Les Chroniques de Linsey Derfùn
Chapitre 2 : Un nouveau départ
Ecrit le Le Sukra 3 Jangur 815.
Elle y avait échappé de justesse. Cette pensée obsédait Linsey depuis qu'elle avait entendu ce qui s'était passé hors du Kil'dé, ce que subissaient les Lanyshtas qui avaient osé suivre l'appel de cet étranger qui a soit disant perdu son fils.

Linsey aurait été tuée, certainement. Elle n'a aucune compétence particulière, n'est pas douée au combat, n'est pas très futée, et n'est pas non plus bien équipée. Pire encore, elle a peur et elle est noyée sous les doutes.

Ne lui restent alors que deux options : en finir, ou aller au-delà de ses craintes.

La première option signifie de mettre un terme à sa vie, de se suicider et de se laisser disparaître. Peu de personnes la regretteraient au fond. La seconde est revancharde. Combattre ce destin, lui faire face et se dresser telle une guerrière. Aller au devant des dangers, prendre part à la Révolution qui se prépare dans les différents quartiers. S'affirmer et accepter sa nouvelle nature.

Linsey choisit la première option.

Il ne lui reste plus qu'à faire ses adieux aux seules personnes pour lesquelles elle pense avoir la moindre importance : ses parents.


*** *~*~* ***


Un matin comme un autre, Linsey se retrouve face à la porte d’un appartement des plus communs. Elle frappe trois coups, entend des pas résonner sur le plancher, de l’autre côté, et puis une voix.

- Qui c’est ?
- C’est Linsey maman.
- Linsey ?!

Les verrous cèdent un à un, et la porte dévoile une femme d’une cinquantaine d’années aux traits fatigués et à la chevelure grisonnante. Linsey entre dans le foyer familial et embrasse sa mère longuement, elle ne peut contenir quelques larmes.

- Allons, mais que t’arrive-t-il ? Entre, entre !

La porte se referme derrière elles. Toutes deux s’attablent et savourent un thé assorti de quelques gâteaux, avant de préparer ensemble le déjeuner. Le père arrive à douze heures comme chaque jours, et lui aussi, très heureux de revoir sa fille, la serre dans ses bras longuement. La détresse de Linsey est frappante, et le sujet est à nouveau abordé tandis que la petite famille entame le plat principal.

- Linsey, dis-nous ce qui t’amène ? Lance le père.
- Tu sais, rien de bien grave papa. J’avais besoin de passer du temps avec vous voilà tout.

Les parents s’échangent un regard, puis reviennent sur leur enfant. Elle ne résiste pas plus longtemps.

- Et bien, en fait je… Je suis une Lanyshta depuis un peu plus d’un mois. Non, ces mots là ne parviennent pas à s’échapper de sa bouche. J’ai… L’intention de mettre fin à mes jours ? Non plus…
- Linsey, parle !
- Je viens de me séparer de quelqu’un. Son visage se referme. Un mensonge effronté qui permettra de justifier son état émotionnel, et ce qu’elle s’apprête à faire.
- Linsey, ce n’est pas bien grave tu en trouveras un autre. La mère pose sa main sur celle de sa fille. Tu crois que ton père a été le premier à faire couler mes larmes ?
- Ce qu’elle veut te dire, c’est que la vie c’est comme ça, des ruptures soudaines. Il faut faire avec et te relever, tu n’en seras que plus forte. Le plus important, c’est de te relever.
- Oui vous avez raison, n’en parlons plus je suis venue me changer les idées.

Et le repas continue sans autre évènement marquant. Des banalités sont échangées, le père retourne à son travail quelque temps plus tard, les deux femmes discutent puis se séparent dans une nouvelle étreinte.

Linsey se retrouve à nouveau seule, marchant dans la rue et ressassant ce mensonge. Ses pas la mènent lentement vers l’armurerie du Kil’dé.


*** *~*~* ***


Pourquoi vendent-ils ces objets par paire ? Un seul m’aurait suffit. Je vais poser la boîte sur la table, et les balles à côté. Je prends un papier et de quoi écrire, puis je commence un petit exercice de rédaction.

L’encre peine à se déverser, ma main ne s’agite pas et mes pensées sont terriblement confuses. Je sens mon cœur qui s’affole, ce mal de ventre qui me prend à nouveau. Calme-toi Linsey, tu es chez toi, il ne t’arrivera rien ici. Tu es maître de ton corps et de ton esprit. Tu n’as que quelques petites choses à faire : ouvrir la boîte, saisir un pistolet, charger une balle, placer le pistolet sur ta tempe, et appuyer sur la détente. Ensuite, tout sera fini.

Tout sera fini…

Voilà que je sanglote. Pourquoi est-ce si compliqué ? Je n’ai plus rien ! Aucun travail stable, pas de véritables amis, j’ai fait mes adieux à mes parents, et cet appartement miteux, bien que chaleureux, n’a rien de franchement attachant. En plus de ça, je suis désormais une Lanyshta, des voix résonnent dans ma tête dès que ma concentration se relâche, j’entends des flots de haine et de désespoir.

Alors oui, j’ai fait des rencontres. Napishtim tout d’abord, qui de prime abord m’a effrayée, mais au final s’est révélé le plus sincère et le plus solide soutien depuis mon Éveil. Viennent ensuite ce musicien, un camouflé, un second camouflé, et un manipulateur. Harvain, serveur dans une taverne huppée et qui aurait bien besoin d’un laxatif. Thaïs d’Ascara, un véritable pot de peinture terrassé par des complexes sur son apparence. Oromonde, jeune débarquée comme moi qui espère recevoir de l’aide de ma part. Mais que puis-je faire pour elle, et pour les autres ? J’ai eu peur de suivre l’appel de Klem, j’ai apparemment eu raison car j’ai évité de gros ennuis. Pourtant, cela a aussi impliqué de laisser mes nouvelles connaissances seules face à ce défi. Alors que c'est moi qui les avait invités à se rassembler... Si j’y étais allée, je serais peut-être morte, et je ne serais pas en train de me demander si je dois ouvrir cette boîte ou non.

C’est parti, je l’ouvre. L’objet est lourd. Je le charge, en espérant me souvenir des explications du vendeur, et je le place sur ma tempe. Le temps se fige, je ferme les yeux, et lentement mon doigt se fait de plus en plus ferme sur la gâchette.

Rien.

Rien ne se passe, je ne peux pas faire ça, pourquoi ?! Curieusement, c’est en pensant à Oromonde que je pourrais trouver la force de continuer à me débattre. Elle qui compte sur moi, n’est-elle pas une sorte de miroir ? Je suis vulnérable, j’ai besoin que l’on m’aide. Alors je fais quoi, là toute seule, pendant qu'Oromonde, Thaïs, et même Harvain sont en train de tester nos nouvelle compétences ?

Je tire le second pistolet hors de sa boîte. Je réfléchis un instant, et trouve une vieille ceinture qui fera parfaitement l’affaire. Je les accroche autour de ma taille, fais pareil pour la réserve de balles, et je sèche mes larmes.

Puisque je veux mourir, autant me jeter à corps perdu dans l’aventure Lanyshta. Et je ne veux plus entendre ces gémissements, arrête de faire ta peureuse !
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