Chapitre 6 : A l'hermine de Cristal - le voile se lève |
Ecrit le Le Dhiwara 21 Dasawar 814.
Je prenais un petit encas dans la salle du personnel quand on vint me prévenir que quelqu’un demandait ma présence à l’accueil. Je ne suis pas surpris outre mesure, les habitués ont leurs petites manies. Parfois c’est moi, parfois c’est « La dernière », de temps en temps, c’est même le chef qu’on demande. Agacé d’être interrompu en plein repas, c’est-à-dire à peine 15 minutes par jour, je m’assure d’être bien apprêté dans un miroir de plein pied puis revient dans la salle principale et pénètre dans le hall d’accueil en remplaçant le serveur de garde.
Rqnàqîp ôxdxôa.
Inclinaison 45 degrés. Aïe mon dos. Je ne cherche pas à la détailler. Quand quelqu’un porte une capuche, c’est pour une bonne raison. Je me redresse et tend la main en voyant la bourse. J’aime ce genre de client qui fait confiance au professionnalisme d’un bon personnel. Ils sont sans histoire et payent bien. Cela demande un exercice mental qu’on apprend en montant dans la hiérarchie du service.
Occulter. Des sons. Des formes. Des souvenirs.
Les instructions sont claires, précises. Oh, elle pense même à un plan B en cas de sortie précipitée. Elle n’en est pas à son premier coup. Bien sûr, elle est maquillée comme une machine à vapeur volée et habillée de telle façon qu’il est difficile de la reconnaître. Mais je n’ai pas l’impression de l’avoir déjà vue ici. Je suis maître d’hôtel, je suis physionomiste quand même… Nous avions fait installer, il y a quelques années, deux escaliers de « service » et procéder à quelques « aménagements » intérieurs pour deux salons. Nos quelques clients les plus sélects sont au fait de ces possibilités, bien cachées par des portes incrustées soigneusement dans les boiseries.
Je me redresse et fixe un point derrière elle, légèrement sur le côté. Je ne vois rien.
âù oîçâ oîçnid kùic ri âçùomi.
Elle semble attendre plusieurs personnes donc je prendrai la salle bibliothèque où peuvent tenir 6 personnes, 8 en faisant un petit effort. Mais dans ce genre de situations, les convives font souvent un effort et prêts à consentir un petit rabais sur le confort. Je monte les escaliers lentement comme à mon habitude, tranquillement. Une cliente « presque » comme une autre. En haut de l’escalier, un comptoir pour le personnel contenant les cartes des menus, les couverts, des carnets de commande et des bouteilles de secours. J’en saisie une à la volée. J’avance dans le couloir puis tourne sur la gauche à la 4e porte. Je me glisse sur le côté et m’incline en laissant rentrer l’invitée.
Sans un bruit, je me glisse à l’intérieur et me dirige vers la bibliothèque murale, je m’assure que l’invitée me regarde et sans un mot, sans un regard, je presse ostensiblement un rebord.
Un petit glissement s’entend et je tire la porte vers moi. J’ouvre en grand laissant apparaître un petit couloir qui se termine par un escalier en colimaçon. Je referme la porte lentement, un cliquetis s’opère. Je débouche la bouteille, un rouge léger et je vérifie en reniflant le bouchon. Les verres sont déjà sur la table.
Je quitte la pièce.
*** Plus tard. ***
C’est Massetard qui prend la parole. Malgré un physique peu avenant, il reste toujours courtois et de temps, se fend même d’un sourire.
Jmpémêt ànöâàmwyâffâ âs jwâpqâpêâ B f’oâtàwpâ öâ rtwysnf. éâ qmêy âp ctwâ, tâpstâu, qmêy nffâu Astâ ctwyâ âp rontïâ.
Une fois dans le hall, Linsey Derfùn me répète sa question. Même cérémonial, je limite mes paroles au strict minimum que m’incombe les bonnes manières, je m’incline et la mène devant la pièce. Frappe les quatre coups demandés et la laisse en plan. Je suis surpris car elle avance à visage découvert. Ses vêtements sont vulgaires, dans le sens commun et non pas indécent, mais pratiques. Ce n’est pas une personne d’intérieur, privilégie la fonctionnalité au decorum, ne maîtrise pas les us et coutumes des réunions discrètes ni des mondanités, classe moyenne mais qui a des aspirations à s’élever.
Ai-je réellement le choix ?
Oh oui, nous l’avons toujours. Alors entre deux maux, autant prendre le moindre. Que ce soit phonétiquement ou mentalement (depuis peu), je suis habitué à écouter. Depuis cette soirée où j’ai eu l’impression d’entendre deux lanyshstas presque en même temps, depuis que cette livreuse est venue, je me dis qu’il est peut-être temps de sortir de ma réserve et de mon silence. Je prends un risque, ma foi, calculé. Ces personnes n’ont pas l’air comme ce Dalnois télépathique ou ce Keymlos sur le parvis de Scylla. Elles essayent de faire leur chemin, bon gré, mal gré. Je prends encore une part très faible à toutes ces discussions. J’écoute principalement. Quel était cet adage que je pensais autrefois ridicule : « vivons heureux, vivons caché » ? Hum, voilà qui prend une tournure bien plus forte de nos jours. Alors que faire ? Survivre seul est possible mais difficile. Ce Klem, aîné parmi nous est une mine d’informations qu’il distille parcimonieusement. Les autres données, nous devons les trouver par nous-même.
Ces deux personnes maîtrisent encore mal leurs pensées, j’ai pu entendre certaines fuites comme si elles pensaient trop fort. Si moi je l’ai entendu, qui d’autre aurait pu ? De la discrétion bon sang jeunes filles !
Cela fait depuis quelques minutes que je suis dans le salon d’à côté, immobile, à essayer d’écouter. Oh les bonnes manières ne prévoient pas de code comportemental dans le domaine télépathique. Par réflexe, j’avais collé l’oreille au mur avant de me rencontre compte de l’incongruité de cette démarche. Disons qu’après, je l’avais fait métaphoriquement.
Après tout…
Je sors du salon puis me place devant ladite porte. Quatre coups nous disions donc.
Toc
Toc
Toc
Toc
Je franchis toutes les barrières de mon éducation rigoriste hôtelière d’un seul coup et ouvre la porte sans attendre de réponse. Oh bien sûr, même si c’était la fin du monde, je ferai preuve de la même éducation et continuerai de servir le thé à cinq heures de l’après-midi. Mais je m’autorise cet écart exceptionnellement.
Vuôr spvéëpâ Amép eîôr sërnéïmpr kprsykpr, ip vuôr pbmpbsr speôër îpr nôërëbpr. dis-je en pensée.
J’arbore fugacement, le temps d’un battement de cœur un peu plus fort que d’habitude, un sourire en coin. Quelle est cette sensation nouvelle, ce pétillement au fond de moi, cette tension qui me parcoure la colonne, ce picotement de la peau ?
En même temps que je rentre dans cette salle, je rentre dans un nouveau monde.
Et je ferme la porte en même temps que je ferme une époque de ma vie.