite, les résultats furent plus concluants. Une question de dosage. Quoiqu’il en soit, compte tenu de la quantité de stabilisateur prévue, nous n’en manquerions pas, sur-doser serait ainsi synonyme de sécurité…ou pas.

Enduire chacune des pièces qui composaient le Crach’Feu n’était pas une mince affaire. Chaque millimètre carré de bois et de métal devait être recouverte du stabilisateur. L’opération dura jusqu’au petit matin. Mi-mains s’était écroulé en plein milieu de la nuit. De mon côté, je tenais à grand coup d’herbes, de cachets et de liqueur. Le cocktail du vainqueur comme on disait dans certaines tavernes des Estaminets. J’avais planifié mes premiers essais pour l’aube. Peu de monde dans les rues, moins d’ennuis à prévoir. Mon assistant m’avais dégoté une arrière-cour à deux pas d’ici, où s’entassaient ordures et sans abris, rejetés du Kil par la vindicte populaire dans la plupart des cas. Mon estimation n’était pas si mauvaise. Dès les premières lueurs du jour, je pus admirer non sans fierté le résultat de mon projet.

çinègni Lppgpêlsê èg-èlgsp ! Xnîtëê ! m’écriais-je. Zànhu ndg uïïnêï scnliudc lnödcu ! Nààuc qéz qéz qéz, él oédsu ïél nccêAcu öcnêl id zànhnci, él ulxêàu dl znciuïïdï uö él xêàu Y à’nêcu i’ulöcnêlufulö !

La gueule enfarinée, le gamin s’extirpa tant bien que mal de sa couchette de fortune, un filet de bave encore humide sur sa joue. Pour ma part, j’étais comme possédé. Mon bijou était somptueux, il luisait sous la faible lumière qui pénétrait l’atelier. J’avais armé une charge de feu liquide à moitié vide. Petite précaution. Même le plus génial des ingénieurs peut commettre des petites erreurs. Je me parais de mon chapeau et d’un épais manteau puis dévalais quatre à quatre l’escalier.
Le Fin Gourmet était encore fermé, tout comme la majorité des établissements de la rue. Je suivais Mi-mains en sautillant, Crach’Feu à la main. Nous arrivâmes dans la fameuse cour. Une benne débordait et empestait un mélange d’alcool, de viande et de vomis. Dans le coin opposé, on devinait un abri de fortune, composé d’un mélange de tôle et de bois, pouvant accueillir deux ou trois adultes. Mon regard oscillait entre les deux zones.

àktâoêêo öo özkéro…àktâoêêo öo pntëfo….àktâoêêo öo özkéro…àktâoêêo öo pntëfo…ê’tlo dté aozn öt âztér…ê’ntrzo dté îolrézn âéol intbnéî…àêtî kt ikélî dto inélrolnlr…bn înbkéz…àtéî öt âztér dté àto…olbéînponâêo…dtkédto…lkl…olëkzo àêtî öYînpzYnâêo… Zm-zâmçà ! Aë’öç dmà-ôë ? Desmôö së nâëiêö ?

Le gamin se gratta le menton, profondément songeur.

[ô]Dw-dèwàâ :[/ô] ö’hà iwâ çôh fhâ ihôg aêUâhàkhàk ôà rhêkèwà wàkUêSk d’âwhôê. Dèwâ çô’ôà ryèk aôèàk pô ôà êèk ùhêèwhàk kpôk èôââw ëwhà f’èùùèwêh. èaêTâ, âw é’è aèâ…é’è aèâ. Wf opôâ ùèôiêèwk afpôdhê d’âwhôê.

Je lui adressais un sourire satisfait.

ùâdib d’ëzàdi E d’ïçbXïhdi ùêêê ? ïê, îcëj î’ïàùcîj kïj kdcëùib ti hcî ùïzàî. Zbcëri-îcëj ëî bïz ! ëî çbcj zcëz çbàj.

L’orphelin haussa les épaules et d’un pas désinvolte se dirigea vers la benne à ordures. Il la frappa d’un bon coup de pied. Immédiatement, une flopée de rongeurs s’en échappa. Ah ! Parfait ! Le bras tendu, la main ferme, j’ajustais mon tir. Je l’avais dans le viseur le cochon, un bel obèse qui avait passé sa nuit à se goinfrer. C’était sa dernière cène, dernier repas entre copains. Il se dandinait péniblement vers la ruelle, espérant y trouver une bouche d’égout. Cependant, il en était loin, très loin, trop loin.
PFIUUUU !
Dans un sifflement, je sentis la puissance de l’appareil se déclencher. Le mécanisme tint le choc toutefois…La gerbe de flamme n’atteignit pas sa cible. Elle vint s’échouer misérablement à quatre ou cinq mètres de là, crépitant sur le sol de pavés avant de s’éteindre quelques secondes plus tard.

[j]ïr-ïérgh :[/j] Kçjh s’ékoô sçjxZ ï’hroji.

Je me tournais vers lui, la babine retroussée, la paupière palpitante. Sans déconner. Je m’en étais bien rendu compte tout seul. Dans la précipitation, j’en avais oublié la faible portée imposée par le dispositif et la nature même du feu liquide. Je levais l’index en direction de mon assistant.

Zjxxxxi ! Vnxî xï àti ! Vôî éxfîiètï éxf ïtxî vntxàètïî !

D’une démarche décidée, je me dirigeais vers la benne et y redonnais un coup de pied. Avec un peu de chance, celle-ci abriterait un rat encore plus gros, plus lent, plus hideux. A défaut d’un rongeur, c’est une sorte de corbeau à l’aile brisée qui tituba vers moi. Oh, si la petite Eléa avait vu ça, elle m’en aurait fait tout un plat. Pour le moment, seule l’expérience comptait. J’orientais le Crach’Feu vers l’oiseau puis pressais la détente. PFIUUUU !

Cxnî am àjhvvvvvvëëëëëjv !

La réaction fut immédiate. Le jet enflammé atteint le piaf qui en une fraction de seconde se transforma en une sorte de boule de feu sur pattes. J’observais le spectacle avec grand intérêt. L’oiseau se débattait mais il n’y avait plus rien à faire. Il percuta la benne. Oups. Problème.
Je reculais de quelques pas.
La flamme sur patte se consumait sur elle-même, réduisant la matière à l’état de cendre. Seulement…la grande poubelle en fit de même. Très rapidement, elle s’embrasa. J’activais le crochet de sécurité du Crach’Feu et l’accrochais à ma ceinture. Regard complice vers Mi-mains.

élll, o’ùdr wù htb étéùbr pteè d’ùb êwwùè pêd xèêc ?

Il acquiesça d’un hochement de tête et s’en alla à toute allure. Je pris sa suite, le pas plus léger, moins suspect.
Tout sourire, j’avançais vers mes appartements. J’y étais arrivé : mon Crach’Feu était opérationnel.
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Premier prototype de Crach'Feu